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REVUE
DES
ÉTUDES GRECQUES
Les n'-uiiions du Corriitr ont lieu a TÉcolc des Beaux-Aits, à quatre heures, le
premier jeudi non férié de chaque mois: tous les membres de la Société ont le
droit d"v assister et ont voix consultative. Elles sont interrompues pendant les
mois dacrit. (if septendtro et d'octobre.
I^a bil)liothèque de l'Association (Sorbonne, salle des conférences de grec, au
rez-(le-cliaussée) est (iiiveilf le mardi de 4 h. à 5 h. 1/2, et le samedi de 2 à 4 h.
Les communications à l'Association, les deman(Jes de renseignements, les
ouvrants ollerts à la bibliothèque, doivent être a<lressés, franc de port, 44, rue
de Lille, viic.
Les manuscrits destinés à la Revue, ainsi que les ouvrages envoyés pour
compte rendu, doivent être adressés à M. Gustave Glotz, rédacteur en chef de
la Revue, librairie Leroux, 28, rue Bonaparte, vi^.
Les membres de l'Association sont priés de vouloir bien envoyer le montant de
leur cotisation, en un mandat poste, h M. Henri Lebèguf, agent bibliothécaire
de TAssociation, 44, rue de Lille, vii«.
Tout membre qui, après deux ans, n'aura pas payé sa cotisation, sera consi-
déré comme démissionnaire. ,
REVUE
DES
ÉTUDES GRECQUES
PUBLICATION THIMKSTKIKLLE
DE l/ASSilCIATION PHIIR L'RNCHlIlliifiKMUNT \)ll ETODES liitKtQOES
(Reconnue établissement d'utilité publique par décret du 7 juillet 1869)
lOUE XXX
ANNEE 1917
PARIS
MAISON ERiNESÏ LEROUX, ÉDITEUR
28, RUE BONAPARTE, VI^
1917
/O
ACTES DE L'ASSOCIATION
N° 458. Séance du 9 novembre 1916.
Présidence de M, Maurice Croiset.
Membres nouveaux.— MiM. Paul Langeard, ancien élève de l'École des Chartes,
présenté par MM. Lebègue et Omont.
Maurice Lacroix, membre de l'École française d'Athènes, présenté par
MM. Glotz et Michon.
Georges Mathieu, professeur de première au Lycée de Besançon, présenté par
MM. Bourguet et Haussoullier.
Communication. — M. Louis François. Dion Chrysoslome critique d'art et le
Zeus d'Olympie. Le texte de Dion est un des rares témoignages un peu explicites
que nous possédions au sujet du Zeus de Phidias. D'où le succès qu'il a obtenu
auprès de tous les historiens de l'art hellénique. Mais quelle est sa valeur?
Est-ce l'impression toute fraîche d'un témoin oculaire ? N'est-ce, au contraire,
qu'une amplification oratoire ? L'étude des sources de VOlympicos {Or. XII)
nous éclairera.
D'abord le sujet du discours n'est pas la seule glorification de Phidias. Dion y
examine, à la suite du Portique, le problème de l'origine de la notion du divin
parmi les hommes. Elle est double, êfxœuToç ou innée, sttîxtt.toç ou acquise.
Cette svvoia smxTï\TO<; elle-même se divise en trois ysviaeiç secondaires, Tzoïr^'ZiXTi,
vo[xtviT,, 6T,[xioopytx^ xal tzIckj-z-.-kï], cette dernière n'étant qu'un cas particulier de
la première. On arrive donc à une division tripartite de la philosophie théolo-
gique : è'fjLcpuToç, voîxixT^, tcoititixt^i, qui est consacrée dans le moyen Portique.
Dion est donc jusqu'ici purement stoïcien.
Il ne l'est pas moins dans l'éloge de Phidias. L'artiste, par sa bouche, com-
mente en pur stoïcien l'expression de son Zeus. L'énumération des cognomina
du dieu et leur commentaire sont tout stoïciens. C'est une sorte de litanie de
Zeus agrémentée d'instructions. On en trouve un premier crayon chez Cléanthe
qui célèbre en Zeus le ttoXuwvujj.oç. Elle est tout au long dans le Ilepl xoafxou du
Ps. Aristote, ouvrage mi-stoïcien mi-aristotélicien. Dion la reprend trois autres
fois dans les II. [âaaiXetaç 1, III, IV. vElius Aristide la reproduit au grand com-
plet dans son Hymne à Zeus. C'est donc un vieux cliché stoïcien, variante du
locus connu sur le souverain idéal, et que Dion plaque, sans scrupule, sur le
Zeus de Phidias.
REG, XXX, 1917, n» 137. a
— il —
Toutefois, le fait même est instructif. Le Zeus stoïcien est le dieu qu'adorent,
en somme, tous les hommes éclairés avant la difï'usion du christianisme. C'est
un dieu bon, un dieu providence, et c'est lui que les stoïciens se plaisent à
reconnaître chez Phidias.
MM. Salomon Reinach et Maurice Croiset présentent des observations.
Propositions de M. Marguerite de la Cliarlonie (cf. n» 456. Séance du 8 juin
1916). Le secrétaire-adjoint en donne lecture, et le Président les met en discus-
sion. On adopte les conclusions suivantes :
/re proposition^ concernant les pertes faites par nos confrères en la personne
de leurs proches parents morts à l'ennemi.
On estime qu'une communication de ce genre ne peut faire l'objet d'un statut
et doit être laissée à l'appréciation du président.
2^ proposition. Requête au gouvernement pour sauvegarder l'élite intellec-
tuelle de la France.
Cette proposition est écartée, la requête dont il s'agit excédant nos attribu-
tions et notre compétence.
j'e proposition. Pétition réclamant une plus grande place pour les humanités,
et en particulier pour l'étude de tout ce qui touche à l'hellénisme.
Remis à la prochaine séance, pour que l'auteur de la proposition la motive et
la précise.
4e proposition. Qu'il soit consacré à l'art et à l'archéologie hellènes des réu-
nions supplémentaires, afin d'introduire plus largement dans notre Association
les artistes, les ouvriers d'art et l'élément féminin.
Ce vœu de propagande peut être retenu; mais on n'estime pas pouvoir en
faire entrer l'application dans le règlement.
5e proposition. Érection d'une statue à A. Chénier. "
Les moyens nous manquent pour faire aboutir ce vœu.
6^ proposition. Imposer à ceux qui veulent devenir membres de l'Association
une déclaration indiquant leur lieu de naissance et celui de leurs parents.
On estime que nous devons faire confiance aux parrains et que la mesure
proposée pourrait avoir pour eux quelque chose de désobligeant.
iNo 459. Séance du 7 décembre 1916.
Présidence de M. Meillet.
Membres décédés. — MM. L, Bellanger, docteur ès-lettres, professeur au lycée
d'Auch, membre ordinaire de l'Association depuis 1892.
Georges Paspati, d'Athènes, membre donateur depuis 1888.
Le marquis Melchior de Vogué, membre de l'Académie des Inscriptions et
Belles-Lettres et de l'Académie française. Président de la Société des Agricul-
teurs de France. M. le Président retrace la carrière diplomatique et scientifique
de notre confrère, qui faisait partie de l'Association depuis 1875.
Communication. — M. Pierre Jouguet. Les magistratures dans les métropoles
égyptiennes au ii^ siècle ap. J.-C, d'après les papyrus de la collection Rylands.
La bibliothèque de Mrs Rylands à Manchester, qui contient plus de 7,000 ma-
nuscrits en langues diverses, possède une belle collection de papyrus grecs.
M. A. S. Hunt a publié en 1911 les textes littéraires : à la fin de 1914 il a
— in —
donné, avec la collaboration de M. V. Martin et de M. Johnson un volume de
documents. Plusieurs de ces textes ont apporté des renseignements sur l'organi-
sation des métropoles, au ii^ siècle après J.-C. On sait que, si l'on met à part les
citoyens romains, peu nombreux, l'Egypte comprenait trois classes de popula-
tion : les citoyens des cités grecques, la population hellénique de la /ojpa, privi-
légiée à l'égard de la capitation, et la population indigène, dont la sujétion est
marquée précisément parce qu'elle est frappée de ce tribulum capilis. A ces
trois classes de populations répondaient trois sortes de comnmnes : les citoyens
appartenaient à l'une des quatre cités d'Egypte; les indigènes vivaient surtout
dans les bourgs; les Hellènes du nome se rattachaient aux métropoles. C'est sur
les àpya[ par qui sont administrés ces Hellènes du nome que les pap. Rylands
nous apportent les renseignements les plus nombreux. Le pap. 8G mentionne le
xoivov des cosmètes ; le n» 11 jette une lumière assez vive sur la désignation aux
àoyixi. Cette désignation est faite par les cosmètes (ou les magistrats de l'ordre de
la magistrature à pourvoir). Aucun tirage au sort, ni agrément par l'épistratège
ou autre représentant du pouvoir central. Cérémonie du couronnement par le
stratège; mais ce n'est qu'une cérémonie : le stratège n'intervient pas dans le
choix.
Il est frappant de voir que ni le xo-.vèv des archontes ni celui des cosmètes ne
sont nommés. Peut-être ne sont-ils pas encore créés. Mais on ne peut rien
affirmer. 11 reste que seules interviennent les magistratures municipales, ce qui
contraste avec ce que nous savons des liturgies des bourgs pour lesquelles les
propositions des comogrammates sont revues parle stratège, puis par l'épistra-
tège (qui tire les candidats au sort). 11 y a donc une différence essentielle entre
àpj^oLi et XsiToupyîat. M. Jouguet essaie une explication du terme èTzikoyyoï. Les
éditeurs en^font un synonyme de magistrats contraints à la charge, ou de ma-
gistrats àTT:o5e5eî,Y[xévoi. Le mot parait faire allusion à un tirage au sort : on
devait tirer au sort les tours de service. Les sir^Xoyxoi seraient ceux qui,
nommés et couronnés, seraient disponibles pour ce tirage au sort.
No 460. Séance du 11 janvier 1917.
Présidence de M. Meillet.
Membre décédé. — M. l'Abbé Emmanuel Auvray, membre donateur depuis 1892.
II avait publié pour la première fois, d'après six manuscrits de la Bibliothèque
Nationale, le texte des Pleurs de Philippe le Solitaire.
Communication. Observations sur les Phéniciennes d'Euripide. — M. Pierre
Roussel cherche les raisons qui ont pu déterminer Euripide à introduire dans
sa tragédie un chœur de jeunes filles tyriennes. Les scoliastes ont fait valoir
qu'elles pouvaient plus librement présenter des observations à Étéocle. La cri-
tique moderne a été moins indulgente pour le poète : Decharme parle du « vice
capital de la conception de ce chœur »; Wilcken dit qu'Euripide a cherché un
effet de surprise; mais ses observations à ce sujet sont fort peu concluantes.
M. Roussel attire l'attention sur les vers 301-2 <ï>oivt<jaav poàv xXûouaa. Boav dési-
gne, non le parler phénicien, mais un chant modulé à la manière de la Phénicie.
Athénée nous parle des Y(yypoc, flûtes courtes aux sons aigus et plaintifs qu'em-
ploient les Phéniciens : ces flûtes, nous dit-on, sont aussi en usage chez les
— IV —
Cariens. On sait d'ailleurs que Carie et Phénicie sont assez souvent confondues.
Aristophane fait allusion à cette musique étrangère (Kapixwv a'jTvTiîiaTwv, Greji.
1302). Ce fait peut donc trouver son application dans les Phéniciennes d'Eu-
ripide.
Le poète peut avoir eu également une raison particulière d'introduire ce chœur
dans sa tragédie. Ces jeunes filles sont envoyées de Tyr en offrande à Apollon :
elles seront hiérodules de son temple. On sait que, dans certaines circonstances,
des jeunes filles étaient ainsi envoyées pour expier un sacrilège et détourner la
colère d'un dieu. Nous savons par Diodore et par Quinte-Curce qu'entre 409 et
404, dans une expédition de Phéniciens en Sicile, une statue d'Apollon avait été
enlevée et transportée à Tyr. Ne pourrait-on pas expliquer l'introduction d'un
chœur de Phéniciennes dans la tragédie d'Euripide en supposant que des jeunes
filles avaient été envoyées à Delphes (par Athènes) pour aller apaiser la colère
du dieu ?
MM. Maurice Crbiset, Bourguet, P. Girard, Puech, Meillet présentent des obser-
vations.
N° 461. Séance du 1" février 1917.
Présidence de M. Meillet.
Membres nouveaux. — M. R. Jardillier, professeur au Lycée de Rochefort, pré-
senté par MM. Glotz et Robin.
Le laboratoire de philologie et d'histoire de l'Université de Copenhague,
présenté par MM. Heiberg et Lebègue.
Communications. — M. l'Abbé d'Alès. Noie de lexicographie byzantine. M. l'Abbé
d'Alès observe que les sanctuaires dédjés à la navayia sont innombrables et que
les lexiques sont très pauvres sur ce mot. Sophoclis cite six exemples ; mais
certains d'entre eux, par exemple ceux de Saint Hippolyte et de Saint Méthode,
sont empruntés à des écrits apocryphes d'époque assez basse, et, à l'analyse,
tout cet article de dictionnaire ne laisse rien de solidement acquis. Nous savons
qu'Eusèbe emploie Tcavay^a au sens adjectif: pour le substantif, nous ne sommes
pas documentés.
Il existe une Doctrina Patrum, florilège patristique composé vraisemblablement
pour le Concile de 681. llavayfa ne figure pas dans les 54 exemples des appella-
tions de la Vierge : le vocable n'était donc pas entré dans l'usage. Nous voyons,
d'autre part, dans la Sigillographie de Schlumberger que Ilavay^a est très fréquent
au xi« siècle. L'efflorescence de ce vocable se place donc entre 700 et 1000, et
ceci fournit un critère pour dater les textes byzantins.
MM. Meillet, Glotz, Fougères, Bourguet, Maurice Croiset présentent des obser-
vations.
M. Edmond Pottier. L'enseignement par les musées. M. Pottier signale un
article sur ce sujet, publié en septembre 1916, par le Bulletin du Musée métro-
politain de New-York. Les ciceroni des Musées sont insuffisants et donnent des
idées fausses. Comment pourrait-on avoir de bons guides? Ne pourrait-on créer
un office auquel le public s'adresserait pour en trouver ? L'École du Louvre pour-
rait servir à les recruter. Rien, jusqu'ici, n'a été fait chez nous en ce sens, tandis
qu'en Amérique et en Angleterre on a déjà créé un bureau de guides qui se met
en relations avec les écoles. Il y a là une organisation que nous aurions intérêt
à étudier.
Nous aurions ainsi le moyen de visiter raisonnablement un musée, et d'échap-
per à ce « museumfag », cet « éreintement du Musée », inévitable à ceux qui se
promènent sans but. M. Arthur W. Dow nous propose de visiter le Musée avec
une idée directrice, p. ex. l'étude du portrait, et M^'^ Elisabeth Withraore nous
montre comment un guide, s'arrêtant avec nous devant un objet, pourrait :
1» étudier sa destination, son histoire, sa forme; 2» étudier l'objet au point de
vue de l'art.
M. Pottier lit un article écrit par M'^^ Ethel Spiller à propos d'une expérience
faite sur des enfants : cette expérience a permis de recueillir des observations
intéressantes sur l'attrait que des collections d'art peuvent avoir pour l'enfant
des rues.
M. Pottier se demande si ces organisations et ces expériences ne nous mon-
trent pas une voie où l'on pourrait entrer pour faire l'éducation du public.
MM. Michon, Fougères, de Ridder, Meillet et M^e Massoul présentent des
observations.
No 462. Séance du 1er mars 1917.
Présidence de M. Meillet.
Membres décédés. — Le Président fait part de la mort de deux confrères qui se
sont montrés très dévoués à l'Association, MM. Périclès Hadgi-Lazzaro, vice-
consul des Etat-Unis à Salonique, et 0. J. Jasonidis, de Chypre, membre de
l'Association depuis 1870.
Membres nouveaux. — MM. Léon Brunschvicg, maître de conférences à la Sor-
bonne; Lévy-Wogue, Professeur de Première au lycée Janson de Sailly, pré-
sentés par MM. Milhaud et' Robin,
Communication. — M. Salomon Reinach. Un portrait mystérieux .,}A.. S. Reinach
cherche à résoudre un problème de l'iconographie antique; il s'agit d'une tête
de vieillard, bouche ouverte, dont on connaît trente exemplaires dépourvus
d'inscriptions et découverts en Italie. Le plus beau a été trouvé dans la Villa
des Pisons à Ilerculanum. Dans un seul exemplaire la tête est ceinte d'une
couronne de lierre. Quel est ce portrait? Celui de Sénèque le philosophe?
L'hermès de Socrate-Sénèque ruine cette hypothèse. Presque tous les archéo-
logues ont vu dans ce vieillard un poète, et, de préférence, un poète de l'époque
alexandrine. On l'a attribué à Myron de Thèbes. Trois caractères de ce portrait
se dégagent nettement :
10 La figure est agreste et hirsute.
20 L'homme est d'un grand âge.
30 II est célèbre, ainsi qu'en témoigne le grand nombre des répliques.
On écarte d'abord Calliraaque, Théocrite, Philiscos. L'hypothèse Philémon, pro-
posée par Studniczka, paraît digne d'intérêt : elle est pourtant insoutenable. En
effet, lo Philémon n'est pas en si grand honneur à Rome; 2<* il devrait être repré-
senté imberbe, comme son contemporain Ménandre; car il ne fut pas, ainsi qu'Ho-
mère, célèbre dans sa vieillesse. D'autre part, le caractère inquiet et tourmenté
de ce pseudo-Sénèque ne permettrait pas de penser à un portrait d'Homère.
VI —
Serait-ce un poète de la vieille Grèce?
Arndt a proposé Archiloque. Mais celui-ci mourut jeune, dans la guerre entre
Chalcis et Érétrie. Furtwangler songeait à Hipponax, mirae foeditatis.àii Pline;
mais cette hypothèse ne répond pas non plus aux conditions du problème.
L'original devait être un poète et un penseur, avec tendance à la satire;
d'autre part, la couronne dionysiaque de lierre nous engage à choisir parmi les
scéniques. Il faut exclure Aristophane, chauve comme Eschyle; il faut renoncer
à Cratinos, peu célèbre chez les Romains. Reste donc un nom qui n'a pas été
proposé : celui du vieux poète sicilien Épicharme. Il aurait donné son premier
drame à 36 ans et serait mort à 90 ou 97 ans. Ennius et Cicéron l'admirent, et
sa place est éminente dans la philosophie et à la scène. Et ce n'est pas à tort
que nous le voyons accolé à Ménandre dans un double hermès : Horace ne dit-il
pas en deux vers qui se suivent :
Dicilur Afrani toga convertisse Menandro ;
Plautus ad exemplar Siculi properare Epicharmi.
Ce qu'a fait Horace, le sculpteur de la villa Albani pouvait le faire. L'hypo-
thèse n'est pas définitive; mais, dans l'état actuel de notre connaissance, elle
est vraisemblable.
MM. Collignon, Michon, Fougères, Meillet, Pottier, Robin présentent des
observations.
iNo 463. Séance du 19 avril 1917.
Présidence de M. Meillet.
Le Président communique une lettre de notre confrère M. Henri Boucher,
publiciste, qui lui a fait connaître « qu'il a pris des dispositions pour laisser
à notre Association une somme annuelle devant être affectée à la publication de
textes grecs peu connus et à leur traduction simultanées ». Le Président, qui a
insisté auprès de notre confrère pour être autorisé à nous communiquer cette
nouvelle, exprime à M. Henri Boucher les vifs remerciements de l'Association.
Cet exemple ne manquera pas d'être suivi, et nous devons à notre confrère
une profonde reconnaissance pour le bien qui doit revenir à notre Association de
cette généreuse initiative.
Membres décédés. — MM. le commandant F. Schlegel, membre donateur depuis
1906, et véritable ami de nos études ; l'abbé Gonnet, chanoine honoraire, pro-
fesseur aux facultés catholiques de Lyon. Le Président rappelle sa thèse sur
le Comparatif, et exprime les regrets que cause à l'Association la mort de ce
savant distingué.
Séance générale et réunions de la Commission des prix. — La Commission des
prix s'est réunie le 10 et le 24 mars : elle entendra le rapport du Secrétaire-
adjoint le 5 mai. La séance générale annuelle est fixée au 24 mai.
Communication. — M. Pernot entretient l'Association du poète ionien
André Kalvos, Le nom de Kalvos est connu des lettrés ; mais ses œuvres sont
peu lues. Elles se composent seulement de vingt odes, publiées pour la première
fois en 1824 et 1826 et traduites en français par deux sinologues, Stanislas Julien
et Pauthier. M. Pernot en donne des extraits et en fait ressortir le mérite lit-
téraire. Deux choses frappent chez Kalvos : sa complète stérilité poétique à
VII —
partir de 1826, et son originalité. La première peut s'expliquer par le caractère
de l'auteur et par le milieu dans lequel il a vécu pendant la plus grande partie
de sa vie; son originalité consiste dans le choix des rythmes, la nature un peu
archaïque de la langue, la sobriété de l'expression, l'élévation de la pensée.
Comme Chénier, Kalvos fait des vers antiques sur des pensers nouveaux. Par
certains côtés il rappelle aussi Ronsard et Lamartine. On peut le considérer
comme un des meilleurs poètes de la Grèce moderne.
MM. CoUignon, M. Groiset, P. Girard, Glotz et Meillet présentent des obser-
vations.
No 464. Assemblée générale du 24 mai 1917.
Présidence de M. Meillet.
Discours du Président. — A l'expiration de son année de présidence, M. Meillet
se félicite d'avoir pu, grâce à ses fonctions, suivre de près les travaux de notre
Société, et remercie ses collaborateurs du bureau. Après avoir rendu hommage
aux glorieux sacrifices des jeunes gens, il rappelle les pertes cruelles qu'a faites
l'Association dans la personne de MM. Gaston Maspero, Delbos, Paspati, Bel-
langer, Hadgi Lazzaro, Jasonidis, le marquis Melchior de Vogué, l'abbé Auvray,
le commandant Schlegel, l'abbé Gonnet.
M. Meillet rappelle que l'année 1917 est celle du cinquantenaire de notre Asso-
ciation. — Il termine son allocution en envoyant notre salut à ceux des Hellènes
qui s'associent volontairement à la dure lutte où nous avons été contraints, et
en faisant entrevoir le rôle de notre Association dans la société nouvelle que
préparent nos douloureuses épreuves.
Rapport du Secrétaire- adjoint. Le Secrétaire-adjoint donne lecture du Rapport
sur les travaux et concours de 1916-1917. Le prix Zographos est partagé entre
M. Henri Alline pour son Histoire du texte de Platon et M. Armand Delatte pour
ses Études sur la littérature pythagoricienne.
Deux prix Zappas (celui de 1916 ayant été réservé) sont attribués l'un à
M. Emile Boisacq pour son Dictionnaire étymologique de la langue grecque,
l'autre à M. C, Rados pour son ouvrage sur La bataille de Salamine. M. G. Ma-
thieu reçoit une médaille d'argent pour son étude sur La Constitution athénienne
d'Aristote.
Renouvellement du Bureau et du Comité. — Le scrutin donne les résultats sui-
vants :
1er Vice-Président: le général Arthur Boucher.
2e Vice-Président: M. Victor Bérard.
Secrétaire-archiviste : M. P. Mazon.
Secrétaire-adjoint : M. G. Dalmeyda.
Trésorier : M. J. Maurice.
Trésorier-adjoint : M. H. Lebègue.
Membres du Comité : MM. Meillet, Monceaux, François, R. Pichon, Colàrdeau,
Robin, Sartiaux, G. Millet.
M. Maurice Croiset, premier Vice-Président, passe, de droit, Président pour
l'année 1917-1918.
— VIII —
Rapport financier. — M. Henri Lebègue, Trésorier-adjoint, donne lecture d'un
Rapport sur la situation financière de FAssociation. Ce rapport est approuvé.
N» 465. Séance du 7 juin 1917.
Présidence de M. Maurice Croiset.
Allocution du Président. — ^ M. Maurice Croiset commence par rendre hommage
au président sortant, M. A. Meillet. 11 remercie l'Association du témoignage de
confiance qu'elle lui a donné en l'appelant pour la seconde fois à la présidence ;
sans doute l'Association a-t-elle voulu, dans l'année de son cinquantenaire, unir
le passé à l'avenir. Ce cinquantenaire ne saurait être fêté parmi tant de deuils
cruels : nous vivons une vie d'expectative.
Après la victoire décisive beaucoup de questions se poseront qui auront pour
nous un grand intérêt, notamment celle de l'éducation et de l'enseignement :
nous nous souviendrons alors que nous ne sommes pas seulement une Société de
lettrés, que nous devons agir et encourager nos études. M. Maurice Croiset promet
de mettre, dans ces travaux, tout son dévouement au service de l'Association.
Membre décédé. — M. Ernest Leroux, éditeur. Il nous était attaché par des liens
particuliers, et sa perte est vivement ressentie par tous nos confrères.
Lectures. — Le Secrétaire-adjoint donne lecture de deux études de M, P. Grain-
dor, maître de conférences à l'Université de Gand. La première est relative au
passage de Lucius Verus à Athènes. D'après Foucart, Dittenberger et von Domas-
zewski, Lucius Verus aurait été initié aux mystères d'Eleusis en 165, au retour de
son expédition contre les Parthes. Pour M. Graindor, l'événement est de 162, à
l'aller et non au retour de cette expédition.
La seconde étude se rapporte a l'archontat de Philopappos. Cet archontat est
placé par Dittenberger entre 90 et 100, par rapprochement de /G, III, 78 et 1020 :
dans chacune de ces inscriptions figure un Philopappos : c'est en les identifiant
qu'on établit la date. M. P. Graindor montre que celui du n» 1020 est différent de
celui du n" 78. Les indices chronologiques qu'on ne peut plus tirer de 1020
peuvent être demandés aux Suixiroaiaxà irpoSXVitJLaTa de Plutarque, de date jusqu'à
présent incertaine, et que M. Graindor place vers 91-2. L'archontat du Philopap-
pos du monument, qui y est mentionné, ne saurait être postérieur à 91 et peut
remonter jusqu'à 75, mais doit se placer plus près de 91 que de 75. L'autre Philo--
pappos — peut-être parent du premier — fut archonte après celui du monument
et mourut en charge.
MM. Maurice Croiset, Bloch, Glotz et Bourguet présentent des observations.
No 466. Séance du 5 juillet 1917.
Présidence de M. Maurice Croiset.
Le Président a le plaisir de communiquer une lettre de Paul Mazon, désigné
pour un rapatriement prochain et qui espère être à Paris dans le courant du
mois.
Membre décédé. — M. Armand Lélioux, chef honoraire du Service de la Sténo-
graphie du Sénat, membre de l'Association depuis 1879.
Membre nouveau. — M. Victor Martin, privat-docent à l'Université de Genève
présenté par MM. Maurice Croiset et Paul Mazon.
-^ IX —
Communications. — M. F. Sartiaux. ^archéologie française en Asie-Mineure et
les fouilles de Phocée.
Les fouilles de Phocée et les entreprises archéologiques françaises en Asie-
Mineure de 1913 n'ont pas seulement un intérêt scientifique : elles ont une portée
nationale. Elles inaugurent une reprise en Asie-Mineure de l'activité scientifique
de la France, qui, après avoir été la grande initiatrice, a presque complètement
cédé la place aux autres pays, et notamment à l'Allemagne, depuis environ trente
ans.
Si l'on passe en revue les grands domaines de l'archéologie anatolienne, on
constate presque partout que l'initiative a été française pendant les trois pre-
miers quarts du xix^ siècle, et que l'exploitation des premiers travaux a été
l'œuvre des étrangers. Le domaine des Hittites a été découvert par Texier (1835)
et par Perrot et Guillaume (1861) : les grands résultats sont anglais (Garstang) et
surtout allemands (Winckler); le déchiffrement des textes commencé par Winc-
kler est dû à l'autrichien Hrozny. En Crète, la France avait pris à bail le terrain
où s'élevait le fameux palais minoen de Cnossos : c'est Evans qui a exécuté les
grands travaux; en Asie-Mineure, les vestiges mycéniens entrevus par Lecheva-
lier et par Choiseul-Gouffier ont été étudiés par Hoggarth, Leaf, Dôrpfeld et
Wiegand.
Pour l'archéologie hellénique : Assos a été deux fois concédée à la France en
1838 et en 1864 : ce sont les Américains qui ont fait les fouilles ; Perganie a été
explorée par Huyot (1818) et par Texier (1833) : c'est Curtius, Human et Dôrpfeld
qui l'ont ressuscitée; Sardes a été explorée par la France : ce sont les Améri-
cains qui ont mis au jour le temple, les bijoux et les inscriptions lydiennes. Il
en est de même à Mytilène, Samos, Magnésie du Méandre, Priène, Héraclée du
Latmos, Milet, Didymes. A Didymes, non seulement nos travaux ont été repris
par les Allemands, mais ils ont été exécutés avec notre propre matériel.
Ces entreprises allemandes dans les grandes vallées anatoliennes font partie
de la grande œuvre de conquête politique, économique, commerciale et scienti-
fique de l'Allemagne en Orient, dont la période de croissance (depuis 1885) et
l'apogée coïncident avec notre déclin. Elles ont, par leur importance, leur coor-
dination, la continuité de leurs efforts et leur unité de direction, un caractère
tout différent des entreprises françaises, isolées, éphémères, et privées de
ressources.
- Le programme institué en 1913, à la suite de Tinscription au budget d'un petit
crédit annuel, est venu réagir heureusement contre cette situation déplorable.
Quatre chantiers ont été créés par la Commission des fouilles en Asie-Mineure, à
Sidon, à Konia, à Aphrodisias et à Phocée, et un cinquième, par l'École fran-
çaise d'Athènes, à Notium, le port de Colophon. M. F. Sartiaux rappelle les résul-
tats de sa première campagne à Phocée en 1913, et donne des renseignements et
des détails inédits sur les fouilles de sa seconde campagne de 1914, qui a été si
tragiquement interrompue par les massacres turcs et l'expulsion des grecs otto-
mans de toute la région.
Lorsqu'il sera parlé des conditions de la paix, il importe : de ne pas oublier
les populations grecques d'Asie-Mineure, arrachées de leur foyer, et dont le
retour à Phocée — œuvre de stricte équité — présente un réel intérêt au point
de vue des recherches archéologigues; que les concessions accordées à la France
en 1913 soient renouvelées, elles crédits inscrits au budget de 11. P. maintenus.
Il serait même désirable que nos entreprises en Asie-Mineure et, en général,
nos entreprises scientifiques en Orient fussent mieux coordonnées et qu'on leur
donnât toute l'ampleur nécessaire à notre influence. Quelques avantages que nous
confèrent les arrangements de la paix, si nous n'employons pas de meilleures
méthodes, il est inévitable que l'Allemagne reprenne la situation privilégiée
qu'elle a su acquérir en moins de trente années dans un pays où l'influence, le
prestige, les traditions françaises étaient prédominants.
M. Fougères présente des observations : il pense que la responsabilité de
l'inaction française en Asie-Mineure incombe au pouvoir central qui n'a pas suf-
fisamment protégé les intérêts français dans un pays où l'insécurité avait rendu
le séjour très difficile. Il est d'avis qu'il n'y a pas lieu, pour coordonner nos
eflorts, de chercher d'autre organe que l'École française d'Athènes.
M. Sartiaux objecte que cette insécurité n'existait pas le long des côtes jus-
qu'à une assez grande profondeur à l'intérieur des terres, et que, en fait, les
entreprises archéologiques des autres pays ont grandement prospéré depuis le
dernier quart du siècle dernier. Il ne voit aucune objection à ce que ce soit
l'École française d'Athènes qui coordonne les efforts archéologiques de la
France en Asie-Mineure; mais il estime qu'elle n'a ni le personnel ni les crédits
suffisants pour le faire et qu'elle doit, en conséquence, être fortement aidée
par le pouvoir central et les initiatives extérieures.
D'autres observations sont présentées par M. Maurice Croiset.
Le geste du rhapsode et le texte homérique. — M. Victor Bérard rappelle un
certain nombre de passages des poèmes homériques où les mots appellent le
geste; par exemple au chant III de Vlliade lorsque Hélène et Priam sont sur le
rempart, v. 118 ouxô; y' 'Atp£(St,ç, v. 192 slV àys jxoi xal tovSs : on voit dans
ce passage, alterner ouxoç et oos. Au l^^ chant de VOdijssée, v, 345 tï>ôpxuvOi; [xèv
8S' saxl );i[j.T|V, puis 'fi5' £>.a(T, ... touto Se xoi airsoç... toùto 8è Nf,ptxov. Ces nota-
tions peuvent nous servir, au besoin, à l'établissement du texte : le v. 191 du
chant II de YOdyssée :
npfj^ai 5' ï)X.'K-T\c, ou XI Suvfiaexat, eïvsxa xôivSe
qui manque dans certains manuscrits, est écarté par des éditeurs et, d'ailleurs,
diversement interprété. Pour les uns, xwvSs désigne les prétendants; d'autres
expliquent s'îvsxa xwvSs « en raison de tes conseils ». Pour M. Bérard xwvSe
marque un geste d'Eurymaque montrant les deux aigles qui viennent de passer
au-dessus de l'assemblée et qui disparaissent à l'horizon. Ainsi interprété, ce
vers, plein de mouvement et d'énergie, ne saurait plus nous être suspect. —
M. Bérard commente d'autres passages, tels que Odyssée XV, 174, et III, 377 ;
dans ce dernier vers nous devons rétablir le geste montrant la région du ciel
où vient de disparaître Athéna.
MM. Maurice Croiset, Th. Reinach, d'Eichthal, P. Girard, présentent des obser-
vations .
ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DU 24 MAI 1917
ALLOCUTION DE M. MEILLET
PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION
Messieurs,
C'est une de vos manières d'encourager les études grecques
que de mettre de temps en temps à votre tête un profane qui
s'est efforcé de cultiver un coin de votre vaste domaine. Vous
venez d'accorder cette faveur à un linguiste, et vous m'avez
donné ainsi occasion de m'instruire à vos séances, d'entendre
des communications sur les sujets les plus variés, de suivre
vos discussions où l'élégance et l'aisance de la forme n'en-
lèvent rien à la solidité du fond.
En cette nouvelle année de guerre, notre société a vécu.
Nos séances ont été fréquentées, et, par les soins de notre secré-
taire-adjoint, M. Dalmeyda, elles ont conservé leur intérêt
habituel. M. Glotz a poursuivi, sans fléchir, la continuation de
notre Revue. Les circonstances ont restreint nos ressources,
sans qu'il ait été possible de restreindre sensiblement les dé-
penses; M. Lebègue, dans la mesure du possible, a maintenu de
l'ordre dans nos finances. L'Association remercie ces Mes-
sieurs de toute la peine qu'ils ont prise pour elle.
La guerre a si fort éprouvé dès l'abord les jeunes de notre
— XII
société que je n'ai pas aujourd'hui de nouvelles pertes de guerre
à déplorer parmi nos confrères. Mais la jeunesse de France
a continué de se sacrifier; nous nous associons à la douleur
de ceux de nos confrères dont les fils ont été tués ou ont été
cruellement meurtris. Leur deuil est le nôtre. La naissance
d'un ordre nouveau continue de se préparer dans le sang. La
beauté de la cause pour laquelle se sacrifient les combattants
ennoblit leur sacrifice sans diminuer notre douleur.
Cependant la mort indifférente continue d'atteindre nos
membres anciens. Notre société a fait, cette année encore, des
pertes graves.
Nous avons appris la mort de trois de nos confrères grecs,
M. Georges Paspati, d'Athènes; M. John Jasonidis, de Chypre;
M. Périclès Hadji Lazzaro, de Salonique ; tous trois membres
donateurs de notre association. Nous ressentons vivement la
perte de ces grands hommes d'affaires qui sont l'honneur et la
force de la Grèce moderne, et qui, comme M. Hadji Lazzaro en
particulier, ont su voir de quel côté devait se tourner leur
nation.
Ici aussi les études grecques ont perdu des amis fidèles : le
commandant Schlegel qui, dès le lycée, s'était intéressé particu-
lièrement à la Grèce; L. Bellanger, docteur es lettres et profes-
seur au lycée d'Auch; le philosophe Victor Delbos, à qui l'étude
de la philosophie moderne ne faisait pas oublier les origines
grecques de notre pensée; le marquis Melchior de Vogiié, dont
la large activité s'est intéressée à tant de choses et qui a estimé
que, parmi les devoirs que lui imposait sa haute situation dans
la société française, celui de marquer aux études grecques l'in-
térêt qu'il leur portait n'était pas le moindre; l'étude qu'il
a faite avec tant de succès de l'épigraphie des anciens peuples
de langue sémitique le mettait du reste en contact étroit avec la
Grèce.
L'abbé Emmanuel Auvray a été l'un des premiers élèves des
conférences de grec à l'École des Hautes Etudes. Il a fait le
premier travail de philologie grecque que l'École des Hautes
XIII —
Études ait diplômé, en 1874, une édition soignée d'un texte
byzantin, Les pleurs de Philippe le Solitaire. L'abbé Auvray a
été ainsi un initiateur dont l'exemple a été heureusement suivi
depuis.
L'abbé Gonnet a été, lui aussi, l'un des premiers élèves de
rÉcole des Hautes Etudes. Sous l'influence de notre ilhistre
confrère, Michel Bréal, il a fait en 1876 une thèse de doctorat
sur les degrés de signification en grec et en latin, où il a su tenir
compte à la fois du sens et de la forme qui sert à l'exprimer et
qui a été l'un des premiers travaux originaux de grammaire
comparée publiés en France.
Si l'abbé Auvray et l'abbé Gonnet ont été parmi les premiers
élèves de l'École des Hautes Études, Gaston Maspero a été le
premier maître que s'est adjoint, dès 1869, le petit groupe des
fondateurs. De Rougé, qui l'avait désigné, avait su discerner la
valeur du jeune savant qui n'avait alors que 23 ans. Par ses
travaux, Maspero se montrait aussitôt un maître; en 1872, il
soutenait la première thèse d'égyptologie qu'ait vu la Sorbonne ;
en 1874, à 28 ans, il devenait, au Collège de France, titulaire
de la chaire d'égyptologie. On a vu alors ce que peut donner
un homme tel que Maspero, quand, dès la première jeunesse,
on sait lui fournir le moyen de se livrer tout entier à la
science qu"'il cultive et de former à son tour des jeunes gens.
Maspero était élève à l'École Normale quand il s'est mis à
étudier l'égyptologie, et c'est un helléniste, Egger, qui l'a
adressé à M. Rougé. Il avait une forte culture classique quand
il est venu à l'orientalisme. Et il a été des premiers à montrer,
comme tant d'autres l'ont fait depuis avec éclat, de quel prix
est l'humanisme pour un orientaliste.
Là connaissance des choses classiques qu'avait Maspero n'a
pas' seulement accru son talent d'exposition et sa largeur d'es-
prit. Elle lui a permis de tirer parti des données grecques. A
l'époque de l'empire achéménide, l'Egypte s'est ouverte en
quelque mesure aux Grecs. Et, après qu'Alexandre a eu conquis
l'empire achéménide, une dynastie de langue et de civilisation
XIV —
grecques a régné sur TEgypte. Grâce h ces contacts entre la Grèce
et l'Egypte, F histoire d'Egypte a ainsi des sources grecques. Mas-
pero discernait parmi les documents égyptiens tout un groupe
qui, dès une date ancienne, indique l'existence d'une chronique
familière coexistant avec l'histoire authentique. Hérodote en a
recueilli des échos ; dans toute une série de volumes de notre
Annuaire^ Maspero a donné des fragments curieux d'un com-
mentaire sur le livre II d'Hérodote; au lieu d'accabler Hérodote
sous sa supériorité d'égyptologue connaissant des documents
auxquels l'historien grec n'a pas eu accès, il lit avec sympathie
le vieux chroniqueur, il fait ressortir ce qu'il y a d'utile dans
les données fournies par lui, il tire parti de ces indications.
Ailleurs, au contraire, il éclaire au moyen de données égyp-
tiennes des faits grecs; la divinisation d'Alexandre est en Grèce
chose inexplicable ; Maspero montre, dans V Anmmire de l'Ecole
des Hautes Études, pour 1897, comment, en Egypte, Alexandre
est devenu un dieu par le fait même qu'il succédait aux Pha-
raons. Ainsi, même sans pénétrer dans le domaine réservé de
l'égyptologie, les hellénistes peuvent entrevoir ce qu'il y avait
chez Maspero d'ampleur de connaissances, de don de combi-
naison joints à une acuité singulière de la vision et au sens
de la réalité.
La mort qui a surpris Maspero en juin 1916 l'a empêché
d'achever le travail où il comptait exposer ses vues sur la gram-
maire égyptienne. Ce grand travailleur a eu du moins le bon-
heur de mourir en pleine activité ; ni les premières crises du
mal qui devait l'emporter, ni la mort de son dernier fils, Jean
Maspero, tué à l'assaut de Yauquois, n'avaient pu faire plier sa
volonté de travailler jusqu'au bout. Et il est tombé un jour, à
son poste de secrétaire perpétuel de l'Académie des inscrip-
tions.
Cette mort est pour nous un grand exemple. Ceux à qui
l'âge a enlevé l'honneur de prendre part à la grande guerre oii
se crée un monde nouveau voient dévasté par des morts glo-
rieuses le champ de leurs pacifiques études. Les élèves sur les-
XV
quels ils comptaient pour continuer le travail après eux dis-
paraissent les uns après les autres ; et, pour un maître, c'est
mourir en partie que de voir mourir les jeunes maîtres qui
allaient prendre sa place. Au moment où ils commençaient à
entrevoir le repos, les anciens doivent assurer la tradition de la
science, et tenir pendant un temps la place des jeunes disparus,
en attendant que des forces fraîches puissent les relever.
Nos études ne serviront guère à la restauration matérielle
de notre pays qui absorbera, dans les années prochaines, le
principal de nos forces. Toutefois les études grecques ne sau-
raient être simplement curiosité d'historien ou élégance d'huma-
niste ; comme toute science historique, elles doivent expliquer
le présent et préparer l'avenir. Maintenant que chaque semaine
apporte un grand événement nouveau, maintenant que se réa-
lisent en quelques jours des changements décisifs pour l'avenir
du monde, l'étude de la Grèce est plus nécessaire que jamais.
Il y a vingt-cinq ans, Ernest Renan présidait le banquet où
l'on fêtait le vingt-cinquième anniversaire de la fondation
de notre association. Il disait : « Il y a dans l'histoire un
miracle, Messieurs, c'est la Grèce antique. Oui, cinq cents ans
environ avant J.-C., acheva de se dessiner dans l'humanité un
type de civilisation si parfait, si complet, que tout ce qui avait
précédé rentra dans l'ombre. C'était vraiment la naissance de
la raison et de la liberté. » Or, voici que de nouveau, devant
nos yeux terrifiés par le présent, mais émerveillés par la vision
de l'avenir, apparaît une humanité transformée.
L'heure n'est pas aux fêtes. Nous ne pouvons célébrer
notre cinquantième anniversaire. Mais, du malheur où nous
sommes plongés, voici qu'émerge peu à peu un miracle qui
sera pareil au miracle grec. Nul ne sera aussi prêt à devancer
par l'esprit, par le cœur ce renouveau du monde que ceux qui,
comme vous, ont médité sur le passé de la Grèce.
Dans notre ascension pénible vers un monde nouveau, nous
aurions été heureux d'avoir pour alliés ceux qui perpétuent
parmi nous l'usage de la langue grecque. Le grand homme
XVI —
d'État qui avait réussi, il y a peu d'années, à faire entrer dans
le royaume de la Grèce tant de ses compatriotes demeurés sous
le joug étranger, Tavait compris ; il est venu à nos côtés, avec
les meilleurs de ses compatriotes ; et notre x\ssociation qui a
toujours travaillé à rapprocher le peuple grec du peuple français
est heureuse de saluer ceux qui volontairement se sont associés
à la dure lutte où ils ont été contraints. Mais M. Venizelos
n'a pas rencontré chez ses compatriotes l'appui nécessaire qu'il
aurait fallu pour faire prévaloir à Athènes sa politique à larges
vues. Une cour où dominent les influences étrangères, des poli-
ticiens jaloux à qui les intérêts de leurs coteries dissimulent
leurs devoirs envers leur nation ont sacrifié les intérêts de
l'hellénisme et ceux de l'humanité \ Peut-être que la consti-
tution du royaume de Grèce avait trop peu coûté aux Grecs :
nous le savons par l'héroïsme de la Grèce antique, nous le
voyons par les comhats d'aujourd'hui, la liberté ne se reçoit
pas comme un don, elle se conquiert.
Si, à la lumière de l'histoire de l'antiquité que nous étu-
dions, nous savons comprendre le sens des événements pré-
sents, nous aurons célébré vraiment l'anniversaire de notre
société ; car nous l'aurons préparée à prendre sa part de l'effort
immense qu'il faudra faire demain.
(1) Depuis que ces paroles ont été prononcées, M. Venizelos a repris la direc-
tion du gouvernement grec, et la Grèce s'est mise à sa place naturelle, aux côtés
des Alliés. Le vœu exprimé ici a été exaucé presque aussitôt qu'il a été formulé.
On ne s'en réjouira nulle part plus que dans notre Société. — A. M.
RAPPORT DE M. G. DALMEYDA
SECRETAIRE-ADJOINT
SUR LES TRAVAUX ET LES CONCOURS DE L'ANNEE 1916-1917
Messieurs,
Votre Commission des prix ne saurait trouver sa tâche
ingrate quand les ouvrages qui s'offrent à son examen sont
aussi solides el varies de matière qu'ils l'ont été celte année.
Un dictionnaire étymologique, l'histoire d'un texte, des tra-
vaux sur les croyances morales et philosophiques de la Grèce
ancienne, un essai de méthode historique, des recherches
techniques sur une bataille, tels sont les sujets des ouvrages
couronnés en votre nom : on ne saurait, je pense, les souhai-
ter plus divers; mais surtout il n'en est aucun qui n'éveille
un vil' intérêt en raison des faits ou des auteurs qu'il met en
cause.
Le prix Zographos est partagé entre M. Henri Alline, pour
son Histoire du Texte de Platon^ et M. Armand Delalte pour
ses Etudes sur la Littérature pythagoricienne . L'ouvrage de
M. Alline est le remaniement d'un mémoire auquel l'Acadé-
mie des Inscriptions avait, en 1913, décerné le prix Bordin.
L'auteur en offre, aujourd'hui, une rédaction complétée et
renouvelée. Les modèles ne lui manquaient pas : il le recon-
naît lui-même avec bonne grâce. Et, néanmoins, la tâche
restait singulièrement difficile ; car M. Alline ne voulait pas se
REG, XXX, 1917, n» 137. b
— XVIII
borner à énumérer des matériaux historiques; il voulait tenter
(( de restituer l'activité de ceux qui conservèrent, transcri-
virent, éditèrent et lurent le texte de Platon ». On se rend
compte des difficultés, constamment renouvelées, qui se pré-
sentaient à chaque étape de celte recherche. Reviser un classe-
ment de manuscrits, le corriger, montrer aux éditeurs de
l'avenir une voie meilleure, c'est affaire d'attention scrupu-
leuse et de jugement, et M. AUine l'a très heureusement fait
dans la dernière partie de son ouvrage; mais quelle autre dif-
ficulté de prendre pour ainsi dire le texte à sa naissance et de
reconstituer « le public » du philosophe ! Ce sont d'abord ces
éristiques mégariens à qui Platon lit ses premiers dialogues et
prête sans doute ses manuscrits dont on fait des copies privées.
Mais bientôt ce public va s'étendre et, bon gré, mal gré, Pla-
ton devra se laisser vendre par les libraires. Dès lors coexis-
tent nécessairement des textes authentiques, soigneusement
revisés par des diorthotes^ et des copies vulgaires, pleines de
fautes ou corrigées arbitrairement. En sorte que, pour quel-
ques-uns de ses lecteurs, se posent, du vivant même de Platon,
les mômes problèmes que pour nous. On sait toutefois que,
si certains documents nous donnent quelque idée des mau-
vaises copies, la bonne tradition nous a été, par heureuse for-
tune, transmise assez fidèlement.
Il est intéressant de suivre dans leurs détails, avec M. Al-
line, les circonstances et les moyens qui favorisent alors la
diffusion de la pensée platonicienne : un service de copistes
semble s'organiser et Philippe d'Oponte le dirige sans doute à
un certain moment; hors de l'Attique, les œuvres de Platon
sont répandues par les soins de ses amis et disciples, et parti-
culièrement de cet Hermodore que la raillerie du poète comique
n'a pas épargné. Ce bon Sicilien se faisait-il un devoir profi-
table de vendre à ses compatriotes les dialogues de Platon?
En admettant même qu'il ait poussé trop loin l'amour du
lucre — et comment l'affirmer? — il servait la pensée de son
maître, et, s'il commit le péché d'avarice, encore eût-il pu dire
XIX
avec vérité que ses acheteurs recevaient beaucoup plus qu'ils
ne donnaient.
L'étude de M. AUine se présente avec une suite claire et
logique : elle procède par étapes et délimite certaines périodes
dont une œuvre ou une méthode marque nettement le carac-
tère. C'est d'abord, vers 314, la grande édition académique, à
laquelle Xénocrate prit sans doute une assez grande part : ce
n'est en aucune manière une édition critique, mais un texte
pur et soigné : l'exégèse du texte de Platon doit en précéder la
critique; les fragments de papyrus découverts dans le Fayoum
en 1889 et 1890 vont nous permettre de nous représenter avec
précision l'état du texte dans la première moitié du ni^ siècle,
et c'est vers la fin de ce même siècle qu'Aristophane de Byzance
va donner une édition alexandrine disposée par trilogies et
pourvue de signes critiques; au premier siècle avant notre ère
l'édition atticienne, qui paraît être un rajeunissement de l'édi-
tion alexandrine, est classée par Derkyllidès suivant l'ordre
tétralogique, et cette classification est acceptée et complétée
par Thrasylle (au temps de Tibère) soit dans une édition de
Platon, soit dans une introduction à sa doctrine. Puis viennent
les travaux de l'Ecole néo-platonicienne : c'est d'elle que paraît
issu, probablement au vi^ siècle, l'archétype de notre tradition
médiévale. Suit une période de négligence et de torpeur jus-
qu'à la Renaissance byzantine du ix® siècle. Photios est à la
tête de cette renaissance, il dirige une sorte de séminaire phi-
lologique, et c'est sous sa forte impulsion que s'accomplit le
grand travail qui donne naissance à nos meilleurs exemplaires
de Platon. Dès lors, le mouvement suscité ne s'arrête plus;
le nombre des manuscrits s'accroît sans cesse; la controverse,
transportée en Occident, maintient toujours agissantes l'œuvre
et l'influence de Platon. Ce sera l'époque des manuscrits secon-
daires et, -enfin, des premières éditions imprimées.
Ce qui frappe dans cette étude, si délicate, si complexe, et
dont l'entreprise même était courageuse, ce sont des qualités
qu'il est trop rare de trouver unies : attention scrupuleuse aux
XX
détails et vues d'ensemble, pi'udence de méthode et large con-
ception du sujet. M. Alline traile ses textes et critique ses
témoignages avec la plus grande circonspection ; la nature
même du sujet le forçait à recouiir quelquefois à Thypothèse :
il le fait avec une extrême sagesse, qui entraîne presque tou-
jours l'assentiment. Et, d'autre part, toute cette rigueur vigi-
lante appliquée à l'histoire du texte ne laisse pas perdre de
vue les destinées de l'œuvre dans les grandes cités d'Alexan-
drie, d'Antioche, de Pergame, de Rhodes ; les vicissitudes du
texte nous sont expliquées par toutes les causes déterminantes,
depuis la plus technique — le développement du livre — jus-
qu'à la plus générale : l'histoire de la pensée grecque. M. Al-
line souhaitait, dans son avant-propos, d'intéresser à la fois
les érudits, ses camarades de travail, et aussi quelques amis
de l'hellénisme, curieux « de suivre la transmission d'une
riche pensée antique à travers les siècles ». Ce succès peut
être tenu pour certain ; et puisque l'auteur, deux fois cité à
l'ordie du jour, retourne en ce moment au front, après s'être
remis de deux blessures, notre Association, qui sait ce qu'elle
peut attendre de lui, joint à ses éloges pour le lauréat tous ses
vœux pour le bon combattant.
M. Armand Delatte, membre étranger de l'Ecole française
d'Athènes, se consacre, depuis plusieurs années déjà, à l'étude
des textes orphiques et pythagoriciens. Tâche pénible, s'il en
fut. Il s'agit, en effet, d'attribuer exactement sa part à chacune
des deux sectes et de faire, dans cette masse étoulfante de
témoignages et de documents relatifs au pythagorisme, assez
de coupes claires pour dégager l'arbre primitif. M. Delatte
apporte à ces dures recherches une application patiente et
allègre qui nous fait marcher de bonne humeur à sa suite.
L'objet des études qu'il nous donne est, d'ailleurs, d'un grand
intérêt : les unes tendent à reconstituer certains monuments
de la littérature pythagoricienne; les autres à marquer cer-
taines étapes dans l'évolution de la doxographie. Et, dans la
pensée de l'auteur, les unes et les autres sont des travaux pré-
XXI
paratoires à une publication dos i'ragaionts dos Pythagoriciens.
Les problèmes très divers que M. Delaltc s'applique à re'sou-
dre nous font entrer plus avant dans la connaissance d'une
doctrine que le verbalisme et la superstition ont pu gàtei* quel-
quefois, mais qui est pourtant admirable de profondeur philo-
sophique et de pureté morale. A cet intérêt principal s'en ajoute
un autre, qui est presque constaaiment renouvelé : chacune de
ces recherches pose une question de méthode et en illustre la
solution. Voici la lettre du pythagoricien Lysis au pythagori-
cien Ilipparque. M. Delatte nous montre d'abord (ju'il en a été
conservé deux versions, ce que la critique n'avait pas discerné
jusqu'ici. D'autre part, un remaniement de cette lettre, déjà
connu des auteurs de Diogène Laërce, semble antérieur au pre-
mier siècle avant J.-G. M. Delatte pourra donc substituer à des
hypothèses désormais chancelantes uue conclusion beaucoup
plus vraisemblable : la lettre de Lysis aurait été remaniée
pour servir de préface à ces fameux « Trois livres » de Pytha-
gore que Philolaos, tombé dans la misère, aurait, selon la
légende, vendus à Dion de Syracuse, de qui Platon les aurait
reçus.
De cette suite de raisonnements, souple et rigoureuse à la
fois, certains résultats se font jour qui sont d'assez grande con-
séquence pour l'histoire de la Société et de la tradition pytha-
goriciennes. Si la lettre de Lysis est un document du iv^ siècle,
il est intéressant de constater la force de l'esprit traditionna-
liste et l'importance que garde encore la règle du Secret. Mais
là ne se borne pas la leçon de cette étude. On sait dans quel
discrédit est tombée depuis longtemps toute la littérature épis-
tolaire : le réquisitoire de Bentley au sujet des Lettres de
Phalaris semblait lui avoir porté le coup de grâce. On tend à
revenir aujourd'hui de cette hypercritique : certains documents,
même reconnus pour apocryphes, peuvent avoir, dans la tra-
dition littéraire, une importance bien supérieure à celle de tels
documents authentiques. Enfin, l'étude du remaniement de la
lettre de Lysis nous montre avec quelle désinvolture certains
XXII —
Alexandrins traitent les monuments littéraires. Autre leçon
dont M. Delatte nous invite à tirer profit.
C'est encore un heureux essai de méthode que Toriginale
étude sur Un discours sacré pijthagoricien. En comparant les
fragments de ïimée de Tauroménium avec ceux d'Aristoxène de
ïarente, et en constatant les grandes ressemblances qu'offrent
leurs exposés des doctrines et des pratiques pythagoriciennes,
M. Delatte a été conduit à l'hypothèse d'une source commune,
d'un lepoç Aoyo;, poème en dialecte ionien, développant une
exhortation du maître à son disciple. Il s'agit donc, en relevant
les fragments cités et en éclairant les témoignages les uns par
les autres, de déterminer la nature du poème, son contenu et,
sinon son auteur, du moins sa date. Ce Discours est tout ensem-
ble un catéchisme philosophique et moral et la Règle d'un
fondateur de Société. Pythagore n'en est vraisemblablement pas
l'auteur, mais plus d'un indice donne à croire qu'il est anté-
rieur à la fin du v® siècle. Avec une sagacité prudente, M. De-
latte, après avoir dégagé le noyau du poème, en complète la
reconstitution par les témoignages d'époque plus récente, et
recherche enfin quels sont les fragments du Upoç Xôyoç qui ont
pu être recueillis dans les Vers dorés : le travail de mosaïque
connu sous ce titre est, en effet, assez gauchement exécuté
pour qu'on puisse encore distinguer les parties anciennes de
l'ouvrage.
En poursuivant cette recherche, M. Delatte est amené à
éclairer fort utilement certaines questions historiques ou litté-
raires. C'est ainsi que dans sa première et dans sa dernière
études il nous parle de ce schisme qui, vers la fin du v® siècle,
met aux prises deux sectes rivales, les Mathématiques et les
Acousmatiques : les premiers, les « gens d'étude », sont des
savants et des rationalistes ; les autres, partisans de la Révé-
lation (àxoÙT[jLaTa) sont des traditionalistes et des dévots supersti-
tieux. Rien de plus obscur que l'origine de ces deux sectes :
celle des acousmatiques représente-t-elle plus exactement le
fond primitif de la doctrine? On peut le supposer, et M. Delatte,
— XXIII —
en étudiant leur Catéchisme montre la survivance de celte
recherche rie l'essence, qui est, pour Aristote, un des traits
notahles du pythagorisme ; mais l'auteur sait se garder des
affirmations téméraires, et nous lui sommes déjà reconnais-
sants de ce qu'il nous apporte de nouveau et de certain. Qu'il
s'agisse, en effet, de questions de détail ou de vues générales,
d'expliquer des superstitions, telles que l'étrange interdiction
des fèves, ou de montrer, par l'étude des traités arithmolo-
giques, le lien qui rattache la mystique pythagoricienne à
l'apologétique judéo-chrétienne, la contribution de M. Delalte
est variée et considérable. L'historien de la littérature s'arrêtera
particulièrement à ce qui concerne Platon et Homère. D'inté-
ressantes observations seront à recueillir, sur l'allégorie de
l'âme dans le Phèdre^ et sur la Vision de Er le Pamphylien,
empruntées sans doute l'une et l'autre aux apocalypses du vi^ et
du v^ siècles. Et le chapitre où nous est montré le zèle des
Pythagoriciens dans l'exégèse des poèmes homériques est un
des plus instructifs et des plus attrayants du volume. La Société
pythagoricienne s'était d'abord scandalisée des récits d'Homère :
bientôt elle trouva le moyen de réconcilier le poète avec la
morale et la science : elle ne dédaigna pas, dit joliment
M. Delatte, « ces jeux savants oii la part de la niaiserie et du
mensonge est égale à celle des bonnes intentions, et qui trans-
forment des légendes délicieusement humaines en récits stu-
pides, honnêtes et édifiants ». Nous les verrons donc dégager la
moralité de la déplorable aventure de Pandaros, chercher dans
Homère la justification de leur règle du silence et de leur
croyance à la métempsycose, tenir les dieux pour des allégories,
tenter des interprétations symboliques de l'antre des Nymphes
(conçu comme une image du monde) et de l'épisode des Sirènes.
Enfin, c'était aussi une manière de sauver Homère que de
recourir à l'interpolation, et, si la description des châtiments
infernaux au chant XI de V Odyssée doit être tenue pour inter-
polée, il y a, semble-t-il, d'assez bonnes raisons de soupçonner
une main pythagoricienne.
XXIV —
Tel est le livre, riche de faits et de vues personnelles que
nous donne M. Delatte. Il est d'excellent augure pour les
travaux que nous annonce l'auteur. Gomme l'ouvrage de
M. AUine, il va figurer avec honneur dans la Bibliothèque de
l'Ecole des Hautes-Etudes. Une note qui se lit dans l'un et
l'autre volumes nous fait savoir qu'en raison des circonstances
la thèse a été imprimée sans que l'auteur en ait pu voir les
épreuves. M. Delatte, citoyen belge, s'est trouvé, en effet,
détenu à Liège après l'invasion allemande, et a fait pour
rejoindre l'armée des efforts, qui, nous l'espérons, ne sont pas
restés vains. Le jeune savant, on le voit, a plus d'un beau
titre à notre sympathie.
C'est à un de ses compatriotes, M. Emile Boisacq, professeur
à l'Université de Bruxelles, que votre Commission attribue
un des deux prix Zappas dont elle disposait cette année, celui
de 1916 ayant été réservé. La Belgique est à l'honneur et rien
ne saurait nous être plus agréable. Il y a onze ans, dans son
Rapport de 1906, notre regretté Amédée Ilauvette signalait la
première livraison du Dictionnaire étymologique de la langue
grecque dont M. Boisacq entreprenait la publication. L'im-
pression du volume vient de s'achever pendant l'occupation
allemande de la Belgique. Aussi ne songerons-nous pas à tenir
rigueur à M. Boisacq de quelques lacunes que son Avant-
propos nous prie d'excuser. 11 est certain. Messieurs, que le
dictionnaire très clair et maniable que vous récompensez rece-
vra bon accueil des hellénistes. Depuis l'ouvrage de Curtius
(1879), bien que dans le domaine de Tétymologie des vues
nouvelles se soient fait jour, il n'a pas été publié de véritable
dictionnaire étymologique du grec : l'ouvrage de Prellwitz
n'est qu'un lexique très sommaire ; sa deuxième édition, parue
il y a douze ans, peut rendre des services; mais son mérite
n'a rien de décourageant. Le grand ouvrage de Léo Meyer
(1901-2) est incommode et confus : l'auteur — sans aucune
ironie — a donné le titre modeste et attirant de Manuel à ces
qujatre gros volumes à qui la critique a fait un accueil assez
XXV
froid : Meyer avait, en effet, négligé pendant trente ans de
suivre le mouvement des idées et semblait se plaire à décla-
rer inexplicables des faits dont la solution pouvait raisonna-
blement passer poui' acquise. C'est un excès fâcheux, et cepen-
dant il est peu de domaines scientifiques où la part de Tobscur
et de Fincertain soit plus grande qu'en étymologie. Une partie
du vocabulaire grec nous est lettre close et resle rebelle à
toutes les tentatives que Ton a faites pour y voir de l'indo-
européen. Le scepticisme aurait beau jeu à relever, dans les
loyaux aveux des linguistes, tous les idiomes ignorés dont on
a trouvé des vestiges à Lemnos, à Praisos, à Gypre, pour ne
rien dire des monuments crétois dits « minoens » du second
millénaire avant Tère chrétienne, ni du macédonien ni du
thrace, dont on ne possède pas une ligne. « Des langues
parlées dans la péninsule grecque avant l'invasion hellé-
nique, on ne sait rien », dit nettement M. Meillel, dans son
Aperçu^ et il met en défiance ceux qui seraient tentés d'attri-
buer à l'indo-européen ce qui risque d'être « égéen », c'est-à-
dire langue inconnue.
M. Boisacq n'a pas fermé les yeux sur ces difficultés ni sur
ces lacunes; mais il ne s'est pas laissé rebuter, sachant quels
féconds résultats donne un maniement de plus en plus judi-
cieux de la méthode comparative. Le temps est loin oii les
essais de cette méthode étaient l'objet des sarcasmes de
Gottfried Hermann; plus équitable que le fougueux « despote
de Leipzig », M. Boisacq reconnaît, de son côté, ce que les
linguistes doivent aux leçons et aux exemples de la saine
critique des textes : le salut est, à ses yeux, dans la combinai-
son des deux méthodes, à laquelle les plus beaux livres publiés
depuis vingt ans doivent leur valeur et leur influence.
C'est donc. Messieurs, dans un excellent esprit que M. Boi-
sacq a poursuivi son dur labeur. Sa doctrine est sage : les
principaux éléments des problèmes nous sont exposés, et les
solutions aventureuses sont délibérément rejetées. Est-ce à
dire qu'on ne pût souhaiter un départ plus net encore entre
XXVI
les étymologies certaines et les douteuses, un contact plus
étroit avec les textes, une tentative plus poussée (vous en avez
eu, ici-même, un magistral exemple) pour suivre l'histoire des
mots entre la période indo-européenne et le grec historique ?
on n'est guère tenté d'insister sur ces réserves quand l'auteur
— qui les prévoit — nous dit « qu'il lui sera peut-être donné
un jour de faire plus et mieux ». C'est là le vrai langage d'un
homme de science. Tel qu'il est aujourd'hui, ce dictionnaire
est le bienvenu et rendra de grands services. Il nous est
agréable de constater ce qu'il doit à la science française, et
particulièrement au maître de nos études linguistiques ;
l'auteur nous dit lui-même la dette de reconnaissance qu'il a
contractée envers M. A. Meillet, et nous sentons, en efPet,
dans tout le cours de son travail, cette saine influence qu'il a
reçue pour son plus grand bien. Si nous songeons, d'autre
part, que M. Boisacq, qui nous donnait, il y a vingt-cinq ans,
des travaux tels que la traduction d'Hérondas et Y Étude sur les
dialectes doriens^ a dû, par la suite, disputer son temps à un
enseignement très chargé, très divers, et qui l'éloignait de sa
grande entreprise, nous lui saurons d'autant plus gré d'avoir
su mener à bonne fm ce travail considérable, pleinement digne
de la récompense qu'il reçoit de vous.
L'étude de M. G. Rados sur La bataille de Salamine, qui
reçoit également un prix Zappas, demandait, pour être traitée
selon le dessein conçu par l'auteur, de l'intelligence histo-
rique, de la sûreté dans le maniement des textes, un sérieux
savoir technique. L'heureuse union de ces qualités a bien
servi M. Rados. Esprit curieux et ouvert, ainsi que l'atteste la
variété de ses ouvrages qui vont de l'histoire strictement scien-
tifique au conte populaire, bon helléniste, il avait encore, pour
traiter à fond son sujet, l'avantage d'être expert en histoire et
en sciences navales ; il a professé l'histoire à l'Ecole navale de
Grèce et publié de nombreuses études sur la marine ancienne
et moderne ; plus d'un, parmi nous, a pu voir avec quelle
compétence il avait, à l'Exposition maritime de Bordeaux,
XXVII —
en 1907, organisé la section hellénique, dont la partie rétros-
pective était d'un grand intérêt. La méthode qu'il suit dans
son étude sur Salamine est sage et réaliste : il étudie scrupuleu-
sement les textes, sachant, comme il le dit « que leur mépris
peut mener loin » ; mais il a moins d'égards pour les « rai-
sonnements » dont cette page d'histoire a été fâcheusement
encombrée ; il s'efforce de reconstituer les faits en conformité
avec les moyens d'action dont disposait la marine grecque du
V® siècle, et en profitant aussi de l'expérience professionnelle
« en ce qui concerne les lois immuables qui régissent l'action
sur mer ». Cette méthode sûre ne peut donner que d'excel-
lents résultats.
L'étude est logiquement conduite : la composition en pour-
rait être plus serrée; mais elle se justifie, et l'auteur a visible-
ment souci de bien lier ses chapitres de manière à présenter
une démonstration continue. Il commence par la critique de
ses sources, et l'on remarquera l'étude très poussée qu'il fait de
la valeur documentaire du récit d'Hérodote : il note l'étonnante
sûreté, et même l'intelligence profonde avec laquelle l'historien
décrit les combinaisons stratégiques, les formations tactiques,
l'ordre de bataille des armées ; il relève l'heureux emploi de la
langue technique, la justesse des considérations militaires ou
navales. Après avoir mis en lumière le rôle de la marine dans
les conflits entre Grecs et Asiatiques, M. Rados, dans une étude
minutieuse, vivante, très personnelle après tant d'autres, nous
décrit la trière, ce navire « tout en muscles » dont il montre,
ou plutôt exalte l'agilité, la souplesse, la redoutable puissance
de choc.
Des considérations sur la tactique navale du v' siècle, sur
les effectifs de terre et de mer que pouvaient mettre en ligne
les belligérants, sur le haut commandement grec et barbare,
terminent une riche et précise introduction au récit du combat
lui-même; un livre de transition nous rappelle la suite des
faits depuis le jour où la flotte perse appareille et cingle vers
THellespont, jusqu'au moment où les passes de l'Œta étant for-
— XXVIII —
cées, la flotte grecque ne peut <( rester en Fair » à Artémision
et se replie vers la côle de l'Attique et vers Salamine. C'est
ainsi que M. Rados nous amène, bien préparés, au récit de la
bataille décisive.
Dans le récit de cette bataille, d'une suite très nette, et que
les discussions précises éclairent sans le ralentir, deux études
particulières compteront pai ini les mieux venues de l'ouvrage :
ce sont celles qui sont consacrées à l'établissement de la date
et aux questions topographiques. On sait qu'il est difficile de
fixer avec exactitude le jour de la bataille. Certains historiens
s'efforcent de démonti'er qu'elle fut livrée à peu près à l'époque
de la pleine lune ; d'autres repoussent vigoureusement cette
thèse. Les recherches de M. Rados l'amènent très près des
conclusions de Busolt, c'est-à-dire à la date du 28 ou du
29 septembre. En ce qui regarde les opérations, il est d'un très
grand intérêt de suivre de près avec l'auteur les répercussions
que certaines études de topographie ou même des théories
géologiques peuvent avoir sur la reconstitution du combat.
Rien de moins aride que les pages où M. Rados mesure la lar-
geur des passes, la hauteur des fonds, et nous rapporte les
observations personnelles qu'il a faites sur place. La ligne du
rivage est-elle restée fixe pendant les temps historiques? Le
détroit, il y a vingt-quatre siècles, était-il moins large qu'au-
jourd'hui? M. Rados signale les théories, les confronte avec les
faits, et ne reconstitue la bataille qu'après s'être assuré qu'il a,
pour s'orienter, des points fixes et reconnus.
Tel est, Messieurs, ce livre plein d'intérêt, et je dirai même
d'attrait. Lui reprocherons-nous ceitains défauts qui sont la très
minime rançon de tant de mérite? Il pourrait être plus serré,
nous l'avons dit ; un Laconien l'eût critiqué, et la vaste érudi-
tion de l'auteur peut l'entraîner à des rapprochements ou à des
parallèles (tel celui de Thémistocle et de Richelieu) qui sem-
blent rompre un instant l'unité de ton et de caractère de son
étude. Mais cette étude est sincère et vivante; le style a de la
couleur; le récit est porté d'un mouvement continu et même
XXIX
dramatique (les pages qui peignent la veillée des armes et le
branle-bas de combat, ordonné par Kurybiade en sont des
exemples fi'appants) ; le savoir tecbniquc laisse toute sa spon-
tanéité au tempérament de l'auteur, et le souille ardent de la
Dédicace à la Marine française anime le livre tout entier; enfin
toute Fétude témoigne d'un heureux effort pour rattacher les
conclusions particulières aux lois qui les dominent. Salamine
est, pour M. Kados, le premier grand exemple histoiique de la
chute d'un grand empire qui n'a pas la maîtrise de la mer.
« Presque toujours, ajoute-t-il, les grandes ères ont été ouvertes
ou fermées par la clé mystérieuse que détiennent les escadres
dominatrices des flots qui entourent les continents ». C'est une
conclusion qu'on ne contestera pas à M. Rados.
Les jugements portés sur la Constitution athénienne d'Aristote
sont, vous le savez, étrangement divers : tel critique y voyait
« un papyrus évangile » ; un autre a regardé l'ouvrage comme
« la plus grande désillusion du siècle ». M. Georges Mathieu a
pensé que, pour bien apprécier sa nature et sa valeur, il conve-
nait de serrer de près la méthode suivie par Aristote dans la
discussion des textes, la manière dont il utilise, fond ou sépare
les renseignements de sources diverses qu'il recueille ou fait
recueillir. L'examen de l'ouvrage nous découvre-t-il une unité
ou une pluralité de tendances politiques? Et, s'il y a plusieurs
tendances, quelle en est l'origine? Telle est la recherche que
poursuit M. Mathieu en examinant successivement les différentes
périodes de l'exposé d'Aristote. Pour l'époque antérieure à Solon,
Aristote, ne disposant que de matériaux insuffisants et douteux,
a recours à la méthode inductive : il juge le passé d'après des
survivances présentes : les institutions de son temps lui sont
des indices ou des témoignages de ce qui existait dans l'ancienne
Athènes. A partir de Solon, l'historien peut utiliser des ouvrages
d'un caractère tout différent de celui de ces chroniqueurs qu'on
appelle les iVtthidographes; mais ces ouvrages sont inspirés de
préoccupations qui ne sont pas purement historiques : l'histoire
est, pour les partis, non pas une fin, mais un moyen. Parmi
— XXX
ces traditions partiales, on en peut reconnaître une qui est
favorable à la démocratie ; Aristote y puise de moins en moins
dans le cours de son exposé, mais il ne la sacrifie jamais com-
plètement. D'autre part, rinfluence de sources oligarchiques est
aisée à constater. Mais ne trouvons-nous, ici, qu'une seule tra-
dition? M. Mathieu croit pouvoir distinguer : une tradition oli-
garchique pamphlétaire, qui procède par attaques directes,
brutales, contre les chefs démocrates; et une tradition oligar-
chique doctrinaire qui affecte la forme de discussions théoriques
des institutions athéniennes. Cette dernière tradition peut
venir du groupe de Théramène; l'autre, du groupe de Gritias,
sinon de Gritias lui-même.
Aristote se trouve ainsi en présence de traditions contradic-
toires : sa méthode consiste alors à les concilier, à les fondre,
à former une sorte de version moyenne. De là des disparates et
des ditïicultés que vient encore aggraver l'inachèvement de
l'ouvrage. On ne s'étonnera donc pas que M. Mathieu nous
persuade d'avoir sur sa valeur historique une opinion prudente
et de rechercher constamment la tradition dont s'inspire Aris-
tote. Mais l'imperfection même de la Constitution athénienne
n'est pas, semble-t-il, pour déplaire à son critique : elle nous
amène à mieux connaître la littérature politique d'Athènes à la
fin du v^ siècle : plus achevé, l'ouvrage aurait moins d'intérêt.
M. G. Mathieu a bien su conduire ces recherches délicates.
Qu'il s'agisse de mettre en lumière des disparates ou des
mélanges de traditions — en ce qui regarde, par exemple,
l'histoire d'Harmodios, le rôle d'Aristide, la politique et la mort
d'Ephialte — , le livre nous fait toujours apprécier la même
finesse et la même sûreté. Votre Commission des prix l'a jugé
digne d'obtenir une médaille d'argent.
Messieurs, à ces envois que vous avez récompensés viennent
s'ajouter, comme chaque année, les travaux de ceux qui ont
donné l'exemple et les modèles. Trois de vos anciens présidents
vous offrent des études qui reçoivent même accueil que leurs
devanciers : M. Michon, dont l'intérêt pour notre Association
XXXI
est toujours actif et présent, vous offre un beau travail sur
V Apollon de Chercliell\ M. Oinont publie les lettres et les rap-
ports écrits par Minoïde Mynas sur ses missions en Orient
(1840-1855). On sait que ce Grec qui, fuyant la persécution, vint
chercher en France une nouvelle patrie, a rapporté de ses mis-
sions plus de deux cents manuscrits et doit surtout sa notoriété
à la découverte des Fables de Babrios et du Traité de la gym-
nastique de Philostrate. Ses lettres et rapports sont une utile
source d'information soit pour l'étude des manuscrits, soit pour
les explorations futures. M. Omont publie également la brève
notice du même auteur sur l'organisation des monastères du
Mont Athos et sur les coutumes et le caractère de ses moines.
— Vous aurez plaisir à recevoir de M. Glotz le dernier Bulle-
tin d'Histoire grecque de la Revue historique : il y est rendu
compte des publications, tant françaises qu'étrangères, de 1911
à 1914. Je n'ai pas à vous redire le prolit que vous trouverez
dans ces analyses riches et drues, dans cette critique qui,
maniant avec une aisance égale les divers instruments de l'his-
toire, nous montre avec sûreté ce qu'un livre a de vivant, ou
lui porte l'objection décisive. — A ces noms de présidents-
évergètes nous joindrons, par une anticipation permise, celui
du général Arthur Boucher. Vous savez ce que nous devons de
vues personnelles sur la Tactique g^^ecque àVoriginede l'histoire
militaire et sur l'itinéraire des Dix-Mille au glorieux soldat de
l'Yser. Son expérience de chef le sert encore de la façon la plus
heureuse dans son étude sur La bataille de Platées d'après
Hérodote. Il nous montre l'habileté sage de Mardonius, digne
d'honneur dans sa défaite, et les fautes égoïstes de Pausanias
qui n'avait pas mérité sa victoire; c'est l'amour des Athéniens
pour la liberté, leur esprit d'offensive, leur confiance dans
l'arme de main, qui a fixé le sort de cette bataille. Et, dans une
conclusion d'un beau souffle, le général A. Boucher met en
relief les grandes lois qui doivent présider à la défense natio-
nale, et la méthode qui doit, selon sa juste expression, « orga-
niser » le courage du soldat.
XXXII —
D'autres envois méritent de vous être signalés : M. Colar-
deau corrige d'une manière ingénieuse et sûre le texte d'Epic-
tète ; M"'' S. Renkin nous fait don de la Grammaire élémentaire
du grec moderne parlé qu'elle destine aux étudiants, aux voya-
geurs et au corps expéditionnaire d'Orient. M. Gabriel Millet
nous otTre les deux dernières monographies de la série que la
revue V Art et les Artistes consacre aux œuvres d'art et aux
monuments atteints par la guerre. Ces études concernent la
Serbie et la Roumanie, c'est-à-dire deux des trois nations alliées
qui doivent à Byzance leur art religieux. L'illustration de ces
études, en grande parlie inédite, et les recherches personnelles
de notre confrère, qui a visité les églises de Serbie, de Vieille-
Serbie et de Macédoine, intéresseront à la fois le grand public
et l'historien de Tart. Enfin nos confrères étrangers vous
envoient des travaux dont je ne puis faire, ici, qu'une simple
mention : M. RoyJ. Deferrari (Pjinceton), L'atticisme de Lucien,
Morphologie du verbe; notre lauréat, M. Rados, Les Souliotes et
les Aimatoles de l'Heptanèse et Les Grecs de Napoléon, Nicolas
Tsesmélis; M. Arvanitopoullos, des Inscriptions de Thessalie et
des Fouilles de Macédoine; M. Dragoumis, une suite à la Chro-
nique de Morée. — Une place à part doit être faite aux travaux
de nos confrères de Barcelone dont l'ardeur ne se ralentit pas.
L'Institut de langue catalane poui'suit activement la publica-
tion de sa Bibliothèque grecque et latine (textes et traductions)
et parcourt tout le domaine de la littérature, des poèmes homé-
riques à la patrologie. Parmi tant d'intéressants volumes, je
signalerai la charmante plaquette qui contient le Poème d'Héro
et Léandre attribué à Musée, publié et traduit par M. Lluis Se-
galà. Ce savant, qui, avec M. Cosme Parpal, dirige le vaillant
etfort catalan, a pu, dans un éloquent discours prononcé à
l'université de Barcelone, faire avec une juste fierté l'historique
des études grecques dans sa province et constater qu'avec le
xx^ siècle commence une renaissance classique en Catalogne.
Nulle part, Messieurs, ce mouvement ne trouvera plus de sym-
pathie que parmi vous.
XXXIII
Tels sont, Messieurs, les travaux que votre Commission a cru
devoir vous signaler ou récompenser en votre nom. Ils attestent
la vitalité de nos études, et notre Association qui accomplit en
1917 sa cinquantième année, peut faire avec satisfaction le
compte des résultats acquis dans ce demi-siècle, et regarder
l'avenir avec pleine confiance. De jeunes forces se révèlent
dont on peut attendre beaucoup : elles vont trouver un champ
d'activité dans cette publication de textes grecs et latins
accompagnés de traductions qui, longtemps souhaitée avant la
guerre et devenue, depuis, « une obligation nationale », s'or-
ganise en ce moment même. Si, comme on l'a dit, les ressources
de la science française doivent y prendre conscience d'elles-
mêmes, on peut être assuré du succès de cette œuvre, à laquelle
l'Association des Études grecques promet de s'employer de tout
son dévouement.
REG, XXX, 1917, n» 137.
RAPPORT DU TRÉSORIER-ADJOINT
C'est pour la troisième, et j'espère pour la dernière fois, que
je vous soumets le rapport de notre situation financière. L'an
prochain notre sympathique trésorier sera parmi nous, j'y
compte fermement. Nous avons de honnes nouvelles de
M. Maurice dont la santé est excellente. Il attend impatiem-
ment comme nous le jour, prochain peut-être, qui libérera nos
contrées du Nord et de l'Est de la souillure de l'ennemi.
I. État comparatif des Recettes en i9i ô et 19i6.
A. Intérêts de capitaux
1915
10 Rente Devilie 3 o/o 500 »
20 Coupons de 158 obligations Ouest. 2,268 »
3» Coupons de 1 obligation Egypte
unifiée 20 80
4» Coupons de 17 obligations Midi... 244 80
S» Coupons de 26 obligations Est 368 40
6° Coupons de 25 obligations Fusion 3,808 45
nouvelle 330 »!
1° Coupons de 3 obligations Ouest- I
Algérien 43 20
8® Coupons de 1 obligation 4 o/o Or- I
léans n 80
90 Intérêts du compte courant 15 45 ,
B. Subventions et dons divers.
10° Subvention du Ministère de l'Ins-
truction publique 300 »
11° Don de TUniversité d'Athènes (1). . » »
12» Dons pour l'illustration de la Revue. » »
300 »
1916
500 » \
2,244 62
20 60
242 20
364 70
329 50
42 70
17 80
20 65
300 .)
» M
» »
3,782 77
300
(1) L'Université d'Athènes n'a pas payé les subventions dues en 1913, 1914, 1915
et 1916.
XXXV
C. Cotisations, ventes, recettes diverses.
1913 1916
130 Cotisations des membres ordinai- \
res 2,740 >> J 2,580
14° Souscriptions de membres dona- J 2,826 90 200 » \ 2,780
teurs » » \
150 Vente de publications et médailles . 86 90 / » »
Totaux 6,935 35 6,862 77
II. État comparatif des Dépenses en 1915 et 1916.
A. Publications.
1« Revue des Études grecques 3,032 » j 2,836 » \
2» Secrétaire adjoint à la rédaction de . [3,032 ». [3,036 »
la Revue » » ) 200 » )
B. Encouragements.
30 Prix Zographos 500 »J 500 »]
40 Prix classiques 188 25 [ 688 25 201 25 [ 70125
50 Concours typographique » » ) » » )
C. Frais généraux.
6° Impressions diverses 53 80 i 76 80 \
70 Loyer, impositions et assurances (1) » » 1 » »
8° Service du palais des Beaux-Arts. . 90 « j 90 »
90 Service de la bibliothèque 1,000 » I l-,000 »
10° Droits de garde et frais divers à la I
Société Générale* 75 90 f 84 09'
11» Distribution de publications 409 20 / 2,022 65 383 38 / 2,342 62
120 Recouvrement de cotisations 88 95 l 84 40 1
130 Frais de bureau, correspondance et I 1
divers 235 60 1 298 50 ]
140 Nettoyage, éclairage et chauffage . 67 50 ! 72 60 j
1 50 Médailles » » » » 1
160 Achat et reliures de livres 170 ^ 252 85'
Totaux 5,742 90 6,079 87
(1) Le terme d'octobre 1914 restait à payer. (Les impositions et les assurances
avaient dû être payées). En 1915 et en 1916 nous n'avons rien payé de ce poste
647,60 (= 323,80 X 2) malgré nos instances réitérées.
— XXXVI —
///. Budget sur ressources spéciales.
1' Fondation Zappas.
Recettes de Texercice 1915 : 500 francs.
Le montant du prix en 1916 n'a pas été distribué.
2* Don P. Milliet.
Ce fonds était au 1" janvier 1914 de 2,524 10
IV. Mouvement des fonds en 1916.
1° Solde en caisse au 31 décembre 1915 4,045 52
2° Recettes en 1916 (tableau nM) 6,862 77
3"^ Rente Zappas en 1916 500 »
11,408 29
r Sorties de caisse (tableau n° II) 6,079 87
11 reste donc en caisse, au 31 décembre 1916.. . 7,390 90
somme qui se décompose ainsi :
Solde à la Société Générale 7,220 68
En caisse de l'agent bibliothécaire 170 22
7,390 90
XXXVII —
Prévisions pour 1917.
V. Recettes prévues pour 1917 .
A. Intérêts de capitaux.
r Rente Deville 3 0/0 500 »
2° Coupons de 151 obligations Ouest. 2,244 62
3° Coupon de 1 obligation Egypte
Unifiée 20 60
4° Coupons de 1 obligation d'Orléans
4 0/0 17 80
5° Coupons de 17 obligations Midi. . . 242 20 / ^''^^^ *^
6" Coupons de 26 obligations Est. ... 364 70
7" Coupons de 25 obligations Fusion.
nouvelle 329 50
8° Coupons de 3 obligations Ouest
Algérien 42 70 j
3,762 12
(Ces chiffres ne sont qu'approximatifs, en raison de l'augmen-
tation d'impôts mise en vigueur à partir du 1" janyier 1917.)
B. Subventions et dons divers.
9° Subvention du Ministère de l'Ins-
truction publique
10*» Don de l'Université d'Athènes....
truction publique 300 » [ 300 »
4,062 12
C. Cotisations et ventes.
11° Cotisations des membres ordinaires. 2,580 ^\ ey carx
12° Vente de publications 80 »
Total 6,722 12
»/
— XXXVIII ^-
VI. Dépenses prévues pour 19i7 .
i° Impression dun° 132 (compte sup-
plémentaire) et des n°" juillet-
septembre et octobre-décembre
de la Revue 1 ,946
2" Une année de la Revue, moins le ^ 4 326
dernier numéro 1,680
3° Illustration de la Revue 500
4" Secrétaire adjoint à la rédaction
A^Xdi Revue 200
B. Encouragements.
5** Prix Zographos
6° Prix classiques
C. Frais généraux.
7** Impressions diverses.
8° Loyer, impositions, assurances. . .
9° Service du palais des Beaux- Arts.
10*» Service de la Bibliothèque , 1,000
11° Droits de garde et frais divers à
la Société Générale
12° Distribution de publications
13° Recouvrement de cotisations
14° Frais de bureau, correspondance
et divers
15^ Nettoyage, éclairage et chauffage.
16° Médailles. . .
17° Reliure et achat de livres. ......
18° Le déficit sera de mille quatre cent quatre-
vingt-deux francs soixante-huit centimes.
Total 1,482 68
Henri Lebègue.
1000
250
1,250 »
70
»
323 80
90
»
,000
»
90
»
450
»
> 2,628 80
90
»
275
»
70
»
20
»
150
»_
8,204 80
6,722 12
quatre-
0
LES NOUVEAUX FRAGMENTS D ANTIPBON '
Les nouveaux fragments publiés dans le onzième volume des
Oxyrhynchos Papyri ont été signalés à l'Académie des Inscrip-
tions dès leur apparition par M. Théodore Reinach. Je vou-
drais y revenir pour examiner quelques-uns des problèmes
qu'ils soulèvent. Les savants éditeurs anglais, .dans la notice
précise et solide qu'ils ont mise* en tête des fragments, ont
déjà indiqué plus d'un rapprochement utile et esquissé cer-
taines conclusions. Ils n'ont pu cependant qu'effleurer le sujet.
Quelle est au juste la signification philosophique des idées
exprimées par Antiphon? Gomment se relient-elles aux frag-
ments déjà connus? Quelles indications nouvelles peut-on tirer
du texte soit pour l'histoire de la pensée grecque, soit pour
celle de la littérature ? Il reste sur tous ces points des obscuri-
tés. Je voudrais essayer, de les éclaircir, ou tout au moins de
déterminer avec précision la nature des problèmes à résoudre.
Et d'abord, un mot sur l'origine des fragments. Ces quelque
trois cents lignes, dont chacune est très courte, sont conser-
vées sur deux morceaux de papyrus distincts. L'un de ces mor-
ceaux, que les éditeurs ont placé le second, ne comprend que
trente-trois lignes à peu près complètes, et des vestiges insi-
gnifiants de ce qui suivait. Dans le premier morceau, cent
(1) Communication faite à TAcadémie des Inscriptions dans ses séances des
6 et 13 octobre 1916.
REG, XXX, 1917, n» 136. 1
J, ALFHED CHOISEÏ
quatre-vingt-dix lignes environ sont pres(jue intactes; le reste
est plus ou moins mutilé. Il est d'ailleurs évident que les deux
morceaux faisaient partie d'un môme développement. Il est
certain aussi que le tout provient du IIspl à\rfidcf.ç d'Antiphon.
Celle détermination résulte avec évidence d'une phrase déjà
citée par Ilarpocration coaime tirée de cet ouvrage. L'Anti-
phon qui a composé le Ilepl aArfieicf.;, est celui qu'on appelle « le
sophiste », pour le distinguer de « l'orateur », et à qui l'on
attribue ordinairement tout ce qui nous est parvenu sous le
nom d'Antiphon en dehors des discours judiciaires. J'aurai à
levenir tout à l'heure sur cette distinction et à montrer com-
bien elle est fragile. Pour le moment, je veux seulement fixer
une date. Antiphon dit « le sophiste » est exactement contem-
porain d'Antiphon de Rhamnonte, dit « l'orateur ». Xénophon
nous le montre en elfet, dans les Mémoi^aôles, discutant à plu-
sieurs reprises avec Socrate, et Diogène Laërce, faible autorité
d'ailleurs, va jusqu'à faire de lui l'adversaire par excellence de
Socrate. Il s'agit donc d'un Athénien qui écrivait au temps de
la guerre du Péloponnèse, c'est-à-dire à une époque de l'atti-
cisme qui joue un rdle capital dans l'évolution de la pensée
grecque, et dont il nous reste d'ailleurs assez peu d'écrits en
prose, en dehors de l'histoire de Thucydide. C'est assez dire
combien les moindres reliques des ouvrages de ce temps sont
précieuses. Or les nouveaux fragments sont une addition no-
table à ceux que nous possédions déjà sous le nom d'Antiphon.
I
L'idée générale du morceau est celle de l'opposition entre la
nature (cpûo-Lç) et la loi (v6|jlo;). Cette opposition porte sur deux
points qui sont très clairement distingués. Le premier est reja-
tif au caractère de la sanction, le second à celui des prescrip-
tions de l'une et de l'autre. Le premier point est traité dans le
début du premier fragnient; le second, dans le reste du môme
fragment et dans le deuxième. Chacun de ces développements
LES NOUVEAUX FRAGMENTS D ANTIPHON S
est suivi avec netteté, et les articulations du laisonnement, le
progi'ès de la pensée, sont encore visibles malgni les lacunes.
Voici d'abord le début, que je traduis à partir de la sixième
ligne, les cinq premières étant mutilées :
« La justice <consiste> à observer toutes les lois de la cité
« dont on est citoyen. Observer la justice est pour un homme
« la conduite la plus conforme à son intérêt personnel (jjiàÂ'.a-Q'
« eauTw ^u[i.cp£p6vTco;), si c'est devant témoins qu'il se soumet à
« la grandeur des lois (si uLs-cà [jiapTupwv toÙ; voijlo'j^ usyaAous
« ayot.) ; sans témoins, (son intérêt est d'obéir) à la nature ».
Que signilie ce passage? Est-ce un appel immoral au mépris
de la loi? En aucune façon. Nous y reviendrons tout à l'heure
pour éclaircir cette idée de l'intérêt personnel mêlée ici d'une
manière un peu obscure à la discussion. Mais poursuivons
d'abord la lecture du texte afin de mieux voir la continuité du
raisonnement.
Ce qui est de la loi, en effet, est contingent (sTitOexa) ; ce qui est de
la nature est nécessaire (àvay/aTaj. Ce qui est de la loi est conven-
tionnel, non réel (ô[j.oXoYYj6£VTa, où cûjvxa). Ce qui est de la nature, au
contraire, est réel et non conventionnel. C'est pourquoi l'homme
qui transgresse la loi, s'il échappe aux regards de ceux qui ont éta-
bli la convention, échappe à la honte et au châtiment; sinon, non.
Au contraire, dans les choses qui sont établies par la nature, si
l'on fait violence à ce qui est possible (1), on a beau échapper aux
regards de tous les hommes, le mal n'en est pas moins grand, et,
quand même on aurait tous les hommes pour témoins, il ne serait
pas plus grand. Car le dommage en ce cas résulte, non de l'opinion
(8tà 86^av), mais de la réalité (Si' àXy^esiav).
Ici, aucun doute ne subsiste sur la pensée de l'auteur. 11 ne
juge pas ; il ne prêche pas; il énonce simplement un fait, et ce
fait est aussi capital qu'incontestable : c'est qu'il y a des actes
dont les conséquences ne dépendent ni des lois humaines ni
(1) Je lis (ligne 45) èav xt, et non sotv xe, faute amenée par le voisinage des
deux sacv Ts qui suivent.
4 ALFRED CROISET
de la présence de témoins, mais qui entraînent par eux-mêmes,
soit en bien, soit en mal, des suites nécessaires et des sanc-
tions inévitables. En d'autres termes, à côté des lois de la cité,
il y a des lois naturelles, au sens moderne et purement scien-
tifique du mot, c'est-à-dire des rapports constants entre les
cboses, et ces rapports ont un caractère de nécessité (àvayxaTa)
que ne présentent pas les lois établies par le législateur. Cel-
les-ci, bonnes ou mauvaises, lésultcnt d'une volonté collective,
c'est-à-dire d'une convention (oijLoXoYTiBÉvûa) ; les lois de la
nature résultent de la force des choses et d'une réalité souve-
raine {oi klrfieicLy) .
L'idée scientifique des lois de la nature ainsi entendues
n'était pas nouvelle en Grèce à cette date : mais c'est la pre-
mière fois que nous en trouvons dans la littérature une expres-
sion théorique aussi nette, surtout appliquée aux actions
humaines. De bonne heure, la régularité de certains phéno-
mènes naturels s'était imposée à l'attention des Grecs. De bonne
heure aussi, le fait qu'une faute est ordinairement une sottise
et que la vertu est une bonne uff'aire leur était apparu. Le cou-
pable, déjà dans Homère, est un homme « qui ne sait pas »,
aii^piç, v/iut.o;, àTào-8a}vOç. Mais l'explication de ces faits était
essentiellement théologique. La régularité des phénomènes de
la nature résultait de la volonté constante, sans doute, mais
toujours libre de se modifier, d'un dieu préposé à ces phéno-
mènes, ou tout au plus de la volonté obscure d'une MoTpa ou
d'une Erinnys. Quant aux fautes, si la punition ne venait pas
toujours d'une volonté divine particulière, c'est qu'elle avait
en ce cas un caractère d'imprudence que l'expérience journa-
lière de la vie suffisait à mettre en lumière. Les physiologues
d'Ionie sont les premiers créateurs de la notion scientifique de
loi naturelle. Puis Anaxagore la fortifie et la répand dans le
milieu athénien, et l'on sait avec quelle vivacité, dans le Pke-
don, Platon, par la bouche de Socrate, lui reproche de n'avoir
vu dans le monde qu'une sorte de mécanisme d'oii les causes
finales et tovite volonté libre sont exclues. La tradition qui fait
LES NOUVEAUX FRAGMENTS D ANTIPHON h
de Thucydide un (5lève d'Anaxagore exprime à sa manière une
vérité très importante : Thucydide, en etTet, ne veut expliquer
les phénomènes historiques que par les causes secondes, comme
disent les philosophes, et il exclut absolument toute recherche
de la cause première, toujours incertaine et arbitraire à ses
yeux. De là, entre Hérodote et lui, une difl'érence qui est un
abîme. Mais, si Thucydide parle assez souvent de la nature
(cpûtnç), il n'avait pas à faire de théorie philosophique propre-
ment dite, de sorte qu'on ne trouve pas chez lui l'équivalent
du passage d'Antiphon que nous venons de citer. Gorgias ou
Protagoras avaient-ils eu l'occasion d'exprimer cette concep-
tion? Rien, dans ce qui nous reste d'eux, n'en porte la trace,
et l'hypothèse d'ailleurs serait peu vraisemblable ; car Gorgias
était surtout un rhéteur, et Protagoras, avec son relativisme
sceptique, devait attacher peu d'importance à la liaison néces-
saire des phénomènes. Antiphon est donc le premier, dans
l'état de nos connaissances, chez qui nous trouvions l'idée de
loi naturelle formulée avec une entière netteté et, on peut le
dire, avec une netteté définitive.
Notons aussi, à propos de ce passage, qu'il nous fait com-
prendre par où les nouveaux fragments pouvaient se rattacher
logiquement au ll£pl aAyiQeLaç. A lire, en effet, l'ensemble de ces
morceaux d'une manière un peu rapide, on est d'abord frappé
de la place qu'y occupent les considérations relatives à la
législation des cités, et l'on ne voit pas bien la raison de ces
développements dans un ouvrage surtout consacré, comme le
prouvent les fragments antérieurement connus, à des spécu-
lations géométriques, physiques ou métaphysiques. Mais les
lignes que nous venons de traduire nous donnent le mot de
l'énigme. Ce qu'Anliphon dit ici de la loi naturelle devait, en
effet, dominer toute étude sur la réalité des choses (TOpl a.Xr\^d(x.q)
et le terme même qu'il emploie pour caractériser ce qui vient
de la nature (Si' àXTiGst-av) nous rend sensible l'unité essentielle
de l'ouvrage : avant d'entrer dans le détail des théories parti-
culières, il convenait de marquer d'une manière précise ce
b ALFRED CROISET
caractère do nécessité qui différencie tout d'abord les lois de la
nature, objet de son livre, des lois conventionnelles, œuvre des
sociétés humaines.
II
Arrivons à la deuxième dilTérence signalée par Antiphon
entre les unes et les autres, c'est-à-dire au désaccord qu'il
aperçoit entre leurs prescriptions respectives, a La justice des
lois, dit-il, est très souvent en hostilité avec la nature » (xà r,oWk
Twv y.cLTk vojjiov ôî,xa'lcov TtoXéjji'.a t?, cpùo-s', xs^Tai), et cela mérite
examen (txÉ'Uç). L'examen qu'il en fait se développe en une
série de phrases courtes, incisives, relevées de yXwa-o-aî., comme
disaient les Grecs, c'est-à-dire de mots archaïques ou poétiques.
Vient d'abord un joli couplet sur la minutie de la législation,
qui prétend tout diriger :
Il y a des lois pour prescrire aux yeux ce qu'ils doivent voir ou
ne pas voir; aux oreilles, ce qu'elles doivent entendre ou ne pas
entendre; à la langue, ce qu'elle doit dire ou ne pas dire; aux pieds,
où ils doivent aller ou ne pas aller; à l'esprit, ce qu'il doit désirer
ou ne pas désirer.
Et toutes ces prescriptions, comme les interdictions corres-
pondantes, ne sont nullement réglées sur les vœux de la
nature; au contraire. Selon la nature, vivre est un bien,
mourir est un mal. Mais dans la vie, la loi impose à l'homme
une foule de prétendus biens qui sont des maux en réalité.
Venait ensuite, à ce qu'il semble, un passage symétrique sur
la mort; il n'en reste que de faibles traces; puis quelques
exemples des désavantages que la loi impose à celui qui la
respecte et dont l'homme injuste est affranchi. Sans traduire
littéralement tout ce passage, oii certaines lacunes rendent
obscur l'enchaînement des phrases, il suffira, pour en montrer
la signification générale, d'en détacher quelques aphorismes
où la pensée se condense. « Les biens, selon la loi, dit-il, sont
autant de chaînes imposées à la nature. Au contraire, les biens
LES NOUVEAUX FRAGMENTS D ANTIPHON 7'
selon la nalure sont libres », L'expression ici peut sembler en
conlradiclion avec ce rju'il disait plus haut de la nécessité qui
règne dans la natui'e; mais la contradiction n'est qu'apparente :
il s'agissait plus haut de l'enchaînement des elTets et des causes;
il s'agit ici des instincts, des désirs, qui naturellement sont
hostiles à toute contrainte. — « Donc, poursuit-il, selon la
droite raison (ooBw ).6yw, c'est l'expression de Protagoras), il
n'est pas vrai que ce qui cause de la peine (toc àXyjvovTa) con-
vienne à la nature (ovivYiT», t7]v cpuo-'.v) mieux que ce qui cause de
la joie (to £'jcppa(vovTa). Donc aussi il est faux qu'une chose soit
plus utile en donnant de la peine (À'jrroGvTa) que du plaisir
(riùovzcf.) . Car le véritable bien (to y.'krfihç ^'j'xoipoy) doit non pas
blesser, mais être utile (w'ijeXs'iv) ».
Il est impossible de lire ce passage oi^i les mots qui signifient
joie, plaisir, avantage, utilité, sont accumulés comme à plaisir
ainsi que leurs contraires, et où ces quasi-synonymes sont
employés presque indifféremment les uns pour les autres, sans
imaginer ce que Socrate devait penser de cette imprécision de
langage et quelle prise elle offrait à son ij'onie. Il semble qu'on
l'entende, devant un exposé de ce genre, demander grâce pour
son défaut de mémoire, dire qu'il saisit mal le sens de tous
ces mots, qu'il les trouve obscurs, qu'il a besoin de se les faire
expliquer un à un. Et alors, d'interrogation en interrogation,
il eût amené son interlocuteur à convenir que certains plaisirs
pouvaient n'être pas utiles, que certaines peines pouvaient
n'être pas réellement dommageables, et qu'en somme il fallait
y regarder de plus près avant de trancher des questions aussi
difficiles. Rien ne fait mieux comprendre que ce morceau authen-
tique d'un sophiste réputé l'à-propos du rôle de Socrate, et
combien sa dialectique, qui nous semble parfois fatigante par
sa subtilité, a rendu de services à la pensée grecque en l'obli-
geant à se mieux analyser. A côté de Socrate, d'ailleurs, Pro-
dicus servait à sa manière la môme cause. Par son goût un peu
pédantesqué pour l'étude des synonymes, il contribuait à faire
de la langue usuelle un instrument de précision, capable de
8 ALFRED CROISET
s'adapter aux oxigencos do Tesprit critique. Anliphon n'en est
pas encore arrivé là.
Quoi qu'il en soit, ce qui ressort du moins de ce morceau,
c'est justement la facilité avec laquelle l'écrivain mêle ces idées
de plaisir, d'utile, de bien, ou au contraire de douleur, de dom-
mage, de mal, et le rapport étroit qu'il établit dans chacun de
ces groupes entre des choses qui lui paraissent à peu près iden-
tiques. Cela suffît à indiquer dans une certaine mesure la ten-
dance générale de ses doclrines. La nature, comme la loi, pres-
crit à l'homme comme fin de ses actions l'utilité ; mais, tandis
que la loi subordonne celte utilité à mille restrictions qui enchaî-
nent la liberté de Tindividu, la nature, au contraire, suivant
Antiphon, n'admet comme utile que ce qui est agréable et
exempt de peine.
La fin du premier fragment comprend un développemeni
spirituel où Antiphon poursuit son réquisitoire en montrant
que la loi, qui s'occupe de tant de choses, n'arrive même pas,
malgré tous ses efforts, à réparer le mal qu'elle fait, ce qui lui
enlève la seule excuse qu'elle pût invoquer. Un homme, dit-il,
qui a subi un tort n'a qu'une ressource, qui est de traîner son
adversaire devant un tribunal. Mais là même il n'a sur lui
aucun avantage décisif, bien qu'il soit la victime et l'autre
l'agresseur. Il accuse, mais son adversaire peut nier. Les lignes
suivantes sont mutilées; cependant on entrevoit qu'Antiphon
y décrivait en connaisseur certaines roueries de la défense, et
notamment, semble-t-il, celle qui consiste à accuser à son tour.
Mais le passage est trop altéré pour qu'on puisse essayer une
restitution.
Le second fragment enfin est dirigé contre les distinctions
arbitraires qui se fondent sur la naissance ou sur la race : nou-
velle variété de violence faite à la nature par les lois ou par
les mœurs. Ici encore quelques lacunes, mais qui laissent sub-
sister plusieurs phrases vigoureuses et expressives :
<Ceax qui sortent d'une illustre maison, > nous les respectons
et les vénérons; et ceux qui sont d'humble naissance, nous n'avons
LES NOUVEAUX FRAGMENTS D ANTIPHON y
pour eux ni considération ni respect. En cola, les uns à l'égard des
autres, nous sommes des barbares (p£6apêapu)[j.£0a). Car la nature
nous fait naître tous pareils, tous indifféremment barbares ou
grecs. »
Suivent des mots mutilés, mais dont le sens général peut se
rétablir à peu près ainsi : « Car, pour tout ce qui se rapporte
aux lois nécessaires de la nature, tous les hommes sont sem-
blables. A en juger sur les choses naturelles, » (ici le texte
reprend :) « rien ne détermine parmi nous le grec ou le bar-
bare ; tous nous respirons l'air par la bouche et par les
narines; tous... » La lin de la phrase manque; le reste du
papyrus ne contient plus que quelques lettres isolées.
On reconnaît, dans cette énergique déclaration, la première
forme du mot célèbre d'Alcidamas : « la nature ne fait pas
d'esclaves. »
Telle est, dans son ensemble, la rude et parfois éloquente
attaque dirigée par Antiphon, d'un point de vue naturaliste,
contre la loi. Reste à savoir quelle en est au juste la portée, si
elle implique une condamnation radicale de la société et de sa
morale, ou si elle comporte une interprétation différente.
III
Toute théorie qui oppose aux lois de la cité d'autres lois fait
d'abord songer aux àypauTa v6|jt.Liji.a de VAxitigone de Sophocle,
aux àypaooj. v6|jt.o', dont il est si souvent question chez les écri-
vains postérieurs, et les éditeurs anglais n'ont pas manqué de
faire ce rapprochement. Ils ont eu raison, mais il faut ajouter
que la ressemblance est en général plus extérieure que pro*
fonde.
La « loi non écrite » à laquelle obéit Anligone est la loi des
dieux, aypaïcxa Bswv v6|jL(.|jLa, donc une loi religieuse plus forte
que celle d'un tyran, mais surtout plus morale et capable d'im-
poser à la conscience le sacrifice volontaire de la vie. Celle loi
divine n'a guère de rapport avec la loi naturaliste d'Antiphon,
10 ALFRED C ROI SET
dont le caractère général est manifestement de faire une large
place à ce qu'il appelle le plaisir, la joie, Tutililé, dans un sens
assez égoïste, fort peu idéaliste, el nullement religieux.
Ce qui s'appelle ensuite aypacpoi vouot., depuis Platon etXéno-
plîon jusqu'à Anaximène de Lampsaque (auteur présumé de
la Rhétoriqîie à Alexandre), c'est ce que le spiritualisme appelle
la « morale naturelle », c'est-à-dire l'ensemble des règles que
la conscience, en dehors de toute législation positive, prescrit
à chaque homme en tout pays, et qui, bien loin d'être en con-
tradiction avec le pi'incipe de la loi écrite, c'est-à-dire avec les
idées de devoir et d'obligation, les complètent au nom d'une
moralité plus haute, plus universelle, plus impérative, par
exemple en ce qui concerne les devoirs des enfants envers les
parents et les relations de famille en général.
Ces lois non écrites sont quelquefois données comme venant
de la nature (cpuo-iç), mais d'une nature toute pénétrée de mora-
lité et fort différente de celle d'Antiphon.
Aussi l'idée d'une sanction naturelle, au sens oii Antiphon
la définit et la décrit dans le premier fragment, est-elle à peu
près étrangère à la conception des avpacpoi v6tj.o!., qui sont
essentiellement sous la protection ou des dieux, ou de la cons-
cience morale, ou de l'opinion.
Chose curieuse, Xénophon parle quelque part des àypacpot.
vouLO'. et, à ce propos, il s'exprime sur la sanction naturelle dans
des termes qui rappellent Antiphon. Dans la discussion sur la
justice, entre Socrate et Hippias [Mémor., IV, 4, 19-22), il fait
dire à Socrate que la véritable justice (to oUaiov), quelquefois
différente de la légalité (to vôtjL!.ijiov), a ce caractère d'entraîner
pour celui qui la viole une peine qui est la conséquence directe
et infaillible de l'acte, et il cite un exemple tout à fait natura-
liste. Comme Xénophon connaissait Antiphon et qu'il lui a
môme donné une place dans les Mémorables^ c'est probablement
à lui qu'il a emprunté celte idée, qui tranche si vivement sur
la couleur ordinaire de son inspiration propre, llâtons-nous
d'ajouter qu'il l'a d'ailleurs adaptée bien vite aux exigences de
i
LES NOUVEAUX FRAGMENTS D ANTIPllON
il
sa piété, en déclarant qu'une si belle harmonie entre Tacte et
ses conséquences était une chose toute divine : c'est en somme
à ses yeux une harmonie de plus dans une nature toute har-
monieuse et providentielle. Par là, sa pensée se sépare profon-
dément de celle d'Antiphon, et se rattache au contraire à la
tradition courante sur les ayoacpoL v6'^.o'.. Ce n'est donc pas de ce
côté qu'il faut chercher des analogies. ^
Les comparaisons qui s'offrent à l'esprit, quand on lit les
nouveaux fragments, sont toutes différentes. On songe, par
exemple, soit aux théories de Calliclès dans le Gorgias, soit à
la morale du plaisir telle qu'Aristippe l'a formulée. Calliclès,
on le sait, nie toute morale traditionnelle et proclame, au nom
de la nature, le droit de la force, la morale des lions et des
maîtres, contre celle des moutons et des esclaves. Aristippe, au
nom de la nature aussi, assigne pour fm à l'homme le plaisir;
mais, comme il admet que le plaisir a besoin d'être gouverné
par la raison, il reconstruit une morale qui aboutit à des règles
pratiques assez voisines de toutes les règles morales tradition-
nelles. Quelle est, de ces deux routes, celle qui se rapproche le
plus de la direction suivie par Antiphon?
Si nous n'avions, pour en juger, que les nouveaux fragments,
l'hésitation serait permise. Car, bien qu'on y trouve certaines
atténuations à ce qu'il y a d'antisocial en apparence dans d'au-
tres passages, ces atténuations sont plutôt des indices que des
preuves. Par exemple, il ne dit pas que toutes les lois soient
en contradiction avec la nature, et il semble trouver injuste
que la victime soit sans défense contre son agresseur : nous
sommes loin de Calliclès. Mais d'autre part les paroles où il est
dit que les biens selon la nature sont pleinement agréables,
qu'ils sont libres des chaînes (^eo-pià) que la loi impose, tout
cela rend un son quelque peu anarchique et nous embarrasse.
Heureusement, nous avons une autre ressource pour saisir
dans sa véritable signification la pensée d'Antiphon : il suffit
pour cela d'éclairer les nouveaux fragments à l'aide de ceux
que nous possédions déjà du flepl 6[jLovoia; et du noA'.Ti.x6ç. Car
12 ALFRED CROISET
CCS deux ouvrages, quoi qu'on pense d'ailleurs de la personna-
lité d'Antiphon, sont incontestablement du même auteur que le
Ilepl àÀTiBsta; ; jamais personne n'en a douté dans l'antiquité.
C'est donc un droit, ou plutôt un devoir pour la critique d'y
chercher un supplément de lumière sur la doctrine d'Antiphon.
Or il semble bien que cette comparaison nous permette
d'aboutir à une conclusion assez précise.
On trouve, dans le Ilspl ojjiovoia; (1), comme dans les nouveaux
fragments, deux sons, deux notes quelque peu ditrérentes, l'une
plus individualiste, l'autre plus sociale et morale, mais avec
des nuances plus fondues, qui permettent de passer de l'une à
l'autre sans heurt et de les concilier. Le tout, d'ailleurs, a de
la grandeur et du charme à la fois, dans la pensée comme dans
le style.
La vie humaine, suivant le IIsol ojjiovo'laç, est médiocre; elle
n'offre que des biens faibles et peu durables, traversés de
grandes peines, et elle finit vite, comme une faction d'une
journée après laquelle il faut passer le mot d'ordre à un autre
(fragm. 132, 133). La plupart des hommes l'ignorent, se pré-
parant sans cesse à vivre et ne vivant pas, gaspillant sans
compter le plus précieux des biens, le temps, comme s'ils pou-
vaient, la partie finie, jeter de nouveau les dés (126, 127, 137,
122). L'avare, occupé d'économiser sans cesse pour un avenir
qui ne viendra pas, est un sot (à ce propos, jolie fable de
l'avare qui enfouit son trésor et qui, un jour, trouve à sa place
une pierre, 128).
Il faut donc jouir tout de suite et rendre sa vie aussi agréable
que possible. Mais comment?
On se marie pour être heureux : on s'apprête en réalité
mille soucis et mille tristesses. Ici encore une fort belle page,
où le souci égoïste de la tranquillité personnelle se relève par
(1) Je dis IlÉpt ôîxovo(a; pour abréger. Car la répartition des fragments entre le
llepi ô[iovotaç et le noXtxivcôç est impossible pour la plupart, et les fragments
attestés du noXirixôç sont rares et peu importants. Je renvoie aux chiffres de
Téd. de Blass (Teubner).
LES NOUVEAUX FRAGMENTS d'aNTIPHON 13
un sentiment très délicat de la peine qu'on éprouve à voir tan-
tôt son affection déçue, tantôt les difficultés de la vie étendues
à ceux qu'on aime. « Pour moi, xlit-il, si j'avais un autre moi-
môme, je ne pourrais plus vivre.... Et s'il survient des enfants,
alors tout n'est plus que soucis ; la fraîclie allégresse de l'àme
disparaît (sÇoLysTai. to V£OT'/;Tt.ov a-xipTTip.a tyÎ; yva)p.rjç), et le visage
n*est plus le môme )> (131).
L'amitié est un bien plus sûr. « Les nouveaux amis sont très
chers, et les anciens plus encore » (135 a). Mais la plupart des
hommes font de leurs amis « les flatteurs de leur richesse et les
courtisans de leur fortune » (109). — H y a bien de la délica-
tesse, on le voit, chez cet égoïste mélancolique.
Il y a aussi de la sagesse. 11 loue la tempérance et la maî-
trise de soi. « Rien, dit-il, de plus conforme à la droite raison
(oùSèv opBoTspov ; comparer avec TopSoç Xoyo; des nouveaux frag-
ments) que la tempérance (aw^poo-ûvYi), qui enseigne à Thomme
de se cuirasser (ottiç £jjia)pàTT£!. aùxo; sauTov) (1) contre l'attrait
immédiat de la passion ; celui qui s'abandonne à sa passion du
moment choisit le pire au Ijeu du meilleur » (129; cf. encore
130).
Cette maîtrise de soi maintient la paix entre les hommes.
Avant d'attaquer son voisin, il faut se demander si l'on ne
court pas à son propre mal. L'espérance aveugle est une illu-
sion, source de mille maux (4 29).
Ailleurs, il déclare expressément que Tanarchie (àvapyia) est
le plus grand mal qui puisse affliger l'humanité. D'oii la néces-
sité de l'éducation (-rcaiSsuT!.;), qui, en formant les enfants à
l'obéissance, les prépare à la vie (135). L'éducation est une
chose capitale, comme en agriculture le labourage et les
semailles (134).
Il me semble qu'après la lecture de tous ces passages, on ne
peut plus douter du vrai sens des nouveaux fragments. Anti-
phon, certes, y déclare que la loi fait souvent violence à la
(1) Je lirais plutôt liti'fpâcraei.
14 ALFHED CROISET
iialure, laquelle tend au plaisir. 11 indique en outi"e avec force
que les sanctions de la loi ont un caractère essentiellement dif-
férent de celles de la nature. Mais il ne résulte nullement de
là ni que la société, qui fait les lois, soit radicalement mau-
vaise, ni que le plaisir, conseillé par la nature, doive s'affranchir
de toute règle. Antiphon pensait sans doute, comme Aristote,
que l'homme est un !^o)ov 7îo).!.-:!.x6v, à qui la société est néces-
saire, et il a dit quelque part, dans le Ikpl àX-z^Bsia; môme, que
la raison (yvwijLTj) était la souveraine maîtresse du coi'ps pour la
santé, pour la maladie et pour tout le reste (81). Il ne profes-
sait donc pas, dans le Ilcpl àXr.Bs'la;, une doctrine différente de
celle du llepl ojjLOvoiaç.
Ce qui reste vrai, cependant, c'est que ce côté de prudence
pratique et politique est moins visible dans les nouveaux frag-
ments que dans les autres. On ne s'en étonnera pas si l'on
songe d'abord que ce sont des fragments, donc une image par-
tielle de sa pensée ; ensuite qu'il est ici un pur théoricien, un
théoricien de la nature avant tout, qu'il a dû par conséquent
céder à cette tendance habituelle qui fait qu'en théorie on est
toujours tenté d'abonder dans son propre sens, surtout si l'on
est un brillant écrivain et qu'on vise à frapper fort. Antiphon
s'est peut-être quelque peu grisé lui-même de ses théories,
comme il arrive à un Rousseau, à un Diderot, quand la verve
les prend et les jette dans le paradoxe. Mais ce serait une
erreur, je crois, de voir en lui, d'après ces nouveaux textes, un
autre homme que celui que nous faisaient connaître les mor-
ceaux déjà connus.
IV
Reste une dernière question, plus délicate et plus douteuse.
Quel est donc cet Antiphon, qu'on appelle « le sophiste », et
sur (^uoi se fonde la tradition généralement admise qui le dis-
tingue de son grand homonyme, Antiphon de Rhamnonle? Elle
LES NOUVEAUX FHAGMENTS D ArSTIl*HON lo
se fonde sur des téiiioigaages et aussi, je crois, sui' des impres-
sions de nature diverse. Voyous ce que cela vaut.
Les témoignages d'abord. Ils se ramènenl à un fexte de Xéno-
phon et à un autre d'IIermogcne.
Xénoplîon, dans les Mémorables (I, G), rapportant trois
entretiens de Socrate avec Antiphou, l'introduit sous ce nom :
'AvTLcpcôv 6 0-0 'X)LC7T/i«;. 11 cst évidcut que si Xénoj)hon, contraire-
ment à son habitude, ajoute au nom propre cette désignation,
6 G"ocp',TTris, c'est pour distinguer celui-ci d'un homonyme.
Lequel? On songe aussitôt à Antiphon de Hhamnonte. On
oublie qu'il y avait alors à Athènes un certain nombre d'autres
Antiphon, dont un en particulier était célèbre : je veux dire
Antiphon le poète tragique, qu'Aristote cite à plusieurs
repi'ises et qui était aussi connu par ses mots spirituels et mor-
dants que par ses vers. Cet Antiphon le tragique, (jui mourut,
dit-on, à Syracuse, victime de Denys le tyran, est appelé par
Aristote 'AvT'/iJwv 6 Troi/iv/J; (juand le contexte ne suffit pas à le
désigner clairement. Il est à noter, au contraire, que le môme
Aristote, citant à deux reprises les ouvrages du prétendu
sophiste, l'appelle simplement 'AvTt.,p(ov, sans le distinguer de
l'oi'ateur. Il est donc permis de croire que la locution de Xéno-
phon, 'AvTt.cpcov 6 a-o'^'.T--/-;, se justifie suffisamment par le désir
de montrer qu'il ne s'agit pas ici du poète tragique.
Ajoutons que, si Xénophon voulait distinguer l'orateur et le
sophiste, l'expression 6 (jo'fKJTfiç, était bien mal choisie : le nom
du père ou du dème eût été beaucoup plus clair. Car l'épithète
de o-ocpia-Tr^ç, au sens grec du mot, convenait aussi bien à Anti-
phon de Rhamnonte qu'au prétendu sophiste. Nous avons pris
l'habitude de voir surtout dans Antiphon de Rhamnonte un
grand orateur et un homme d'Etat. Mais, pour les Athéniens du
v^ siècle, il était un sophiste. En effet, suivant Thucydide, il
ne parlait pas lui-même devant les tribunaux et devant le
peuple; il était professeur d'éloquence et logographe, et, en
cette qualité, suspect au peuple, (jui se méfiait des parleurs de
métier à cause de leur Tîavoupyla. Un contemporain, Platon le
16 ALFRED CROISET
comique, dans sa comédie intitulée Pisandre^ l'avait même
attaqué pour les sommes excessives qu'il extorquait à ses
clients (1) : autre signe distinctif du métier de sophiste, auquel
ce reproche était communément adressé. La tradition qui fait
de lui le maître de Thucydide en particulier se fonde sur une
allusion du Ménexène qui ne peut guère avoir un autre sens.
Ajoutons enfin qu'Hermogène, dans le passage oii il essaie de
distinguer l'orateur et le sophiste, les appelle tous deux des
sophistes : Suo oà ol o-o'x» !.aT£Ùa-avT£i;. On voit ce qui reste du pré-
tendu témoignage de Xénophon.
Mais les entretiens même que Xénophon rapporte entre
Socrate et Antiphon sont-ils de nature à contredire ce que nous
pouvons savoir de l'orateur? C'est plutôt le contraire. Dans
les deux premiers entretiens, Antiphon reproche à Socrate la
simplicité de sa vie et la gratuité de son enseignement. Ce
genre de critique s'accorde assez bien avec l'opinion que la
comédie, comme nous venons de le voir, exprimait sur le compte
de l'orateur, qu'elle raillait sur sa cpàapvup'la. Dans le troisième
entretien, Antiphon demande à Socrate comment il peut avoir
la prétention de former des citoyens, lui qui reste étranger à la
vie publique. Ce reproche serait moins à sa place dans la bouche
d'un sophiste occupé de physique et de métaphysique que dans
celle d'un homme qui fut, au dire de Thucydide, l'âme de la
conjuration des Quatre-Cents.
Passons au témoignage d'Hermogène. Ce qui donnerait
d'abord à celui-ci une apparence d'autorité, c'est qu'il semble
s'appuyer sur l'opinion du savant Didyme.. Mais quelle était au
juste l'opinion de Didyme? « Il y a eu, dit Hermogène, plusieurs
Antiphon, ainsi que le rapporte entre autres le grammairien
Didyme et que le montre l'histoire, et parmi eux, deux qui
exercèrent le métier de sophiste. » Si Didyme affirmait simple-
ment qu'il avait existé plusieurs Antiphon, son affirmation n'a
pour nous aucun intérêt. S'il a réellement dit qu'il y avait eu-
(,1) Vita, 17, pi Philostrate, p. 17.
LES NOUVEAUX FRAGMENTS d'aNTIPHON 17
deux sophistes de ce nom, reste k savoir s'il affirmait la chose
sur des preuves positives ou si c'était là de sa part une simple
conjecture déterminée par des raisons de goût, d'appréciation
littéraire. Or, nous pouvons être sûrs que Didyme n'avait donné
aucun fait incontestable à l'appui de son opinion, si tant est
qu'il eût réellement émis cette opinion. Ce qui le démontre,
c'est la perplexité d'Hermogcne qui n'arrive pas, même après
la prétendue affirmation de Didyme, à savoir ce qu'il en doit
penser. 11 est clair qu'il n'en sait pas plus que nous sur ce point,
et c'est faute de faits précis qu'il en était réduit à chercher dans
des considérations littéraires des motifs de se décider. Or ces
raisons mêmes étaient des plus faibles et, sans entrer à ce sujet
dans une discussion fastidieuse, on peut affirmer hardiment
que, s'il avait connu un seul fait décisif en faveur de la thèse
des deux Antiphon, il se serait épargné la peine de nous tracer
le tableau assez naïf de ses doutes inextricables.
Il est aussi queslion parfois d'un Antiphon interprète de pro-
diges et de songes [-zepoLzoŒy.ônoç xal ovs'.poxpLTTjç) qu'on identifiait
volontiers avec le sophiste. S'il a réellement existé un person-
nage de cette sorte, il n'a pu avoir rien de commun avec l'au-
teur du Ilepl alfi^eltxq, et nous n'avons pas à nous en occuper.
Au total, par conséquent, on peut dire que nous n'avons pas
un seul témoignage précis en faveur de l'existence d'un sophiste
notable, homonyme et contemporain d' Antiphon de Rhamnonte.
D'où vient donc qu'une tradition si douteuse s'est si généra-
lement accréditée? Probablement d'abord de la difficulté ins-
tinctive qu'on éprouve à admettre chez un même homme deux
formes d'activité assez différentes pour aboutir d'une part à la
composition d'un ouvrage de philosophie naturaliste et dé
l'autre à une conspiration politique. C'est le même sentiment
qui a créé Sénèque le tragique à côté de Sénèque le philosophe.
Une seconde raison de cette croyance, c'est peut-être quelque
différence entre l'idée qu'on se fait d'Antiphon de Rhamnonte,
comme homme et comme écrivain, d'après le portrait de Thu-
cydide, et celle que paraissent donner de lui les écrits dits
REG, XXX, 1917, n» 136. 2
18 ALFREb CROISET
sophistiques. Mais ces difîérences, à les bien regarder, ne sont
que des nuances facilement explicables. Voyons l'homme
d'abord. Thucydide, dans le célèbre portrait du livre VIII (68),.
dit qu'Antiphon n'était inférieur en vertu à aucun Athénien de
son temps (àpsTf, oùoevoç SsuTepo;). Eloge qui serait singulier,
appliqué à l'auteur d'une conjuration politique sanglante et
blâmée par Thucydide lui-même, s'il ne signifiait simplement
que la vie privée d'Antiphon,loin d'être celle d'un conspirateur
vulgaire, d'un aventurier politique, était celle d'un honnête
homme entouré de considération. Les passages du ïkpl 6|jLovo{a;
cités plus haut, sur la maîtrise de soi-même, sur les atTections
de famille, sur les amis, nous font voir dans l'auteur de l'ou-
vrage un homme dont Thucydide pouvait louer la valeur mo-
rale. Quant à ses idées philosophiques, il y a un accord bien
remarquable, ainsi que nous Favons vu tout à l'heure, entre
la doctrine historique de Thucydide et la théorie du Ilspl à^rj-
ôeUç sur la loi naturelle.
Pour le style, Hermogène insiste beaucoup sur la différence
qu'il trouve entre celui des discours judiciaires d'Antiphon,
plus simple, plus voisin du langage usuel, et celui des œuvres
sophistiques, où il trouve un style tendu, sentencieux, visant
à la grandeur, et tombant parfois dans l'obscurité. Bien que
le style des plaidoyers, à Athènes, fût en effet par principe
plus simple que celui des morceaux destinés à la lecture, il est
difficile d'admettre sans réserve la distinction trop absolue
d'Hermogène, qui exagère ici dans les deux sens. Il dit en outre
que le style des ouvrages sophistiques lui paraît ressembler
plus que celui des discours judiciaires au style de Thucydide,
et il cite à ce propos le passage du Ménexene où Antiphon est
donné comme le maître de Thucydide, sans s'apercevoir que
l'Antiphon dont parle Platon est Antiphon de Rhamnonte
expressément désigné par le nom de son dème, et non le pré-
tendu Antiphon le sophiste à qui lui-même est tenté d'attribuer
les ouvrages en question. Laissons donc de côté tout ce verbiage
incohérent. Il est évident qu'Antiphon ne pouvait écrire tout à
LES NOUVEAUX FHAGMENTS d'aNTIPHON 19
fait du môme style des plaidoyers et des œuvres d'école. Mais
il est non moins certain que si l'on examine de près ces deux
styles, on les trouve moins dilï'érents l'un de Faulre que ne sont
par exemple, chez Thucydide, les récits et les discours, ou chez
Platon telle partie d'un dialogue et telle autre. Kn outre on y
relèverait sans peine des mots, des locutions, des habitudes
de phrase qui se rencontrent d'une manière frappante dans les
deux genres d'écrits. Il n'y a donc aucune contradiction décisive.
Suit-il de là que nous devions considérer Antiphon de Rham-
nonte, sans doute possible, comme Tunique auteur de tous ces
écrits? En matière littéraire, une affirmation de ce genre n'est
possible que si elle est appuyée sur des faits extérieurs bien
établis. Tout ce que j'ai essayé de démontrer, c'est que le per-
sonnage d'Antiphon le sophiste est, jusqu'à uouvel ordre, une
entité drès problématique, et que les nouveaux fragments, en
dehors de leur intérêt propre, ont encore le mérite de nous
apporter quelques bonnes raisons de ne pas ajouter trop vite
un nom de plus à la liste des écrivains grecs.
Alfred Croiset.
LES SEPT DERNIERS CHAPITRES
DE L''A0HNAlilN nOAlTElA
ORGANISATION DES TRIBUNAUX, À ATHÈNES, DANS LA
SECONDE MOITIÉ DU IV^ SIÈCLE)
Au moment de sa publication, en 1891, I' 'ABrivaiwv TioXi-zda.
était à la fois privée de son début et lamentablement mutilée
dans sa dernière partie. Depuis, le début n'a pas été retrouvé;
et il semble d'ailleurs avoir manqué déjà, vers la fin du
f"" siècle de notre ère, au scribe à qui nous devons le papyrus
de Londres. Mais la fin de l'ouvrage a eu un meilleur destin :
quelques fragments nouveaux y ont été ajoutés; on s'est con-
vaincu qu'il n'y existe aucune lacune, comme on l'avait craint
d'abord, entre le troisième et le quatrième rouleau, c'est-à-dire
entre les chapitres 63 et 64 ; et surtout, grâce aux efforts com-
binés des savants de tous pays, on est parvenu, sauf pour une
colonne unique (la XXXIV"), à en rétablir le texte de façon à
peu près satisfaisante. On peut le lire aujourd'hui dans plu-
sieurs éditions- (1) ; mais il n'en existe pas, du moins à ma con-
naissance, de traduction française (2); et j'ai cru remarquer
(1) Kenyon, Supplément à l'Aristote de rAcadémie de Berlin, vol. 111, pars 11,
1903; — Blass-Thalheim (co/Zec/io?i Teubner), 1909; — Sandys, 2>"e édit. (à la
fois critique et exégétique), Londres, 1912.
(2) Celles de MM. Th. Reinach et Haussoullier, parues dès 1891, sont naturel-
lenaent fort incomplètes à partir du chap. 64. Je remonte ici au chap. 63, bien
LES SEPT DERNIERS CHAPITRES DE l/'AeHNAIQN nOAITEIA 21
que, pour cette raison sans doute, les étudiants de nos Facul-
tés utilisaient rarement les derniers chapitres de l"AQYivai(ov
TToXiTsta. Le présent article est destiné à les leur rendre plus
abordables.
Dans ces quelques pages, les difficultés sont assez nom-
breuses : elles tiennent à la fois à la forme et au fond.
Pour ce qui est de la forme d'abord, très vite elle donne
l'impression de notes hâtives plutôt que d'une rédaction défi-
nitive. Il est vrai, la nature du sujet devait entraîner une cer-
taine monotonie dans l'exposition. Toutefois, Aristote abuse
peut-être un peu des mômes tours : par exemple. Il y a dans les
tribunaux (63, 2, e^o-oâo'l eio-!, ; 64, 2, v.rrl xavovi^sç; 67, 2, e'.o-l xXs-
tj^ùSpat. ; 68,2, J;f,cpo'l s'.o-!.; 68,3, sItI àucpope^.ç oùo)^ et surtout
C'est pour obliger à. C'est pour empêcher de (68, 3, oTtwç jjlTj
XàQiTi ; wo-Ts auT/iV piovïiv y^wpsw ; 69, 1, ottwç eùap'lQpiYiTO'. wo-t.; 64, 4,
t!v' sic olov av ^vày^TTj tXiit^ ; 65, 1, l'va àvayxaiov r^ ajTw ; 68, 2, llva
•]>-/|cp'lÇwvTa!. ; 64, 2, "va [jlti xaxoupy^ ; 66, 1, l'va ariSspi'la upostSrj ;
66, 2, l'va jjLYiSsiç Tcapao-xsuàÇr, ; 68, 2, Iva piri à|JLcpoT£pas Xa^jcêàvaio-i ;
68, 3, Iva fjLTi S'Jo suL^àXXri). Les précautions sont multipliées, à
Athènes, à propos de l'affichage des tablettes, de la désignation
des tribunaux, de la répartition des présidents, du réglage de
la clepsydre, de la distribution des bulletins de vote, du vote
lui-même et du paiement du triobole. Chaque fois qu'il en a
été indiqué une nouvelle, le paragraphe se termine par une de
ces formules, qui ont évidemment l'avantage de nous marteler,
pour ainsi dire, l'idée de la nécessité pour le législateur d'une
défiance perpétuelle, mais qui aussi, comme tous les refrains,
risquent, à la longue, de devenir agaçantes. — Aristote ne
s'inquiète pas davantage de la répétition, coup sur coup, d'un
même mot : trois fois l'xao-Toç au début de 66, 2; quatre fois
Xajji.6àv£t.v à la fin de 68, 2 ; quatre fois TrapaSiôovai ou aTioSiSova!.
dans 65, 4; et encore les deux à-rcoB^Sova!. ont-ils des sens diffé-
quUl appartienne encore au troisième rouleau, pour donner d'un bloc tout ce
qui concerne Torganisation des tribunaux.
22 G. COLIN
reiits, rendre et payer (1). — Je passe sur les accords faits
d'après le sens, non d'après la grammaire. Chacun d'eux n'a
rien de trop insolite; leur fréquence pourtant est remarquable
(p. ex., 63, 3, sàv Tii; ouàt^Tj olç p-r, £^£a-T',v ; 64, i, ol oixadTal...
a'jTcp ; 65, 2-3, 6 0£ Aaêwv sla-sX-riXuBoTSç ; 66, 2-3, Tj àp-^^'À) 'r\ £'J)£<t-
TTjX'jia.... Tiapà TouTwv ; etc.). Ce ne sont là encore que des
détails sans inconvénients pour l'intelligence du sens.
Il est déjà plus fâcheux de trouver l'article défini là où l'idée
manque de précision. C'est un tour cher à Aristote ; ainsi, 63, 2,
£'.; TÀiV 'jBp'lav £u.êàXXovTa'. ; 63,.;, £7:£',ôàv 6 ^t(7^o^k'Zf\q ÏTzviCk^-
pcoo-T) ; 64, 1, 8'.aa'£'la-avT0ç toG UTry^péTOU ; 64, 4, eXxej. £x T7\q uBpia;.
L'auteur entend probablement : l'hydrie qui convient ou qui
reste libre^ le thesmothète ou l'appariteur désigné pour le rôle
dont il s agit \ mais nous, qui comptons sur lui pour nous ins-
truire, nous en sommes réduits à traduire par une des hydries,
un thesmothète, ?/??. appariteur, etc. (2).
Une autre source de difficultés, c'est que, dans ces sept cha-
pitres, certains mots usuels se trouvent pris dans des accep-
tions variables. x\insi 8!.xaa-:7]p(.ov désigne tantôt le bâtiment du
tribunal (63, 5, £7ï£Qt,x£ £cp' £xaa-TOv 10 o(.xao-:'/,pt.ov to ypàjJLpia), tan-
tôt le jury qui y siège (64, g, o^amp av [JisXArj Ta S',xaa"Ty]p'.a TcXvipw-
Ovio-eo-Qat), tantôt, plus spécialement, un jury-type de 500 mem-
bres (68, 1, Taiç |ji£yia":at.s [ypacpais] a-uv(.xv£"iTat. £lç 'Jj' xa'. â Tpia 8t.xaT-
T-/ipt.a) ; et deux de ces acceptions peuvent être réunies dans un
seul paragraphe (63, 2), voire dans une seule phrase (66, 1). —
De môme, xAYipwTYip'.ov signifie, suivant le contexte, la salle où
Ion procède à des tirages au sort (64, i^ tXnX xavovLO£s ttévte £v
Ixào-Tw Tcôv xXyipwTTipLwv) ou \urne nécessaire en pareil cas
(1) Tout ce paragraphe est particulièrement malheureux : ditô tt,? cpuXf.ç éxaa-
Tif)î irapaStSdaai (ils emportent du bureau de chaque tribu) xi xiêtixia... sv w (pas-
sage du pluriel au singulier) kvîctti xi ôvd;jLaxa xf,ç 'juXf.ç xi ôvxa (où sont les
noms des membres de la tribu qui figurent) ; et là-dessus vient un xaGxa qui ne
se rapporte ni à xiêwxia ni à 6v6[xaxa.
(2) Nous sommes moins surpris de l'expression (63, 3) eîç xô Sixaaxfiptov etaa-
ystai, parce que nous disons de mniie, en français, déférer au tribunal ; cepen-
dant, là non plus, rien ne nous indique quel est le tribunal compétent.
LES SEPT DERNIERS CHAPITRES DE L^ABBiNAIilN nOAITEIA 23
(66, i, TiOeTaL £v TO) TTOWTO) Tcov oixaTTripUiv p' xXripwTTipia) (d). —
Ou encore [JLÉpoç répond, au ch. 63, 4 (vevéfjLYivrai xaxà cpuXàç oixa
jAÉpiri ol of.xaTTa'1) aux sections héliastiques^ et, au ch. 69, t (àrco-
Xa|jLêàvouo-', tov •jlitOov £v tw piépe'. ou iXoL/ov cxa^Toi), à quelque
chose de tout autre, probablement un groupe de deux tribus^
constitué, à chaque jour d'audience, pour faciliter le paiement
du triobole.
Par contre, ailleurs, plusieurs ternies s'appliquent à une
môme personne ou à un même objet. Quand il s'agit de dési-
gner les jurés de service pour une journée, les opérations,
réparties en dix bureaux, sont présidées par l'un des neuf
archontes ou le secrétaire des Ihesmothètes ; ce président est
appelé indifféremment 6 9£a'[i.oO£T7i;(64, i), 6 apy(i)v(64, 3), 6 oLpyiù'/
6 £cp£TT7ix(o; (64, 4) (2). — Même synonymie entre ypàjjL|jLa et
o'Toi.y£wv. A la rigueur, il est parfois possible de les distinguer :
ypà{xaa aurait le sens de signe graphique quelconque, et o-to».-
'^£lov de caractère de f alphabet à son rang normal (63, 4, ypàjjL[jLa
£v Twv <TTor/£'l(ov [AS'/p'. Tou K) (3). Mais, le plus souvent, ypàu-ua
est simplement une lettre, comme crTot.y£iov (63, 5, £7t£',oàv £7rt.-
xXïipwTY] xà ypàuL|jLaTa, à ôe^ 7:poa-7rapaT'lQ£a'8ai. to1!ç o(.xa(TT/ip'lo'.ç) ; et,
du reste, il y a des cas où l'équivalence des deux termes appa-
raît de façon manifeste (cf. 63, 2 : ÈyyéypaTTTrat. £v Tal^ ^aXàvoi; twv
(TT0!.y£i(OV àuO TOtJ £v8£xàT0U TO'J A, Ct 64, i '. £Xx£l jBàXaVOV £X T?!^
uSpiaç, àviywv t6 ypàuiaa) (4).
(1) 11 est très possible d'ailleurs que les urnes utilisées, sous le nom de •ù<r\oiù-
T-i^pta, pour la désignation des présidents, se confondent avec les GSpîat qui ont
servi d'abord pour le tirage au sort des jurés.
(2) Mais, au^chap. 66, 1, Tvaj^ôvxs^ twv OsGrjjLoOexwv 6ûo ne s'applique qu'aux Ihes-
mothètes proprement dits; (cf. 59, 1 et 5, rapproché de 59,7).
(3) Dans 64, 1, je ne trouve pas d'explication satisfaisante pour justifier l'accu-
mulation des deux mots (sitsiSàv £|j.6â)vW(T'. xà rtvaxia ô'-î t6 xiêojxtov, s'f' ou 5v \
ÈTriYSTpaM-fJ-évov xôypafxtxa xô otùxô oiiep ïtO. xw Ttivaxîw sjxlv aûxw xwv axoi/s^tov). A
mou avis, la phrase gagnerait également en facilité et en clarté, si on en sup-
primait les trois derniers mots.
(4) Une fois, Aristote emploie vpijxjxa comme synonyme de ixépoî, section
héliasiique désignée par une lettre (63, 4, xapaiiXTi^iu); taot èv kxdixi^ xw vpiijLaaxt).
La même expression se rencontre déjà dans Aristophane {Plut., 1167).
2i4 G. COLTN
Voici maintenant des tours bien elliptiques (1) : 64, 3, oxav
£{AêàXr) Toùç x'jêo'j;, quand il a mis les cubes (en nombre voulu,
dans une des hydries) ; ibid., tt^v o^Vf\v xAvipoi, il tire au sort
(les jurés de) la tribu; 63, 2, ^axTr^pia'- TrapaTiQsvTa». otoitcso ol
8r.xaa-Tafl, on dispose des bâtons en nombre égal à celui des jurés
(que la tribu doit fournir ce jour-là). On y saisit du moins la
pensée de l'auteur. Mais on peut hésiter sur le sens exact de
(60, 2) irapaXaaêàvât. o-ju^oXov 5-r|uioa-'la (2). 'Ev iCù uptoxco tcov owa-
(jzr\^uù^^ (66, 1) manque pour nous de netteté. N£V£jjiT,vTat. xaToc
'^uAaç Séxa \kkor^ ol 8',xaTTa'l est quelque peu amphibologique (3).
Kt j'attribue de même, non pas certes à une erreur, mais à un
défaut d'expression, le fait que, dans Tinventaire du matériel
nécessaire au tirage au sort des jurés, Aristote mentionne seu-
lement deux hydries, là où nous en attendons vingt, à savoir
deux par tribu (63, :>) (4).
Ce n'est pas tout. Trop souvent Aristote emploie des verbes
sans préciser leur sujet (64, u £it£'-5àv s^éArj xoù; xuêo'jç [s.-ent.
l'archonte]; 67,5, l^vXt tw ô'atpYicp'.o-jjiw tco ôsuTspw [s.-ent. le
juré préposé aux clepsydrejs, ou des pronoms qui ne se rappor-
tent à aucun mot exprimé dans leur voisinage immédiat (64, 4,
v/ sic olov av 'k^yy^ sItlt] [ôixacrTvipLov vient deux lignes plus bas];
66, 3, Tiapà TOjTcov àTToXajjL^àvouT!. To TTpôypajjLtjL'x [il faut penser aux
présidents des tribunaux, bien qu'on vienne de parler d'autres
personnes]; 65,4, 'o^; zW-r^yorri TaGÎTa aTroo'.Sova', [TaÙTa doit
représenter ik Tct.vàx!.a assez éloigné] ; 64, 2, outoç xa'AsiTai. etjLirrlx-
(1) Ta ypa)[xaTa, pour dire les cî<6es peints aux couleurs des tribunaux, consti-
tuait sans doute une locution du langage courant.
(2) La fin du mot 5ifi[[jL07Îa] est une restitution; mais elle est garantie par le
scol. d'Aristophane [Plut., 278), qui cite textuellement Aristote. Le mot a dû
paraître obscur, même aux anciens ; car nous retrouvons ailleurs la même
phrase modifiée (par exemple, Suidas, s. v. JâaxxTipia xal aû[jL6o>vov • èXdtjjiSavov
irapi Tôiv ST;[jLOjta>v vTrT,p£Tà>v a'j[jL6oXov; — scol. Aristophane, Plut. 277, lxà(TT({)
<yû{j.6oAov ôîSoxai ST,jxôaiov.
(3) Le scoL d'Aristoph. [Plut. 277) comprend, à tort, que chaque tribu répond
aune section héliastique. De même, la rédaction de 63,1 n'est pas très heu-
reuse : la même idée est exprimée d'une façon beaucoup plus claire au ch. 59,7.
(4) Cf. la note à la traduction de ce passage.
LES SEPT DERNIERS CHAPITRES DE L"AeHNATi2N nOAlTFIA 25
T7)ç [entendre : c'est ce juré qui est l'afficheur]). Dans l'exposé
d'un mécanisme aussi compliqué, il eût élé souhaitable de ne
laisser place à aucune hésitation, Or nous ne sommes
pas seuls à nous sentir embarrassés : déjà, pour nous en tenir
aux deux derniers exemples, le copiste de notre papyrus a été
troublé par le TauTa de 65, 4 (1) ; et I'ojtoç de 64, 2, a été inter-
prélé à contre-sens par Hésychius (s. v. euiTryixTTjç) et par le
lexique de Bekker {Anecd., p. 258, 21), qui font de Tafficheur
le premier un appariteur, et le second un thesmothète.
Nous n'avons envisagé jusqu'ici que les négligences de lan-
gue ou de style ; on voit qu'elles peuvent déjà contribuer, pour
leur part, à créer au lecteur des difficultés. Mais, si de la
forme nous passons au fond, la disposition même adoptée par
Aristote est loin de nous satisfaire toujours. Sans doute, les
anciens n'avaient pas l'habitude de rejeter au bas des pages ou
à la fin du livre les développements accessoires qu'ils jugeaient
à propos d'ajouter sur certains points; ils les introduisaient
donc, à mesure qu'ils en avaient besoin, dans la trame même
de leur texte. Cependant, de la part d'un esprit aussi clair,
aussi ordonné qu'Aristole, on pouvait s'attendre, semble-t-il, à
voir se succéder suivant un plan logique les détails qu'il veut
bien nous donner sur l'organisation des tribunaux d'Athènes.
Or ce n'est pas précisément le cas.
D'abord, il ne s'interdit nullement les parenthèses qui inter-
rompent la suite de ses explications. Le chapitre 63, entre
autres, nous en oITre un exemple très net. Aristote est entré
immédiatement en matière, et s'est mis à décrire le matériel
qui va elre utilisé dans un instant ; tout à coup, il s'avise qu'il
n'a rien dit des conditions indispensables pour être juré ni des
tablettes des héliastes. Il en parle; puis il revient aux opéra-
tions auxquelles on procède, le matin des jours d'audience.
Plus souvent encore, il lui arrive d'indiquer l'usage fait de
tel ou tel objet avant d'en avoir seulement mentionné l'exis-
(1) Cf. aussi la note au passage correspondant de la traduction.
26 Tt. colin
tence. Ainsi, on glisse les tablettes d'identité dans les rainures
des tableaux préparés pour les recevoir (64, 2) ; on jette les
cubes dans une hydrie (64, 3) ; on remet aux jurés un bâton de
la couleur du tribunal où ils doivent siéger (65, 1) : il n'a été
question auparavant ni des tableaux à rainures, ni des cubes,
ni des couleurs dont sont peints les linteaux des tribunaux.
De môme, au ch. 65, 4, les appariteurs apportent les boîtes
contenant les noms des jurés à ceux d'entre eux qui seront
chargés de payer le triobole ; et ceux-ci ne sont élus qu'au
chap. 66, 3-
Là môme oii Aristote s'aperçoit de ces anticipations fâcheuses,
il se met fort peu en peine pour y remédier. P. ex., au ch. 65, i,
dès que le juré a tiré son gland, il nous le montre déjà péné-
trant dans son tribunal, et y fianchissant la grille de l'enceinte
qui le séparera du public. Mais il a omis de parler du bâton et
du jeton de présence que Fhéliaste doit encore recevoir aupa-
ravant; il répare donc cet oubli. Là-dessus, de nouveau notre
juré s'installe à sa place (65, ^). Mais tout n'est pas dit sur les
opérations à accomplir dans les bureaux des tribus; on retourne
encore en arrière ; et, au cbap. 66, 2, pour la troisième fois,
nous voyons les jurés arriver à destination.
Sur d'autres points, Aristote disperse à plusieurs endroits
des renseignements que nous aimerions à trouver réunis :
c'est le cas, en particulier, pour ce qui concerne le triobole
(ch. 65, 4; 66, 3; 69, 2). — Ou bien, après avoir donné une cer-
taine série d'explications, il en laisse de côté d'autres du même
genre, qui les compléteraient ou qui en formeraient le pendant.
Ainsi, puisqu'il décrit le matériel en usage dans les locaux oii
sont nommés les jurés de service (63, 2), pourquoi ne pas en
faire aularit à propos des salles d'audience? Pourquoi, à pro-
pos des premiers, mentionner les entiées, les doubles chambres,
les boîtes, les hydries, les bâtons et les glands, et ne rien dire
alors des tableaux à rainures ni des cubes? pourquoi spécifier
le nombre, non l'usage des boîtes de la première série, et l'usage,
non le nombre des boîtes de la seconde? pourquoi nous faire
LES SEPT DERNIEHS CHAPITRES DE l' WBUNA IL2N FIOAIIKIA 27
savoir tout de suite que la première hydrie recevra les glands,
et ne pas ajouter également que les cubes iront dans la
seconde (1) ?
Il n'y a encore que demi-mal quand nous pouvons, au prix
d'un certain effort, compléter un passage par un autre. Mais le
plus fâcheux pour nous, c'est que, plus d'une fois aussi, Aris-
tote n'expose que d'une manière incomplète, ou môme laisse
tout à fait de côté des points qui nous intéresseraient (2). Par
exemple, nous lui aurions su gré d'une description plus précise
des tableaux à rainures (64, -2), des clepsydres (67, 2), ou de ce
support, plus ou moins semblable à un candélabre, où sont
déposés les bulletins de vote (68, 4). On est resté assez long-
temps avant de se rendre compte de la façon dont les cubes,
blancs et noirs, désignent ou récusent les jurés par séries (64, 3).
Des difficultés subsistent à propos de la répartition des prési-
dents (66, 1) ou du cérémonial qui règle les votes successifs des
jurés (69, 2). Kt nous en sommes réduits aux hypothèses sur la
façon dont les Athéniens sont distribués dans les sections hélias-
tiques (63, 4) ou sur le procédé qui sert à tirer les lettres attri-
buées à chaque tribunal (63, 5).
Je n'ai pas épuisé la liste des exemples de ce genre (3). J'en ai
(i) 11 serait peut-être imprudent de vouloir tirer argument du cliapitre 67,
étant donnée la part considérable des restitutions que j'y introduis. Cependant
j'ai peine à croire qu'il ne prêtait pas aux mêmes critiques, et qu'Aristote avait
pu y faire tenir tout ce que nous désirons y trouver. A mon avis, la mention des
arrêts de la clepsydre l'ayant amené, après les actions privées, à parler des grands
procès politiques, les actions publiques moins importantes étaient un peu perdues
de vue : je cherche en vain où auraient été indiqués les volumes d'eau auxquels
elles avaient droit. — A propos de ces volumes, ceux des actions privées sem-
blent limiter le temps accordé à chaque partie, et les onze amphores des grandes
causes s'appliquer à la journée entière, — Les divisions du jour légal devaient
manquer de netteté, à en juger d'après les indications assez confuses des sco-
liastes. — Et enfin, nous avons bien la composition des divers jurys pour les
actions publiques (68, 1) ; ceux des actions privées sont passés sous silence, du
moins dans ce passage.
(2) Le défaut contraire, la prolixité, est extrêmement rare chez lui. Je ne vois
qu'un seul exemple à en citer : au ch. 66, i, il aurait pu être plus bref sur le
maniement des cubes employés pour assigner aux magistrats les jurys qu'ils
auront à présider.
(3) Cette étude était achevée quand j'ai eu connaissance du mémoire de
28 ^^- COLIN
assez dit, je pense, pour justifier le plan que je compte adopter
dans celte étude. Avant tout, il convient de traduire exactement
notre auteur. Je me dispense d'en reproduire le texte ; car les
dernières éditions diffèrent peu les unes des autres ; et d'ailleurs,
n'ayant pas vu moi-même le papyrus, je n'ai ni les moyens ni
la prétention de faire mieux (1). Sauf avis contraire, je suis le
texte de Blass-Thalheim; je donne, en note, mon opinion sur
les passages qui présentent des variantes de quelque importance ;
et j'essaie de combler approximativement la grandB lacune du
chapitre 67.
Pour les difficultés de détail, je ne crois pas nécessaire de
joindre à la traduction un commentaire perpétuel. Je me borne,
dans le français même, à ajouler entre parenthèses les mots
qui me paraissent indispensables pour bien taire comprendre
la pensée d'Aristote, ou du moins pour préciser la façon dont
je l'interprète.
Mais, cela fait, si nous voulons tirer des renseignements
fournis par l' 'AQv^varlwv 'zo)j/zda. tout le parti possible, on ne
jugera pas inutile sans doute de les grouper dans un ordre plus
méthodique, plus conforme à nos habitudes modernes. Nous
nous efforcerons donc de nous représenter, à notre manière, la
série des opérations qui devaient se succéder à Athènes, un jour
d'audience, vers 323. Ce sera le meilleur moyen de rendre hom-
mage à Aristote pour tout ce qu'il nous a appris, comme aussi
de constater les points obscurs qu'il a laissé subsister. Nous
n'arriverons pas à résoudre toutes les ditïîcultés ; mais ce sera
|)eut-être déjà quelque chose de les avoir classées et précisées (2).
Mathieu, AristoLe, Constitulion d'Athènes^ Etude sur la méthode suivie par Aris-
tote dans la discussion des textes (Bibl. de TEc. des Hautes-Etudes, fasc. 216,
1915). L'auteur n'y envisage que la première partie. Il aboutit à cette conclusion
que T'Ae. tioI. est sûrement d'Aristote, mais que c'est une oeuvre inachevée et
non revue, « l'ébauche déjà fort travaillée d'un livre interrompu par la mort ».
L'examen des derniers chapitres me donne bien la même impression.
(1) J'adopte la disposition typographique de la traduction de M. Haussoullier,
qui a l'avantage d'une grande clarté.
(2) L' 'Aôï^vafcov Tzokiitlx a suscité un très grand nombre de travaux : on en
trouvera la liste en tête des éditions de Thalheim et de Sandys. Parmi ceux qu«
I
LES SEPT DERNIERS CHAPITRES DE L"AeHNAI12N IIOAITEIA 29
I. Traduction des chap. 63-69 de T'AO. iroX.
CHAPITRE LXÏII
§ \ . Magistrats préposés à la constitution des jurys. —
§ 2. Dispositif du tirage au sort. — § 3. Conditions requises
pour être juré. — § 4. Les tablettes d'identité. — § 3. Tirage
de la lettre assignée à chaque tribunal.
4. — Les jurés sont tirés au sort par les neuf archontes,
chacun opérant pour sa tribu, et par le secrétaire des thesmo-
thètes pour la dixième.
2. — Il y a, dans les tribunaux, dix entrées, une par tribu ;
vingt salles pour le tirage au sort, deux par tribu ; cent petites
boîtes, dix par tribu ; une seconde série de petites boîtes, des-
tinées à recevoir les tablettes d'identité des jurés que le sort
a désignés (pour la journée); et (vingt) hydries, deux (par
tribu) (1). En outre, on dispose près de chaque entrée des
j'ai vus, je mentionnerai à part la dissertation de Teuscl), De sorlilione judicum
apiid Athenienses (Gottingen, 1894), faite sous la direction, et sans doute pai-fois
avec le secours de Wilamowitz ; le long excursus publié par Keil dans son
Anonymus arqeniinensis (Strasbourg, 1902) sous le titre Zum athenischen
Gerichlswesen, p. 225-269; et la série des articles de Photiadis dans Vx^r^S. (XIV,
1902, -irspl xTvTjpwCTetoç vcal -kaTiPojtswî twv fj/aaorxixwv 6r/taa"tT,pîcov, p. 241-276; XV,
1903, Ttspî Tfj? T|Xia7Twv [xiuôo'f opôtç xal xwv StxaTTixwv au[j.Sô)^wv, p. 3-28; XVI, 1904,
Tiepl Tf,i; 6La;jL£[xeTp7itJ.£VTri; f,[xépa; xal T?,? 8txaaTtxf,ç x>.£(];ûSpaç, p. 3-87). — L'ouvrage
de Lipsius, Das allische Rec/it und Rechtsverfahrea est encore en cours de publi-
cation (Leipzig, 1905, 1908, 1912); cf., pour ce qui nous intéresse ici, les chap. 3
et 4 du premier volume, die Geschworenengerichle et die GerichlshÔfe, p. 134-175.
— Dans le Dictionnaire des antiquités, Tarticle Dikastai (Caillemer) reste utile à
consulter; mais il est antérieur à la publication de V 'AOTjva(ajv iroXiTsia; voir les
articles Sortitio et Thesmolhétai (Glotz).
(1) Le texte, pris à la lettre, devrait sentendre de deux hydries en tout; or il
en faut manifestement vingt, puisque le tirage au sort des jurés se fait dans les
dix tribus à la fois. MM. HaussouUier et Reinach, dans leurs traductions, ont
essayé de supprimer la difficulté en mettant le point avant xal uSpia-. ^ûo. Mais
si, dans la phrase suivante, on comprend bien que les bâtons soient placés prés
de la porte (rappariteur les remettra ainsi aux jurés, au moment où ils sortiront
30 G. COLIN
bâtons en nombre égal à celui des jurés (que la tribu doit
fournir); et, dans l'une des bydries, on met autant de glands
qu'il y a de bâtons. Les glands sont mai'qués des lettres de
Talphabet à partir de la onzième, le A ; on emploie autant de
lettres qu'on doit constituer de jurys.
3. — Peuvent être jurés tous les citoyens âgés de trente ans
révolus, à condition de n'être pas débiteurs du Trésor public
ou déchus de leurs droits civiques (pour toute autre raison).
Quiconque essaie de siéger sans en avoir le droit est poursuivi
par voie de dénonciation et déféré au tribunal. S'il est reconnu
•coupable, les juges ont à fixer la condamnation supplémen-
taire qu'il leur semble mériter, pénalité ou amende. En cas de
condamnation pécuniaire, il doit être maintenu en prison
jusqu'à ce qu'il ait acquitté complètement à la fois la dette
antérieure qui a motivé la dénonciation et la nouvelle amende
que lui a intligée le tribunal.
4. — Chaque juré a sa tablette (d'identité); elle est en buis.
Elle porte son nom, précisé par celui de son père et celui de
son dème, et, en plus, un signe graphique, qui est un des
caractères de l'alphabet, de A à K. En effet, dans chaque tribu,
les jurés sont répartis en dix sections, et leur nombre est à
peu près égal dans chacun des groupes ainsi désignés par une
lettre.
5. — Quand un des thesmothètes a tiré au sort les lettres
qui doivent être appliquées à la porte des tribunaux comme
signe distinctif supplémentaire (pour la journée), un appa-
riteur les prend, et va placer sur chaque tribunal celle que le
sort lui a attribuée.
pour se rendre dans leurs tribunaux), les hydries, elles, sont nécessaires aux
opérations du tirage au sort, et ce n'est pas près de la porte qu'on en a besoin.
Je conserve donc la poncH^uation des éditeurs, mais en admettant qu'Aristote s'est
mal exprimé.
LES SEPT DERNIERS CHAPITRES DE l/ 'ABUNAlLiN lIOAlTEfA 31
CHAP1TRK LXIV
1 . Dans chaque trihu^ première réparti lion des taldettes
{par sections héliastiques). Désignation des afficheurs. —
§ 2. Affichage des tablettes. — i:^ 3. Tirage au sort des
jurés de la journée. — §4. Répartition des jurés dans les
divers tribunaux. — § 5. Nouveau classement des tablettes
[par tribunaux) .
1. — Les petites boîtes qui vont par séries de dix sont dépo-
sées en face de lentrée réservée à chaque tribu ; elles sont
marquées des caractères de l'alphabet d'A à K. Quand chaque
juré a jeté sa tablette dans la boite portant le même signe qui
ligure sur cette tablette (comme lettre de section), — c'est un
caractère de l'alphabet, — Tappariteur secoue bien les boîtes,
et de chacune d'elles le thesmothèle tire une tablette.
2. — Ainsi se trouve désigné (le juré) appelé rafïicheur. Il
afïiclie les tablettes, (dans Tordre où elles sortent) de la boîte (de
sa section), sur le tableau à rainures marqué du même signe
que cette boîte. On le nomme par la voie du sort pour éviter,
en n'ayant pas toujours le même afficheur, les risques de
fraude. Il y a cinq tableaux dans chaque salle.
3. — Après avoir mis les cubes (en nombre voulu dans une
des hydries), l'archonte tire au sort (les jurés de) la tribu dans
les deux salles successivement. Les cubes sont en bronze; il y
en a de noirs et de blancs. Autant il faut désigner de jurés (pour
la journée), autant on met de cubes blancs, (ou, du moins), on
en met un par cinq tablettes (à retenir) ; on observe la même
proportion pour les cubes noirs (un par cinq tablettes à
rejeter).
4. — Quand (l'archonte) a extrait tous ses cubes (1), l'huis-
(1) Je préfère ici la restitution d'Haussoullier sf^A-ri] à celle de Blass £[^aipTi].
En effet, le présent indiquerait que l'huissier proclame les jurés élus à mesure
que Tarchonte tire un cube. Dans ce cas, d'abord xoù^ Xayx,âvovTaî serait peut-
être plus naturel que toù; etXTixoTaç. Mais surtout, comme le juré, aussitôt pro-
32 G. COLIN
sier proclame les jurés que le sort a désignés. Chaque afficheur
est aussi compris (de droit) dans ce nombre. Le juré ainsi
proclamé vient, à l'appel de son nom, tirer un gland de (l'autre)
hydrie; il le tend alors, la lettre en l'air, pour le montrer
d'abord à l'archonte qui préside (le bureau de la tribu). Celui-
ci, après l'avoir vu, jette la tablette du juré dans la petite boîte
marquée du môme caractère de l'alphabet que le gland : c'est
pour l'obliger à se rendre au tribunal que le sort lui a assigné,
non à celui qui lui plaît, et pour empêcher qu'il ne soit pos-
sible de grouper dans un jury qui on veut.
5. — L'archonte a pour cela auprès de lui autant de petites
boîtes qu'il y a de jurys à constituer ; elles portent chacune une
lettre, répondant à celles qui ont été attribuées par le sort aux
divers tribunaux.
CHAPITRE LXV
§ 1. Les bâtons aux couleurs des tribunaux. — § 2. Les jetons
de présence. — § 3. Reinise de leurs tablettes aux héliastes
éliminés. — § 4. Transfert dans chaque tribunal des boites
contenant, par tribu ^ les tablettes des jurés de service.
1. — Le juré doit encore présenter son gland à l'appariteur
avant d'aller (à son tribunal) et d'y franchir la grille (de l'en-
ceinte réservée au jury) (1). L'apparitoui" lui donne alors un
bâton de la couleur du tribunal qui porte la même lettre que
son gland. On l'oblige par là à entrer au tribunal que le sort
lui a assigné; car, s'il veut pénétrer dans un autre, la fraude
clamé, vient tirer son gland, il en résulterait une confusion de manœuvre bien
mal commode : l'appariteur devrait s'occuper en même temps de i'hydrie aux
cubes et de I'hydrie aux glands, tandis que l'archonte, de son côté, devrait, en
même temps aussi, tirer les cubes et répartir les tablettes dans les boîtes de la
seconde série. Il y avait avantage, je crois, à ne pas mêler les deux ordres
d'opérations. — En comprenant le texte comme je le fais, je termine le § 3 avant
èTcs'.Sàv S' è^éVf, toù; x"j6ou;;, au lieu de la continuer jusqu'à ô Se %kr\^v.^.
(1) Le texte de cette fin de ligne n'est pas sûr : la lecture six' £[îaép/sTa'., èvxôç
iw]v TT.ç x'.yxXtôoi; serait peut-être la plus satisfaisante. Le sens est clair; mais, de
toute façon, la rédaction de la phrase ne paraît pas très heureuse.
LES SEPT DERNIERS CHAPITHES DE L"AeHNAK2N ÎIOAITEIA 33
est démontrée par la couleur de son bâton. Il faut dire, en effet,
que les tribunaux ont chacun le linteau de leur porte peint
d'une couleur (particulière) (1).
2. — Avec ce bâton, le juré se rend au tribunal qui a en
même temps la même couleur que son bâton et la même lettre
que son gland. Lorsqu'il y est entré, il reçoit des mains du
fonctionnaire que le sort a désigné pour cet office un jeton (de
présence) frappé par l'Etat.
3. — Après quoi, muni de leur gland, de leur bâton [et de
leur jeton, les jurés du jour prennent place] (2) dans leur tri-
bunal : telles sont les formalités de leur installation. Quant à
ceux que le sort a écartés, les afficheurs leur rendent leurs
tablettes.
4. — D'autre part, les appariteurs, qui sont des esclaves pu-
blics, emportent (du bureau) de chaque tribu les petites boîtes
(de la seconde série) ; il y en a une pour chacun des tribunaux;
elles contiennent respectivement les noms (des membres) de la
tribu qui y siègent. Ils doivent les remettre aux (jurés) désignés
par le sort, au nombre [de cinq] par tribunal, pour rendre
(leurs tablettes) à leurs collègues (3). Ces hommes auront ainsi
le moyen de faire l'appel pour payer le triobole.
(1) Bien que cette dernière phrase, dans toutes les éditions, fasse déjà partie
du § 2, je la joins ici au § 1, auquel elle se rattache étroitement.
(2) 11 manque sans aucun doute, à cet endroit, quelque chose dans le texte du
papyrus. Il me paraît probable que le jeton était rappelé en même temps que
le bâton, puisque tous deux ensemble formaient, pour ainsi dire, les insignes
du juré en fonctions (cf. Dém., Cour., 210; Suidas, s. v. ^ocxxT^pCa vtal atifjtpoXov ;
Bekker, ^necd., p. 185,4). D'autre part, toïç 6' iTtoXayxâvouai, dans le second
membre de phrase, appelle à tout le moins un [xsv dans le premier. J'admets
donc que le copiste a sauté une ligne entière, et, je lis t^,v te ^aXocvov ^al tV
PaxTT,p(av [xal tô au[x6o>vov è'xovtsç, xa9(Çou<Ti [xèv] Iv tw Sixaatï^pîij). Je ne restitue
pas GÎ [ièv Xaj^dvceî xa9(^ou<Tt, pour ne pas dépasser la longueur moyenne des
lignes. Quant au pluriel xaôiÇouai, alors que le sujet dans la phrase précédente
(6 8è Xa^tôv) est au singulier, il est imposé par le participe elaeXfiXuOoTe; à la
ligne suivante. — Sur les doutes que peut soulever la mention du gland dans ce
passage, on trouvera une note dans la seconde partie de cette étude (§ 8, A).
(3) Je considère les mots xà Trivivcta comme une glose destinée à expliquer
le pronom xotûTa, peu clair, en effet, de la ligne précédente. Le copiste de notre
papyrus l'aura fait à tort entrer dans le texte, en se trompant d'ailleurs d'une
REG, XXX, 1917, no 136. 3
34 G. COLIN
CHAPITRE LXVI
§ i . Désignation des présidents. — § 2. Tirage an sort des jurés
préposés aux clepsydres^ au scrutin^ et au paiement du trio-
hôte. — § 3. Indications de service pour cette dernière
opération.
1. — Quand tous les jurys sont constitués, on dispose, dans
le bureau de la première tribu, deux urnes, avec une double
série de cubes de bronze, les uns peints aux couleurs des tri-
bunaux (qui vont fonctionner ce jour-là), les autres portant
inscrits les noms des magistrats (qui peuvent les présider). Alors
deux des thesmothèles, tirés au sort, mettent séparément les
deux sortes de cubes (dans les urnes) : l'un met dans la pre-
mière les cubes de couleur, Tautre dans la seconde les noms
des magistrats. Dès que le premier magistrat est sorti au tirage,
l'huissier proclame qu'il aura à sa disposition le tribunal éga-
lement désigné le premier par le sort; le deuxième magistrat a
le deuxième tribunal; et ainsi de suite pour les autres. C'est
afm qu'aucun magistrat ne sache d'avance quel tribunal il aura;
chacun doit accepter celui que le sort lui assigne.
2. — Une fois les juges arrivés à destination et répartis entre
les diverses salles d'audience, dans chaque tribunal le magis-
trat qui a la présidence tire une tablette de chacune des boîtes
(apportées par les appariteurs), de manière à avoir dix noms,
un par tribu. Il met ces tablettes dans une onzième boite vide;
en les tirant au sort, il désigne les cinq jurés dont les noms
sortent les premiers pour s'occuper l'un de l'eau (des clep-
sydres), les quatre autres des bulletins de vote. On veut ainsi
empêcher que personne ne puisse suborner ni le juré préposé
aux clepsydres ni ceux qui manient les bulletins de vote, et qu'il
ne se produise dans tout cela aucune fraude.
ligne; du même coup, il aura omis le chiffre qui venait après àpiOixtÔ, et qui du
reste, sur l'original, était peut-être indiqué simplement par une lettre. Le chiffre
cinq nous est fourni par le chapitre suivant, § 3.
LES SEPT DERNIERS CHAPITRES DE L"AeHNAK2N nOAITEIA 35
3. — Les cinq derniers, dont le nom n'est pas sorti, reçoivent
(des présidents) le tableau de service indiquant la façon dont
le triobole sera payé, et l'endroit où chaque tribu le touchera,
au tribunal même, après le prononcé des jugements. De la sorte,
en se retirant, les jurés percevront leur salaire par petits
groupes (1), au lieu de se presser en grflnd nombre au même
endroit et de se gêner les uns les autres.
CHAPITRE LXVII
§ 1. Appel des causes : leur nombre par audience. — § 2. Les
clepsijdres : quantités d'eau accordées pour les actions privées.
— § 3. Arrêt, ou non, de la clepsydre, pendant la lecture des
pièces. — § 4. Le jour légal ^ employé pour les grands procès
politiques : sa durée et ses divisions. — § 5. Cas des procès
sujets à estimation.
1. — Toutes ces dispositions étant prises, on appelle les
causes : causes privées, si c'est jour d'audience pour les actions
privées; — dans ce cas, leur nombre dépend de l'importance
des divers procès (jugés dans la même journée) conformément
à la loi (2), et les parties s'engagent toutes deux par serment
à ne pas parler en dehors du sujet; — causes publiques, si
l'audience est consacrée aux actions publiques, et alors on n'en
expédie qu'une seule.
2. — Il y a (dans chaque tribunal) des séries de clepsydres
munies de petits tuyaux d'écoulement; on y verse l'eau qui
(1) Je supprime la virgule après xat' ôX{you(;, de façon à faire porter ces
deux mots sur Xaêwci. La phrase y perd en symétrie ; mais il est assez manifeste
qu'Aristote n'a rien des préoccupations d'un Isocrate.
(2) Les éditeurs ne s'accordent pas sur la lecture de ce passage. Après tw
àptOfJLw, Wilcken déclare certaines les lettres ...vn; Kenyon ne les distingue pas, et
croit voir 5" é^. Il me semble, avec Thalheim, que le nombre des causes à juger
dans la même journée doit varier selon leur importance et leur nature (cf. le § 2).
J'adopte donc, bien que la construction soit un peu dure, le texte tw àptOfxw ô<:
àv ^ svtà«TTwv Twv Sixtôv. On remarquera d'ailleurs qu'à la fin de l'ouvrage, Aristote
n'indique pas davantage qu'on tranche, dans chaque journée, un nombre fixe
de procès (69, 2 : èiïsiSàv aôxoï<; ^ 6e8txa(j}jLcva xà i% xwv vôfxwv).
36 G. COLIN
doit limiter la durée des plaidoiries. On en accorde (à chaque
partie) une de dix pots pour les procès au-dessus de cinq mille
drachmes, avec une de trois pots pour la réplique; une de sept
pots pour les procès (de mille) à cinq mille drachmes, avec
une de deux pots (pour la réplique); une de cinq pots pour les
procès au-dessous de mille drachmes, avec une de deux pots
(pour la réplique); une de six pots pour les contestations entre
compétiteurs, et là on n'admet pas ensuite de réplique.
3. — (Dans toutes ces actions, c'est-à-dire dans les actions
privées), le juré que le sort a préposé aux clepsydres ferme le
tuyau d'écoulement chaque fois que le greffier doit lire une loi,
un témoignage, ou quelque texte analogue. Au contraire, s'il
s'agit d'un procès occupant toute la durée du jour légal et se
réglant sur ses divisions (c'est-à-dire d'un grand procès poli-
tique), il ne ferme pas le tuyau d'écoulement (pour la lecture
des pièces) ; mais l'accusation et la défense ont à leur dispo-
sition la même quantité d'eau.
4. — Elle est calculée d'après (la longueur) des jours du mois
Poséidon, parce qu'ils peuvent servir de commune mesure (1),
(1) Pour les §§ 4 et 5 de ce chapitre et pour le § 1 du chapitre suivant, aucun
texte de lexicographe ou de scoliasle ne permet de combler avec certitude les
lacunes du papyrus. Or elles sont fort considérables ; car il ne nous reste guère
que les premières et les dernières lettres de chaque ligne; et encore en est-il,
parmi elles, qui sont indiquées comme douteuses, ou qui ont été déchiffrées de
façons différentes. Les éditeurs ont donc renoncé à rétablir le passage sous une
forme suivie ; mais ils ont proposé, chacun de leur côté, à un certain nombre
d'endroits, des essais de restitution. En utilisant leurs conjectures, en les modi-
fiant parfois, sans craindre d'en hasarder de nouvelles, il m'a semblé qu'on pou-
vait, à tout le moins, donner au lecteur une idée de ce que contenaient les
trois paragraphes en question, et aussi de ce qu'il serait inutile d'y chercher.
C'est là le but de ma reconstitution. Je l'imprime en caractères typographiques
différents, pour bien indiquer qu'il ne s'agit plus d'une traduction proprement
dite. Toutefois je n'ai pas besoin d'ajouter que, pour limiter mes chances d'er-
reurs, j'ai commencé par m'efforcer de remettre sur pied le texte d'Aristote, tel
que je croyais l'entrevoir, en m'astreignant à respecter le plus possible les
mots ou débris de mots relevés sur le papyrus, et à tenir compte de la longueur
normale des lignes. Voici, à titre de justification, si imparfaite qu'elle soit,
cette tentative. J'indique brièvement, à la suite, sur quoi s'appuient mes conjec-
tures, quand elles diffèrent de celles qui avaient déjà été proposées; on trouvera
Torigine des autres dans les notes critiques des éditions.
LES SEPT DERNIERS CHAPITRES DE L"AeHNAIi2N IlOAITEfA 37
On fait alors usage d'onze amphores (en tout), qu'on répartit en
trois fractions ayant chacune son attribution déterminée : les jurés
s'en réservent une pour les opérations du scrutin, et le reste est
(Col. XXXIV, 1. 7). LXVII, 4 Aia[xeT[petTai 8è Tipôç Tiç -fiiJL£]pa<; [to]u Ooti-
Sewvoç [[ATjvôi;, ôxt sîvat <jû[j.[X£T]po[i, Suvajvrat.
Xpwvx[ai 8' à[x:pop£u<jiv la', oï 8]i,a[v£[j.o]vTai
10 TaxT[à [J-ÉpT, y' • xoÛTtov £v [xèv à]TroTt,[Oé]aatv ol
6iLx]aiT[Tal èrA xàç v{;T,cpouç, t]ô X[otT:ôv 8']ïjov ï-
xaïTOi X[a[jL6avo'jai, ^Iv-ôiox; ' ol 'Kpô]T£[po!,J yàp It-
-ir£uSo[v otv £'.<; Ppa;(ù 'Z'r\<; Ti\i]é[pix(; [xéjpoç l^w-
6£Ïv Toùç [ucjxÉpouç, "Iv' ouv dJEi [t'aojv {;8wp
15 Aa[x6a[vtoat, 8uo X*^ptç xaSot] £t[aiv, ô] [xèv £X£-
poç TOÏç 8[ttjjxoua'iv, ô 8' ETEpoç] To[r(;] Cp£ÙYOu[(T]lV.
5 'Ev 8è TOt(; [tlixtitoïç àywcn, [xspo]ç l'[aov] sçeÏXe
Tw 8la^|;T,[(pto■aâ) tw £T£p]a), oi[aip]£ÏTa(, 8'[-f, •f\[x]é[p]a
ÈTii Toïç [8' • Tt!J.T,Toi 8È Twv àyw]vw[v, ojtrotç upda-
20 e(JTi 8£aiJL[à<; r, Savaxoç -î] dT]t,[x{a t) 8fi[X£uai(î
/p71[jLâT[o)v, xal où x£X£Ù£t Ô v6|jL0î 6]ti 5(pT, ira6£Îv
LXVIII, 1 7^ àTroT£Ï[aai. Ta 8e By\ii6<7i]a xwv [StxJaaxT^piwv
éaxl :p', [oiç xp(v£iv xàç £Xaa]ao[u<; 8i86]aaiv * oxav
8è 8£[ri xàç [xeIÇoui; ypa^Jà; £]iç 5 £l[a-aYaY£Îv,
25 (Tuv[£pj(£xai p' StxajXTiJpta £l[ç] xV -r^Xtaïav •
xa[r<; 8è \i.eyiiTOLi(; auvt]xvL£Ïxat] eIç cp' xai a
2 xpta [8ixa(jxT,pia.
L. 8-9. Scol. Eschine, Ambas., 126, xàç r,[jLépaç xou noa£i8£wvo<; [xrivà; £xXE^ap.evoi
u); aujxfiLéxpoii!; xal 8uva(j.évaî xax£/£tv l'vSExa àfxcpopÉaî. — L. 9-10. Harpocration, s. v.
ôtot(xe{X£xpTi[jL£V7; Tjjj.Épa' 8t£V£ij,£X0 xpîa ii.ép-i\ xà uSwp. — L. 10 xaxx, lecture
de Blass. — L. 11. Lex. Sabb.,iO, 18, 8t£V£[X£xo f, xpîxïi (la troisième partie du jour)
Toîç SixdtÇouatv elç xô (TX£^|/aa8aL xt,v 4'ri90v. — L. 12-14. Pour itpdx£poi et uaxEpot,
cf. chap. 68, 4, xoû irpoxEpov Xs'yovxoç, xou uiTBpov Xéyovxoç, et maint passage des
orateurs, p. ex. Dém., Cowr.,7, etc. — L. 15. Je me contente, pour donner à la
ligne la longueur voulue, d'ajouter x^P'-'î à une restitution déjà proposée. —
L. 17. Ti[xrjxorç àY'^'^^ rétabli par Photiadis, semble justifié par la fin du para-
graphe. Vers la fin de la ligne, avant è^eÎXs, j utilise les lettres a i lues par Wil-
cken. Kaibel avait cru déchiffrer axo; dans ce cas, je ne verrais, comme restitu-
tion, que u8]axd[(; xt] £^£ÏXs ; mais ce serait une indication trop vague pour le
volume d'eau attribué au second vote. — L. 19. 'EttI xoÏ; 8'; la division du jour
en quatre parties me paraît résulter du contexte. — L. 20. La ligne dépasse la
•longueur normale, si on y ajoute t, cpuyi^. — L. 21. Pour la même raison, je cherche
une formule plus courte que où x£Îxat è% xôiv vd[xa)v, bien que ce soit celle d'Har-
pocration, s. v. àx({i7ixo<; àY^*^'^ ^^^ xiar.xdç. — L. 22. D'après tous les
textes des lexicographes à propos du mot -fiXiaîa, l'ensemble du paragraphe doit
se rapporter aux actions publiques; je regarde, donc, au débq^ la restitution
8Tfi[xô(Tta comme à peu près certaine. — L. 23-25. On pourrait souhaiter des expli-
cations plus précises; mais, étant donnés les mots conservés, je crois qu'Aris-
tote se bornait à dire que l'importance des jurys répondait à la gravité des
causes ; d'où la gradation $Xocaaov<;, [xeîî^ou;, jxEY^axaiç.
38 G. COLIN
divisé également entre les parties. C'est justice ; car, sans cela, ceux
qui parlent les premiers s'efforceraient de resserrer dans une courte
portion du jour ceux qui parlent après eux. Aussi, pour assurer tou-
jours aux uns et aux autres une égale quantité d'eau, a-t-on recours
à deux jarres distinctes, l'une pour les plaignants, l'autre pour les
accusés.
5. — En cas de procès donnant lieu à estimation, (le juré préposé
aux clepsydres) prélève d'avance, pour le second vote, une nouvelle
part (d'eau) égale (à la première), et le jour est alors divisé en
quatre. On entend par procès donnant lieu à estimation ceux qui
peuvent entraîner la prison, la mort, la perte des droits civiques, ou
la confiscation des biens, sans que la loi spécifie la pénalité ou
l'amende à infliger.
CHAPITRE LXVIII
§ 1. Nombre des jurés dans les actions publiques. — § 2. Les
bulletins de vote. Jetons spéciaux délivrés aux jurés pour
constater leur vote. — § 3. Les deux amphores destinées à
recueillir les bulletins. — § 4. Proclamation de l' huissier \
manière de voter.
1. — Dans les actions publiques, les jurys comprennent cinq cents
membres pour les causes sans trop d'importance; lorsqu'il faut
déférer devant mille jurés les procès déjà plus considérables, on
réunit deux jurys dans l'héliée ; pour les affaires les plus graves, on
groupe trois jurys, de façon à arriver à quinze cents membres.
2. (1) — Il existe (dans chaque tribunal) des bulletins de vole,
en bronze : (ce sont des disques) munis d'une petite tige à leur
centre ; il y en a la moitié de percés et la moitié de pleins.
Quand les plaidoiries sont terminées, les (quatre jurés) prépo-
sés aux votes par le sort remettent à chacun de leurs collègues
deux bulletins, un percé et un plein, qu'ils déposent bien en
vue des parties, afin que personne ne reçoive deux bulletins de
(1) II aurait été plus naturel de ne faire commencer qu'ici le chap. 68, avec les
indications concernant le vote.
LES SEPT DERNIERS CHAPITRES DE L"AeHNAK2N nOAITEIA 39
même nature, pleins ou percés. D'autre part, (l'esclave public)
désigné par le sort (pour cette fonction) reprend les jetons de
présence (1) ; et, en échange, chaque juré, au moment oij il
vote, reçoit un (nouveau) jeton, en bronze, marqué de la
lettre r, qu'il devra rendre pour toucher le triobole. On veut
par là obliger tous les jurés à voter ; car c'est hi condition
indispensable pour recevoir ce jeton.
3. — Chaque tribunal dispose aussi de deux amphores, l'une
en bronze, l'autre en bois; elles sont écartées l'une de l'autre,
pour qu'on ne puisse pas y introduire de bulletin en fraude
sans être vu. C'est dans ces amphores que votent les jurés :
celle de bronze est celle qui compte ; celle de bois reçoit les
bulletins nuls. L'amphore de bronze porte un couvercle muni
d'une fente assez étroite, pour ne laisser passer uniquement que
le bulletin (régulier) : il s'agit de ne pas en avoir deux pour la
même personne.
4. — Au moment où le scrutin va s'ouvrir, l'huissier fait une
première proclamation : (il demande) si les parties s'inscrivent
en faux contre les témoignages; car la chose n'est plus per-
mise, une fois le vote commencé. Puis, il fait une deuxième
proclamation : « Le bulletin percé est pour la partie qui parle
la première (le demandeur), le bulletin plein pour celle qui
parle la dernière (le défendeur) ». Alors chaque juré prend en
même temps les deux bulletins sur leur support, en appuyant
les doigts sur leurs tiges, sans laisser voir aux plaideurs ni
(1) Le sujet el le complément de àiroXajjiSâvst doivent être entièrement restitués,
et ils l'ont été de façons différentes. J'adopte, pour l'un et pour l'autre, les sup-
pléments de Thalheim. En effet, du moment où il s'agit de délivrer aux jurés le
jeton définitif qui leur permettra de toucher le triobole, il paraît naturel de char-
ger de ce rôle le fonctionnaire de l'administration des finances déjà signalé au
ch. 65, 2 (ô 6è TauTT,v tV dpxV sîM^wç), plutôt qu'un des quatre jurés préposés
aux votes (eiç ôè è^ aÔTwv ô stXfi/ax;), qu'un tirage au sort nouveau aurait investi
d'une fonction spéciale. Et, une fois admise la présence de cet esclave public,
l'objet qu'on peut le plus vraisemblablement lui remettre, c'est le premier jeton
qu'il avait donné aux jurés, au moment de leur entrée dans leur tribunal, donc
xà aua6oXa plutôt que xàç paxTTip{aç. — D'ailleurs, les jurés déposent en même
temps leur bâton (cf. 69, 2); mais Aristote n'en dit rien ici.
40
G. COLIN
partie creuse la partie pleine ; il de:pose ainsi le bulletin valable
dans l'amphore de bronze, et le bulletin nul dans l'amphore
de bois.
CHAPITRE LXIX
§ 1. Dépouillement du scmtin^ et proclamation du jugement. —
§ 2. Vote pour r estimation de la peine. Paiement du triobole.
i. — Lorsque le vote est terminé, les appariteurs prennent
l'amphore qui compte (c'est-à-dire l'amphore de bronze), et la
vident sur une table percée d'autant de trous qu'il doit y avoir
de bulletins; par ce moyen, les bulletins valables, étalés en
évidence (1), sont faciles à dénombrer, et leurs tiges, creuses ou
pleines, sont bien visibles pour les deux parties. Les (quatre
jurés) préposés par le sort aux bulletins de vote les comptent
sur la table, en séparant d'un côté ceux qui sont pleins, de
l'autre ceux qui sont creux; et l'huissier proclame les deux
chiffres, en attribuant au demandeur les bulletins percés et au
défendeur les bulletins pleins. La majorité des voix fixe le sort
du procès; l'égalité de suffrages profite à l'accusé.
2. — Ensuite les jurés procèdent encore à l'estimation de la
peine, s'il y a lieu ; pour cela, ils votent de la même manière,
en rendant leur jeton (de bronze), et en reprenant un bâton.
Un demi-pot d'eau est accordé à chaque partie pour soutenir
son évaluation. Quand les jurés en ont fini avec toutes les
affaires (qui leur étaient imposées pour la journée) conformé-
ment aux lois, ils touchent leur solde, chacun dans le groupe
qui lui a été assigné par le sort.
(1) Le copiste, à cet endroit, à sauté ou confondu plusieurs lettres. On a pro-
posé des corrections diverses, qui d'ailleurs, ne modifient guère le sens ; celle de
Kaibel, acceptée par Kenyon, a l'avantage de s'écarter le moins du papyrus :
xal TjaÛTa, o[t:wç] al xûp<^iat Trpo>X£ÎjjLevai eùap(6aT,[T0i wai].
LES SEPT DERNIERS CHAPITRES DE L"A0HNAKiN nOAITEIA 41
II. Reprise méthodique de l'exposé d'Aristote (1).
1. Conditions requises pour être juré. — A Athènes, si l'on
met à part les affaires de meurtre ou d'incendie, toutes les
causes, dès qu'elles atteignent quelque importance, sont tran-
chées, non par des magistrats, mais par de simples particuliers
réunis en jurys. Aucune connaissance spéciale n'est exigée
d'eux : on leur demande uniquement d'être citoyens, d'avoir
trente ans révolus, et de jouir de la plénitude de leurs droits
politiques (2). On sait assez quel était le goût des Athéniens
pour les procès : amoureux de la parole, il Içur plaisait de
passer leur journée à écouter des plaideurs ; une indemnité
suffisante leur permettait de vivre de la sorte, s'ils le voulaient,
sans chercher une occupation plus active ; et la démocratie y
voyait un moyen, fort apprécié d'elle, d'exercer vis-à-vis de
tous une véritable souveraineté. L'Etat ne devait pas avoir de
peine à constituer ses jurys.
Au v^ siècle, on avait, semble-t-il, fixé un maximum au
nombre des jurés. Aristote en mentionne 6,000 en 478 (24, 3) (3) ;
(1) Mon but, dans cette seconde partie, est de coordonner et de préciser les
renseignements fournis par Aristote sur les tribunaux d'Athènes, au temps où il
écrit, c'est-à-dire vers 325. Comme il est souvent trop concis à notre gré, sa
lecture soulève bien des problèmes ; je n'ai cherché à en esquiver aucun; mais
on ne s'étonnera pas si, plus d'une fois, je suis obligé de recourir à des hypo-
thèses, ou, du moins, à des vraisemblances. — - Les renvois sans nom d'auteur
ni d'ouvrage répondent à 1' 'AO^vaitov itoXtTsîa.
(2) 11 existe toutefois deux catégories de procès, où la loi impose une condition
supplémentaire : s'il s'agit de délits militaires (insoumission, désertion, etc.) ou
de fautes touchant aux mystères, les jurés doivent être pris exclusivement,
dans le premier cas, parmi les compagnons d'armes de l'accusé (Lysias, c. Alci-
biade^ I, 5), et, dans le second, parmi les initiés (Andocide, sur les mystères,
28, 31).
(3) Ce passage, il est vrai, présente une difficulté ; car l'énumération des
citoyens payés par l'État y est faite pour le temps d'Aristide ; or le salaire des
jurés ne date que de Périclès (cf. ci-dessous, § 9). On a donc proposé parfois de
remplacer SixaaTa^ par ÔTcXtrai. La correction reste arbitraire ; et il est tout
aussi naturel d'admettre que, dans ce tableau sommaire des dépenses, Aristote,
pour ce qui est des jurés, anticipe simplement sur l'avenir.
42 G. COLIN
le même chiffre se retrouve dans Aristophane, en 422 [Guêpes^
662); la coïncidence ne doit pas être fortuite. Mais, vers la fin
du IV® siècle, il n'en est plus de môme ; sous les réserves indi-
quées plus haut, tout citoyen a le droit de siéger dans les
tribunaux. Cependant il est tenu auparavant à une formalité.
Il doit avoir déclaré son intention de participer à l'exercice de
la justice, et s'ôtre fait inscrire dans une des dix sections
d'héliastes. Il reçoit alors une tablette d'identité portant son
nom, celui de son père, celui de son dème, et, en plus, une
lettre, d'A à K, qui désigne la section dont il fait partie. Il lui
sera indispensable de l'apporter avec lui chaque jour oii il
aura le désir de figurer dans un jury.
Ces tablettes, dit Aristote, sont en buis; nous n'avons pas
de raison pour douter de son témoignage (1). Telles devaient
donc être les tablettes délivrées par l'Etat ; mais, comme elles
étaient essentiellement périssables, bon nombre de citoyens
s'en procuraient d'analogues en bronze; une ou plusieurs
estampilles, apposées par l'Etat, attestaient leur authenticité.
Nous en connaissons ainsi environ 80, plus ou moins com-
plètes, réunies aujourd'hui dans le Corpus diii\(\m {IG., II 2,
n^" 875 à 940; II 5, n°« 875 b à 938 /). Leur examen nous
fournit quelques indications utiles : par exemple, si le même
citoyen s'en est commandé plusieurs au cours de son existence,
la lettre de section reste la même (/G, II 2, 914-915); par
contre, le père et le fils, tout en étant du même dème, peuvent
appartenir à des sections différentes {IG, II 5, 878 b et 911 b).
A défaut de renseignements précis, voici comment nous
pouvons imaginer l'inscription dans les sections. A mesure
qu'ils atteignent leur trente ans, les Athéniens vont déclarer
devant des magistrats (sans doute chacun dans son dème)
(1) Les lexicographes hésitent. On trouve même ceci chez Hésychius : iaK%o\j^
Tcivdxiov • 'AÔTfivaiot slyiO'j sxaaTOi; ttivoixiov ttû^ivov. En tout cas, l'usage des
tablettes de bronze paraît avoir été très répandu ; cf. Dèm., c. Boiotos, I, 10, 12.
— Chose assez curieuse, la même tablette servait parfois à plusieurs personnes
successivement ; on effaçait tant bien que mal le premier nom, et on le rempla-
çait par un autre {IG, II 2, 887).
LES SEPT DERNIERS CHAPITRES DE L"AeHNAIQN nOAlTEIA 43
leur désir d'être jurés. Une enquête, facile dans ce groupe
restreint, établit qu'ils remplissent les conditions exigées par la
loi ; reste à leur attribuer une section héliastique. Celte der-
nière opération n'a lieu qu'une fois par an, le jour où les jurés
tiennent leur réunion générale pour renouveler le serment de
rendre la justice en toute conscience et en toute impartialité.
Avant la cérémonie, les nouveaux candidats sont présentés
(peut-être par leur démarque aux tbesmothètes). La lettre de
section leur est assignée par une combinaison du sort et de la
volonté des magistrats ; en effet, le sort joue un rôle si consi-
dérable dans toute l'organisation des tribunaux qu'il intervient
sûrement ici aussi; mais, d'autre part, les tbesmothètes doivent
veiller à ce que les dix tribus soient représentées dans chaque
section, et de façon à peu près égale (63, 4) (1). Cela fait, le
juré est, pour sa vie entière, attaché à la même section (2) ;
on le pourvoit d'une tablette ; il prête serment avec ses aînés;
et, dès lors, il est libre d'entrer en fonctions à la première
occasion.
2. Fixation et annonce des jours d'audiences. — Les tribunaux
ne siègent pas tous les jours : il faut exclure les jours néfastes,
les jours de fêtes, et aussi, du moins à l'époque où nous
sommes, les jours où se réunit l'Assemblée du peuple (Dém.,
(1) Il nous est parvenu trois exemplaires de jetons en bronze, portant, d "un
côté, quatre chouettes en croix avec le mot eESMO0ET£2N sur le pourtour, et,
de l'autre, une lettre qui est A, E, et M ou £. Il est clair que le dernier n'a rien
à voir ici ; et Svoronos {Journ. intern. d'archéol. îiumism., I, 1898), reprenant
une idée de Benndorf, les rattache tous aux assemblées du peuple tenues au
théâtre. Mais ne peut-on pas admettre aussi bien, suivant l'ancienne hypothèse,
que les deux premiers, ou d'autres analogues, ont servi pour répartir les jurés
dans leurs sections ?
(2) Il est possible que, vers le début du iV siècle, à un moment où la popu-
lation vient d'être décimée par la guerre du Péloponnèse, et où l'on observe
encore l'usage de constituer une section avec les membres dune même tribu,
on ait toléré, pour suppléer à la faiblesse de certaines sections, l'inscription
simultanée dans deux d'entre elles (cf., en 388, Aristoph., Plut., 1166, et la
tablette IG, II 2, 877, où les lettres A et H paraissent bien gravées de la même
main). Au temps d'Aristote, un citoyen n'a plus le droit d'appartenir qu'à une
-section unique.
44 Ct. colin
c. Timocrate, 80). iVristophane semble admettre la possibilité
de trois cents audiences dans l'année {Guêpes, 662) ; ce chiffre
est sûrement un maximum. Quoi qu'il en soit, puisqu'elles
n'ont pas lieu à dates fixes, il est indispensable de les annoncer
chaque fois à l'avance : c'est le rôle des thesmothètes. Aristote
l'indique bien en parlant de leurs fonctions (59, i), mais sans
ajouter aucun détail sur la manière dont ils procèdent.
Il fut un temps oii certains tribunaux étaient affectés régu-
lièrement à tel genre de causes ou à tels magistrats, et encore
où la même section d'héliastes, pendant toute une année,
allait siéger au même endroit (Aristoph., Guêpes, 1108; Har-
pocration, s. v. llapàêucrTov). Au iv® siècle, il n'en est plus de
même : c'est le sort qui désigne les jurés de service, les locaux
oii ils se rendront, et les présidents qu'ils auront. Dès lors,
quand un magistrat a terminé l'instruction d'une affaire,
entendu les parties, recueilli les témoignages, et scellé l'urne oii
sont enfermées toutes les pièces du procès, il avise les thesmo-
thètes que la cause est en état. A eux maintenant de consti-
tuer le jury devant lequel elle sera plaidée.
Pour cela, la loi spécifie que, s'il s'agit d'une action publique,
le jury sera de 500, 1,000 ou 1,500 membres (68, i), (1) et on ne
lui soumettra qu'une seule affaire dans la journée (67, i). En cas
d'action privée, le jury comprendra 200 ou 400 membres,
suivant que les intérêts engagés n'atteignent pas ou dépassent
1,000 drachmes (53, 3) (2), et on sait à peu près le temps que
(1) Ce ne sont là, bien entendu, que des chiffres ronds. En réalité, il faudrait
leur ajouter une unité; car les Athéniens avaient coutume de réunir un nombre
impair de jurés, atin d'éviter, autant que possible, un partage égal des voix
(cf. entre autres textes, Dèm., c. Tiynocrate, 9, et la scolie ; Aristote, au
ch. 53, 3, parle bien de 201 et 401 membres). L'abstention d'un juré suffisait
d'ailleurs à rendre vaine cette précaution ; le cas était prévu par la loi (69, 1) ; et
on en connaît des exemples, comme celui que cite Eschine (c. Ctésiph., 2.52).
Dans une inscription (/G,, II 2, 778 fî), les voix se sont partagées en 100 contre
l'accusé et 399 pour lui : il est plus vraisemblable de supposer deux abstentions
qu'un jury de 499 membres.
(2) On trouvera, dans le Dict. des Antiquités, au mot Dikastai, §6, une série
d'exemples relatant, d'après les témoignages anciens, le chiffre des jurys qui
auraient tranché un assez grand nombre de procès. Ils concordent le plus
LES SEPT DERNIERS CHAPITRES DE L AeUNAUiN IIOAITEIA 45
prendra chaque cause, puisque les pajties disposent d'un
nombre de minutes en rapport avec son importance (cf. ci-
dessous, § 8, /)) ; il n'y a d'incertitude que sur le nombre des
documents dont il sera donné lecture en dehors des plaidoiries
proprement dites. La loi, qui cherche évidemment à utiliser le
mieux possible le temps des jurés, a dû établir des règles à cet
égard et stipuler, par exemple, que les jurys de 200 membres
expédieront quatre affaires, ou ceux de 400 membres deux
affaires par audience (t). Yoilà déjà, pour les thesmothètes,
une première indication ; mais ce n'est pas tout. Il leur faut
attendre qu'un même magistrat leur ait envoyé un nombre de
causes suffisant pour remplir une audience; car, sans cette
précaution, le président étant désigné pour la journée entière,
il aurait à diriger certains débats sans les connaître. D'autre
part, nous verrons plus loin (§ 5, D) que le tirage au sort des
présidents paraît entraîner l'obligation de ne faire {siéger à la
fois que des jurys de même nature. Enfin il y a peut-être
aussi des délais à observer entre l'inscription d'une affaire au
rôle et la clôture de l'instruction.
Bref, les thesmothètes rédigent, un certain temps à l'avance,
et font afficher un tableau de service (Trp6vpa[Ap.a) portant que,
tel jour, seront jugées les affaires un tel contre un tel, tel
sujet, etc., et qu'il sera constitué tant de jurys de tant de
membres. De la sorte, tous les intéressés se trouvent avertis :
les parties savent qu'elles doivent se présenter et être prêles à
prendre la parole; les magistrats qui ont fait l'instruction sont
tenus également de venir pour présider l'audience ; et, quant
aux citoyens de bonne Volonté, disposés à faire fonction de
jurés, ils voient s'ils ont besoin de se présenter en foule, et
s'ils ont plus ou moins de chances d'être nommés.
souvent, mais non toujours, avec les données de l' 'AB. iroX. Il ne paraît pas
douteux qu'Aristote reproduit exactement les prescriptions de la loi ; les textes
qui le contredisent, à moins de se justifier par des conditions spéciales, doivent
être tenus pour fort suspects.
(1) On ne peut hésiter que sur le nombre des affaires à trancher dans la
même journée; cf. 67, i et la note.
46 G. COLIN
3. Dispositif adopté pour les tirages au sort nécessaires avant
r ouverture des audiences. — Les tribunaux d'Athènes n'étaient
pas tous concentrés dans une sorte de palais de justice unique :
on en cite tûoo; to^; 'ztiyior.z, ou S',à tcov epjjioyXucpwv; on siégeait
parfois à TOdéon ou au Pécile (cf. Aristoph., Guêpes^ 1109;
Plut., Sur le démon de Socrate^ 10 ; 7^, II 2, 778 B). Cepen-
dant la plupart se trouvaient autour de l'Agora (cf. Lysias,
Sur les biens d'Aristophane, 55) : c'est là qu'ont lieu, le matin
des jours d'audiences, les tirages au sort préliminaires (scol.
d'Aristoph., Plut., 277).
Les bâtiments sont assez vastes pour qu'on puisse mettre à
la disposition de chaque tribu un local composé de deux cham-
bres, avec entrée spéciale (1). Les membres de la même tribu
se trouvant ainsi entre eux, il y a des chances pour qu'ils se
connaissent, et les tentatives de fraude en deviennent tout de
suite plus difficiles ; quant aux deux chambres, elles doivent
avoir pour but d'éviter l'encombrement et d'accélérer le tra-
vail. Un chiffre ou un écriteau indique sans doute, au-dessus de
chaque entrée, à quelle tribu elle est destinée; et, comme cer-
taines opérations semblent réservées au bureau de la première
tribu, il est probable qu'on observe un roulement : on peut,
par exemple, attribuer le premier bureau à la tribu ayant la
prytanie, les autres se succédant ensuite dans l'ordre officiel.
Dans chaque bureau, en face de la porte, on installe dix
boîtes, marquées de A à K ; les citoyens qui désirent siéger y
déposeront leurs tablettes en entrant, chacun dans la boite qui
(1) On veut parfois conclure d'un passage d'Isocrate {Aréopag., 54) que le
tirage au sort a lieu en avant des tribunaux, sur une sorte d'esplanade divisée
en compartiments {cf., p. ex., Lipsius, Das attische Rechl, T, p. 146). Mais, outre
qu'une telle façon de procéder serait assez peu commode, en particulier les
jours de pluie, elle me paraît difficilement s'accorder avec le texte de 1' 'A6. ttoa.
Quand Aristote parle (63, 2) d'etcjoSoi eU "cà SixaaxT^oia, je ne vois à cette expres-
sion qu'une seule signification naturelle : des portes donnant accès dans les
bâtiments des tribunaux. Par contre, il n'y a pas, je crois, d'inconvénients à
traduire, chez Isocrate, Trpo xwv 5tviacrTT,p{a)v ■/.'kt\pov[i.évo'Ji par : des citoyens qui
viennent courir les chances du tirage au sort avant l'ouverture des audiences.
LES SEPT DERNIERS CHAPITRES DE L"AeHNAIQN nOAITElA 47
répond à sa lettre de section. A l'intérieur, on prépare en outre
d'autres boites, analogues aux premières, et distinguées aussi
par un caractère de l'alphabet, mais, cette fois, à partir de A. Il
y en a autant qu'on doit former de tribunaux : on y mettra
plus tard les tablettes des jurés, quand ils auront reçu leur
destination.
D'après l'importance des jurys à constituer, les thesmothètes
savent d'avance dans quels locaux ils devront les envoyer. Or,
sur la façade de chacun d'eux, le linteau de la porte est peint
d'une couleur différente : Pausanias (I, 28, 8) nous parle ainsi
du Tribunal rouge et du Tribunal vert, to ^oî.v',x!.ouv et to BaToa-
^t.ouv. Gela étant, on dispose, près de la porte de chaque
bureau, des jeux de bâtons peints aux couleurs des tribunaux.
Leur nombre total répond à celui des jurés que la tribu doit
fournir, soit i/10 du chiffre total ; et, comme couleurs, on choi-
sit celles des tribunaux qui vont être occupés. Il y en a juste
autant de chaque espèce, si on admet l'hypothèse que, dans la
même journée, on ne fait siéger que des jurys de même impor-
tance.
Suivant le même principe, on prépare aussi des séries de
glands, portant des lettres à partir de A (1). Comme pour les
bâtons, il en faut autant que de jurés. Bien entendu, on les
choisit marqués aux lettres des tribunaux appelés à fonctionner
ce jour-là ; et, toujours dans notre hypothèse, on en prend un
nombre égal de chaque sorte.
Les opérations du tirage au sort exigeront encore deux
hydries par bureau : dans l'une, on mettra des cubes, blancs
ou noirs, destinés à garder ou à récuser les citoyens qui se
présenteront ; dans l'autre, les glands qui leur assigneront leur
tribunal. Aristote mentionne plus loin (66, i) deux xXyipwTTipta
servant, dans le bureau de la première tribu, au tirage au sort
des présidents. Gomme cette opération ne se fait qu'après le
(1) Aristote ne nous dit pas s'ils sont en bois ou en métal. Il ne nous en est
parvenu aucun ; mais ce n'est là qu'un indice bien faible en faveur de la pre-
mière hypothèse.
48 G. COLIN
tirage des jurés, j'imagine, malgré la différence des noms,
qu il s'agit toujours des deux mêmes urnes, utilisées de nou-
veau avec d'autres sortes de cubes. Et je suppose également
(mais, cette fois, Aristote ne nous fournit pas la moindre indi-
cation) que, toujours dans le bureau de la première tribu, une
au moins de ces deux mêmes hydries sert, avant toute autre
chose, au tirage des lettres affectées aux tribunaux.
Nous venons de parler des cubes. Nous pouvons nous les
représenter comme de gros dés, en bronze. Il en faut de peints
en blanc, en noir, et aux couleurs des tribunaux; en outre,
d'autres encore sur lesquels on inscrira d'une fois à l'autre
les noms des présidents. Les deux dernières catégories peuvent
être préparées à l'avance, puisque les thesmothètes savent
quels tribunaux ils vont utiliser, et quels magistrats ont ins-
truit les causes qui seront appelées. Rien n'empêche non plus
d'estimer le nombre des cubes blancs; nous verrons tout à
l'heure par quel calcul. Mais, pour les cubes noirs, il est
nécessaire d'attendre que tous les citoyens de bonne volonté
soient entrés.
Enfin, dans chacune des vingt chambres, se trouvent cinq
xavovtôsc, marquées de A à E ou de .1 à K. Aristote néglige de
les décrire. Ce sont apparemment des sortes de tableaux à rai-
nures, analogues, en beaucoup plus petit, à ceux oii l'on glisse,
dans nos gares, les écriteaux indiquant la direction ou l'heure
des trains. Ici, on y introduira, par rangées de cinq, les
tablettes d'identité des candidats aux fonctions de jurés, à
mesure qu'elles seront tirées des boîtes de chaque section.
Comme il y a dix xavovlSeç par tribu, douze rangées, fournis-
sant soixante places, suffiraient à recevoir le chiffre maximum
de tablettes auquel on puisse songer, à supposer qu'un jour,
pour un procès d'un intérêt exceptionnel, tous les Athéniens
capables d'être jurés se présentent à la fois. Mais, en général,
plusieurs de ces rangées restent vides.
4. Fonctionnaires préposés aux tirages aux sorts, — Le tirage
LES SEPT DERNIERS CHAPITRES DE L"AeHNA[i2N nOAITEIA 49
au sort des jurés a lieu tribu par tribu. Or, tous les ans, les
dix tribus ont un représentant dans le collège des archontes, à
savoir l'archonte, le roi, le polémarque, un des six thesmo-
thètes, ou le secrétaire de ces derniers, suivant un tour de rôle.
Ce sont ces magistrats qui viennent diriger les opérations, le
matin des jours d'audience, chacun dans sa tribu.
Ils ont avec eux, dans chaque bureau, un appariteur (uTrrjpé-
Tf[^) et un huissier (xfipu^) : pour le premier, Aristote nous dit
expressément que c'est un esclave public (65, 4) ; il en est appa-
remment de même pour le second. En outre, le moment venu,
ils désigneront par tribu dix jurés, qui seront chargés des fonc-
tions d'afficheurs (£ji.TrTixTa^) (1).
Sans entrer, pour l'instant, dans plus de détails, nous allons
essayer de nous rendre compte, point par point, du rôle exact
des uns et des autres.
5. Opérations du tirage au sort dans les bureaux des tribus,
— A. Attribution d'une lettre à chaque tribunal, — Les jours
d'audience, on se réunit de très bonne heure sur l'Agora : il
est maintes fois question, dans Aristophane, de jurés partant de
chez eux en pleine nuit. Ils se rendent devant l'entrée réservée
à leur tribu; et, dès que les portes sont ouvertes, en pénétrant
dans leurs bureaux respectifs, ils commencent par déposer
leurs tablettes dans les boites portant leur lettre de section.
La première opération consiste à attribuer une lettre à chaque
tribunal. A la rigueur, elle pourrait se faire avant l'entrée des
jurés ; mais il est probable qu'on tient à la rendre publique :
on attend donc au moins la présence d'un certain nombre de
citoyens. Aristote est très sobre de détails à son sujet (63, 5).
Comme il ne parle que d'un seul thesmothète (2), et sans
spécifier qu'il soit tiré au sort, j'imagine que cette désignation
(1) On peut supposer qu'ils ont aussi à leur disposition quelques archers de
la police, pour maintenir Tordre.
(2) Je rappelle qu'Aristote, dans son exposé, emploie souvent le mot e£<T[xoeÉxTi<:
pour désigner un quelconque des magistrats présidant les bureaux des tribus
(cf. p. 23).
REG, XXX, 1917, n* 136. 4
50 <i. COLIN
préliminaire des lettres, par analogie avec celle des présidents
en dernier lieu, se passe èv tw upwTw twv §!.xao":rip'l(i)v, c'est-à-dire
dans le bureau de la première tribu (cf. 66, i). A ce moment,
il est vrai, on recourra à deux thesmothèles et à deux urnes.
Ici, on s'en remet au magistrat du premier bureau, quel qu'il
soit. Il peut, d'ailleurs, se tirer d'affaire avec une urne : il lui
suffit d'y mettre des cubes aux couleurs des tribunaux, et de
convenir que le premier cube indiquera le tribunal auquel
sera affectée la lettre A ; le tribunal de même couleur que le
second cube aura la lettre M; etc.
Dès que l'opération est terminée, — et elle est fort courte, —
l'appariteur du premier bureau, aidé peut-être par quelques col-
lègues, va afficher, à la porte de chacun des tribunaux destinés
à servir ce jour-là, la lettre qui vient de lui être assignée.
D'après le scol. d'Aristoph. {Phit., 277), il parait s'agir d'une
planchette portant, peinte en rouge, la lettre voulue.
B. Désignation des jurés de service. — Aristote ne dit rien du
laps de temps accordé aux citoyens pour se présenter dans le
bureau de leur tribu. Il doit cependant être limité ; car on ne
peut attendre indéfiniment les retardataires ; et, dès l'instant oii
le président a commencé à tirer les tablettes, il serait con-
traire à l'équité d'en laisser encore ajouter de nouvelles. Il est
donc probable qu'on hisse sur l'Agora, au bout d'un mât, un
fanion quelconque, un tyijjiewv, semblable à celui dont parle
Aristophane pour les salles d'audience, en un temps oii les
jurés savent d'avance où ils ont à se rendre [Guêpes, 690). A
un moment donné, on abaisse le fanion : c'est le signe qu'il ne
servirait plus à rien d'accourir. Le président et son appariteur
se mettent à l'œuvre.
L'appariteur recueille les boîtes qui étaient près de l'entrée;
il les apporte au magistrat, et les secoue avec soin pour bien
mêler les tablettes. De chaque boîte le président tire une
tablette : les noms ainsi amenés désignent, dans chaque section,
un juré qui fera fonction d'afficheur, et qui vient se placer au
pied de la xavovlç répondant à sa section. Alors le président
I
LES SEPT DERNIERS CHAPITRES DE L AeUNAl<)N IIOAITEIA 51
continue à extraire toutes les tablettes, depuis la boîte A jus-
qu'à la boîte K. A mesure qu'il les tire, il les passe aux afficheurs
successifs; et ceux-ci, en suivant l'ordre ainsi déterminé par le
hasard, les glissent dans les xavovLosç par rangées horizontales
de cinq. Tous les noms se trouvent ainsi en évidence, et il est
impossible désormais d'en modifier l'ordre arbitrairement (1).
Cela fait, dans une des hydries on met des cubes blancs et
des cubes noirs. Le texte d'Aristote est peu clair à cet endroit ;
à la dissertation de Teusch revient l'honneur d'en avoir donné
l'explication, je crois, définitive. Pour gagner du temps, les
Athéniens ont décidé de trancher d'un seul coup le sort de
cinq tablettes. Il faut donc préparer non pas autant de cubes
blancs que la tribu doit fournir de jurés, et autant de cubes
noirs qu'il est nécessaire d'en récuser, mais seulement le cin-
quième de ces chifïres. Supposons qu'on ait besoin, pour la
journée, de 1,200 jurés; chaque tribu en a 120 à fournir; on
songe donc à 24 cubes blancs. En réalité, il en faut deux de
moins, parce que les dix afficheurs sont, de droit, membre des
jurys, soit 22 cubes dans le cas présent. Pour les cubes noirs,
ils répondent à la différence entre le nombre des tablettes
déposées et celui des jurés à fournir. S'il est venu 200 membres
de la tribu, il faudra - — ~ "^ = 16 cubes noirs-. Comme ce
o
calcul est établi pour l'ensemble de la tribu, les sections se
compensent l'une l'autre (2).
L'hydrie étant garnie des cubes voulus, le président se trans-
porte tour à tour dans chacune des deux salles ; l'appariteur le
suit avec l'hydrie. A mesure qu'il tire un cube, il règle le
sort des cinq jurés d'une rangée. On prend, bien entendu, ces
(1) On fixe les noms sur les tableaux à rainures pour éviter les déplacements de
faveur, comme ceux qu'Aristophane signale sur les rôles du recrutement au mo-
ment des levées partielles. A la fin des Cavaliers, c'est une des réformes dont
Démos reconnaît la nécessité (v. 1369 : oùSeli; xatà airouSàç [xsxe-fypacpTiacTa'.).
(2) Aristote ne prévoit pas du tout le cas où, dans ane tribu, il se présenterait
un nombre de citoyens inférieur à celui dont on a besoin. La passion des Athé-
niens pour les procès faisait peut-être paraître chimérique une pareille hypo-
thèse. Mais, si c'est un oubli, rien ne nous indique d'après quelles règles on
recourait alors aux autres tribus.
52 Ct. colin
rangées dans l'ordre où elles ont été constituées. Admettons
qu'il sorte d'abord un cube noir, l'afficbeur n'a qu'à retirer les
cinq tablettes de la première rangée et à les mettre provisoi-
rement de côté. S'il vient ensuite un cube blanc, les cinq juros
de la seconde rangée sont assurés de siéger ; et ainsi de suite.
Ici on pourrait se demander si les jurés désignés par les
cubes blancs viennent chercher tout de suite le gland qui leur
indiquera leur tribunal. J'ai déjà expliqué pourquoi la chose,
en pratique, me paraît assez difficile (1). Je suppose donc qu'on
en finit d'abord avec le tirage des cubes, l'afficheur se bornant
à enlever les tablettes des jurés récusés. Il ne reste plus main-
tenant, sur les xavov'lSs;, que les noms des jurés de service.
C. Répartition des jurés entre les tribunaux. — Le président
et son appariteur refont encore le tour des xavovlSsç; mais, cette
fois, l'appariteur tient l'hydrie o\\ sont les glands, et un autre
employé, sans doute l'huissier, porte une série de boîtes
marquées aussi des lettres à partir de A. L'huissier appelle,
les uns après les autres, les noms qu'il lit sur les xavovlSeç.
Chaque juré, ainsi proclamé, vient tirer un gland dans l'hydrie,
et il le montre, la lettre en l'air, au président. En même temps,
celui-ci reçoit des mains de l'afficheur la tablette correspon-
dante extraite de la xavoviç ; sur le vu du gland, il la jette dans
la boîte de même lettre. Le juré sait désormais à quel tribunal
il est affecté (2) ; mais il doit encore attendre une dernière
formalité avant de s'y rendre. Quand le tirage des glands est
terminé, l'appariteur se place près de la porte; chaque juré,
en sortant, lui présente son gland, comme il a fait pour
(1) Cf. dans la traduction, la note au ch. 64, § 4.
(2) Pour ces deux tirages au sort, Aristote emploie toujours le même terme,
Xaj^etv. Je me demande si, en réalité, ils ne se distinguaient pas par deux expres-
sions différentes, \<xytX^ et àirox>v'r\p(ii)6f,vai; car c'est ainsi que j'interpréterais
volontiers un passage de Démosthène souvent cité, mais compris de façons diffé-
rentes (c. Aristogiton, I, 27). « Tous les Athéniens, dit-il, viennent de se présenter
au tirage au sort, et tous, je le sais bien, désiraient être désignés pour ce tri-
bunal. Vous seuls cependant êtes nos juges; pourquoi? Parce qu'un premier
tirage a fait de vous les jurés du jour; puis un second, plus restreint, vous a
envoyés ici » (8tt ikiyfve^ sit' àiîexXripwÔTiTs).
LES SEPT DERNIERS CHAPITRES DE L"A0HxNAfi2N nOAITEIA 53
l'archonte; il reçoit alors un bàlon dont la couleur répond au
môme tribunal que la lettre inscrite sur le gland.
On voit de quelles précautions la loi athénienne entoure la
nomination des jurés. Vers la fin du iv* siècle, ils ne savent
pas, le matin môme de Taudience, à quel tribunal ils siégeront;
c'est le sort qui en décide seul ; les magistrats eux-mômes
n'y peuvent rien. Le jeton, et surtout le bâton, empochent
toute tentative de fraude à l'entrée des locaux désignés. Et on
a môme prévu le cas où deux jurés s'accorderaient pour
échanger leur jeton et leur bâton ; car les tablettes réparties,
tribu par tribu, dans les boîtes marquées aux lettres des tribu-
naux fournissent la liste exacte des jurés de chacun d'eux.
Les opérations sont terminées dans les bureaux des tribus,
en ce qui concerne les jurés. On peut donc remettre leurs
tablettes à ceux qui ont été éliminés : c'est ce que font les
afficheurs, dès que les xavovlSsç sont vides.
Z>. Tirage au sort des présidents. — Heste à répartir les prési-
dents ; ici encore nous nous heurtons à des incertitudes.
D'abord, oii a lieu cette répartition? Aristote dit : sv tw TrpwTto
Twv B'.xao-TYip'lwv ; l'expression est amphibologique. Elle pourrait
signifier dans le tribunal A; mais, comme il n'est pas forcé-
ment sur l'Agora, il paraît peu pratique d'obliger tous les
présidents à se transporter dans un quartier peut-ôtre éloigné,
alors que la plupart d'entre eux auront sans doute ensuite à
revenir sur l'Agora. D'ailleurs, sans se déranger, on a sur
place tout le matériel voulu, du moins les deux urnes et les
cubes aux couleurs des tribunaux. Enfin, comme l'opération
doit être publique, et qu'elle n'intéresse pas seulement les
membres du tribunal A, je suppose que, par to TtpwTov twv
StxaffTTipflwv, il faut entendre le bureau de la première tribu, oii
un certain nombre de jurés peuvent aisément passer avant de
se rendre à leur poste.
Le tirage en question n'est cependant pas fait par le prési-
dent de ce bureau. Nous avons admis qu'on lui abandonnait
celui des lettres à attribuer aux divers tribunaux; car ce détail,
54 G. COLIN
en somme, était sans grande importance. Mais, à présent, on
a recours à deux des six thesmothètcs proprement dits (1) ; et
encore a-t-on soin de tirer au sort, chaque fois, ceux d'entre
eux qui doivent opérer. Dans une urne, ils mettent des cubes
peints aux couleurs des locaux désignés pour la journée ; dans
l'autre, des cubes où sont inscrits les noms des magistrats qui
ont instruit les affaires à juger. Simultanément, ils tirent
chacun un cube; le magistrat dont le nom sort d'un côté
est affecté au tribunal dont la couleur est amenée de l'autre.
Les choses semblent très simples ainsi. Pourtant, si on y
réfléchit, elles entraînent, comme conséquences, des règles dont
Aristote ne dit rien. En effet, nous regardons comme une chose
nécessaire que les débats soient dirigés par le magistrat à qui
la loi a confié l'instruction, et non par un magistrat quelconque
qui ignorerait tout de la cause. Le tirage au sort des présidents
est donc limité strictement aux fonctionnaires qui ont suivi
les affaires figurant sur le TcpoyoatjLjjia du jour : ils ne savent pas
d'avance quel jury on leur donnera ; mais ils sont sûrs de
siéger, et il est entendu que leurs dossiers les suivront là où
on les enverra. Dès lors, nous sommes pris dans un dilemme :
comme les jurys, suivant leur composition, ne peuvent con-
naître que de causes déterminées, ou bien on procède à une
série de tirages destinés à nommer successivement les prési-
dents des jurys de 200, 400, 500 membres, etc. ; ou bien il n'y
a qu'un seul tirage ; mais alors, dans la môme journée, les
différents jurys ont la même importance. En l'absence de toute
indication sur ce point dans F'ASyivaiwv ttoaitsU, la seconde
hypothèse paraîtra sans doute la plus naturelle.
6. Dispositif et matériel des salles d'audience. — La réparti-
tion des jurés et des présidents étant terminée, nous nous trans-
portons maintenant dans les salles d'audience. Aristote ne
(1) Aristote est extrêmement net sur ce point : qu il s'agisse d'actions privées
ou publiques, la répartition des jurés entre les présidents est une attribution
des thesmothètes; cf. 59, 1 et 5).
LES SEPT DERNIERS CHAPITRES DE L"AftHNAK>N nOAITEIÂ 55
s'arrête pas à les décrire, comme il a fait précédemment pour
les bureaux de vote. C'est encore une lacune à combler.
Je passe très vite sur la disposition môme des locaux. On sait
assez qu'ils comprennent une enceinte réservée, entourée de
barrières (SpucpaxTO'.), oii l'on pénètre par une porte grillagée
(xLyxX'lç). C'est là la place des jurés; ils viennent s'asseoir sur
plusieurs rangées de bancs de bois (d'oii l'expression d'Aris-
tophane, Guêpes^ 89, s~l toù TrpwTou \uKou) recouverts de nattes
((|;t.àQt.a). Deux estrades ([37]|jLaTa) reçoivent les parties, avec les
personnes qui les assistent. Une troisième supporte apparem-
ment le fauteuil du président : c'est là que sont prononcées les
plaidoiries, que comparaissent les témoins, et qu'en dernier lieu
sont déposés et comptés les bulletins de vote. Enfin une statue
du héros Lycos, représenté sous la forme d'un loup, complète
généralement le décor du tribunal.
Les jours d'audience, on a besoin, en outre, d'un matériel
assez compliqué, dont une portion doit être apportée du dehors,
tandis qu'une aulre peut être conservée sur place. Dans le pre-
mier groupe nous retrouvons d'abord les boites, numérotées
à partir de A, où l'on a classé, tribu par tribu, les tablettes des
jurés désignés pour les divers tribunaux. Chacun en reçoit donc
dix, marquées à sa lettre ; et il lui en faut de plus une onzième,
vide, pour de nouvelles opérations de tirage au sort.
Ensuite, deux catégories de jetons ((7y[jLêoXa) serviront à cons-
tater, d'une part, que les jurés sont arrivés à temps pour assis-
ter à tous les débats, et, d'autre part, qu'ils ont, à la fin,
exprimé leur sentence. Sur l'aspect des premiers Aristote ne
nous fournit aucun renseignement : tout au plus, de l'expres-
sion 7rapaAap.êàv£'. cru jjiêoXov Sri[ji.oa-'la (65, 2) peut-on conclure
qu'ils portent quelque empreinte ofticielle. Pour les seconds,
il spécifie (68, 2) qu'ils sont en bronze, et timbrés d'un r rap-
pelant le triobole, contre lequel ils seront finalement échangés;
aucun spécimen ne nous en est parvenu. Quant aux premiers, il
est bien séduisant de les identifier avec de petits disques de
plomb dont on connaît quelques échantillons, et qui offrent.
56 G. COLIN
sur une face, une chouette entourée de deux branches d'olivier
(c'est-à-dire le revers habituel du triobole d'Athènes), et, de
l'autre, une lettre de l'alphabet. Comme ces lettres, dans les
exemplaires conservés, sont toujours antérieures au A, il est
impossible d'y voir les lettres des tribunaux; par contre, il
n'est guère satisfaisant d'invoquer à leur sujet les sections
héliastiques, puisque les jurés dans les salles d'audience, ne
sont plus classés par sections. On a donc proposé de les rap-
porter, eux aussi, aux divisions du théâtre, quand l'xAssemblée
du peuple y tient ses séances (Cf. Svoronos, art. cité). La pré-
sence d'une urne sur un de ces jetons reste cependant un argu-
ment sérieux en faveur de l'ancienne hypothèse. L'emploi du
plomb s'expliquerait bien par le désir d'éviter toute confusion
avec les jetons de bronze marqués du T. Et, comme la même
difficulté résultant des lettres antérieures au A se reproduit
également à propos des bulletins de vote, je me demande si,
dans les deux cas, elle ne s'expliquerait pas par une précaution
supplémentaire contre les tentatives de fraude. Jetons et bul-
letins ont toujours la même forme ; seulement il en existerait
plusieurs séries distinguées par des lettres; on changerait les
séries d'un jour à l'autre, comme, dans nos théâtres, on varie
les contremarques de sortie : ce serait une façon de contrôler,
en cas de besoin, l'honnêteté des [urés.
S'il en est ainsi, nous admettrons encore que les bulletins de
vote sont apportés du dehors pour chaque audience, sans doute
par les appariteurs des thesmothètes. Ce sont des disques de
bronze percés d'une petite tige, tantôt pleine, tantôt creuse.
Sur une face sont inscrits les mots «J^rlcpoç SyijjLocrla; sur l'autre,
on a gravé une lettre (1). Il faut autant de bulletins de chacune
des deux sortes que le jury compte de membres.
Le reste du matériel peut, au contraire, séjourner à demeure
(1) Sur treize exemplaires cités par Lechat {BCH., XI, 1887, p. 210), onze por-
tent des lettres antérieures au A; les deux autres ont un M. Si on admet que ces
lettres servaient simplement à distinguer des séries, la présence des M ne soulève
aucune difficulté.
LES SEPT DERNIERS CHAPITRES DE l"A0BNAIQN nOAITEIA 57
dans les tribunaux. Pour que les parties soient à môme de
constater que tous les jurés reçoivent bien un bulletin de cha-
que espèce, on les dépose, dit Arislole (68, J sur un XuyvsTov,
qu'il ne décrit d'ailleurs aucunement. C'est sans doute un sup-
port plus ou moins analogue à ceux qu'on utilise d'ordinaire
pour les lampes. Peut-être y en a-t-il à plusieurs branches, de
façon à servir pour plusieurs jurés à la fois. Nous en sommes
la-dessus entièrement réduits aux hypothèses.
Les opérations de vote exigeront encore deux amphores, l'une
en bois, l'autre en bronze; dans la première les jurés se débar-
rassent du bulletin qu'ils annulent; dans la seconde ils dé-
posent celui qu'ils veulent faire compter. Afin d'éviter qu'on
n'en glisse indûment deux d'un coup dans l'urne de bronze,
celle-ci est munie d'un couvercle, probablement métallique,
où une fente étroite laisse juste la place nécessaire au passage
d'un seul bulletin.
Pour le dépouillement du vote, on se sert de planchettes spé-
ciales (aêaxs;) percées d'autant de trous qu'il y a de jurés. Sur
chaque trou un met un bulletin, en groupant en haut les bul-
letins pleins, en bas les bulletins creux, ou réciproquement.
Les tiges se dressent forcément en l'air; les intéressés peuvent
d'un coup d'oeil contrôler l'exactitude de la répartition; et il
suffit de compter les rangées de chaque sorte pour connaître
très vite le chiffre des votes émis dans un sens ou dans l'autre.
Les vides, s'il y en a, dénoncent sur le champ les abstentions.
Le dernier objet dont il nous reste à parler est peut-être celui
auquel les auteurs font le plus souvent allusion (1) ; et cepen-
(1) Dans les plaidoyers, il suffit de rappeler des locutions comme av èyX^P^ '^^
OSwp (Dém., c. Leocharès, 45), ou^, ixavdv [xot. tô 'jSwp laxî (id., c. Stéphanos, 1, 47),
Trpôç ôXtyov uSwp dvayxaî^ôixsvoi; Xsvsiv (id., c. Spoiidias, 30), oùx êvSéystai Ttpôç xè
aû6' OStop el-jreîv (id., c. Aphobos, I, 12), àvayxa^O!J.ai 5tà t6 ôXîyov £Ïva{ [xot xo 'jSwp
TrapaXntsTv (id., c. Boiotos, II, 38), etc. Ces expressions sont si bien entrées dans
le langage courant qu'on les retrouve mêuie dans des discours fictifs, comme
YAntidosis d'Isocrate (320). Parler en se réglant sur la clepsydre est le trait
caractéristique des tribunaux, par opposition à TAssemblée du peuple (Alci-
damas, Sur les sophistes, 4) ou aux écoles des philosophes (Platon, Théétète^
172 D, 201 B).
58 G- COLIN
dant nous le connaissons fort mal : c'est la clepsydre (1). Aristote,
dont tous les lecteurs savaient évidemment à quoi s'en tenir, se
borne à dire que la clepsydre est munie d'un petit tuyau d'écou-
lement, et qu'on y verse de l'eau en quantité voulue pour
régler la durée des plaidoiries. Mais d'oii lui venait son nom,
et couiment était-elle faite? nous sommes bien embarrassés
pour arriver sur ce sujet à quelque précision.
La mention la plus ancienne que nous ayons d'une clepsydre
se trouve dans des vers d'Empédocle cités par Aristote [de la
Respiration, ch. vu). Il s'agit alors d'une sorte de jouet scien-
tifique dont s'amusent les petites filles : il consiste en un vase
de bronze fermé de toutes parts (sauf dans le fond, qui est percé
d'un certain nombre de trous), et surmonté d'une poignée
creuse, au sommet de laquelle a été aussi ménagée une petite
ouverture. Si on plonge ce vase dans l'eau en dégageant l'ou-
verture de la poignée, l'air s'échappe par le haut, et le vase se
remplit; qu'on mette le doigt sur l'ouverture, on peut retirer
le vase sans qu'il se vide. La manœuvre inverse permettrait de
le vider ou empêcherait de le remplir. Le hasard nous a conservé
plusieurs vases de terre rappelant, avec des perfectionnements
plus ou moins ingénieux, celui dont parle Empédocle; et, dans
la même catégorie, on peut encore faire rentrer des sortes de
pipettes en métal, qui ont dû servir à puiser des liquides dans
de grands vases.
Là, le terme de clepsydre s'explique, si l'on veut, par ce
qu'avait sans doute d'un peu mystérieux, au v'' siècle, cette
application, pourtant fort simple, de la pression atmosphérique.
Il se comprend encore à propos des horloges à eau, parfois fort
savantes, comme celle qu'imaginera, au in'' siècle, Ctésibios
d'Alexandrie, ou de certaines fontaines auxquelles des dis-
positifs tantôt naturels, tantôt artificiels, donnent un écou-
(1) Sur la clepsydre, outre l'article déjà cité de Photiadis ('ÂÔTiva, 1904), on peut
consulter la monographie de Max C. P. Schmidt, die Entstehiing der anliken
Wasseruhr (vol. II d'une collection intitulée Kulturhistorische Beitrâge ztir
Kenntnis des gr. und rom. Altertums)^ Leipzig, 1912.
LES SEPT DERNIERS CHAPITRES DE l"A0HNAI1>N nOAlTEIA 59
lement intermittent, rappelant celui des siphons. Mais que
pouvait bien avoir de secret la clepsydre des tribunaux? Pour
justitier son nom, Photiadis suppose [art, cit(') qu'elle renfer-
mait précisément un siphon ; mais, outre qu'on n'en saisit pas
trop Futilité, et qu'on y voit plutôt au contraire des difficultés
de construction (cf. Schmidt, p. 42 et sqq.), aucun auteur ancien
n'y fait la moindre allusion. Peut-être oiïrait-elle simplement
une vague analogie avec le jouet d'Empédocte, comme, pour
le Xu'/yelo^ dont nous parlions un peu plus haut, on en avait
trouvé une avec les supports habituels des lampes.
Si nous recourons, en plus d'Aristote, aux brèves indica-
tions des scoliastes ou des lexicographes, la clepsydre des
tribunaux est un vase percé, à sa base, d'un tout petit trou,
jjLupoTàr/i '^'^'î (scol. d'Arisloph., A char n., 693). On ne se con-
tente pas d'ailleurs d'un trou ouvert, par exemple, au milieu
du fond : il y a un tuyau d'écoulement, aùX-lo-xoç ('AQ. uoX.,
67, 2) ; et ce tuyau peut être momentanément fermé au moyen
d'un fausset qu'on y enfonce, YjÀio-xoç £7rupou£!.v ttjV xA£^|;uôpav
(Pollux, X, 61), ou d'un robinet qu'on y tourne, xpouv'lcrxo;
(scol. de Lucien, Pêcheur, 10, 28). Ce vase était-il en terre ou
en métal? La première hypothèse est la plus vraisemblable.
Pour le tuyau, au contraire, il devait être plus aisé de le fabri-
quer en métal pour lui donner un faible diamètre; et surtout
il devait offrir ainsi bien plus de résistance pour les manipula-
tions fréquentes auxquelles il était destiné.
Un tel appareil est forcément assez imparfait. En effet, sa
vitesse d'écoulement ne restera la même que si on y verse
toujours une eau également pure (1); elle augmentera dans
une assez forte proportion avec la température (2) ; et, à moins
de choisir un vase d'une courbure spéciale, elle diminuera à
(1) Peut-être s'astreignait-on à prendre toujours cette eau à une même source
(cf. un passage, assez obscur, de Pollux, VIII, 113).
(2) Les anciens s'en étaient avisés dès le temps de Théophraste (cf. Athénée,
p. 42 B ; Plutarque, Quest. nat., 7); mais la clepsydre était alors en usage dans
les tribunaux depuis près d'un siècle.
60 ^'- COLIN
mesure qu'il restera moins de liquide (1). Je ne crois pas que
les Grecs se soient mis fort en peine de toutes ces considéra-
tions : il devait leur suffire de penser qu'à un jour donné les
conditions étaient les mêmes pour les deux adversaires.
Quoi qu'il en soit, la clepsydre figure déjà dans les tribunaux
d'Athènes avant 425 : Aristophane y fait allusion dans ses Acliar-
niens (693), comme à une chose d'usage courant. On continue
ensuite à l'employer pendant toute l'époque classique; mais,
au cours du iv^ siècle, il semble bien qu'on ait modifié, au
moins dans certains cas, les volumes d'eau limitant les plai-
doiries (2), et, d'une façon générale, qu'on ait augmenté dans
une mesure assez sensible le débit des clepsydres (3).
Chaque tribunal possède une série de ces appareils : Aris-
tote dit bien slo-l xÂs^ûopa». (67, 2) : il y en a sans doute une de
chaque dimension prévue par la loi. Il est probable qu'afin
d'éviter toute contestation, on se sert, dans un procès, de la
même clepsydre pour le demandeur et le défendeur. L'eau a dû
être apportée, avant l'ouverture des débats, dans quelque
grand récipient ; et peut-être, pour éviter les pertes de temps,
prend-on soin de remplir à l'avance des cruches de capacité
connue, les unes pour l'accusation, les autres pour la défense,
les autres pour les opérations du vote. C'est ce qui semble
(1) D'après Schmidt (p. 40), si oq suppose un vase cylindrique de 89ct.36 de
haut et 36ci 516 de diamètre, il pourra contenir 2 1/2 amphores (98 litres) d'eau
qui, avec un tuyau de lmni(î52 de diamètre, s'écouleront en 9 h. 4/5. Mais, de ce
volume, le premier tiers se videra en 1 h. 48, le deuxième en 2 h. 21, et le troi-
sième en 5 h. 39. Il est vrai, ajoute-t-il, qu'en employant un vase de coupe
elliptique, on remédie presque complètement à cette irrégularité; et les Grecs,
par une divination merveilleuse, réalisaient à peu près la courbe voulue dans
leurs amphores !
(2) Démosthène (c. Macartatos, 8) parle d'une amphore, c'est-à-dire 12 pots,
pour le discours proprement dit, avec 3 pots pour la réplique ; or ces chiffres,
qu'on les applique à un procès au-dessus de 5,000 drachmes ou surtout à une
SiaStxajta, ce qui est le cas (cf. § 7), ne répondent pas à ceux d'Aristote (61, 2).
(3) Sandys évalue cette différence à 1/8 (cf. p. xcii de son édition, addenda).
Les Athéniens n'ont rien changé à leurs mesures de capacité, comme le croyait
Keil; mais un pot d'eau aurait répondu, à l'époque de Lysias, au temps néces-
saire pour prononcer 80 lignes de texte, et seulement 70 à l'époque de Démos-
thène (cf. ci-dessous, § 8, D).
LES SEPT DERNIERS CHAPITRES DE l"A011NAU2N IlOAITEIA 61
résulter du passage, malheureusement très mutilé d'Aristote
(67,4-5); et j'attribuerais aussi la même destination au Trpoyot-
810V dont parle Pollux (X, 61).
7. Personnel nécessaire dans les salles d' audience. — Les
audiences, nous l'avons déjà vu, sont présidées par le magis-
trat qui a mené l'instruction des causes inscrites au rôle du
jour. 11 aura, en diverses circonstances, à donner des ordres;
il sera indispensable pour certains tirages au sort ; surtout il
devra surveiller toutes les opérations, assez nombreuses, qui
vont se succéder jusqu'au soir. Mais il n'aura personnellement
aucune part dans les débats, ni, en dernier lieu, dans le pro-
noncé de la sentence.
A côté de lui, nous retrouvons un ou plusieurs appari-
teurs (1). Vraisemblablement, ce sont les mêmes esclaves
publics qui figuraient tout à l'heure dans les bureaux des tri-
bus. Ils ont à porter à chaque tribunal les dix boîtes qui don-
nent la composition du jury (65, 4) : ils les remettront d'abord
au président; ils les confieront ensuite aux jurés chargés de
payer le triobole. Gela fait, leur rôle paraît se borner à vider,
après le vote, les bulletins sur la table où ils doivent être
comptés (69, i). J'imagine donc qu'un seul suffît à cette
besogne. Il en fallait dix dans les bureaux des tribus ; on en
garde un par tribunal; on peut rendre aux autres leur liberté,
à tour de rôle.
Il doit en être de même pour les huissiers. Aristote limite
le rôle du xvipu^ à deux choses. Avant le vote (68, 4), il demande
aux parties si elles se proposent d'attaquer les témoignages
produits au procès; puis il rappelle aux jurés la signification
des deux bulletins qu'on leur a distribués. D'autre part, une
fois le scrutin terminé et dépouillé (69, 1), il en proclame
le résultat. Il avait encore, semble-t-il, d'autres occasions d'in-
(1) Aristote ne parle pas des forces de police destinées à maintenir Tordre ; il
doit y avoir, dans les tribunaux comme dans les bureaux de vote, quelques
archers scythes.
62 G. COLIN
Icrvenir : par exemple, si, comme on peut le croire, l'au-
dience commence par des prières aux dieux (cf. Aristoph.,
Guêpes, 860), l'huissier est tout désigné pour les réciter à
haute voix ; de môme, c'est lui encore qui, sur l'ordre du pré-
sident ou sur le désir des plaideurs, doit appeler les causes ou
inviter les témoins à monter à la barre ; et peut-être, vers la
fin du vote, est-il encore chargé de demander officiellement :
« Qui n'a pas déposé son bulletin? qu'il se lève » (cf. Aristoph.,
Guêpes, 752).
Chaque tribunal a également son greffier (ypa|ji;jt.aT£uç). Au
cours des plaidoiries, il lit toutes les pièces qu'on lui réclame
(67, 3); il recommence sa lecture, si les jurés le veulent ainsi
(Esch., c. Ctésiphon, 492). Et nous pouvons supposer, qu'au
début de chaque affaire, il leur donne communication de l'acte
d'accusation rédigé par le demandeur et de la réfutation (àvxt.-
Ypacpy]) du défendeur (1).
Au moment des opérations préliminaires du matin, on a
tiré au sort cent citoyens, pour leur faire remplir les fonctions
d'alficheurs : dans chaque tribunal, on désigne dix jurés de la
même façon, un par tribu, pour des emplois spéciaux : ils sont
préposés un aux clepsydres, quatre aux votes, et cinq au paie-
ment du triobole (66, 4.3). La mission du premier ne laisse pas
d'être assez délicate : sous le contrôle du président, il choisit,
dans la collection des clepsydres, celles qui vont être
employées, et prépare à l'avance les quantités d'eau fixées
par la loi pour les plaidoiries et pour le vote (ou les votes) des
jurés. S'il s'agit d'un procès privé, il se tient prêt à arrêter la
clepsydre, dès que l'orateur s'interrompt pour faire lire une
pièce; quand celui-ci a terminé, il vide l'eau, s'il en reste (2).
(1) Chez les orateurs, il est parfois désigné expressément (Lyc, c. Lèocrate,
77, H4); mais, parfois aussi, une même phrase vise, sans que la distinction
soit marquée, d'abord l'huissier, et ensuite le grefïier (p. ex., Esch. Ambassade,
83, 127).
(2) C'est à lui que s'adressent des interpellations comme : au 5' lirO^aêe xô
uSwp (Dém., c. Stéphanos, 1, 8; c. Conon, 36; c. Euhoulides, 21; Isée, hér. de
Pyrrhos, 12; hér. de Ménéclès, 34); xa{ jxoi êiti);a6£ tô u5u)p (Lysias, c. Pancléorij
LES SEPT DERNIERS' CHAPITHES DE L"AeiJNAI<)N IIOAITEIA 63
Et, sans doute aussi, il veille, en disposant son appareil, à le
placer de telle sorte que les parties et le président puissent
facilement se rendre compte, à tout moment, du niveau de
l'eau (1). — Le rôle des jurés préposés aux votes est plus facile :
quand les plaidoiries sont terminées, ils n'ont qu'à distribuer à
chaque juré un bulletin plein et un bulletin creux, et, après
le vote, à trier sur la planchette à trous les bulletins de l'am-
phore de bronze. — Quant aux cinq derniers, à l'issue de Tau-
dience, ils se rendront aux endroits désignés par le président,
et chacun aura à remettre leur salaire à ses collègues de deux
tribus, en ayant soin d'ailleurs d'exercer un double contrôle ;
nous y, reviendrons tout à l'heure.
Reste à signaler un fonctionnaire qui a bien aussi son impor-
tance, mais dont Aristote ne précise pas la qualité, 6 tl\T^y^ùi<;
TauTYiv T^v ^p'/jriv (60, 2) ' il est chargé de distribuer aux jurés
leur jeton de présence, quand ils arrivent dans le local oii ils
doivent siéger. Suidas (s. v. SaxTirip'la xal o-ujjLêoXov) l'appelle un
esclave public. Son renseignement est très vraisemblable ; car
les Athéniens en employaient un grand nombre dans toutes
sortes de services; et, en particulier, il ne leur déplaisait pas
d'en placer comme aides, mais sans doute aussi un peu comme
surveillants^ auprès de ceux de leurs magistrats qui avaient à
manier les deniers publics (cf. Dém., Chers. ^ 47; c. Androtion.,
70). Nous devons donc avoir affaire ici à un employé subal-
terne de l'administration des finances. Il en faut un par tribu-
nal ; on remarquera que, lui aussi, a été tiré au sort. Appa-
remment, c'est le même personnage qui, au moment du vote
(68, 2), fait aux jurés l'échange de leur jeton de plomb contre
4, 8, 11, 14); ou i\iox xô 'j6o)p (Dém., p. Phormion, 62; c. Nausimachos, 28). Le
TTopvoêofjitô; d'Hérondas ne manque pas non plus de faire allusion à l'arrêt de la
clepsydre (11, 42 : xxl au, tV ôrcTiV ^ujov xf,? >cXsi|/ûSp'r);, .SAxtaxe, [lé/pi; ou s^xr^).
(1) Peut-être la clepsydre est-elle simplement déposée au pied de l'estrade
d'où l'on parle, de sorte que le regard plonge aisément à l'intérieur; car rien
ne nous autorise à supposer un système de flotteur et d'aiguille indicatrice se
déplaçant à l'extérieur, comme dans l'horloge de Ctésibios. En tout cas, le plai-
deur sait à quoi s'en tenir : témoin des expressions telles que (Dém., c. Stépha-
nos, I, 86) 00/ îxavôv ov x6 uSwp ôpw [xot.
64 G- COLIN
le jeton de cuivre. Et, bien qu'Aristote n'en dise rien, je sup-
pose que c'est lui encore qui, à la fin de l'audience, verse aux
cinq citoyens désignés à cet effet la somme nécessaire pour
payer le triobole.
8. L'audience. — A. Amvée des jurés ; le jeton de présence. —
Après toutes ces explications préliminaires, nous pouvons
maintenant nous représenter sans trop de peine ce qui va se
passer dans chaque tribunal. D'abord, les jurés arrivent des
bureaux de leurs tribus. A leur entrée, l'esclave public rele-
vant de l'administration des finances leur remet le jeton de
présence que, suivant l'hypothèse émise plus haut, nous appel-
lerons le jeton de plomb (1). Nous ne savons pas combien de
temps leur était accordé pour faire le trajet d'un lieu à l'autre;
mais il suffisait sans doute, pour éviter les retards excessifs,
de spécifier à l'avance que la distribution des jetons de pré-
sence cesserait à un moment déterminé, par exemple, quand le
président aurait fini de préparer son ordre du jour.
B. Installation du président; rédaction de son t^^ô^^cl^y-^- —
En elîet celui-ci, avant d'ouvrir l'audience, a un certain nom-
bre de détails à régler. Ainsi, d'après une indication fugitive
d'Arislote (66, 3), il commence par examiner la salle mise à sa
disposition, et choisit cinq endroits qui lui semblent commodes
pour le paiement du triobole; il les désigne sans doute
par des lettres, et ensuite il indique quelles sont les tribus
qui, deux par deux, viendront y toucher leur salaire. Evidem-
ment, il recourt au sort pour cela : il n'a qu'à mettre les noms
des dix tribus dans la boîte vide qu'il a à sa disposition; les
(1) Ou pourrait se demander si, à ce moment, les jurés ne se débarrassent pas
de leur gland. En effet, il n'en sera plus question par la suite : le bâton et le
jeton sont cités seuls comme les insignes de leur fonction (cf. Dém., Cou7\, 210,
et les lexicographes), et Aristote aussi ne parle plus que de ces deux objets au
moment du vote (69, 2). Seulement, à moins de supposer, dans 65,3, une altéra-
tion du texte plus forte encore que celle dont nous avons déjà dû admettre la
nécessité (cf. la note à la traduction de ce passage), il semble bien que les jurés
ont gardé le gland en slnstallant à leur place.
LES SEPT DERNIEHS CHAPITHES DE L"AeUNAIi>N IlOAITEIA 6.^
deux tribus dont les noms sortent les premiers iront à l'empla-
cement A, les deux suivantes à reLuplacement B, etc. Tout
cela, aussitôt arrêté, est transcrit sur un ordre du jour que le
président, dit Aristote, donne aux cinq jurés chargés du paie-
ment. Les choses se passeraient donc, en somme, comme au
Sénat, quand l'épistate des prytanes remet aux proédres et à
leur épistate particulier un uporp a [jijjia pour la prochaine réunion
du Sénat ou de l'Assemblée (44, 2). Ici cependant je me demande
s'il n'y avait pas intérêt à afficher en même temps l'ordre du
jour ; car, pour éviter la confusion, il est utile que les jurés
soient informés de l'endroit où ils auront à se présenter pour
recevoir leur triobole (1).
C. Désignation des jurés investis d'une fonction spéciale. —
Jusqu'ici la présence de tous les jurés n'était pas encore indis-
pensable : il suffisait qu'il en fût arrivé un certain nombre
pour que les premières opérations du président fussent à l'abri
de tout soupçon. Mais, à présent, ils doivent tous être là; car
le président va attribuer à dix d'entre eux, comme nous l'avons
vu, des fonctions spéciales. Pour cela, dans chacune des dix
boîtes que l'appariteur lui a apportées il prend une tablette, et
la jette dans la onzième boîte ; il a ainsi un représentant de
chaque tribu. On agite les tablettes : la première qui sort dési-
gne le juré qui s'occupera des clepsydres ; les quatre suivantes,
les jurés préposés aux votes; les cinq dernières, ceux qui effec-
tueront les paiements. Le premier juré se met immédiatement
à choisir ses clepsydres et à préparer les quantités d'eau vou-
lues. Les autres n'ont rien à faire pour l'instant ; tout au plus,
peuvent-ils s'assurer qu'on leur donne bien leur nombre exact
de bulletins de vote, ou se rendre compte de l'endroit où ils
s'installeront, une fois l'audience terminée. Je ne sais si l'appa-
riteur remet tout de suite aux cinq derniers les boîtes contenant
(1) De même, si, dans la journée, il y a plusieurs causes à juger, un autre
tirage au sort décide sans doute encore de l'ordre où elles passeront ; et on doit
l'annoncer publiquement, afin que les plaideurs voient à peu près l'heure où ils
ont besoin de se trouver au tribunal.
REG, XXX, 1917, n» 136. 5
66 G. COLIN
les tablettes d'identité; mais il est peu probable que la somme
représentant le salaire des jurés leur soit confiée si longtemps
à Tavance.
D. Les plaidoiries ; évaluation approximative du temps qui
leur est accordé. — Tous ces préparatifs étant terminés, on
appelle les causes. En principe, la loi athénienne oblige les
plaideurs à défendre eux-mêmes leurs intérêts ; mais, en fait,
chacun est libre de faire composer son discours par un avocat
de profession (Xoyoypàcpoç) ; et, de plus, si même ainsi on ne se
sent pas trop sûr de soi, on a toujours la ressource de se faire
assister par un ou plusieurs amis (o-uvyiYopot.) qui, sous couleur
de compléter l'argumentation, prononceront le véritable plai-
doyer, ou qui, par l'autorité attachée à leur personne, produi-
ront sur l'esprit des juges une impression favorable. Ce sont là
choses bien connues, et Aristote n'en dit même pas un mot.
En revanche, il nous fournit des précisions qui nous man-
quaient sur les limites oii la loi renferme les plaidoiries. A
vrai dire, il mentionne seulement les volumes d'eau qu'on
verse dans la clepsydre ; mais, comme il est évident que cette
eau sert à marquer des durées déterminées, on s'est ingénié à
trouver le moyen de convertir, au moins d'une façon approxi-
mative, les unités de volume en unités de temps. Keil, en par-
ticulier, dans son Anonymus argentinensis, est arrivé, à cet
égard, à des résultats intéressants.
Il procède de deux façons : d'abord par voie empirique. Il
prend une cinquantaine de discours prononcés, à Athènes, à
une date ne s'écartant pas trop de celle oîî écrit Aristote. D'une
part, d'après la nature du sujet, il sait la quantité d'eau à
laquelle l'orateur avait droit; d'autre part, il compte, dans une
édition donnée (celle des Oratores attici de Baiter-Sauppe) le
nombre de lignes de ces discours. Il n'y a pas, bien entendu,
à attendre une concordance parfaite : tel orateur a pu ne pas
profiter entièrement du temps dont il disposait ; tel autre se
sera restreint pour permettre à un o-uwiYopoç de parler avec lui
dans la même cause ; ailleurs, un plaidoyer aura été retouché
LES SEPT DERNIERS CHAPITRES DE L"AeUNAli2N IIOAITEIA 67
et augmenté après coup. Keil cependant constate une moyenne
assez fixe : dans la seconde moitié du iv^ siècle, un pot d'eau
aurait répondu à 70 lignes de texte. Ce premier point acquis,
il n'y a plus qu'à constater le temps nécessaire pour pronon-
cer les 70 lignes. Keil a répété maintes fois l'expérience ; il y
mettait 4 minutes 1/3. Ce temps, dit-il, est un peu long; un
Grec d'origine, et surtout un orateur exercé, avait chance de
prononcer plus vite. Mais il ne faut pourtant pas le réduire
outre mesure ; car le débit oratoire ne doit pas être trop préci-
pité. Bref, il conclut à l'équivalence suivante :
I pot d'eau = 70 lignes de texte = 4 minutes
^ 1 amphore (12 pots) =840 — = 48 —
II s'agit maintenant de chercher une contre-épreuve. On part
alors de l'rifjLspa 5t.a|jL£|jL£TpT,[ji£|jL7i. Il est assez difficile de trouver,
en français, l'équivalent exact de cette expression. Aujourd'hui,
pour régler nos occupations, nous divisons le temps d'une ma-
nière constante : nous comptons douze heures de jour et douze
heures de nuit, comme si nous étions toujours au moment de
l'année où le soleil reste juste aussi longtemps au-dessus et
au-dessous de l'horizon; nous faisons usage du joui' équinoxial.
Les astronomes grecs ne l'ignoraient pas : ils le nommaient
T,[jL£pa i(r7^[jL£pi.v7] ; mais ils étaient seuls à s'en servir. Dans la
pratique courante, on s'en tenait au jour apparent^ c'est-à-dire
au temps, très variable suivant les saisons (ni^ipa xaip'.xv]), où
le soleil est visible au-dessus de l'horizon. Dans les tribunaux,
l'essentiel, puisqu'on n'y usait pas de la lumière artificielle,
était d'adopter un jour-type dont la longueur pût se retrouver
d'un bout de l'année à l'autre; on le choisit naturellement en
hiver, au mois Poséidon, qui répond à peu près à Décembre
dans notre calendrier (67, 4) : c'est l'rifjilpa 8t.ajjL£[jL£Tp7i{jL£V7i, la
durée maximum des grands procès, à Athènes (1); je l'appel-
lerai le jour judiciaire ou jour légal.
(1) Son nom lui vient sans doute de sa division en fractions bien définies, qui
limitent strictement chaque phase du procès.
68 G. COLIN
On a donc, de divers côtés, prié des astronomes de calculer
quelle était à Athènes, au iv' siècle, la durée du jour le plus
court. Les réponses ont difï'éré légèrement : 9 h. 25 min. 8/10
(Photiadis), 9 h. 28 (Keil), 9 li. 48 (Schmidt). Peu importe
d'ailleurs; les anciens ne paraissent pas s'être souciés de tant
de précision ; il leur sulFisait d'avoir constaté que les jours
ne varient guère en Décembre, qu'ils sonb alors plus courts
qu'en aucun autre mois, et, qu'en prenant leur longueur
moyenne, on a une commune mesure applicable en tout
temps (1).
Les procès qui remplissent ce jour légal ont droit à 11
amphores d'eau (67, 4, avec les notes justifiant les restitutions).
On s'est demandé, il est vrai, (car certains textes, comme
Esch. Ambass., 126, prêtent à discussion) s'il faut entendre 11
amphores en tout ou pour chaque plaideur. La réponse aujour-
d'hui ne saurait être douteuse : outre qu'on se représente mal
une clepsydre assez grande pour contenir 433 lit. 34, on est
forcé, dès qu'on admet 11 amphores pour l'accusation, autant
pour la défense, sans compter quelque chose en plus pour le
vote des jurés, de donner comme équivalent de temps à l'am-
phore une durée deux ou trois fois plus petite que celle dont
parlait Keil ; et il devient impossible, dans des intervalles
réduits à proportion, de réciter aucun des discours parvenus
jusqu'à nous. Nous tiendrons donc pour bien établi que les 11
amphores correspondent à l'ensemble des débats.
Je relève encore une remarque ingénieuse de Keil : le chiffre
de 11 amphores lui paraît assez singulier; une division duodé-
cimale serait, dit-il, beaucoup plus conforme aux habitudes
grecques. La chose n'est pas inconciliable avec les renseigne-
ments fournis par les auteurs anciens. Ainsi, un scoliaste d'Es-
chine [Ambass.^ 126), après avoir exposé la division du jour entre
(1) Notons d'ailleurs qu'avant et après Theure exacte où le soleil franchit l'ho-
rizon, régnent encore une aube et un crépuscule dgnt une partie au moins peut
être utilisée; le jour légal, de 9 h. 1/2 environ, à parler strictement, s'étendrait
sans trop de peine, en pratique, jusqu'à 10 heures.
LES SEPT DERNIERS CHAPITRES DE l"A0HNAK2N IlOATTEIA 69
l'accusateur et Taccusé, ajoute ces mots : toGto oï kizo [ji.»,â; ojpaç.
Il s'est donc déjà, depuis le matin, écoulé une heure quand
l'accusateur prend la parole. Dès lors, ne peut-on pas admettre
que la journée répondait en réalité à 12 amphores? la durée de
la première amphore a servi à la nomination des jurés et du
président; l'audience, dans le tribunal, dispose seulement des
onze dernières. Dans cette hypothèse, les résultats auxquels la
méthode empirique avait d'abord amené Keil sont pleinement
confirmés : une amphore se vidant en 48 minutes, une journée
de 12 amphores comprendra 576 minutes, soit 9 h. 36, durée
fort admissible, nous l'avons vu, pour un jour du mois
Poséidon.
Nous pouvons maintenant traduire en minutes, avec une
approximation très suffisante, les volumes d'eau indiqués par
Aristote. Pour les actions privées, il est très précis (67, 2) ; il
faut seulement ajouter que les chiffres donnés par lui se rap-
portent à chacune des deux parties, non à l'ensemble des
débats (1).
Procès au-dessus de 5.000 dr.
( 10 pots:
= 32111.83 (2):
= 40 minutes
= 700 lignes
réplique
{ 3 -
9 lit. 85
12 —
210 —
de 5,000 à 1,000 dr.
1 2 -
22 lit. 98
28 —
490 —
réplique
6 lit. 57
8 —
140 —
au-dessous de 1 ,000 dr.
5 -
16 lit. 41
20 —
350 —
réplique
9
6 lit. 57
8 —
140 —
ôiaôixaatat
!•-
19 lit. 70
24 —
420 —
(pas de réplique)
Ajoutons, bien que le renseignement se trouve à un autre
(1) il semble même que si, dans un procès, il y a plusieurs demandeurs dont
les intérêts sont distincts, chacun d'eux a droit à la quantité d'eau prévue par la
loi (Dém., c. Macartatos, 8). Par contre, si une partie se fait assister par des
(Tuvi/^Yopot, ou si elle provoque des adversaires à une discussion, aucun supplé-
ment de temps ne lui est accordé pour cela (cf. Dinarque, c. Démosth.^ U4 :
irapa8{8wjjLt t6 uSwp xotç dOvXoiç xaT-fiyôpoiç; — Dém,, c. Euboulidès, 61 : IttI tou I[jloO
36aToç oatiç poû>^$Tai. xoûxwv xivavxia [xapxupr.aaxw ; — id., Cour.^ 139 : vûv Ssi-
^dtxw èv xw è[xw udaxt; etc.). Je rappelle enfin que, dans les actions privées, le
temps nécessaire à la lecture des pièces ou à l'audition des témoignages n'est
pas compris dans le nombre de minutes prévu pour les plaidoiries.
(2) Pour la transposition des anciennes mesures de volume en mesures mo-
dernes, j'adopte les chiffres de Hultsch, Griech. und rôm. Métrologie.
70 G. COLIN
endroit (69, 2), que, dans les procès privés ou publics, on accorde
à chaque partie un demi-pot d'eau pour s'expliquer sur l'éva-
luation de la peine :
1/2 pot = 1 lit. 64 = 2 minutes = 35 lignes (1).
Pour les actions publiques, Aristote ne semble avoir envi-
sagé que le cas des procès occupant toute la durée du jour.
Sans doute, il nous a avertis qu'on ne juge jamais plus d'une
action publique dans la môme audience (67, 1). Néanmoins, il
doit y en avoir d'importance différente, puisqu'on prévoit pour
elles des jurys de 500, 1000 ou 1500 membres (68, 1), et il n'est
guère vraisemblable que la longueur des discours ne soit pas
graduée en conséquence, comme pour les causes privées (2).
Mais nous n'avons là-dessus aucun renseignement, et nous
sommes obligés de nous en tenir aux grands procès politiques.
Si mes restitutions ne m'ont pas induit en erreur (67, 4-5), il
importe de distinguer parmi eux les procès sujets ou non à
estimation, tljjltito'I et k'c'i^ri'zoï. Le second cas est le plus simple :
les 11 amphores accordées pour les débats seraient partagées
eu trois parties, vraisemblablement égales (3 amph. 2/3), une
pour l'accusation, une pour la défense, une pour le vote. Au
contraire, dans les procès T!.pLT,To{, les jurés, ayant en perspective
deux votes successifs, se seraient réservé d'avance deux parts.
J'imagine qu'ils n'accaparaient pas à eux seuls les 2/3 de la
séance : la journée se serait plutôt, je crois, divisée cette fois
en quatre fractions, répondant chacune à 2 amph. 3/4 (3). Nous
arriverions ainsi à ce résultat :
(1) Il ne nous est parvenu, chez les orateurs, aucun exemple de ces petits com-
pléments au discours proprement dit. Le second discours de Socrate, dans
V Apologie de Platon (ch, 25-28), en serait un; mais il est clair que Platon ne se
fait pas scrupule de dépasser les limites imposées par la clepsydre.
(2) Tous les lexicographes s'accordent pour limiter l'emploi de r-f,|j.épa Sta[xe-
(lETpTijAévTi aux procès politiques les plus importants : lex. Sabb. 10, 18, oî to(vuv
SfjiJLoaioi xai tXcyiXoi àyôivei; irpôç toOto tô uSwp tjywvé^ovto ; — Harpocr., s. v. 5ta-
[xeaeTpr.jxÉvri ■f,[J.£pa • irpôî ôè touto ([xéxpov xi CSatoç) Tiywv^ÇovTO ol |jLsyiaTOi xal irspl
Twv [xey^ŒTwv àywvei; ; — scol. Esch., Ambass., 126, toïç irspl twv [j.ey{(jTwv àywviÇo-
[xévoiç Si-r^petTO i] tjixépa.
(3) La répartition par tiers est souvent mentionnée par les lexicographes ou
les scoliastes (mêmes références qu'à la note précédente). La division par quart
LES SEPT DERNIERS CHAPITRES DE L"AeHNAmN IIOAITEIA 71
Procès àxtfj.rjXot : \
3 parts / ^ ^^ g ^j^g _ ^^^ j. j. ^3 _ 2 jj gg _ jQgQ jj
(accusation, defen- l
se, vote) )
Procès Ti(jLriToî : \
\-^^^^^ ,„ 2 amph. 9 pots = 108 lit. 33 =z 2 h. 12 = 2310 lignes
(accusation, deien- (
se, 2 votes) )
Bien entendu, dans ce genre de procès, où Ton prévoit l'em-
ploi de la journée entière, on n'arrête pas la clepsydre pour la
lecture des pièces (67, 3), et on n'admet pas non plus de répli-
que (cf. Dém. Ambass.^ 213) (1).
A titre de vérification, je signalerai la tentative de Photiadis
[art. cité, 'AQ-^vâ, 1904) pour se rendre compte du temps dont
les jurés ont besoin. Il table sur un jury de 500 membres : avec
raison, semble-t-il ; car, si on en réunit deux ou trois dans
rhéliée, il y a chance pour qu'on les fasse voter séparément,
comme, dans le procès des généraux des Arginuses, le peuple,
consulté tout entier, vote cependant par tribus (Xén., Hellén,,
I, 7, 9). Voici le résumé de ses calculs :
i distribution des bulletins de vote
vote des jurés (10 par minute)
dépouillement du scrutin
pertes de temps quelconques
i reddition des jetons et reprise des bâtons
nouvelle distribution des bulletins
deuxième vote
deuxième dépouillement du scrutin
discours sur l'estimation et pertes de temps 15 —
Tout cela évidemment ne va pas sans une part d'incertitude.
a peut-être été entrevue par un des scoliastes d'Eschine, Ambass., 126 (SiTipsÏTo r\
fi[Aépa, Tcal I8I60TO aÔTT.ç T,[i,ijy (xèv tw vcaxTiyopw, f,atau 8è tw àicoXoyoufxévo) ' xal
SiejASTpeiTO TÔ ÎJSwp 8aov litapvcst tlç '^à<; oipaç toO -r^fxÎTOUç jJLÉpouç tî^ç T,[jL^paç); mais
son explication, on le voit, manque de clarté. Nulle part je ne trouve, posée
bien nettement, la distinction entre les àywveç •ziiir^xoi et à-ziii.r\'zoi ; et pourtant
elle avait dû être faite par Aristote.
(1) Mais, si plusieurs personnes sont comprises dans la même accusation, elles
ont droit chacune à une journée de débats : c'est illégalement que les généraux
des Arginuses ont été condamnés en bloc (cf. Xén., Hellén., I, 7, 19, 23, 28, 34).
20 min.^
1
50 —
10 —
■
total: th. 28
8 —
20 min.
20 — 1
50 —
total : 1 h. 55
10 -
72 G. COLIN
Il paraît cependant en résulter, si on adopte notre répartition,
que, dans les procès TijjiriToi, les jurés doivent trouver sans
peine le temps nécessaire à toutes leurs opérations, et que,
dans les procès aTLjjiYiTO',, ils en ont beaucoup de reste. Malgré
tout, je ne crois pas, pour ces derniers en particulier, qu'il
soit possible de tirer autre chose du texte d'Aristote (67, 4). Et,
pour les procès tiu.yito'1, outre qu'Arislole (67, 5) a bien Fair
d'indiquer une répartition du jour différente de la précé-
dente, nous arrivons, pour l'ensemble des deux votes, à une
durée supérieure à celle du tiers de l'audience (3 h. 23 au lieu
de 2 h. 56) (1).
De ces calculs assez ardus nous pouvons au moins tirer une
conclusion d'ordre littéraire. Nous possédons, on le sait, quatre
discours écrits à l'occasion de grands procès politiques, ceux
d'Eschine et de Démosthène sin^ l' Ambassade et sur la Couronne,
Considérons leur longueur :
, , , ( Démosthène 3076 lignes
Ambassade { ^ . . ,„^^ ^
Eschine 1699 —
, Eschine 2457 —
Couronne \ ^, ,, , .,._.
démosthène 2589 —
C Es(
( Dé]
Gomme ce sont des procès tiijlyito'I, ils ne devraient avoir, au
maximum, que 2310 lignes. Il y en a donc trois, sur quatre, qui
ont été plus ou moins retouchés. La chose est frappante sur-
tout pour le discours de Démosthène sur l'Ambassade : c'est une
confirmation curieuse de l'impression qu'il donne à la lecture,
surtout dans la seconde partie, d'une série de développements
assez faiblement enchaînés entre eux; la critique ancienne
(1) La démonstration de Photiadis serait encore plus concluante, telle qu'il la
donne, parce que, dans le temps réservé aux jurés, il faut rentrer, avec celui de
leur vote, celui de leur tirage au sort. Il s'appuie pour cela sur un passage de Xéno-
phon, relatif au procès des généraux des Arginuses {Hellén., T, 7, 23). J'ai peine à
croire qu'on ait compté de la sorte dans les tribunaux du iv« siècle, où l'élection
des jurés est indépendante de l'audience elle-même. — On remarquera, d'autre
part, que Photiadis regarde les onze amphores comme remplissant la totalité du
jour légal ; pour lui, le tiers d'une journée (3 amph., 8 pots) est de 3 h. 8 min.,
et le quart (2 amph. 9 pots) de 2 h. 21. Par suite, une amphore, dans ses calculs,
répond à 51 min. 4/10).
LES SEPT DERNIERS CHAPITRES DE L"AeHNAIQN nOAITEIA 73
n'avait pas tort d'y pressentir une surabondance suspecte.
Quant à l'oiïre que fait Eschinc dans le môme procès [Ainbass.^
126) de mettre, si on veut, des esclaves à la torture, elle ne
devait pas être très sérieuse; car les citations et les témoignages,
dont il use en assez grand nombre, suffisaient sans doute à
absorber à peu près tout le temps que son discours laissait
disponible.
E. Vote des jurés. — Dès que les plaidoiries sont terminées,
on passe au vote : il n'y a ni résumé des débats par le prési-
dent, ni délibération préalable des jurés entre eux. En effet, le
rôle du président, comme nous l'avons déjà remarqué, se
borne à veiller, sans aucune initiative personnelle, à ce que
tout se passe régulièrement dans son tribunal ; et, d'autre
part, avec des jurys aussi nombreux, on désire éviter des dis-
cussions qui risqueraient fort vite de se prolonger outre me-
sure ou de devenir tumultueuses (Platon, Lois^ IX, p. 876 a-b\
Aristote, Politique^ II, 5, 8-9) • Les quatre jurés désignés
d'avance pour cet office se mettent donc sur le champ à dis-
tribuer leurs bulletins; et, aussitôt après, les jurés, quittant
leurs bancs (1), défilent sur l'estrade centrale pour y apporter
leur vote.
Le scrutin est secret. C'est un lieu commun, chez les ora-
teurs, de rappeler à leurs juges que, si personne dans l'assis-
tance ne doit savoir pour qui ils ont pris parti, les , dieux du
moins ne l'ignoreront pas (Lysias, c. Eratosthène^ 91; Dém.,
Ambass.^ 239; Lycurgue, c. Léocrate, 146; etc.). Il faut une
époque de troubles violents pour qu'on ose déroger à cet usage;
de là l'indignation de Lysias, quand il raconte [c. Agoratos, 37)
comment les Trente faisaient voter les sénateurs : deux tables
étaient préparées devant eux, et, sous leurs yeux, à découvert,
(1) Un scoliaste d'Aristophane {Guêpes, 752) prétend que l'huissier passait dans
les bancs pour recueillir les votes des jurés. Il est contredit, pour le v« siècle,
par le passage même d'Aristophane (cf. aussi, même pièce, 349). Au jv^ siècle, le
procédé n'a pas changé (cf. Dém,, Ambass., 311 : Ssî ... ly^P^ xoû .Qr.îxaxo; èwzTM
iipo<ïeX6(5v6' è'x«aTOv ujxtôv tV ôai'av xal T->iv 5'.)caîav ^j/fi-^ov uitèp 'i:-r\<; TiarpiSoç
74 G- COLIN
on devait apporter un bulletin unique sur l'une ou sur l'autre
pour condamner ou pour absoudre.
En laissant môme de côté cet abandon tout momentané des
traditions, la manière de voter a varié plusieurs fois, à Athènes,
du v' au iv'' siècle. Au temps d'Aristote, chaque juré reçoit
deux bulletins, l'un creux, en faveur du demandeur, l'autre
plein, en faveur du défendeur. Sur une table, il trouve deux
amphores, l'une en bois, l'autre en bronze ; il est tenu de
laisser un bulletin dans chacune d'elles ; on a eu soin de les
écarter, pour vérifier plus aisément son double mouvement
(68, 3). L'amphore de bois est là simplement pour recueillir
les bulletins nuls; l'amphore de bronze est celle qui compte.
Quand tous les jurés ont passé, on fait le dépouillement de
son contenu, à l'aide de la tablette percée de trous; on ne
semble plus s'inquiéter de l'amphore de bois. Enfin, l'huissier
proclame le résultat. Tout cela est bien expliqué par Aristote ;
et j'en ai déjà parlé en décrivant le matériel en usage dans les
tribunaux, ou en signalant toutes les personnes qui ont un rôle
à y jouer (cf. ci-dessus, §§ 6 et 7). Sans y revenir ici, je vou-
drais seulement signaler quelques dilïicultés que laisse subsis-
ter r 'A8'rivai(i)v uoX'.TS'la.
D'abord, Aristote n'envisage que le cas où deux opinions,
sans plus, sont en présence. Or, il peut arriver que, dans une
même affaire, soient engagées un nombre plus considérable de
personnes ayant des intérêts distincts : nous en connaissons un
exemple à propos de cet héritage d'Hagnias, dont il est ques-
tion à la fois dans Isée et dans Démosthène. Il y avait là cinq
plaideurs, dont quatre présentaient des revendications diffé-
rentes. On disposa alors quatre urnes devant les jurés ; et, au
dire de Démosthène, ils se trouvèrent fort embarrassés, et se
décidèrent assez au hasard (Dém., c. Macartatos^ 10; Isée,
hérit. d'Hagnias^ 2\). Leur donna-t-on à chacun trois
bulletins creux et un plein, le dernier devant indiquer seul
pour qui ils se décidaient? nous l'ignorons. Mais, de toute
nécessité, il fallait procéder d'une façon particulière; et, sans
LES SEPT DERNIERS CHAPITRES DE L"AeHNAI<2N IIOAITEIA 75
doute, des occasions analogues se présentaient de temps à
autre (1).
Môme dans les procès ordinaires, nous ne sommes pas sans
être un peu embarrassés, si nous voulons nous rendre un
compte exact des mouvements des jurés au moment du vote.
En effet, d'une main qui est probablement la droite, ils tiennent
le bulletin qu'ils vont déposer dans l'amphore de bronze; et,
pour qu'on ne puisse pas savoir si c'est le plein ou le creux,
ils appuient le pouce et un autre doigt sur les deux extrémités
de la tige centrale (68, 4). Admettons, à la rigueur, qu'ils
serrent l'autre bulletin dans la paume de la même main. Mais
ils ont encore autre chose à apporter avec eux ; car on leur a
distribué successivement un gland, un bâton et un jeton de
présence; et nous avons dû admettre qu'ils gardent le tout
pendant la durée de l'audience (cf. p. 64, note) : voilà de quoi
remplir leur main gauche ; et ils ne sont pas apparemment sans
éprouver quelque gêne pour se débarrasser séparément de tant
d'objets. Aristote là-dessus ne nous fournit aucune explication;
et nous en sommes encore réduits à imaginer nous-mêmes
comment les cht)ses se passent. Derrière la table surmontée
des deux amphores sont installés sans doute le président (peut-
être assisté de son appariteur) et l'esclave public appartenant à
(1) Par contre, je ne suis pas convaincu que le discours cojitre Léocrate nous
oblige à admettre un mode de scrutin contraire à celui que décrit Aristote. Dans
sa péroraison, Lycurgue y parle de deux urnes, dont l'une sera celle de la trahi-
son et l'autre celle du salut d'Athènes (149 : u[iwv è'>taaTov y^^\ vofxCî^stv , Suoîv
xa5(axoiv x£t[xsvoiv, t6v [xèv itpoSojîai;, xôv 8è (TtoTTiptai; elvat). Assurément, prise à la
lettre, cette phrase devrait signifier que les jurés vont se présenter avec un bul-
letin unique, et qu'ils le déposeront à droite ou à gauche, suivant qu'ils veulent
sauver ou perdre Léocrate. Mais, outre qu'on ne voit plus comment serait sauve-
gardé, dans ces conditions, le secret du vote (et Lycurgue vient d'en faire expres-
sément mention un peu plus haut, au § 146), le discours est si voisin de la date
de la composition de 1' 'A6Tiva{a)v icoXixeb (il a été prononcé très peu avant 330) que
j'ai peine à admettre entre les deux textes un tel désaccord. J'aime mieux adopter,
pour les paroles de Lycurgue, une explication un peu plus recherchée. Pour
entraîner les jurés, il feint d'être persuadé qu'ils vont tous voter contre Léocrate :
ainsi l'urne de bois, avec tous ses bulletins pleins annulés, marquera la répro-
bation universelle contre un traître, et l'urne de bronze, remplie de bulletins
creux, sauvera la patrie à l'appel de l'accusateur.
76 G. COLIN
l'administration des finances. Le juré remet d'abord au prési-
dent son gland et son bâton (c'est la preuve qu'il était bien
désigné pour siéger dans ce tribunal), puis à l'employé des
finances son jeton de plomb (on constate ainsi qu'il est arrivé
pour le commencement des débats (1). Cela fait, il dépose ses
deux bulletins (2) ; et, du môme employé des finances, il reçoit
un nouveau jeton, en cuivre cette fois et marqué du F, destiné
à attester qu'il est venu voter (3).
Si le procès exige ensuite une estimation de la peine, chaque
juré, avant de regagner sa place, rend son jeton de cuivre et
reprend un bâton (69, 2). Il n'est plus question du gland ni du
jeton de plomb; à cela près, le second vote se fait dans les
mêmes formes que le premier.
Aristote ne nous dit rien non plus de la façon dont on pro-
cède quand il y a plusieurs causes dans la même audience. Là
aussi, les jurés certainement reprennent un bâton entre chaque
vote : c'est le symbole de leurs fonctions. Nous admettrons
encore sans difficultés qu'ils laissent, une fois pour toutes,
leur gland et leur jeton de plomb, comme dans le cas précé-
dent. Mais, pour le jeton de cuivre, il paraît indispensable, au
contraire, de leur en donner un après chaque cause ; car c'est
le seul moyen de vérifier, en dernier lieu, s'ils ont apporté,
suivant les prescriptions de la loi, leur suffrage dans toutes
les affaires. Us ne toucheraient donc leur triobole que sur la
présentation d'autant de jetons de cuivre qu'on a jugé de procès
dans la journée.
(1) Sur le rôle, à ce moment, de l'esclave public relevant de radministration
des finances, cf. 68, 2, et la note à la traduction du passage visé. — Pour le pré-
sident, on lit, dans une des scolies à Aristoph., Plut., 277, l'va èVaaxoç xa0' éairé-
pav, d-TToSiSoùç To> Ttpuxâvst tt.v paêSov, ... C'est une autorité bien faible; mais le
renseignement, en lui-même, n'a rien d'invraisemblable.
(2) La forme même des amphores, profondes et à col assez étroit, suffit à em-
pêcher le public de se rendre compte du vote des jurés. Si l'amphore de bronze
a un couvercle, c'est pour éviter qu'on ne puisse y glisser en fraude deux bulle-
tins d'un coup (68, 3).
(3) Tous les témoignages anciens (Bekker, Anecd. gr., 185, 4 ; Suidas, s. v.
paxTTip(a xal <ju[jl6oXov; scol. Aristoph., Plut., 277) confondent les deux jetons. La
distinction est cependant très nette chez Aristote.
LES SEPT DERNIERS CHAPITRES DE l"A0UNAI1>N IIOAITEIA 77
Notons enfin qu'en aucun cas les jurés n'ont la faculté d'ex-
primer, à leur gré, Tavis qui leur semble le meilleur : ils sont
tenus d'opter entre les conclusions du demandeur et celles du
défendeur; et pourtant on peut supposer que, la plupart du
temps, les deux intéressés sont au-dessus ou au-dessous de
l'appréciation la plus équitable. Le système athénien, excluant
d'avance toute solution modérée, n'était pas sans inconvénients;
on lui doit, par exemple, pour une bonne part, la mort de
Socrate. Celui-ci n'avait d'abord été déclaré coupable qu'à une
assez faible majorité (probablement 280 voix contre 221). Le
jury ne semblait donc pas acharné à sa perte, et il est permis
de supposer qu'il se serait volontiers contenté d'une peine moins
grave ; mais alors la loi ne lui laissa le choix qu'entre la mort,
demandée par les accusateurs, et les honneurs du Prytanée,
réclamés par Socrate. Le résultat était inévitable (1).
9. Le salaire des jurés. — Quand le rôle des affaires est
épuisé, il reste à payer aux jurés leur salaire; car ils le reçoi-
vent avant de sortir, dans le tribunal môme où ils ont siégé
(66, s).
Leurs fonctions n'avaient pas toujours été rétribuées. Insti-
tuées par Solon, elles sont demeurées gratuites pendant un
siècle et demi, jusqu'à Périclès. Aristote (27, 3) explique sa
réforme par une pensée assez mesquine : Périclès, dit-il, n'ayant
pas une fortune suffisante pour lutter de générosité avec Ci-
mon, imagina de faire aux Athéniens des largesses avec leur
propre argent, en payant sur le budget de l'Etat les juges et
(1) Dans VApologie de Platon, Socrate, après avoir d'abord déclaré qu'il se
juge digne, plus que bien d'autres, d'être nourri au Prytanée, finit, il est vrai,
par consentir à payer une amende de 30 mines, pour laquelle il offre des garants.
Cette proposition ne pouvait guère faire oublier la précédente. Mais, si elle eût
été produite seule, elle était, je crois, de nature à satisfaire les juges; car un
demi-talent représente une somme considérable, et nous connaissons des accusés
qui se sont tirés d'affaire avec des amendes insignifiantes. Ainsi, Polyeuctos du
déme de Ku8avTÎ5at, dans un procès d'illégalité, en a été quitte pour 25 drachmes
(Hyper., p. Euxénippos, 18); or, ce personnage (dont il est question, à diverses
reprises, dans les orateurs et dans les inscriptions) était assurément moins pau-
vre que Socrate.
78 fi. COLIN
les sénateurs. On peut supposer à Périclès des vues plus pro-
fondes et plus honorables : sincèrement désireux d'assurer au
peuple la suprématie, il s'était sans doute convaincu que, pour
faire de la démocratie une réalité au lieu d'une fiction, il
fallait donner aux citoyens pauvres le moyen de prendre part,
comme les autres, aux affaires publiques ; de là le principe,
couramment admis aujourd'hui, d'une indemnité pour ceux qui
consacrent leur temps au service de l'Etat. C'était alors une
grave innovation, et Périclès d'ailleurs semble y avoir apporté
une certaine réserve : on a même supposé qu'il s'était contenté
d'abord de fixer à une obole l'indemnité des jurés. Mais, dès le
début de la guerre du Péloponnèse, on arrive déjà à deux
oboles ; et, en 425, Gléon établit le triobole. Ici encore, on ne
manquait pas de bonnes raisons à faire valoir pour justifier
cette rapide progression : en particulier, la guerre dévastait
presque tous les ans les campagnes de l'Attique; les paysans
refluaient en ville ; les tribunaux leur procuraient un gagne-
pain. Malheureusement, les meilleures intentions n'évitent pas
les abus : il n'est guère douteux que l'appât du triobole n'ait
exercé très vite un fâcheux attrait sur une trop grande partie
de la population ; et, sans parler des plaisanteries d'Aristo-
phane, x\ristote, lui aussi, constate, comme résultat, une baisse
sensible du niveau moyen des jurys. Bref, le salaire des tribu-
naux devint comme le symbole de la démocratie triomphante;
à chaque révolution oligarchique, qu'il s'agisse des Quatre-Cents
ou des Trente, il est immédiatement supprimé*, mais c'est pour
reparaître peu après (1); et, au temps d'Aristote, il est tou-
jours de trois oboles comme à celui de Gléon (68, 2).
Avant la découverte de l'AQ'ova'lwv TcoÀiTS'la, on ne savait pas
trop si le triobole était payé aux jurés pour l'ensemble d'une
(1) Je me contente ici d'indications très générales; je nai pas à entrer dans
les difficultés que soulèvent les variations de ce salaire à la fin du v^ et au com-
mencement du iv^ siècle. Ainsi, il est possible qu'entre les Quatre-Cents et les
Trente, il ait été réduit à 2 oboles ; et on s'est demandé, bien que la chose reste
fort douteuse, s'il n a pas été élevé à 4 oboles vers 396-380. Sur tout cet historique,
cf. Lipsius, das attische Recht^l, p. 162 et sqq.
LES SEPT DERNIERS CHAPITRES DE L"AeHNAIi2N nOAITEIA 79
audience ou pour chaque cause examinée par eux. Plusieurs
lexicographes paraissaient bien trancher la question dans le
premier sens (par exemple, Suidas et Photius, s. v. Auxou oexàç •
àcpwpioTo oLÙitù TpiwêoXov TTJs '^^-^p^ç); uiais Lucien affirmait le
contraire {Double accus. ^ 12 : 6 [aio-Bo; TpiwêoAov sxàa-r/i? ^''xr,ç;
iôid., 33). Aujourd'hui, le traité d'Aristote ne laisse subsister
aucun doute : le triobole répondait au travail d'une journée
entière (1). C'est le cas pour tous les salaires mentionnés au
ch. 62, 2 ; et la dernière phrase de l'ouvrage est encore plus
explicite, s'il est possible (69, 2 '- sTreiSàv auTo^ç ^ BsSixaG-piéva Ta
£x Twv vojjL'iiv, àuoXajjiêàvoua-i tov pit-o-Bov). Ce n'est pas l'unique
fois 011 Lucien est convaincu de connaître assez mal les insti-
tutions de l'ancienne Athènes.
L"A9yiva(ajv 7zoXn:sioL nous fournit surtout des précisions nou-
velles sur la façon dont on touchait le triobole. Ici encore, la
loi a multiplié les précautions. L'argent est apporté par un
esclave public tiré au sort; mais celui-ci ne le distribue pas
lui-même; il ne le donne même pas au président; il le remet à
cinq membres du jury, désignés, eux aussi, par le sort;
(cf. ci-dessus, § 7). Ce sont eux qui paient leurs collègues, après
une double vérification : d'abord, chaque juré est tenu de pré-
senter un ou plusieurs jetons de cuivre, constatant qu'il a pris
part à tous les votes de la journée (cf. § 8, E); puis il dit son
nom et sa tribu : sa tablette doit se retrouver dans les boîtes
apportées par l'appariteur, et on la lui rend en le payant
(65, 4) (2). Une seule phrase soulève des difficultés : les jurés.
(1) Aussi, au dire d'Aristophane, les démagogues étaiient-iis sûrs de se rendre
populaires en proposant de renvoyer les jurés après l'examen d'une seule cause
[Caval., 50 ; Guêpes, 594).
(2) Pour faire exactement tous ces paiements, il eût fallu beaucoup de petite
monnaie; on en manquait parfois à Athènes, comme chez nous. On donnait alors
une drachme pour deux jurés. Le procédé n'était pas sans inconvénients : on
allait changer la pièce au marché ; mais, si la nuit approchait, il se trouvait des
héliastes prêts à glisser à leur camarade trois écailles de poisson au lieu de trois
oboles. Philocléon a été un jour victime de cette aventure. Le trait est peut-être
de l'invention d'Aristophane {Guêpes, 787) ; mais il a bien l'air d'avoir été pris sur
le vif.
80 G. COLIN
dit Aristole (69, 2), à7roAa[jLêàvojTt. tov ullo-Gov sv t(J) [i-épet. ou IXay^ov
£xaTTO'.. Le sens en a bien été vu, je crois, par Photiadis : il ne
saurait s'agir des sections tiéliastiques ; (car, une fois désignés
pour tel ou tel tribunal, les Athéniens sont classés d'après leur
tribu : témoin les boîtes dont nous parlions à l'instant). Il n'y
a pas non plus à songer qu'ils recevront leur salaire dans leur
tribu; (car la tribu dépend de la naissance, non du sort; le mot
eXayov ne s'expliquerait pas). Il faut donc entendre par [xep'^
les groupes de deux tribus que le président a constitués, par
voie de tirage au sort, au début de l'audience, et qu'il a indi-
qués sur son Trp6ypa|jL|jia (cf. § 8, B).
L'argent destiné à payer le triobole est fourni, au v'' siècle,
par les colacrètes (scol. d'Aristoph., Oiseaux, 1541 : 'Apio-To-
oàv7,ç 6 ypa|jijjiaTUo; toutouç [toÙç xwXaxpIxaç] Tai^'la; slvai cpT,(Tt.
Tou SuaG-TixoG jji'.TÔou ; id.. Guêpes, 695; Hésychius, s. v. xwXa-
xplTat.). xiu IV® siècle, ces magistrats ayant disparu, les fonds
sont pris sur la caisse des trésoriers d'Athéna; une inscription
de l'année 325 {IG., II, 2, 809, col. a, l. 213) ne laisse aucun
doute à cet égard : tov 8a |jL!.a-66v ôiSovai 'zolç 8',xaa-TYipio!.<; xoùç
TajjL'laç Twv t1\ç Oeou, xaToc tov vouiov (1).
Mais il ne suffit pas de constater que les jurés athéniens
reçoivent de l'Etat trois oboles ; l'essentiel serait de savoir ce
que représente pour eux cette indemnité. Nous ne pouvons
nous en rendre compte que par comparaison avec des docu-
ments contemporains ; nous en avons heureusement quelques-
uns (2). Bien entendu, il importe de distinguer les époques ; car
(1) De là vient peut-être l'assimilation faite par Pollux entre les colacrètes et les
trésoriers d'Athéna (VIII, 97 : Taix^ai Tfi<; ôsou • sxa);oûvTo 8è ouxoi xwXaxpéxai).
Harpocration (s. v. àitoSéxxai) prétend, d'après Androtion, que les apodectes ont
remplacé les colacrètes dès le temps de Clisthène. Le renseignement est certai-
nement inexact; car la survivance des colacrètes nous est attestée, au cours du
ye siècle, par les inscriptions.
(2) J'emprunte tous les chiflres cités dans ce paragraphe au livre de Guiraud,
La main-d'œuvre industrie.lle dans l'ancienne Grèce (Bibliothèque de la Faculté
des Lettres de Paris, XII, 1900), ch. xi, les salaires. On y trouvera les références
pour chaque donnée. — On peut consulter aussi, bien que les conclusions s'y
dégagent moins nettement, Francotte, Llndustrie dans la Grèce ancienne, vol. I
LES SEPT DERNIERS CHAPITRES DE l''A0HNAI<}N IIOAITEfA 81
la vie a sensiblement renchéii, à Athènes, du v® au iv® siècle ;
on en a la preuve soit d'après quelques données directes (la
farine d'orge se vend 2 drachmes le médimne, au temps de
Socrate, et 4 drachmes, au milieu du iv® siècle ; le blé vaut
3 drachmes au début du iv^ siècle, de 5 à 6 en 329), soit d'après
l'augmentation des salaires, qui est en corrélation avec la cherté
des vivres (au v^ siècle, un ouvrier gagne couramment
1 drachme et un manœuvre 1/2 drachme à sa journée ; en 329,
on paie de 2 à 2 1/2 drachmes et 1 1/2 drachme pour chacune
de ces catégories). Or, dans les Guêpes d'Aristophane, en 422,
quand le chœur arrive conduit par des gamins, et que ceux-ci
réclament des figues pour leur récompense, les héliastes leur
déclarent qu'ils ont déjà bien assez de peine à entretenir un
ménage de trois personnes avec leurs trois oboles; ils y par-
viennent cependant, tant bien que mal. Un peu plus tard, vers
401, Lysias plaide contre un tuteur infidèle; on est dans une
maison riche ; malgré cela, il considère comme fort exagérée
une somme de 5 oboles pour les frais de nourriture de trois
enfants mineurs. Par contre, en 329, l'Etat fournit à un groupe
d'esclaves publics, pour leur subsistance, 3 oboles par jour et
par tête ; cette somme, il est vrai, est calculée pour leur per-
mettre, s'ils sottt sobres et économes, de réaliser un petit béné-
fice, et elle sera réduite à 2 oboles, à Délos, en 279. Sans mul-
tiplier ces exemples, nous en conclurons qu'à l'époque d'Aris-
tophane, le salaire des tribunaux, insuffisant peut-être, à lui
seul, pour faire vivre un ménage, y représentait du moins un
apport sérieux. Au iv^ siècle, il est beaucoup moins rémunéra-
teur ; mais les ressources de l'Etat aussi ont bien baissé : privé
des tributs de la Ligue maritime, il faut admirer plutôt qu'il
ait pu continuer ,à soutenir la charge de cette dépense. Et,
après tout, les jurés, sans grande fatigue, étaient encore plus
favorisés que les artisans invalides qui, non sans formalités
(Bibliothèque de la Faculté de philosophie et lettres de Liège, VII, 1900), ch. m
et IV du livre II, Des différents modes de rémunération du travail^ La valeur
réelle du salaire.
REG, XXX, 1917, n» 136. e
82 G. COLIN
fréquemment renouvelées et non sans risques de procès, se
voyaient accorder, pour tout subside, 1 obole au temps de
Lysias, et 2 au temps d'Aristote.
Je me suis efforcé dans les pages précédentes, d'exposer
Tétat actuel de nos connaissances sur les tribunaux d'Athènes
vers 325. J'ai recouru parfois, incidemmenl, à des documents
d'époque plus ancienne ; mais mon intention a toujours été,
pour ne pas compliquer une étude déjà assez minutieuse, de
m'en tenir, sur chaque point, à éclairer ce qui se passait dans
la seconde moitié du iv" siècle ; je n'ai nullement voulu retra-
cer l'histoire des usages antérieurs.
Sans sortir du sujet ainsi compris, il reste une question à
nous poser : à quelle époque remonte l'organisation décrite
dans r 'AQïiva'lwv izoli-zeioL? Il est impossible, je crois, d'y répondre
avec précision (1). Aristote nous apprend (27,5; cf. Diod.,
XIII, 64 ; Plutarque, Coriolan, 14 ; etc.) que le premier grand
scandale judiciaire fut l'acquittement d'Anytos : celui-ci, étant
stratège en 409, avait été envoyé, avec une flotte, au secours
de Pylos assiégée par les Spartiates ; comme la mer était mau-
vaise, il revint à Athènes, sans avoir dépassé le cap Malée, et
Pylos succomba. Anytos fut mis en accusation ; mais il était
riche et démocrate ; il ne fut pas condamné. Il est donc vrai-
semblable que, parmi les nombreuses réformes de l'archontat
d'Euclide, en 403, quelques-unes s'appliquèrent aux tribunaux;
et, en effet, dans les dernières pièces d'iVristophane, comme les
Ecclesiazousai, en 392, et le Plutus, en 388, nous trouvons des
allusions, qui n'existaient pas dans les premières, aux sections
(1) Sur ce sujet, on peut consulter les trois derniers chapitres de la dissertation
de Teusch, et surtout les conclusions de Texcursus de Keil {Anon. Argentin.,
p. 265-269). Certains points d ailleurs y sont, je crois, très discutables. Ainsi, je
ne sais trop s'il y a grand chose à tirer du § 10 du discours c. Boiotos (ch, m de
Teusch). Je ne suis pas convaincu (avec Keilj qu'avant 403 deux jours aient
jamais été accordés pour aucun procès (on n'en prévoit qu'un, de toute façon,
pour les généraux des Arginuses, en 406); et je me demande si nous possédons'
des éléments assez décisifs pour avancer que le jour légal ait été calculé, à un
moment donné, sur le mois Pyanepsion (Octobre).
LES SEPT DERNIERS C!IAPITHES DE L^'ABUNAItiN MOATTEfA 83
héliasliques désignées par des lettres et soumises à des tirages
au sort {Eccl., 681 ; Piui., 277, il6G). Mais ces tirages sont
beaucoup moins compliqués à ce moment qu'ils ne le seront
plus tard. On en vient alors à envisager les deux autres
époques où, à notre connaissance, se sont produits encore des
changements considérables dans la constitution d'Athènes :
l'un, vers 373, quand se reforme la nouvelle Ligue maritime,
l'autre, vers 338, après Ghéronée. Keil, remarquant l'impor-
tance, dans r'AQrivauov izoIi^eIol, des chapitres consacrés aux tri-
bunaux, songe à expliquer par la nouveauté des faits l'intérêt
qu'y prend Aristote. 11 avait quitté Athènes en 347, d'abord
pour voyager de divers côtés, puis pour devenir le précepteur
d'Alexandre ; il y rentre en 335, quand son élève entreprend
son expédition contre la Perse : ce serait dans cet intervalle de
douze ans qu'aurait été profondément remanié le régime des
tribunaux athéniens. Il n'est pas douteux qu'il s'y soit produit
des transformations ; nous en avons signalé à propos de la
vitesse, d'écoulement des clepsydres et du temps accordé pour
les S'.aô'.xao-'laf. (p. 60). Mais, comme l'ensemble des plaidoyers
des orateurs attiques ne nous révèle pas, en somme, d'écarts
très considérables dans la législation, je serais, pour ma part,
disposé à faire remonter plus haut l'époque des grandes
réformes. Timidement amorcées en 403, elles auraient été
accomplies, dans leurs parties essentielles, vers 375, et, par la
suite, complétées simplement sur des points de détail.
Peut-être, à cet égard, pourrait-on tirer argument d'une
curieuse inscription d'Eleusis, oij, dès 352, nous voyons les
Athéniens, pour consulter l^oracle de Delphes, faire preuve
d'une défiance aussi générale, et adopter des précautions aussi
minutieuses que dans leurs tribunaux. 11 est naturel de suppo-
ser que, dans un acte assez rare de la vie religieuse, on s'est
inspiré du même état d'esprit qui régnait couramment dans la
vie politique ; il le serait moins, je crois, d'admettre que toute
cette procédure compliquée ait été subitement improvisée pour
un cas spécial, et que, de là, on se soit avisé de la faire passer
84 Ct. colin
dans la loi pour régler à l'avenir la nomination des juges et
leurs opérations. Si cette idée est juste, ce serait une raison de
plus pour reporter avant 352 l'organisation des tribunaux,
telle qu'elle nous apparaît dans Aristote.
Quoi qu'il en soit, comme terme de comparaison avec tout
ce que nous avons constaté précédemment, l'inscription d'Eleu-
sis vaut la peine d'être citée. Donc, en 352, on discute à
Athènes sur l'emploi qu'il conviendiait de faire d'un terrain
appelé la Upà opyà;, et situé sur les confins de l'Attique et de
la Mégaride. Gomme il était consacré à Déméter et à Coré, on
le laissait auparavant en friche; on se demande alors (et l'ini-
tiative en revient sans doute à un financier pratique comme
Eubule) s'il ne vaudrait pas mieux le mettre en adjudication,
en spécifiant, bien entendu, que le produit de la location servi-
rait à entretenir et à embellir le sanctuaire d'Eleusis. Avant de
rien décider, on tient à demander à Delphes Tavis d'Apollon;
or, voici sous quelle forme on entend faire la consultation
(/G., II, 5, 404 a = Ditt.^ n° 789, 1. 22-53).
« Le secrétaire du Conseil prendra deux lames d'étain de
même taille et parfaitement semblables ; il inscrira sur la pre-
mière : « Est-il plus avantageux et préférable pour le peuple
d'Athènes que l'archonte-roi afferme les parties actuellement
en friche du terrain sacré à l'intérieur des bornes, en vue de
construire le Portique et de restaurer le sanctuaire des deux
déesses? » et sur la seconde : « Est-il plus avantageux et préfé-
rable pour le peuple d'Athènes de laisser abandonnées, pour
faire honneur aux deux déesses, les parties du terrain sacré qui
ne sont pas cultivées à l'intérieur des bornes? » Quand le secré-
taire aura fait ces inscriptions, il donnera les deux lames d'étain
à l'épistate des proèdres. Celui-ci les roulera l'une et l'autre;
puis, après les avoir enveloppées de laine, il les mettra dans
une urne de bronze, en présence du peuple; ces objets seront
tenus prêts par les prytanes. Les trésoriers de la déesse descen-
dront sans retard dans l'Assemblée deux urnes, une d'or et
une d'argent. Alors l'épistate (des poèdres), après avoir secoué
LES SEPT DERNIERS CHAPITRES DE L"A0FJNA[i)N HOAITEIA 85
Turne de bron/e, en tirera successivement les deux lames
d'étain; il déposera la première dans l'urne d'or, la seconde
dans Turne d'argent, et il ficellera solidement les deux urnes.
Là-dessus, l'épistate des prytanes y apposera le sceau de l'Etat,
et tout autre Athénien sera libre d'y ajouter également le
sien, s'il le désire; après quoi, les trésoriers remonteront les
urnes à l'Acropole. Le peuple élira trois citoyens, l'un pris
dans le Conseil, les deux autres parmi l'ensemble des xAthé-
niens, pour aller à Delphes demander au dieu suivant laquelle
des deux formules les Athéniens doivent agir à propos du
terrain sacré, celle de l'urne d'or ou celle de l'urne d'argent.
Lorsque les envoyés seront revenus d'auprès du dieu, on
redescendra les urnes, et on lira au peuple à la fois la réponse
de l'oracle et les formules inscrites sur les deux lames d'étain;
la formule que le dieu aura indiquée dans sa réponse comme
plus avantageuse et préférable pour le peuple d'iVthènes réglera
la conduite à tenir afin de témoigner la plus grande piété
possible envers les deux déesses, et afin que jamais dans l'ave-
nir aucune impiété ne se commette à propos du terrain sacré
ni des autres sanctuaires qui sont à Athènes ».
On peut admirer l'incontestable ingéniosité de toutes ces
précautions; mais l'impression la plus nette qui en ressorte
est celle d'une défiance poussée à l'extrême vis-à-vis de tout
le monde. Il en est exactement de môme à propos des tribu-
naux populaires; et cela nous remet malgré nous en mémoire
un certain nombre de traits qu'on lisait bien dans les auteurs,
mais auxquels on se refusait à accorder pleine créance. Ainsi
Aristophane, entre beaucoup d'autres choses, reproche aux
héliastes — les cppàTspsç Tpt.coê6Xou, comme il les appelle —
d'obéir aux suggestions, justes ou injustes, des démagogues
{Cav., 255); et il nous montre Gléon leur ordonnant d'arriver,
pour tel jour, avec une bonne provision de colère [Guêpes,
242) ; mais, répondait-on, c'est un poète comique, et on ne sait
jamais trop, chez lui, quand on passe du portrait à la charge.
D'après le petit traité de la République d'Athènes qui figure à la
86 Ct. colin
suite des œuvres de Xénophon, les jurés, dans leurs tribunaux,
ont bien plus le souci de leur intérêt personnel que de la
justice (1, 13); leur grand nombre est la seule protection
laissée au public contre leur vénalité (3, 7) ; mais l'auteur est
manifestement un aristocrate : il risque d'être injuste pour le
parti opposé. A en croire Théopompe, dans cette Athènes que
le dieu de Delphes avait proclamée jadis le foyer, le prytanée
de la Grèce, on ne trouvait plus, de son temps, que des gens de
théâtre, des matelots, des voleurs d'habits, et encore de faux
témoins, des sycophantes et des hommes prêts à certifier toutes
les citations de fantaisie {FHG. Did., I, p. 328, n° 297) ; mais
Théopompe a toujours passé pour une mauvaise langue, male-
dicentissimiis scriptor, dit Cornélius Nepos. Lysias nous
montre des juiés menacés de perdre leur salaire, s'ils ne
prononcent pas la condamnation qu'on réclame d'eux [c. Epi-
crate^ 1), ou des accusés se vantant, au cours même du procès,
avant le prononcé de la sentence, d'avoir acheté une bonne
partie du tribunal [c. Philocrate, 02) ; Démosthène, dans ses
exordes, fait allusion plus d'une fois aux sollicitations indis-
crètes dont les jurés sont assaillis au moment de leur nomina-
tion [Ambas. 1), et il ne croit pas inutile de leur rappeler leur
serment d'impartialité [Midienne^ 4) ; mais, là encore, on se
demandait volontiers s'il n'y avait pas une part à faire aux
lieux communs oratoires.
Aujourd'hui que nous connaissons mieux le règlement même
des tribunaux, tous ces témoignages en reçoivent une singu-
lière confirmation. Evidemment, la loi s'emploie de son mieux
à dépister et à prévenir les fraudes ; mais, visiblement, plai-
deurs, jurés, présidents, magistrats et fonctionnaires quel-
conques, tout le monde est impliqué dans la même suspicion.
A chaque instant, on multiplie les tirages au sort ; on ne les
fait, autant que possible, qu'au dernier moment ; et les moyens
de contrôle se doublent presque toujours les uns les autres.
Dira-t-on qu'il y a là un luxe de précautions, et que les
Athéniens auraient pu aisément se contenter à moins de frais?
LES SEPT DERNIERS CHAPITRES DE L"AeHNAIÛN IlOAITEIA 87
Nous ignorons ce qui se serait passé alors dans les tribunaux,
puisque, une fois établie sous cette forme, la loi y était appli-
quée. Par contre, en matière religieuse, nous connaissons un
cas assez semblable à celui d'Eleusis dont nous parlions tout à
l'heure, mais où Ton procéda d'autre sorte. Quand Philippe,
après Ghéronée, eut attribué de nouveau Oropos aux Athé-
niens, ceux-ci en partagèrent le territoire en cinq lots, qu'ils
répartirent par le sort entre leurs tribus groupées deux par
deux. Au bout de quelque temps, entre 330 et 32 i, on eut des
scrupules à propos d'un de ces lots : on se demanda s'il n'avait
pas été jadis consacré à Amphiaraos. Le mieux parut être de
poser la question au dieu lui-même ; et, puisqu'il avait cou-
tume de manifester sa volonté, en songe, à ceux qui venaient
dormir dans son temple, on chargea officiellement Euxénippos,
avec deux autres citoyens, d'aller passer une nuit dans l'Am-
phiaraon. Les Athéniens jugèrent suffisant, cette fois, de s'en
tenir simplement à ce que leur rapporteraient leurs délégués ;
ils eurent tort. Quand on voulut reprendre leur lot aux deux
tribus qui l'avaient occupé, il y eut des mécontents ; il en
résulta des procès ; et, en fin de compte, le malheureux Euxé-
nippos fut accusé de s'être laissé corrompre et d'avoir inventé
ce qu'il prétendait avoir vu en songe (Hyper., p. Eux.^ 3, 14-
15) ; il fut traduit en justice par voie d'sla-ayyeXia, comme s'il
avait mis en péril la sûreté de l'Etat, et courut péril de mort.
Était-il coupable ou non? peu nous importe ici. Nous en
conclurons seulement que toutes les minuties de la loi athé-
nienne n'étaient que trop justifiées. Puisqu'on se soupçonnait
si aisément les uns les autres, le mieux était d'agir en consé-
quence ; mais cela éclaire d'un jour assez fâcheux la moralité
des Athéniens du iv® siècle.
G. Colin.
Nancy, Février 1916.
ÉTUDES D'HISTOIRE HELLÉNISTIQUE
SUR LA (( GUERRE CRETOISE » (xpy]Tixoç r.àleu^oç)
I
Dans son excellent Bulletiii épigraphique (1), P. Roussel,
après avoir analysé Tinte'ressant décret voté par les auxi-
liaires Cretois de Ptolémée Philométor (2) en l'honneur de leur
bienfaiteur "AvAaoç BsoxXéouç, citoyen de Kos et grand dignitaire
de la cour d'Egypte, a noté qu'un "AyXaoç 0£uxA[£G;] est nommé
dans une liste religieuse du dème d'Istlimos (île de Kos) (3).
Cette remarque est exacte. La famille d'"AYAao; HsoxXéouç
(ou ©suxXeuç) est assez bien connue, mieux que je ne l'avais
indiqué quand je publiai le décret des Cretois. Si je reviens
sur le sujet — quoique l'intérêt en puisse à bon droit sembler
mince — , c'est qu'en l'étudiant de près, on est amené à éluci-
der une question d'histoire qui ne laisse pas d'être importante.
Dans un travail déjà ancien (4), l'explorateur de l'Asklé-
(1) Eev. Et. gr., XX VU (1914), 457. Cf. les remarques que P. Roussel a bien
voulu consigner, à ma demande, dans un Bulletin plus récent : ihid., XXVIII
(191S), 468.
(2) Publié par moi dans VArch. fur Papyriisforsch., 1913, 9 sqq.
(3) R. Herzog, Sitz.-ber. Berl. Akad., 1901, 479, 3; cf. Klio, II, 323.
(4) KpriTixôç xdX£fj.oç [Klio, II (1902), 316 sqq.).
ÉTUDES d'histoire HELLÉNISTIQUE 89
pieion de Kos, R. Herzog, a signalé à l'attention (1) deux citoyens
de Kos mentionnés dans les inscriptions de l'île, qui sont les
suivants :
1** "AyloLoç 0£uxX[£Us] (le même qui est nommé plus haul). Il
le faut probablement identifier avec l'éponyme ([jLovapyoç)
"AyXaoç, connu par les monnaies de Kos (2), et par la liste des
personnes admises au culte d'Apollon Délios que M. Dubois
découvrit à Kalymna (3).
2*^ BsuxXrîç 'AyÀàou, presque certainement fils du précédent.
11 figure, comme donateur d'une somme de 500 drachmes, sur
la liste des citoyens qui firent, à Kos, une souscription publique
« pour le salut de la patrie » (4); et c'est en son honneur que les
habitants du dème d'Halasarna votèrent le grand décret retrouvé
par Herzog (5). Ce texte précieux nous apprend que, « dans les
circonstances les plus critiques » — durant deux guerres suc-
cessives — , Theuklès sut, avec la plus intelligente activité,
pourvoir à la sûreté du dème, exposé aux descentes des enne-
mis, et qu'il le protégea etïicacement contre toute invasion (6).
(1) Ibid., 323.
(2) Cf. Paton-Hicks, Inscr. ofCos, 316 (n. 184), 317 (n. 204), 318 (n. 216).
(3) M. Dubois, BCH, 1884, 30 = Collitz-Bechtel, 3593; cf. Paton-Hicks, ibid.,
352 sqq. — A peine ai-je besoin de rappeler qu'à 1 époque où remontent tous les
documents ici mentionnés, Kalymna était rattachée à TÉtat de Kos, dont elle
formait un dème (cf. Paton, Classic. Rev., 1902, 102).
(4) Insc/\ Brit. Mus., 343 (avec fausse attribution à Khodes) = Paton-Hicks, 10
= Collitz-Bechtel, 3624 = Michel, 642; col. c, 1. 50 : BevcXf,? {sic) '\yÇKd)ou P. Cf.
Herzog, Klio, II, 317-318.
(5) Herzog, ibid., 321-326; cf. G. Cardinal!, Riv. di FiloL, 1907, 8 {Creta nel
tramonto delV Ellenismo).
(6) Aux mêmes circonstances se rapportent, comme il résulte de concordances
prosopographiques : 1° la liste de souscription de Kalymna : Inscr. Brit. Mus.,
298 = Collitz-Bechtel, 3590; cf. Herzog, ibid., 318; — 2^ le décret de
Kalymna pour AûaavSpoî ^otvixoç, vainqueur des Iliérapytniens au combat naval
du cap Lakéter: Inscr. Brit. Mus., 259 = Collitz-Bechtel, 3586 = Herzog, ibid.,
318-319; — 3° le décret de Kos (en partie inédit) pour AtoxXfi; AswSâfxavTOî, qui
avait repoussé les ennemis descendus sur le territoire d'Halasarna : Herzog,
ibid., 320. — Il est possible, mais il n'est pas démontré à mes yeux, que le
décret des noTiSaistç (Karpathos) pour na[x.ptXî5a(; 'lépwvos (Beaudouin, BCH, 1884,
353 = Sylloge^, 270 = IG, XII, 1, 1033 = Collitz-Van Gelder, 4321 = Michel, 437)
se rattache au même groupe, comme le pense, Herzog, ibid., 321. — Pour la dédi-
cace de Nisyros [IG, XÏI, 3, 103), voir ci-après, p. 96 et suiv.
90 M. HOLLEAUX
Il est évident, à première vue, que ces personnages sont
étroitement apparentés à "AyXaoç OsoxXéouç bienfaiteur des Cre-
tois; c'est un point que j'essaierai de préciser un peu plus loin.
A quelle époque placer le décret des Halasarnitains? Si l'on
admet l'interprétation qu'en a donnée le premier éditeur, il
daterait de l'année 20 j (1).
Il y est fait, comme j'ai dit, mention de deux guerres (2).
D'abord (1. 6), « la guerre Cretoise » (6 y.pri'ziy.o; 7:6à£|jloç) ; puis
(1. 12-13), une seconde, qui succéda — immédiatement, semble-
t-il — à la précédente, et qu'on appelle « la guerre qui vient
de naître » (6 o-uvso-Taxwç tïoXsjjloç), autrement dit, « la guerre
actuelle » (3), expression d'oiî il faut conclure que c'est avant
la fin ou, au plus tard, à la fin de cette seconde guerre que fut
rendu le décret. Dans le xpr^Tt-xoç TroXejjio;, Herzog a pensé recon-
naître la guerre que les P^tats crétois, ou un certain nombre
de ces États, firent, à l'instigation de Philippe V, aux Rhodiens
et à leurs alliés (parmi lesquels se trouvait le peuple de Kos)
à partir de l'année 204 (4). Dès lors, « la guerre actuelle »
serait celle qui mit aux prises, dans l'été de 201, Philippe et
les Rhodiens. C'est, peut-on croire, dans le temps qui suivit la
bataille de Ladé, que la flotte macédonienne aurait attaqué l'île
(1) Cf., en général, Herzog, ibid., 327-328, dont je m'écarte sur quelques points.
(2) Et non de « deux phases d'une même guerre », comme l'a écrit Herzog
{ibid., 327). H résulte d'une communication que me fit Herzog en 1902, que le
décret pour Aiox);fi(; AsoiSiiiav-coç parle aussi très nettement, dans sa partie iné-
dite, de deux guerres successives. La première est dite ô xp-ritixôç 7cdX£[jL0î, la
seconde ô ÈveaTaxwç TiôXsfxoi;.
(3) Cf., dans Polybe, V, 104, 2; 104, 7, un emploi tout semblable de la même
locution : Tcpoi'8o[xévou; — xô [jLeyeOo; tou cruvsaxwxoç irpoî xat^ Sûssai ■7ro)v£[xou — ;
aùxôv T^iov xal xoîî èv 'IxaXttx auvsaxwai TtoXéfxoi.ç irpoué^^eiv xôv vouv.
(4) Herzog, ibid., 327-328. Sur cette guerre, voir, en dernier lieu, Cardinali,
Rio. di Filol., 1907 {Creta nel tramonto delV Ellenismo), 6 sqq. ; HoUeaux, Klio,
XIII (1913), 145 sqq. Au premier rang des États cr*étois ennemis de Rhodes il
faut mettre Iliérapytna, comme le montre l'inscription de Kalymna (Collitz-
Bechtel, 3586) précédemment citée.
ÉTUDES d'histoire HELLÉNISTIQUE 91
de Kos. Mais ces attaques n'auraient été que de brève durée.
En effet, avant l'automne, les escadres unies des Rhodiens et
d'Attale réussirent à enfermer Philippe dans la rade de Bar-
gylia (1). A ce moment-là se serait terminé pour les habitants
de Kos — que la suite des hostilités n'intéressa nullement —
le a-uv£TTaxw; tuoâsjjlo;; vers ce moment-là aurait été voté le
décret en l'honneur de OsuxXris 'AyXàou. Ainsi, ce document et
les inscriptions, assez nombreuses, de Kos et de Kalymna, qui
se groupent autour de lui (2), nous mettraient sous les yeux
quelques épisodes des grandes luttes navales dont la mer des
Sporades fut le théâtre à la tin du ni^ siècle, et qui préludèrent
à la seconde guerre de Rome contre Philippe. Le gain histo-
rique ne serait pas médiocre.
L'opinion de Herzog a rencontré l'adhésion générale (3), ce
qui ne saurait surprendre, car elle paraît, dès l'abord, tout à
fait plausible. Cependant un doute subsiste, un doute dont,
souvent, je n'ai pu me défendre. Pourquoi, dans le décret
d'Halasarna, les mots xpYiTuoç uoXeiJioç ne désigneraient-ils
pas, comme chez Polybe, celte guerre difficile que, vers le
milieu du n" siècle, probablement en 155/4, les Rhodiens sou-
tinrent contre les Cretois, et sur laquelle Polybe, Diodore et
Trogus (4) nous ont laissé quelques renseignements clairse-
més? Notons que la question s'est déjà posée au sujet d'une
inscription bien connue de Nisyros (5), et qu'il y a été fait
(1) Pol., XVI, 24, i sqq.
(2) Ci-dessus, p. 89, note 6. Cf. Herzog, ibid., 327-328; Cardinal!, ibid., 7-8.
(3) Cf. Niese, lll, 379 ; Bouché-Leclercq, Hist. des Lagides, I, 353, 3 ; Cardinali,
ibid., 5-11 ; Holleaux, ibid,, 143 sqq.; W. Otto, P.-W., VII, 2599, s. v. Eegesan-
dros,^\ M. Nicolaus, Zwei Beitr. zur Gesch. Kônig P/iilipps F(diss. Berl. 1909),
39, 80, etc.
(4) Pol., XXXIII, 4 {Exe. de virl. et vit., II, 200, § 110 Roos); 13, 2 {Exe. de leg.,
I, 60, § 33 De Boor); 15,3 {Id., II, 356, § 115); 16 {Id., ibid., § 116); 17 {Exe. de
sent., 200, § 144, Boissev.); Diod. [= Pol.], XXXI, 37-38 {Id., 376, §§ 368, 369
Boissev.); 43 {Id., 377, § 372 Boissev.) ; cf. 45 {Exe. de virt. et vit., I, 290, § 295
B. Wobst); Trog., Prol., 35. — Sur cette guerre, Niese, III, 324-326 (et pour la
date, 324, 4); Cardinali, ibid., 25 et note 7.
(5) IG, XII, 3, 103 (cf. Hiller von Gârtringen, Sitz.-ber. Berl. Akad:, 1895, 471
sqq.). Voir ci-après, p. 96.
92 M. HOLLEAUX
deux réponses contradictoires. Cette inscription est une dédi-
cace en l'honneur d'un citoyen qui avait été stratège pendant
la guerre crétoise : [TjTpaTayyJa-avTOç — xaxà Tr6X£[jLo[v to]v xpyiTLXov.
On est tout de suite poi'té à croire que « la guerre crétoise »
ici mentionnée est la même dont parle le déciet d'Halasarna.
Or, tandis que Herzog, comme il est naturel, estime qu'il
s'agit encore de la guerre de 204 (1), le premier éditeur du
texte de Nisyros n'a point hésité à penser que par xp-^Tixoç
TioXsjjLOs il fallait entendre la guerre de 153 (2). Il est clair
que le décret d'Halasarna soulève a priori une difficulté sem-
blable.
A la vérité, ceux qui identifient le xp7]Tt.xo; 7zokt\koç avec la
guerre de 204 peuvent alléguer, en faveur de leur hypothèse,
une raison très digne d'attention : c'est que, dans cette hypo-
thèse, on s'explique très bien, comme je l'ai indiqué plus haut,
ce qu'est le o-uvso-TDcxto; ttoXsijloç succédant à la « guerre cré-
toise », au lieu qu'on ne voit pas du tout ce que pourrait être
cette « guerre actuelle », si la <( guerre crétoise » se place en
15o. Du milieu du ii^ siècle à l'époque de Mithradates nous
n'avons, en effet, connaissance d'aucune guerre faite ou soute-
nue par les Rhodiens ; et la guerre dite o-uvsTTaxw; 7i6a£jjioç paraît
avoir été des plus sérieuses : il serait bien étrange qu'il n'en
subsistât nulle trace dans la tradition littéraire.
Si solide que soit cette raison, l'on aimerait pourtant à
la renforcer d'autres arguments. C'est ici que le décret des
auxiliaires crétois de Philométor en l'honneur d"'AYXaoç %to-
yXiouq nous peut être de quelque secours.
Ce décret fut voté tout de suite après l'expédition faite par
(1) Herzog, ibid., 329.
(2) Hiller von Gartringen, ibid. Même opinion chez C. Robert, P.-W., VI, 41,
s. V. Epicharmos, 3 ; et chez Blinkenberg-Kinch, Explor. archéol. de Rhodes,
3* rapport (1905), 71.
KTUDES d'hISTOIHE HELLÉNISTIQUE 93
Philométor en Cyprc (1), de sorte qu'il est quelque peu posté-
rieur à 158 ou à 154, selon l'année où l'on place celte expédi-
tion (2). Quant au décret d'IIalasarna, nous venons de dire
qu'il peut, a priori^ soil appartenir à l'année 201, soit être un
peu postérieur à 155/4. Si l'on admet la date la plus récente,
les deux décrets seront donc quasi-contemporains. Si Ton admet
la plus reculée, Tintervaile qui les séparera ne sera encore que
de 45 à 50 ans : d'oii cette conséquence que, même en faisant
remonter aussi haut que possible, c'est-à-dire jusqu'en 201, le
décret d'Halasarna, il n'y a pas lieu d'intercaler deux géné-
rations entre 0£uxXf,ç 'AyXàou et "AyXaoç BeoxAéouç; c'est une
filiation directe qui doit avoir uni ces deux personnages.
Ceci posé, rappelons-nous que, selon toute apparence, Bsu-
x).-r|ç 'AyAàou eut pour père cet "Ay}.aoç 0£uxX[£uç] qui figure en
première place sur la liste religieuse d'Isthmos et qui ne dif-
fère probablement pas du |j.6vapyo; éponyme de Kos, "AyAao;. Ce
citoyen de Kos, comme l'indique la présence de son nom sur
la liste d'Isthmos (et comme l'indiquerait aussi son élection
aux fonctions de p.6vapyos, si l'identification avec l'éponyme
"AyXaoç était certaine), vécut dans son île natale. Il ne peut donc
être le même qu' "AyXaoc; ©soxXeouç, lequel, comme il ressort du
décret des Cretois en son honneur, avait fixé son domicile en
Egypte. Par suite, il faut voir dans "Ay).aoç BsoxXéou^ (décret des
Cretois), non point le père, mais le fils de BsuxXriç 'AyXàou
(décret d'Halasarna).
Il n'est pas impossible d'évaluer avec vraisemblance l'âge
approximatif d' "AyXaoç ©soxXéou; à l'époque oii les auxiliaires
de Philométor le comblèrent d'honneurs, c'est-à-dire peu après
158 ou 154. Ce n'était pas un vieillard : on nous dit de lui qu'il
avait pris part à l'expédition de Cypre « sans reculer devant les
dangers ni les fatigues » (outs x'1v8uvov o-jts xaxoTiaQiav sxxsxÀt-
(1) Cf. Archiv, 17. On lit, aux 1. 8-9 du décret : xotl vuv èv xf,-. ye^oiiévrii xaxà
KyTipov jTpaTsîai...
(2) Cf. Àrchiv, 17, note 3.
94 M. HOLLEAUX
x£v) (1). Mais il s'en fallait que ce fût un jeune homme; cette
phrase du décret — t1]ç asyLa-T/i; Tit^rlç xal TrpoaYwyfiç Ti^icojASvoç
Ttaoà âaadfsi;] nToAsjxa'lw. (2) — montre qu'il avait fourni, au
service du roi d'Egypte, une longue carrière, récompensée par
un avancement mérité. Il avait sûrement atteint ou dépassé
la maturité, et nous lui devons attribuer au moins quelque
50 ans. Cela le fait naître vers 210 ou 20S. Si l'on place en 201
le décret d'Halasarna, "AvXaoç B£ox).£Ouç pourra donc le mieux
du monde être le fils de Osu/Aris 'Ay).àou, et nous aurons ce
stemma très vraisemblable :
"AyAaoç I (liste d'Isthmos)
©suxXrjç (décret d'Halasarna)
I
"AyAao; II (décret des Cretois).
Mais il est manifeste que les choses iront beaucoup moins
bien si l'on fait descendre le décret d'Halasarna jusqu'après
155. "AyXaoç B£ox>iouç ayant une cinquantaine d'années à cette
époque, ©suxXrjç 'Ay).àou, son père, sera, à tout le moins, septua-
génaire. C'est trop, semble-t-il, pour le rôle si actif qu'on le
voit jouer pendant la « guerre crétoise » et la « guerre actuelle ».
iNotons, au reste, qu'à la façon dont il est parlé de lui dans le
décret d'Halasarna, il parait avoir été, lors du vote de ce décret,
d'âge peu avancé. C'est chose remarquable que, ni au commen-
cement ni à la fin du texte, il ne soit fait allusion à des services
publics qu'il aurait rendus ou à des charges qu'il aurait gérées
antérieurement aux circonstances où il vient de se signaler.
Rien n'indique non plus, quoi qu'en ait pensé l'éditeur, que,
durant les deux guerres, il ait exercé une magistrature (3).
(1) L. 11-13 du décret des Cretois.
(2) L. 3-4 du même décret.
(3) Herzog [ibid., 325) penche à croire que Theuklès avait exercé la aTpaTïiyia.
Mais, si tel était le cas — et la chose n'a point échappé à Herzog — cette fonction
devrait être mentionnée. Theuklès m'a tout l'air de n'être qu'un siaiple citoyen,
énergique et généreux, qui prend, soit à Halasarna, soit à Kos, l'initiative d'une
série de mesures de salut public, et qui délie volontiers sa bourse pour subvenir
ÉTUDES d'hISTOIKE HELLÉNISTIQUE 9S
11 semble donc qu'il fût au début do sa carrière. EfTective-
mcnt, la phrase par où se termine la formule liorlalive —
OUWÇ OUV... ©SUxXfjs T£ Tl>y(WV TWV TljjiwV TîOA'J 7rpoQu[J.6T£pOV aUTOV
TtaoévriTat. tlq "^à to^ ùôl^ou yor\'7i\La, (1) — est fort convenable s'il
s'agit d'un citoyen, encore jeune, dont le zèle a besoin d'encou-
ragements. En revanche, elle ne s'appliquerait guère au vieil-
lard blanchi sous le harnais qu'eûl été BsuxAriç 'AyAaou vers 155.
Si le décret avait été rendu à cette date, c'est le long passé du
personnage et ses mérites anciens qu'on se fût complu à rap-
peler; il n'aurait point été question de l'avenir.
Ainsi, l'on va à l'encontre de toutes les vraisemblances si l'on
place vers la môme époque le décret des^ Cretois et le décret
d'Halasarna ; au lieu que rien absolument ne s'oppose à ce que
ces documents soient séparés par un laps de temps considérable.
Autrement dit, le choix étant limité, pour le décret d'Hala-
sarna, entre l'année 201 et une année postérieure à lo5, c'est
sûrement la date la plus reculée qu'il faut préférer. Et, par
suite, le xp/^Tt-xoç izôXz^o^ doit, comme l'a cru généralement, être
la « guerre Cretoise » de 204 et années suivantes.
II
Reportons-nous maintenant à l'inscriplion dédicatoire de
iNisyros, dont j'ai plus haut fait mention; et, sans avoir égard
au décret d'Halasarna, voyons comment il y faut interpréter
les mots xp7]Tt.xô.; tcoAsjjloç.
Je reproduis ici la partie intéressante pour nous de cette
dédicace (2) :
aux besoins du dème ou de TÉtat. Je ne crois pas que la phrase (L 16-18 du
décret) TreroXcxeuTat auvfspouaav xal Suvaxàv 6ioîx-r;aiv TtotT,aaîxsvo? xt>v. doive
s'appliquera un magistrat. Le verbe TtoXixeuofxai désigne simplement ici la parti-
cipation aux aflaires publiques.
(1) L. 39-42 du décret d'Halasarna.
(2) Les 1. 1-5 ne renferment guère que des noms propres, plus ou moins mutilés,
et sont négligeables. — La 1. 15 donne la signature du sculpteur Épicharmos
•de Soloi.
96 M. HOLLEAUX
6 [. .vojpa; y.a[l T](.jjLâT[a 'jTTsp] toG Trà7i7io[u]
[TjTpaïayr^TavTOi; £ xaTa 7i6X£|jlo[v]
[tojv xotjTUov £['7rjl 'Ao- ç xl'ajl Tf.[[jt.]aQ£VTOç
[uJttq tol» Sà[JLOU £7r[a]ivw['., yp]ua-£0)'. a-T£cpàv[(i)'.],
iO [TCpJOîSpiat. £V ToTç àyW(7t. oOç TiQ£VT', N!.(rup[!.oi]
xal a-TloaT£'j(7aa£VOU [xlaToc tïoXe
ov
[|ji£Tà] vauàpy^tov KXEwvaiou, 'Ax£a-!.[jLêp6To[u],
Eùoà[jiOL», IIoo-£f.8àvt. ApY£'lcOt.
xal "Ap£i yapio-Tript.ov.
Commençons par préciser le contenu des l. 7-8.
On a voulu que la a-Tpa-riY'la de N. eût consisté en un com-
mandement naval, — dans le « commandement d'une division
légère de la flotte » (1); et c'est pourquoi l'on a proposé les
restitutions o-TpaTaYrjO-avToç £[v vauo-'l] (2) et £[v àcppàx705,ç] (3) (celle-
ci manifestement trop longue), qui ne sont acceptables ni l'une
ni l'autre. Mais cette interprétation du mot o-TpaTayTio-a; ne me
paraît pas exacte. A ma connaissance, les o-Tpa-cayoL de l'Etat
rhodien — dont dépendait alors Nisyros — exerçaient tou-
jours leur commandement sur terre (4). Celui dont il s'agit ici
dut être préposé à la défense et à la garde du territoire de la
petite île. Remarquons, en effet, que s'il avait commandé sur
mer, il aurait eu au-dessus de lui un navarque, lequel eût été
mentionné expressément comme le sont, aux 1. 12-13, les
navarques Kléonaios,. Akésimbrotos et Eudamos. Je sais bien
que, pour satisfaire à cette nécessité, on a voulu qu'Acr[TU|JLyi-
(1) Herzog, Klio, II, 329.
(2) Ililler (avec cloute) dans Sitz.-ber. Berl. Akad., 1895, 473; dans IG, XIÎ, 3,
103, la restitution est donnée comme sûre.
(3) Herzog, ibid., 328.
(4) Cf. Schumacher, De re -publ. Rhodiorum, 51 ; Van Gelder, Gescli. der ait.
Rhodier, 252-253. Le titre de arpaTT^yôç xwv 'PoStwv, donné par Polybe (XXXIII,
4, 1) à l'amiral Aristokratès, qui commandait la flotte rhodienne contre les Cre-
tois en 155, n'autorise aucune conclusion. Cette qualification, sous la plume de
Polybe, n'a rien de technique.
ÉTUDES d'histoire HELLÉNISTIQUE 97
8yi]ç {?), nommé à la 1. 8, Fût un navarque (i). Mais, en pareil
cas, comme on le voit par la I. 12, oii il faut certainement sup-
pléer iJL£-:à et non em, et par l'inscription IG, XII, i, 41, 1. 5
(<TTpaT£ua-à[ji.£vov... xaxà ixoXsp.ov [xe-à vauàpywv xtX.), le texte por-
terait : [Asxà vauàpyo'j 'Ao-[TuijL/iô£u]ç (?). Ce que nous offre l'ins-
cription — £[7r]rA(r[TU[jiy]0£u]v; (?) — ne peut être qu'une notation
éponymique : As[tymédè]s (?) est l'éponyme de Rhodes, le
prêtre de Hélios (2). Il est malaisé de dire ce qui était écrit à la
suite de TTpaTayrjO-avxoç ; je pense toutefois que la restitution £[x
TràvTwv], déjà proposée par Van Gelder (3), a pour elle de
grandes vraisemblances (4).
Les 1. 7-8 de l'inscriplion me paraissent donc signifier que
A^. fut stratège [£x Tiàvrcov] (?) [à Nisyros^ mais au nom de
(1) Hiller, Silz.-ber. Berl. AkacL, 1895, 473; Biinkenberg-Kinch, Explor. arch.
de Rhodes, 3^ rapport, 71. — La restitution 'A(jTu[[XTi8eu]<; est incertaine, comme
l'a fait remarquer Hiller {ibid., 473) ; elle est cependant admise dans IG, XII, 3,
103. — Hiller [ibid., 473), qui considère le xpT,Tivcôç -ird^^sfxo; de l'inscription de
Nisyros comme identique à la guerre Cretoise de 155, est frappé de ce fait que,
lors de cette guerre, les Rhodiens élurent navarque un citoyen du nom d'Asty-
médès (Pol., XXXIII, 15, 3) — le même selon Blinkenberg-Kinch [ibid., 70-71),
qu"A<jTU[jLTi8T.(; OsaiSrixou, — et penche à croire que c'est là le « navarque » de notre
inscription. Mais il résulte du texte de Polybe qu'Astymédès n'exerça point eflec-
tivement la navarchie. Il fut nommé navarque en même temps qu'ambassadeur
à Rome (irpsaêeuxTii; à'jxa xal vaùap/oç xaOeaxaiJLsvoç), afin d'avoir droit d'exercer,
durant son ambassade, les pouvoirs discrétionnaires que la constitution rho-
dienne attribuait aux navarques (cf. Pol., XXX, 5, 5). S'il y eut, pendant la guerre
de 155, un navarque à la tête de la flotte rhodienne, ce n'était point Astymédès.
Les indications — à la vérité, fort insuffisantes — contenues dans les fragments
de Polybe donneraient du reste à penser que, sauf une courte interruption, la
flotte rhodienne n'eut point alors d'autre chef qu'Aristokratès (Pol., XXXIII, 17,
5; cf. Niese, III, 325, 6).
(2) Ceci a été bien vu par Herzog, ibid., 329 et note 1. — Un Astymédès, éponyme
de Rhodes, est nommé dans l'inscription honorifique publiée par Hiller [Wien.
Jahresh., 1901, 160), 1. 10. Mais ce texte n'est pas ou n'est guère antérieur à l'année
100. Cet Astymédès doit donc être distingué de celui qui aurait été contemporain
de la guerre crétoise. Le nom d'Astymédès se rencontre souvent sur les timbres
amphoriques : voir, par exemple, M. P. Nilsson, Timbres amphoriques de Lindos,
198 sqq. (n. 140-141).
(3) Van Gelder, Gesch. der ait. Rhodier, 255. Sur le sens encore mal défini de
cette expression, voirie même, ibid.
(4) Cf., par exemple, la dédicace (/G, XII, 1, 1036) de Nt^ayopaî naji.cpi>^(6a axpa-
xayViaaç é[iti x6 irépav xa]xà irdXejxov éx ita[vxo)v xejxpixt; — ; et l'inscription IG,
XII, 1, 701 : — [«îxpaJxayViTavxoç Ix icivxwv [èirl xâç] /wpaç xôtç Iv xS, vdtffffwi.
REG, XXX, 1917, n» 136. 7
98 M. HOLLEAUX
rÉtat r/iodie?i), pendant la guerre Cretoise^ l'année oii A[stymé-
dè]s (?) était prêtre de Hélios.
Les 1. Jl-13 rappellent les campagnes navales faites par le
même personnage. Comme tout le monde l'a remarqué, les
trois navarques rhodiens nommés dans ces lignes sont bien
connus.
Kiéonaios^ désigné par Théophiliskos mourant pour être son
successeur, prit le commandement de la flotte rhodienne au
lendemain de la bataille de Ghios, par conséquent dans l'été de
201 (1). Il put le conserver durant Tannée suivante (200). —
Akésimbrotos doit être considéré comme le successeur de Kléo-
naios. Il fut appelé aux fonctions de navarque, soit dès 200,
soit en 199; il les exerça en 199 (2), en 198(3), et peut-être
encore en 197, c'est-à-dire jusqu'à la fin de la guerre contre
Philippe. — Eudamos fut fait navarque à la place de Pausis-
tratos, après le désastre subi par les Rhodiens à Samos, en
190 (4). Il commanda la flotte rhodienne jusqu'à la fin des
opérations navales dirigées contre Antiochos ; on sait qu'il
vainquit Hannibal à Sidé et qu'il contribua grandement à la
victoire de Myonnésos (5).
Dans Texpression [a-:]paT£uo-a[jL£vou [xjaxà 7r6X£|Jiov (1. 11), le
mot TtoXeuLoç se trouve donc désigner tout ensemble : 1" la
guerre faite à Philippe par les Rhodiens, alliés d'Attale, dans
les eaux d'Asie, en 201, ou plutôt la partie de cette guerre qui
commença après la bataille de Ghios; 2° la suite de la même
guerre, c'est-à-dire celle que les Rhodiens, unis à Attale et
aux Romains, firent à Philippe ou à ses alliés, le long des côtes
de Grèce, de 200 à 197; 3° la guerre faite par les Rhodiens,
(1) Pol., XVI, 9,1.
(2) Liv. (P.), XXXI, 46, 6 (été 199); 47, 2 (automne 199).
(3) Liv. (P.), XXXII, 16, 6 (été 198); Pol., XVIII, 1, 4; cf. 2, 3-4 (automne 198).
(4) Liv. (P.), XXXVIl, 12, 9 (été 190); 15, S ; 22, 3; 23, 8; Pol., XXXI, 10, 5. —
Pour l'explication du fragment de Polybe (XXI, 7, 5), où se lisent les mots najx-
'ftXiôa; ô T'ov 'Po8{(ov vaûapyoi;, cf. Van Gelder, Gesch. der ait. Rhodier, 136, 3;
Weissenborn-Mûller, ad Liv., XXXVII, 12, 9. Le titre de vaùapj^oç, appliqué à
Pamphilidas, est certainement impropre.
(5) Liv. (P.), XXXVIl, 23, 9 — 24, 13; 28, 10 ; 29, 6 ; 29, 9 sqq.
ÉTUDES d'histoire HELLÉNISTIQUE 99
alliés des Romains, à Antiochos en 190, ou, plus exactement,
la partie de cette guerre qui commença après la catastrophe
de Samos.
C'est un fait à noter que le personnage dont la dédicace rap-
pelle la mémoire, n'avait servi ni sous Théophiliskos, navarque
dans les premiers mois de 201, ni sous Pausislratos, navarque
dans les premiers mois de 190. Il est probable qu'en 201, à la
suite des batailles de Chios et de Ladé, et qu'en 190, à la suite
du désastre de Samos, lesRhodiens se virent dans la nécessité
de renforcer leurs flottes (1). Ils firent alors appel à de nou-
veaux contingents; et c'est ainsi que notre Nisyrien reçut ordre
de se joindre à eux (2).
Lorsqu'il publia l'inscription de Nisyros, à une époque oii le
décret d'Halasarna n'était pas encore connu et où, par consé-
quent, l'expression y.p-ri'ziy.o:; izôlsiko:; était sans exemple, Ililler
von Gârtringen se persuada, comme je l'ai rappelé plus haut,
que ces mots désignaient la « guerre Cretoise » de 155/4. Mais
cette hypothèse se heurte à de très graves difficultés.
En premier lieu, elle oblige d'attribuer à JN., à l'époque du
xpYiTuoç TzôleiKoç, quclquc 65 ans ou plus encore (3) ; car il n'est
pas vraisemblable qu'il eût moins d'une vingtaine d'années
lorsqu'il fit campagne, en 201, sous le navarque Kléonaios.
Mais est-il croyable que N. ait été fait stratège à un âge si
avancé? — En second lieu, il faut supposer (4) que, dans le
résumé de la carrière de N., l'auteur de l'inscription a, non pas
suivi, mais remonté, l'ordre des temps. Il aurait commencé
par mentionner la oTpaxYiyLa du personnage honoré, bien qu'elle
(1) Cf. rindication donnée par Polybe pour la fin de la campagne de 201 (XVI,
24, 1) : ôswpoiv (Philippus) xal toùç 'PoSîouç xal "Ax-caXov où^ oîov SiaX-jovxaç x^
vauTivcôv, àXXà xal -TrpoaxXT^pouvTai; vaO^.
(2) Cf. Hiller, Sits.-ber. Berl. Akad., 1895, 473.
(3) Cf. Hiller, ihid., 474.
(4) Cf. Hiller, ihid., 472.
100 M. HOLLEAUX
fût de beaucoup postérieure à ses campagnes navales, — la
plus récente de celles-ci datant de 190, tandis que la o-rpaTriyU
n'aurait daté que de 155 ou 154. Or, rien n'autorise une telle
supposition. Ce qui, dans le premier moment, la peut faire
paraître acceptable, c'est que l'expression a-xpaTS'jTausvou xaxà
TToÀEfjLOv (1. 11) semble s'appliquer à un simple combattant, et
qu'il serait étrange qu'un ancien stratège, appelé à servir sur
la flotte, n'y eût pas exercé quelque commandement. Mais
notons d'abord qu'une inscription de Rhodes présente une
rédaction très semblable [IG, XII, 1, 701, 1. 3 sqq.) : [o-TpajTayr]-
o-avTO^ £x uàvTOJV [lizl Taç] yj^p'^-^ '^a;; £v Ta vaTo-w!. xal [o-TpaTsuJo-a-
{jlÉvou (1) £v ToTç àcppàxTOLç xa[l Upo9'J-:>^a-?]avTO<; £v Kajjisipwt, xal
l£007rot.rj[(TavTOs x]al £Ç!.£p!.a-T£uo-avTO(; xal v£vopL£vou [YpaijLjjLaTÉwç
{jLjào-Tpwv xxX. — , et qu'il n'est cependant pas douteux que, dans
ce texte, on se soit astreint à suivre l'ordre des temps (2). —
D'autre part, des mots a":paT£j3-a[i.£vou xaxà 7r6A£[i.ov n'impliquent
point du tout que, de 201 à 197 non plus qu'en 190, N. ne fût
qu'un simple soldat. Ainsi que l'a vu lui-même le premier
éditeur, il se peut très bien qu'il eût alors été pourvu d'un
commandement (3) : si ce commandement était de moindre
importance que, sur terre, la fonction de stratège, on s'explique
assez que l'inscription n'en fasse pas mention, d'autant que les
campagnes navales de N., campagnes anciennes et lointaines
auxquelles s'intéressaient peu les Nisyriens qui firent élever le
monument, n'y sont rappelées qu'avec une concision extrême
et voulue (4). Enfin, on observera que, dans la brève énumé-
(1) La restitution [ày-r]](ja[Asvo'j, proposée par Van Gelder {Gescli. der ait. Rho-
dier, 252), n'est pas admissible; il faudrait dyTicafievou xwv dcppivcTwv ou dtapaxxwv.
Le mot àyT.aafxévou semble d'ailleurs trop court.
(2) Cela résulte des 1. 18-19 de l'inscription : [ô Ssîva Ypa[jL][j.aT£Ù(; 5a[jL6aw<; [tôv
«utJou àoyo^xy. (restitution qui paraît certaine). La dédicace a été faite lorsque le
personnage honoré était Ypa[x|jLaT£j; txdtaTptov : cette fonction est donc la dernière
qu'il ait gérée. Cf. Van Gelder, ihid., 239. ,
(3) Cf. Hiller, ibid., 472.
(4) Le monument, consacré à Nisyros, n'a proprement pour objet que de célé-
brer la mémoire de N,, ancien stratège de Nisyros et chargé d'honneurs, à
l'occasion de cette magistrature, par le peuple de la petite île (l. 8-10).
I
ÉTUDES d'histoire HELLÉNISTIQUE dOl
ration de ces campagnes, c'est l'ordre chronologique normal
qui a été suivi : la navarchie de Kléonaios a précédé, en efl'et,
celle d'Akésimbrolos, elle-même antérieure à celle d'Rudamos.
Partant, il n'y a aucune apparence qu'on ait interverti cet
ordre pour placer en première ligne la cr-paTriyU de N. Si on
l'a mentionnée avant ses campagnes, c'est qu'elle fut effecti-
vement plus ancienne, c'est-à-dire antérieure à 201.
Tel fut aussi, par conséquent, le cas de la guerre appelée
dans l'inscription 6 y.p't]ziy.o; TroXejjioç, durant laquelle N. exerça
la <JTpcL'zr^ylaL. Cette guerre précéda la guerre de 201 contre Phi-
lippe ; ce fut donc la « guerre crétoise » qui commença en 204^
Elle est identique, comme il s'y fallait attendre et comme l'avait
conjecturé Herzog(l), au xpYiTuoç ttoXejjloç du décret d'Halasarna,
texte oià les mots 6 o-uvEo-Taxcoç tcoasijios s'appliquent bien à la
guerre de 201. La concordance est parfaite entre ce décret et
la dédicace de Nisyros.
De la distinction établie et par le décret et par la dédicace
entre la « guerre crétoise » et celle de 201, il paraît résulter
que la première était terminée quand éclatèrent les hostilités
entre les Rhodiens et Philippe. Je me permets de rappeler que
c'est, à très peu près, la conclusion où m'avait amené, il y a
deux ans (2), l'étude des décrets des cités Cretoises, en parti-
culier du décret de la ville d'Eleutherna (3), concernant l'ào-uXla
de Téos. Dans le décret d'Eleutherna, que j'ai rapporté, comme
tous les actes similaires, à l'année 201, les mots tw 7ro)ip.(o
^lodùieiç (4) désignent certainement, ainsi que je l'avais pensé,
les accords qui mirent hn au xprjTwoç ttôXsjaoç (5). Les Etats
(1) Klio, II, 329.
(2) Klio, XIII (1913), 150-153.
(3) CoUitz-Blass, 5177.
(4) Ibid., 1. 15-16.
(5) Klio, Xlll, ibid. — W. Otto (P.-W., VII, 2599-2600, s. v. Hegesandros, 3)
avait soutenu, indépendamment de moi, la même opinion. Mais c'est à tort qu'il
a daté de 197 les décrets des villes Cretoises, et qu'il a reporté à cette année-là
la fin du xpTiTtxoç -n:ôXe[jLoç. Plus que jamais, je penche à croire que le célèbre
traité entre Rhodes et Hiérapytna (Collitz-Bechtel, 3749) se place vers 201/200,
comme l'ont voulu Gardinali et Herzog; cf. Cardinali, ibid., 9, 4.
102 M. HOLLEAUX
Cretois ennemis de Rhodes, ou du moins la plupart de ces
Etats (1), posèrent les armes, grâce en partie à la méditation
d'Antiochos III, en 201 ou peu après.
La dédicace de Nisyros donne encore lieu à quelques
remarques historiques.
Gomme le montre cette dédicace, pendant la « guerre Cre-
toise », c'est-à-dire de 204 à 201, l'île de Nisyros faisait partie
de l'Etat rhodien ; et il en était encore ainsi dans l'été de
201, après que Kléonaios eut été élevé à la navarchie, car,
autrement, le Nisyrien qu'elle concerne n'eût pu servir sous
les ordres de ce navarque. En conséquence, l'hypothèse de
Beloch (2), selon laquelle Nisyros, conquise par Antigone Doson
dès 227, aurait été par lui léguée à Philippe, ne peut être
acceptée. A moins d'admettre — chose par trop invraisemblable
— que Philippe en eût fait abandon, il est clair que Nisyros ne
lui appartenait point lors de son avènement, puisqu'il n'en
était pas maître dans le courant de 201 (3). — Mais, d'autre
part, il est incontestable qu'à un certain moment, Tîle reconnut
l'autorité de Philippe : la preuve en est fournie par la célèbre
lettre du roi aux Nisyriens, dont Hiller a donné une édi-
tion nouvelle, meilleure que celle de Ross (4). Il est dès lors
(1) 11 se peut, en effet, que quelques-uns d'entre eux aient continué, en même
temps que Philippe, de lutter contre les Rhodiens.
(2) Beloch, III, 2, 463, 465; cf. III, 1, 707. L'hypothèse de ce savant prête
encore à d'autres objections, relevées en partie par M. Nicolaus, Zwei Beitr.^ 79-
80.
(3) Il va sans dire que la prétendue conquête de l'île par Antigone devient du
même coup infiniment douteuse.
(4) IG, XII, 3, 91 = Sylloge^,2Q3 = Michel, 43. Il me paraît évident, comme à
Niese (II, 587, 1) et à Beloch (III, 2, 463), qu'à l'époque où fut écrite cette lettre
les insulaires dépendaient déjà de Philippe. En tout cas, il est sûr que, dans le
temps qui suivit la démarche de l'ambassadeur Rallias, les Nisyriens se gouver-
nèrent « d'après leurs lois traditionnelles et existantes » sous la suzeraineté du
roi de Macédoine. Je ne conçois pas la raison des doutes exprimés à ce sujet par
Herzog [Klio, II, 238).
ÉTUDES d'histoire HELLÉNISTIQUE 103
extrêmement probable que les habitants de Nisyros durent se
soumettre, de gré ou de force, à Philippe avant la fin de l'été
de 201, peu après la bataille de Ladé (1), quand la flotte rho-
dienne en pleine retraite permit à l'ennemi d'opérer librement
sur mer (2), et quand l'île de Kos subit les attaques rappelées
dans le décret d'Halasarna.
Resterait à savoir combien de temps Nisyros demeura dans
l'obéissance du roi de Macédoine. Nous l'ignorons tout à fait.
Et je tiens à signaler que, contrairement à ce qu'on a cru, la
dédicace publiée par Hitler ne nous apporte aucun renseigne-
ment sur ce point. On a fait ce raisonnement (3) : sous la
navarcbie d'Akésimbrotos (en 199 et 198), Nisyros recommence
d'envoyer des soldats aux Rhodiens; c'est donc que, dès cette
époque, l'île a cessé de dépendre de Philippe; d'où il suit
qu'elle ne lui a été soumise que durant un temps très court,
qui a pu ne point excéder un an et demi. Mais la dédicace nous
apprend seulement que le Nisyrien anonyme servit sous Aké-
simbrotos après avoir servi sous Kléonaios, et comme, selon
toute apparence, Kléonaios eut Akésimbrotos pour successeur
immédiat, il n'y a nulle raison de penser que ses services aient
subi quelque interruption. Partant, la dédicace n'indique aucu-
nement qu'en 199 ou 198 les Nisyriens aient fourni, pour la
seconde fois, des contingents à l'Etat rhodien; partant, elle ne
nous fait rien connaître de la situation politique de l'île pen-
dant ces années-là. Il est fort possible que Nisyros ait obéi à
Philippe depuis l'été de 201 jusqu'à la paix générale qui ter-
mina la seconde guerre de Macédoine. L'argument qu'on a
voulu tirer (4) du silence de Polybe, lequel ne parle pas de
Nisyros dans son récit des conférences de Nikaia (automne
(1) C'est, d'ailleurs, l'opinion généralement adoptée : Niese, II, 587; cf. Herzog,
ihid., 328, M. Nicolaus, Zwei Beitr., 79-80. La chronologie de Van Gelder {Gesch.
der ait. Rhodier, 125, 1; 185) est ici, comme d'ordinaire, pleine d'incertitudes et
de confusions.
(2) Pol., XVI, 10-1; 15, 3-4.
(3) Niese, II, 587, 1.
(4) Niese, ibid.
104 M. HOLLEAUX
198) (1), ne mérite pas qu'on s'y arrête : en effet, à Nikaia, le
représentant des Rhodiens, qui fut précisément Akésimbrotos,
n'avait point à énumérer dans le détail toutes les prises que
le roi avait faites sur eux.
Versailles, 1915.
M. HOLLEAUX.
(1) Pol., XVIII, 2, 3-4.
DION CHRYSOSTOME CRITIQUE D ART
LE ZEUS DE PHIDIAS
Il est peu de passages de Dion Chrysostome plus connus,
plus fréquemment cités, que le morceau célèbre de V Olympicos
sur le Zeus de Phidias. Nous ne saurions songer, pour notre
part, à nous aventurer sur un terrain qui n'est pas le nôtre, en
nous mêlant d'archéologie. Plus modestement, sinon plus pru-
demment, nous nous en tiendrons à l'étude philologique et
littéraire d'un texte dont la fortune fut exceptionnelle. Tous
les historiens de l'art hellénique lui ont fait accueil. Tous l'ont
orné de leurs commentaires. Faveur unique qu'il doit, moins
peut-être à son excellence réelle, qu'à la pénurie des docu-
ments susceptibles d'éclaircir pour nous, un problème passion-
nant entre tous. Pausanias, quelques trop rares monuments
figurés, nous permettent de nous représenter l'ordonnance du
grand œuvre; mais ce qu'était la suprême beauté du Zeus, ils
ne nous l'apprennent point. Il nous faut la deviner dans telle
monnaie d'Elis, dans telle effigie de nos musées. Le discours
du rhéteur-philosophe nous reste comme un souvenir du
prodige évanoui, une page précieuse oii retentit l'écho des
enthousiasmes qu'il provoquait dans l'âme transportée de ses
antiques admirateurs. A supposer même que, par impossible,
la découverte inattendue d'une copie certaine vînt un jour
nous consoler, jusqu'à un certain point, delà perte de l'original.
i06 L. FRANÇOIS
V Olympicos nous servirait encore à confronter nos impressions
de modernes avec celles d'un homme d'autrefois, de ceux qui
ont eu le bonheur de contempler l'Olympien dans sa gloire.
Mais ce texte, après tout, que vaut-il au juste? Traduit-il
Témotion toute chaude, comme l'ont pensé quelques-uns, d'un
témoin oculaire (1)? N'offre-t-il, au contraire, que de beaux
mots, des amplifications sonores, où se dilue et se perd la
fraîcheur du sentiment immédiat et sincère? On conçoit,
quand on Ta lu, qu'entre ces deux termes extrêmes puisse
flotter l'appréciation de la critique. L'entre-deux comporte une
infinité de nuances, selon le goût littéraire plus ou moins
délicat de chacun, selon l'influence plus ou moins consciente
qu'exerce sur son jugement l'idée, tantôt plus vague, tantôt
plus arrêtée, qu'il s'est formée, par ailleurs, du chef-d'œuvre de
Phidias. Ajoutons que, souvent, on ne remonte guère au delà
des citations d'Overbeck dans les Schriftqiiellen (2). Peut-être,
faute de replacer le morceau dans l'ensemble auquel il appar-
tient, s'expose-t-on à en méconnaître, à la fois, le caractère,
l'intérêt, la portée. En le remettant en son lieu, en s'efTorçant
d'en analyser les éléments, d'en découvrir les sources, n'aurait-
on pas chance d'en mieux pénétrer la vraie nature, d'en déter^
miner, avec plus de sécurité, le mérite et le prix?
D'abord, la glorification du génie de Phidias est-elle bien le
seul but du sophiste philosophe? A s'en fier au sous-titre de
VOlyinpicos^ Tispl t^ ç irowTTi; tou Geiou Ivvoiaç, que les
éditeurs traduisent en latin De Dei cognitione^ le sujet du
discours serait d'éclaircir une des questions qui ont le plus
préoccupé le Portique, celle de l'origine de la croyance des
hommes au divin. L'Ecole avait sa conception particulière de
Dieu qui n'avait rien de commun avec celle des foules. Mais,
avec cet esprit positif qui lui est propre, elle constatait que
tous les hommes, autour d'elle, croyaient aux dieux, leur
(1) Petersen, Kunst des Pheidias, p. 374 sqq.; particulièrement
(2) Oyerbeck, Schriflquellen, n»» 705-713, surtout 712.
DION CHRYSOSTOME CRITIQUE d'aRT : LE ZEL'S DE PHIDIAS 107
rendaient un culte, avaient la notion du divin. Le fait reconnu,
elle tâchait de se l'expliquer.
C'est précisément ce que Dion, en fidèle disciple des maîtres,
fit dans VOlympicos. Après un préambule où il s'égarait à
dessein en de longs détours, il établissait que les sources de
notre connaissance de la divinité se réduisent en somme à
deux, une idée innée qui est en nous, avant toute science et
toute culture, une idée seconde et acquise dans le commerce
des autres hommes.
Celle-ci, eirUTYiioç xal oC tzk^tùy eyviyyo'j.éy'f\ (1), n'était que
le développement et la conséquence de la première. D'une part,
en effet, il est indéniable que tous les mortels ont, par nature,
en tant simplement qu'ils sont doués d'intelligence, des notions
communes sur l'existence et l'essence des dieux, en particulier
du souverain roi et guide de l'Univers. Ils les doivent à leur
parenté avec la divinité môme ; mais, davantage, au spectacle
d'un monde' admirablement gouverné, spectacle qui leur fai-
sait soupçonner l'existence d'un démiurge organisateur (2).
D'autre part, les poètes sont venus, puis les législateurs, qui
ont développé, purifié, atTermi ces notions primitives (3).
C'étaient Homère, Hésiode, les grands tragiques, postérité
éclatante de ces premiers chantres inspirés. C'était le roi de la
Plastique, Phidias et sa lignée. C'étaient ceux qui avaient
donné aux mortels des lois; c'étaient surtout les philosophes
qui les avaient élevés aux spéculations les plus sublimes. « H
nous faudrait, concluait l'orateur, interroger avec soin les
poèmes, les créations des arts, tout ce qui, en un mot, a contri-
bué de quelque façon, à faire naître et grandir parmi les
hommes, l'idée du divin » (4).
Donc, trois origines de la notion des dieux chez les mortels,
Tpeliç Y£V£o-£t.ç Tïiç Tou Sat.jJLOv(ou uiroXyi^j^swç, sjjl^^'jtou, TtoiTiTuriç,
(1) Dion, XII, 39.
(2) Dion, XII, 34.
(3) Dion, XII, 39.
(4) Dion, XII, 26.
108 L. FRANÇOIS
vojjL'.xïic; (1). Or, c'est là, ni plus ni moins, la division des
parties de la théologie dans l'enseignement du Moyen-Portique,
celle de Panétius, sûrement aussi celle de Posidonius (2). Le
sophiste est, jusqu'ici, stoïcien orthodoxe. Il paraît, il est vrai,
admettre, à côté de la ttoltituyi ysyso-iç, une quatrième source
de l'idée du divin, ù'/]^io\jpyiy.ri xal 7rAaa-Tî.xYi yévso-Lç (3). Mais,
pour un Hellène, l'artiste ou le sculpteur « ttoieI », tout de
même que le poète. Qui plus est, c'est au poète qu'il doit, le
plus souvent, sa conception des dieux. Phidias en est le plus
éclatant exemple. A l'entendre parler, par la bouche de Dion,
il ne se réclame que d'un maître, Homère : « Si je vous semble,
ô Éléens, digne de blâme, si vous trouvez à reprendre dans
l'image que je vous ai léguée du dieu, ne devez-vous pas, tout
d'abord, vous attaquer à Homère? Il n'a pas seulement tracé
de Zeus un portrait tout pareil à celui que créèrent les artistes,
dans les vers où il parle de la chevelure de l'Olympien, mais
il nous entretient, dès le début, du menton du dieu » (4). Plus
haut, Dion avait écrit : « Cette image, la plus belle et la plus
agréable à la divinité de toutes celles qui se voient ici-bas, fut
l'œuvre de Phidias, inspiré de cet endroit d'Homère oii Zeus,
par un léger froncement des sourcils, fait trembler tout
rOlympe » (5).
On voit par quel biais est introduit, dans VOlympicos, le
morceau fameux auquel nous consacrons cette étude. Les
grands sculpteurs, comme les grands peintres, sont les éduca-
teurs religieux du genre humain. Phidias occupe, dans leur
radieuse théorie, le rang le plus éminent. Pourquoi ? Ne serait-
ce pas qu'il est, lui aussi, un stoïcien? Poursuivons notre enquête.
(1) Dion, XII, 44.
(2) Saint Augustin, De civ. Dei, VI, 5. Cf. Zeller, Phil. d. Gr., ïll l^,
p.^66 ; Schmekel, Mittlere Stoa, p. 117, sqq. Cf. Wendland, Posidonius Werk
ir. 0ec5v, dans VArch. f. Gesch. d. Phil., 1888, I, p. 202 sqq.; Binder, Dio Chrys.
iind Posidonius, p. 22.
(3) Dion, XII, 44.
(4) Dion, XII, 62. <-
(5) Dion, XU, 26. .
DION CHRYSOSTOME CRITIQUK d'aHT ! LE ZEUS DE PHIDIAS 109
Jusqu'ici nous étions, avec l'orateur, en pleine Sloa. Nous
n'aurons pas à en sortir.
Le rliéteur, — c'est ici la pièce de résistance de son discours,
— imagine une sorte d'apologie de Phidias par lui-même :
« Mon Zeus est un dieu paisible dont les traits respirent par-
tout la douceur qui convient au maître d'une llellade dont
aucune dissension ne Irouble la concorde. Voyez-le, tel que
je le dressai, m'aidant des conseils de mon art et de la bonne
et sage cité des Eléens. Pacifique et grave, il est là, dans l'alti-
tude qui sied à celui dont la vie ne connaît point l'inquiétude
des chagrins. N'est-il pas le dispensateur de la vie, le distri-
buteur des biens, le père commun, conservateur et gardien de
tous les hommes? N'ai-je point réussi, autant du moins qu'il
était permis à un mortel de concevoir, par la pensée, une
image de l'être divin dans son inexprimable grandeur et de la
rendre par l'imitation de l'art?
Rien y contredit-il aucun des noms que nous donnons au
dieu? Zeus, seul de tout l'Olympe, est appelé père et roi. Il
préside aux cités, aux amitiés, aux unions des hommes; il est
le protecteur des suppliants, des hôtes, le dieu des moissons et
des fruits. On le nomme roi, parce que, dans sa puissance, il
commande à tout; père, je crois, à cause de sa douceur et de
sa sollicitude; dieu des villes, dont il fonde les lois et oij il
veille au commun bien de tous ; protecteur des familles, à
cause de la parenté des hommes et des dieux; dieu de l'amitié
et de la société entre les mortels parce qu'il aime à les unir et
ne voudrait entre eux qu'amitié, jamais hostilité ni haine; dieu
des suppliants, parce qu'il accueille les prières et se montre
propice à qui l'implore, dieu qui détourne les maux, car c'est
par lui que nous les évitons, dieu de l'hospitalité, car on ne
doit négliger aucun hôte ni regarder aucun homme comme un
étranger, dieux des biens qu'on possède et des fruits que l'on
cueille, car, par lui, naissent les produits de la terre, par lui
nous viennent richesse et opulence. Qui pourrait montrer un
lieu du monde où on ne l'invoque point sous ces noms?
ilO L. FRANÇOIS
L'artiste qui devait rendre tout cela sans le secours de la
parole, par les seuls moyens de son art, n'a-t-il point rempli sa
tâche? Le roi qui commande, voilà ce qu'exprime Tatlitude,
magnifique et imposante dans sa force, de mon Zeus. La solli-
citude du père, elle est dans sa douceur pleine de bienveillance.
Le gardien des cités et des lois, on le reconnaît à son air
auguste et grave. La forme humaine que je lui ai prêtée, sym-
bolyse la parenté des dieux et des hommes. Le dieu des amis,
des suppliants, des hôtes, le protecteur des malheureux, tous
ses autres traits pareils, voilà ce que traduit cet air de bien-
veillance, cette physionomie oii transparaissent humanité,
bonté. Enfin le dieu de la fécondité, source de tous nos profits,
se révèle dans cette âme grande et simple que manifeste tout
l'ensemble de son image et qui convenait surtout à celui des
Immortels qui se plaît à nous donner tous les biens.
Voilà ce que je voulus représenter seloa mes forces, puisqu'il
ne m'était pas permis d'user de la parole. Quant au dieu sans
cesse armé de la foudre, cause des guerres et des fléaux qui
font périr les multitudes, qui verse, à flots, pluies excessives,
neiges et grêles ; qui tend parmi les nuées son arc sombre et
fait briller dans les orages ces feux étincelants, terreur des
matelots; qui excite à l'ardente et terrible mêlée Grecs et
Barbares; qui rend insatiables de guerres et de combats jus-
qu'aux mortels épuisés, privés de tout espoir; qui pèse en
sa balance le destin des héros ou décide, par un arrêt de sa
volonté, le sort des armées tout entières, mon art ne me per-
mettait point de le représenter et, l'aurais-je pu, je ne l'aurais
pas voulu (1). »
Disséquons, si j'ose dire, ce magnifique langage. Isolons
d'abord du commentaire qui l'encadre chacun de ces « cogno-
mina » du dieu copieusement énumérés. Aussitôt, nous obte-
nons une sorte de « litanie » de Zeus. Or c'était, on le sait, un
principe de la Stoa, dans les matières de religion, de prêter un
(1) Dion, XII, 74 à 79.
DION CHRYSOSTOME CRITIQUE d'aRT : LE ZEUS DE PHIDIAS 111
sens philosophique, ésotérique, aux croyances du vulgaire. Un
souci de ne point elTaroucher les consciences, de ne point
dérouter les adeptes non complètement initiés, un désir même
de fortifier, d'exalter dans leurs âmes leurs sentiments de
piété, la conduisait à prendre, à l'aventure, des allures, non pas
seulement dévotes, mais, bien plus, cléricales. Elle prêchait.
Et quel merveilleux parti on pouvait, à celte fin, tirer de ces
noms du dieu, consacrés par l'antique usage! Ils étaient autant
de thèmes tout prêts d' « instructions », salutaires, profitables.
Le prédicateur stoïcien en dévoilait la signification cachée,
toute religieuse et morale, dans l'acception la plus élevée du
terme. Et le Zeus des philosophes, sans cesser d'être lui-même,
se rapprochait du commun des fidèles ; il venait à eux.
Le Zeus du Portique, en effet, est toute bienveillance, toute
bonté, parce qu'il est toute providence. Chacune de ces épi-
thètes que Dion, complaisamment, s'attarde à illustrer de son
exégèse, répond à l'un des innombrables personnages que le
dieu ne dédaigne point de jouer quand il pourvoit à chacun de
nos besoins toujours renaissants, toujours impérieux, quand il
préside successivement, mais sans se lasser, à chacun des
actes de notre vie. Nulle trace ici, chez le sophiste, de démons-
tration laborieuse et savante de l'universelle Ttpovoia de l'Im-
mortel. C'est que son auditoire, plus qu'à demi mondain, n'en
avait cure, et se déclarait très satisfait que, des méditations des
sages, on ne lui apportât que les résultats tout acquis et, pour
ainsi parler, le résidu pratique.
Dès longtemps, les Stoïciens le savaient. Qu'on relise les
beaux vers de Cléanthe dans l'Hymne à Zeus. Le souci y est
manifeste, d'écarter, pour les profanes, tout vestige de rai-
sonnements ardus. Et tout l'essentiel de ce que le rhéteur
développe avec tant d'amour, s'y trouve, ramassé dans un
raccourci sobre et fort de la pensée et du style qui n'est pas
sans faire tort à la muse charmante, mais un peu trop coquette
de la prose d'Asie. Le vieux poète chantait en Zeus le maître
absolu de cet univers qu'il avait créé et faisait vivre en le péné-
112 L. FI\ANÇOIS
trant. Rien au ciel, rien sur les terres ou les mers n'arrivait,
qu'il n'eût prévu, permis, décidé, voulu :
O'JTS xaT' alGépt-ov Qewv 7ï6).ov out' ettI tcovtcj). » (1)
Mais surtout, — et la coïncidence ne peut être un hasard, —
il célébrait, en l'Olympien, le dieu aux nombreux noms, le
dieu TLOÀJtovutjioç (2). Qu'est-ce, au total, que notre texte du
sophiste, sinon la paraphrase de cette vigoureuse poésie?
Paraphrase minutieuse, monotone, malgré les agréments de
la diction, et qui insiste trop ; — n'est pas seulement longue,
mais un peu lourde et pédante, malgré ses grâces.
Dion était-il, de ce défaut, le seul, le principal coupable? Ne
nous hâtons pas de lui jeter la pierre. Les temps héroïques
étaient révolus ; le Portique sacrifiait au goût du jour. La
sophistique refleurissait. Les purs, en dépit de leurs dédains
pour les ornements de la rhétorique, étaient bien obligés,
pour s'attirer de nouveaux amis, de les prendre par leur faible.
L'Hymne de Cléanthe, au sein même de l'Ecole, tournait au
thème à variations. Une preuve bien curieuse s'en rencontre
dans le Ils pi xoo-jjlou, cet ouvrage hybride, fils bâtard d'Aris-
tote et de la Stoa. On y lit, en belle place, parmi d'autres Toirot.,
précisément le morceau, sans doute déjà classique vers le
temps de Posidonius, sur les cognomina de Zeus : « Bien que
Dieu soit unique, il a beaucoup de noms qu'on lui donne,
d'après tous les phénomènes dont lui-même est la cause. On
l'appelle Jupiter ou Zeus pour exprimer au moyen de ces noms
que c'est par lui que nous vivons. Il est appelé fils de Chronos
jBt du Temps, passant d'un âge sans fin à un autre âge non
moins illimité. On l'appelle le dieu qui lance les éclairs et la
foudre, on l'appelle éthéré, aérien, auteur du soleil et de la
pluie, à cause du tonnerre et de la pluie et des autres phéno-
mènes analogues. On l'appelle le père des fruits, à cause des
(1) Cléanthe, Hymne à Zeus, v. 11 sq. dans Arnim, Fragmenta, 1, n" 537.
(2) Id. Ibid., V. 1.
DION CHRYSOSTOME CRITIQUE d'aRT : LK ZELS DE PHIDIAS 113
fruits que porto la terre, gardien des villes, parce qu'il pro-
tège les cités, générateur, père, créateur, à cause des bienfaits
qu'il répand à tous ces égards ; amical, hospitalier, guerrier,
triomphateur, purificateur, combattant, suppliant, favoi*able,
tous noms que lui donnent les poètes ; sauveur et libérateur,
dans le vrai sens de ces expressions. Pour tout dire en peu de
mots. Dieu est à la fois céleste et terrestre, et reçoit ainsi des
noms tirés de toute la nature et de tous les phénomènes,
€omme étant lui-même la cause de toutes choses » (1).
Gomment nier Tétroite parenté de ce texte avec notre Olyyn-
picosl Malgré la médiocrité, la platitude, parfois, de l'exécu-
tion littéraire du Pseudo-Aristote, la ressemblance du fond et
de la forme est frappante. Dion, c'est vrai, est muet sur l'éty-
mologie mystique du nom de Zeus, tirée de ÇfiV ; mais il la
reprend ailleurs. L'érudition météorologique de l'aristotéli-
cien n'accable pas non plus de son poids le plaidoyer de Phi-
dias. Mais les pieuses épithètes sont bien les mêmes ; leur exé-
gèse est toute pareille. Il en peut bien manquer quelqu'une
dans le De Murido que Dion n'a eu garde d'omettre ou récipro-
ment. Le parallélisme des deux passages n'en est pas moins
hors de toute contestation, et non moins indubitable est l'ori-
gine stoïcienne, dans le II. K6a-}j.oL», de cette savante onomas-
tique. K( Les noms, les attributs, la généalogie de Zeus, sont
ici expliqués, dit Zeller, en un sens tout stoïcien » (2).
Or, il ne s'agit point du tout, dans le De Mundo, du Zeus de
Phidias. Serions-nous donc en présence, chez Dion Ghrysos-
tome d'un thème consacré par une longue tradition, devenu
peu à peu un « locus »? Serait-ce que Phidias ou plutôt le
rhéteur qui lui prête son éloquence, exploiterait une de ces
amplifications banales, passées de l'Ecole dans le magasin d'ac-
cessoires des orateurs épidictiques? La démonstration serait
complète, si nous pouvions citer quelque autre parallèle, dio-
néen lui aussi, mais où le Zeus de Phidias fût hors de cause.
(1) n. xôafxou, vil, 1, 2, p. 401 B. Trad. Barthélémy Saint-Hilaire.
(2) Zeller, Phil. d. Gr. III, l^, p. 641.
REG. XXX. l'.tlT. n" 13ti. , "
11 i L. FRANÇOIS
(le parallèle, il (existe. H n'y a pas à aller loin pour le décou-
vrir. Nous n'oserions l'intliger à nos lecteurs. Qu'ils ouvrent le
premier II. Ba^'/Aciaç. Voici que détileront, une fois de plus, tous
les cognomina de Zeus (1). Trajan est le modèle des princes,
Jupiter le modèle des rois. Peindre le portrait de Zeus, c'est
retracer l'idéal que l'empereur incarne sur terre. Roi parfait,
le maître de l'Olympe n'est le meilleur des souverains que,
parce qu'étanl le seul vrai sage, il est le seul vrai père. L'exé-
gèse de chacun de ses surnoms est encore plus complète,, plus
précise. Aucun n'est oublié. On a pu songer à combler telle
apparente lacune de VOhjmpicos avec le premier il. Bao-t-Ae^a;.
Ces cognomina de l'Olympien sont si chers à Dion qu'on les
re verrait, si l'on en éprouvait quelque envie, dans le 11. BaT».-
).£'laç III (2) et que, peul-èlre, leur énumération comblerait une
longue lacune du II. BaT'.As-la; IV (3).
Il y a plus et mieux ou, plutôt, pis encore. /Eli us Aristide,
composant à son toui' un hymne, mais en prose, à la gloire de
Zeus, nous offre une nouvelle édition, — et quelle édition! —
du même lieu commun. Sur certains points même, il est plus
scrupuleusement fidèle que Dion à la mystique de l'École. Il
n'est plus d'étymologie qui l'arrête. Dion, dans le premier
n. BaTiÀs-a;, accueillait Zeus dérivé de uv>. /Elius explique doc-
tement Aia par ^'.à, la préposition causale (4). Le dieu n'est-il pas
la cause efficiente? L'bymne s'achève en invocation. Voilà
tout le bataillon des cognomina en bon ordre et au grand com-
plet : « £'JcpyiT/"i;, ÈcpopOs /.al TCpoo-TaTr,^, Tzp'JTav.^ xal Tiyé[jLO)v, Tau-'laç
ovTwv xal vcycvyj^lvcjv à-àvTwv, ooTTip, TTOirjTri;;, £v 8'lxat.ç vîxT,v
Sîûo'jç, àvopalo;, TpOTuawç, sÀs-jBip'.o;, asO.lyj.oç, ,3aa-',Acù;, izokizli^^
xaTaêaTr;^, 'jstoç ! (5) »
Résignons-nous. Toute cette exégèse des intentions de
(1) Dion, J, 39 à 42.
(2) Dion, m, 30.
(3) Dion, IV, 139.
(4) ^lius Aristide, Ed. el Irad. Canterus, Genève, 1604, 1, Eî? A (a, p. 13. A,
(.5) Id. IhicL, p. 2o B-C, 26 A.
DION CHUYSOSTOME CKITIQUE D^AirP : LK ZKLS DIO l'IllDIAS I 15
Phidias sculptant le dieu d'Olympie, n'est qu'un vieux cliclié ;
il a déjà bien servi, il servira encore. Ce n'est qu'une variante
d'un autre « locus » non moins rabattu, le portrait du loi idéal.
Le vrai prince, lui aussi, est imposant, mais bon. (^omnie Zeus
ne songe qu'à la félicité des mortels, il est uniquement sou-
cieux du bonheur de ses sujets. La douceur que Dion vante
chez l'Olympien, j'ai peur, en vérité, qu'il ne la découvre dans
relïîgie de Phidias, que parce (jue la Rhétorique exige qu'elle
soit écrite sur ses traits.
Est-ce à dire, poui' autant, qu'il faille faire li du témoignage
de VOlympicos'^. L'oraison, en dépit de ses artifices, peut-être
à cause de ses artifices, a son prix. Elle traduit l'admiration,
assez pédante, j'en conviens, mais, après tout, sincère, d'un
orateui' ()ui pense peu par lui-même, mais est tout imprégné
des opinions du Portique. Le Portique, en ces temps de syn-
crétisme religieux et philosophique, c'est, de plus en plus,
toute la Sagesse. Le Zens d'Olympie^ voilà l'expression la plus
haute, la plus sublime du sage stoïcien, du sage (|ui est au
dessus de toutes les passions hum'aines, non qu'il les ignore,
mais parce qu'il en a triomphé. C'est un Dieu qui pense, un
Dieu qui veut, mais ne veut que le bien des hommes, un Dieu
qui n'aime point à punir, un roi qui se souvient que, seule
de toute la ruche, la reine des abeilles n'a point d'aiguillon (1).
C'est Zeus prompt à lancer la foudre, àpy.xspa'jvo; (2), disait
Cléantbe, mais il ne la brandit que contre les méchants. Il est,
dans sa conception nouvelle, le fils de la pensée hellénique tout
entière. Depuis Socrate surtout, depuis Platon, Aristote, la
Stoa, il se révèle par sa providence. L'anthropocentrisme,
depuis des siècles, de la cosmologie grecque conduisait à l'idée
de ce maître de l'Olympe, créateur des mortels, mais, plus
encore, leur sauveur et conservateur. Dieu, jadis terrible, est
(1) Dion, IV, 62 sq. ; Julien, 89 d. Voir notre étude, Julien et Dion Chrys., dans
la n.Ë.G^ 1915, pp. 417, sqq.
(2) Cléanthe, Hymne à Zeus, V, 28.
116 L. FRANÇOIS
devenu bon (1). Cette bonté, Dion la lisait au front du colosse
d'Olympie. D'autres l'y adoraient à leur tour. Epictète n'avait
pas assez d'admirations pour le grand statuaire, Quinti-
lien déclarait qu'il avait ajouté à la majesté des dieux (2).
L'Univers, dans son incomparable beauté, est comme un
temple splendide, résidence de la divinité (3). Pareils aux
mystes avant l'initiation, les mortels attendaient sur le seuil.
Phidias les avait pris par la main et introduits dans le sanc-
tuaire.
L. François.
(1) Voir les curieux chapitres de Juste Lipse, Physiologioe Sto'icorum Uhri très,
Paris, Plantin, 1604, Diss. X et XI, p. 21 a, 25 b.
(2) Epictète, dans Overbeck, Scliriftquellen, n° 727. Quintilien, Inst. Orat.,
XII, 10, 9.
(3) Dion, XII, 34. Sénèque, Ad Lucil., XC, 29.
Bon à tirer donné le 25 septembre 1917.
Le rédacteur en chef, Gustave Glotz,
Le Puy-eii-Vela\ . — Imp. l'eyriller, Ronchon et Gamon, boulevard Garnot, 23.
HISTOIRE ET BIOGRAPHIE
(1)
PHANIAS D'ERESE
II. Aristide et ïhémistocle a Salamine.
Trois anecdotes dont l'analyse nous est maintenant possible,
intéressent à la fois Aristide et ïhémistocle. Ayant consacré
une BiograjMe spéciale à chacun des deux personnages, Plu-
tarque a été amené à nous les conter, toutes les trois, sous deux
formes, Tnae étendue, l'autre plus résumée. C'est ainsi que la
première, « L'entretien d'Aristide et de Thémistocle à l'occa-
sion du premier stratagème », nous est donnée tout au long
dans la Vie d'Aristide, et, en raccourci, au contraire, dans la
Vie de Thémistocle, tandis que, pour les deux autres, « La mise
à mort des trois fils de Sandauké après le coup de main de
Psyttalie » et « La discussion entre Aristide et Thémistocle
avant le second stratagème », la Vie de Thémistocle devient le
texte principal.
Dans quelque ordre qu'aient été écrites les deux biogra-
phies (2), il est donc certain que, des deux rédactions que nous
possédons pour chaque anecdote, la forme abrégée n'est pas
(1) Voir tome XXVIIT, p. 251 et suiv.
(2) Suivant Michaelis, De ordine vitarum parallelarum Plutarchi, Berlin, 1875
(pp. 45-46), la Vie d'Aristide serait antérieure à la Vie de Thémistocle.
REG, XXX, 1917, n» 137. 9
448 L. BODIN
nécessairement postérieure à la forme complète. Ces deux
rédactions sont cependant toujours étroitement apparentées et,
lorsqu'il n'y a pas accord entre elles, les divergences de détail
proviennent manifestement d'emprunts faits, sur le moment,
par Plutarque à l'ouvrage général — ici Hérodote — qui lui
sert de guide et lui fournit un cadre pour l'ensemble des événe-
ments. On peut, dans ces conditions, admettre que les trois
historiettes ont conservé, en grande partie, la physionomie et
l'accent du modèle original sur lequel elles sont composées.
Ce modèle ne nous est donné comme l'œuvre de Phanias que
pour l'une des trois, la seconde. Mais ce que nous avons appris
de Phanias permet delui attribuer également les deux autres.
Nous aurons, pour nous en rendre compte, à les étudier de
plus près; arrêtons-nous d'abord à celle qui porte sa signature.
La mise à mort des trois fils de Sandauké
et le coup de main de Psyttalie.
•
Plutarque vient de raconter l'entrevue de Thémistocle et
d'Aristide à propos du premier stratagème ; il aborde le récit
de la bataille (Thém., XIII) : tandis que Xerxès prend place
sur une hauteur d'oii il pourra suivre le combat, Thémistocle
offre un sacrifice pour en assurer le succès. A ce moment inter-
vient notre anecdote :
« Thémistocle offrait le sacrifice auprès du vaisseau amiral quand
on lui amena trois prisonniers. D'une rare beauté de visage, ils se
faisaient encore remarquer par la richesse de leurs vêtements et de
leur parure. On les disait fils d'Artayktès et de Sandauké, sœur du
Roi. Le devin Euphrantidès les aperçut, et, comme la flamme du
foyer s'était élevée haute et claire du milieu des victimes, tandis
qu'on entendait au même instant le présage d'un éternuement à
droite, il saisit Thémistocle par la main, lui enjoignant de faire la
consécration des jeunes gens et de les immoler tous les trois à
Dionysos Ômestès, en formulant ses vœux : « à ce prix, disait-il, le
salut et tout ensemble la victoire seraient assurés aux Grecs ».
sSurpris de ce qu'avait de terrible et d'étrange cette consultation,
HISTOIRE ET BIOGRAPHIE : PHANIAS d'ÉRÈSE 119
Thémistocle reste étonné; mais la foule, qui toujours, aux heures de
grave incertitude et dans les conjonctures difficiles, attend plus
volontiers son salut de ce qui déconcerte que de ce qui satisfait la
raison, se met, tout d'une voix, à invoquer le Dieu, et, poussant les
prisonniers à Tautel, obtient de force que le sacrifice s'accomplisse
comme le devin l'avait ordonné ».
Plutarque ajoute qu'il tient cette anecdote « de Phanias de
Lesbos, philosophe fort au courant des ouvrages d'histoire ».
Mais de qui Phanias la tenait-il lui-même? Nous l'ignorons, et,
faute de pouvoir la comparer à sa source, il est assez difficile
de dire ce qu'il avait apporté de personnel dans la façon de la
conter. On peut cependant supposer que nous n'avons ici qu'un
résumé : la scène devait être, chez lui, plus animée. On ima-
gine assez bien un dialogue entre Thémistocle et le devin :
l'écrivain psychologue avait là matière à une intéressante oppo-
sition de caractères. De même encore, il avait pu souligner de
quelques traits plus accusés le contraste, déjà frappant, entre
l'emportement irréfléchi de la foule et l'espèce de timidité ou,
tout au moins, d'indécision que provoquait chez Thémistocle,
dans un moment aussi tragique, le sentiment de sa respon-
sabilité. Sans nous arrêter à de simples impressions, essayons
plutôt de rapprocher les autres textes relatifs à la même anec-
dote. Deux sont assez insignifiants. L'un est de Plutarque dans
la Vie de Pélopidas (XXI, 3) et n'apporte aucune variante utile :
tout au plus précise-t-il, ce qui ressort clairement de notre récit,
que le sacrifice était antérieur à la bataille, irpo rriç vaupiay'laç.
L'autre est de Diodore (XI, 57, 1-5). C'est l'histoire que nous
avons rencontrée précédemment (1), de ce procès bizarre intenté
parMandane à Thémistocle pour lui demander raison de la mort
de ses fils. Ephore connaissait évidemment notre légende; mais
gêné sans doute par l'esprit de superstition barbare dont elle
était empreinte, par ce qu'elle pouvait aussi avoir de fâcheux
pour la mémoire de Thémistocle, il l'avait remaniée et adaptée
(1) R. E. G., tome XXVIII, p. 259-260.
420 L. BODIN
à une situation nouvelle : les jeunes gens n'avaient pas été
immolés dans un sacrifice ; ils avaient péri dans la bataille (1),
et Thémistocle n'était responsable de leur mort qu'en tant
qu'il avait assuré la victoire des Grecs. L'invention, par son
ingénieuse platitude, rentre dans le cercle connu des concep-
tions d'Ephore, et c'est très probablement lui aussi qui, confor-
mément à sa méthode ordinaire de démarcage, avait substitué
le nom de Mandane à celui de Sandauké. Rien dans tout cela
ne remonte à la version originale que Phanias avait sous les
yeux.
Un troisième texte, celui que fournit la Vie d'Aristide (IX),
est plus intéressant. L'anecdote est, cette fois, rattachée à l'épi-
sode de Psyttalie, et non pas d'une manière arbitraire, par un
lien extérieur, mais par sa donnée même, et de telle façon
qu'Aristide se trouve mêlé au récit : c'est lui qui, après les
avoir pris, envoie à Thémistocle, pour qu'il en dispose, les trois
fils de Sandauké (oO; eùQùç y.néd'^eiks. upoç tov ©ejji.t.a-ToxXéa). Quel
est ici l'apport de Phanias ? Ce que nous savons par ailleurs de
l'affaire de Psyttalie permet de l'entrevoir. Chez Hérodote cette
affaire est présentée purement et simplement comme une ini-
tiative d'iVristide : c'était son exploit particulier, sa part per-
sonnelle de gloire dans le succès de la bataille. Eschyle la
concevait de même : bien qu'il ne nomme pas Aristide, l'impor-
tance qu'il donne à l'épisode, le mettant en relief comme une
sorte de contre-partie du stratagème, qui aurait parachevé le
désastre perse, en est la meilleure preuve. Deux autres textes,
postérieurs, il est vrai, mais qui reproduisent certainement une
tradition plus ancienne, racontent les choses de façon un peu
différente : dans Aristodèmos (§ 4), Aristide demande à Thé-
mistocle l'armée avec laquelle il se propose d'opérer (o-ToaTov
auTov TrÎTTio-ev dç to à^ùvadSat. toÙç £v t^ Wwzzci.'ks.icL) et Thémistocle
(1) Diodore (XI, 37, 1) dit simplement xa6' ôv xaipôv 6e(xtaT0xXf,(; itspl Ea>ia{j.tva
xaTÊvau[xjt/T,a£ xôv jtoXov tcôv Ilepawv. Le vague de la formule paraît bien, en tout
cas, destiné à l'aire oublier la version du sacrifice et à dégager. la responsabilité
de Thémistocle.
HISTOIRE ET BIOGRAPHIE : PHANIAS d'ÉRÈSE 121
la lui accorde « tout en étant son ennemi ». Avec le scholiaste
d'Aelius Aristide {in Panath. p. 182), il y a mieux encore :
Aristide agit comme collègue de Thémistocle (o-jTTpàTTiyoç
©e{jLi(7ToxX£ous). Or nous verrons (1) que cette étroite collabora-
tion des deux personnages était déjà dans Ktésias. Tout porte à
croire que Phanias lui a emprunté l'idée de les rapprocher dans
son anecdote : son Aristide n'est pas l'égal de Thémistocle,
mais il agit en accord avec lui, et quand il a fait des prison-
niers, il les lui livre comme à son chef.
Le principe adopté, une grosse difficulté se présentait. Dans
toutes nos sources, l'épisode de Psyttalie se déroule au cours de
la bataille, et, d'après les meilleurs témoignages, à la fin : il
est le couronnement de la victoire. D'autre part, le sacrifice
n'avait de raison d'être qu'avant l'action, et c'est effectivement
avant le combat naval (irpo ir^c, va'jp.ay''as) que la tradition le
plaçait. On ne pouvait établir de connexité entre les deux faits
qu'en altérant le premier. Phanias prend délibérément son
parti : il déplace l'épisode et en fait un brillant coup de main
exécuté par Aristide, pendant que les chefs en sont encore à se
disputer (ol [aÈv ouv vauap-^o», twv EÀXtÎvwv Taù-r' supaTTOv,
'ApiaTsiSriç 8'6pwv...). La transformation s'exécute de la façon la
plus aisée et suivant les procédés d'adaptation et de transpo-
sition que la scène de « L'arrivée en Perse » nous a rendus
familiers. 11 fallait d'abord expliquer l'acte d'Aristide. Mais
Aristide, agissant avant la bataille, se trouve exactement dans la
même situation que ceux des Perses qui, chez Eschyle et chez
Hérodote, recevaient, après le succès du stratagème, l'ordre
d'occuper Psyttalie (2) : il suffit de lui faire reprendre leur tâche
(1) Ci-dessous, p. 149.
(2) Le coup de main d'Aristide suppose d'ailleurs également une occupation
préalable de l'îlot par les Perses. Or on verra, en étudiant le premier stratagème
(ci-dessous, p. 130), que, dans la version qu'on peut attribuer à Phanias, parmi les
mesures ordonnées par Xerxès figure une occupation des îles (SiaJ^waat Ta; vn/^jouç,
Thém., Xll, 5; xàç vt,<tou<; xaxstj^ov, Anst.,y\\\^2). « Les îles » comprenaient natu-
rellement Psyttalie, et c'est à cette indication que Phanias se référait en disant
« qu'elle était remplie d'ennemis (itoXsiiCwv àvSpwv [xsax^ ouaav) »> .
d22 L. BODIN
en sens inverse. Ceux-ci devaient surveiller les abords de l'île
et, suivant qu'ils verraient aborder leurs partisans ou leurs
ennemis, « sauver les uns et perdre les autres » (l'va toùç [jlsv
7r£p'.Tco!.£wo-t., TO'jç 8è BiacpGsipwo-!., flérod. 76 ; cf. Esch. 450-54).
Aristide ne leur succède dans l'emploi que pour guetter à son
tour ceux que le courant amène, « de façon que nul parmi ses
partisans ne se perde ni, parmi les ennemis, n'échappe (wç
[jLy]T£ Twv cpL)v(i)v TLvà 8i.acpBap-^vat. |jl7]T£ twv '7ioX£|jlIwv 8t.acpuY£l!v). On
ne saurait, en vérité, retourner avec plus de dextérité un texte
pour se l'approprier et le faire servir à ses fins.
Mais l'épisode ainsi modifié et rendu vraisemblable sous sa
forme nouvelle, il fallait encore le mettre en accord avec l'anec-
dote. Chez Hérodote comme chez Eschyle, et d'ailleurs dans
toute la tradition historique, Aristide, une fois maître de
Psyttalie, faisait mettre à mort tous les occupants (ewç àitàvTwv
£^a7r£çp8£t.pav ^'lov, Esch. 464, Toùç ïlépcaç... xaT£cp6v£Uo-av Tiàvra;,
Hérod.). Comment pouvait-il donc envoyer à Thémistocle les
trois fils de Sandauké? La difficulté se résout à peu de frais.
Pour rester dans la tradition, Aristide fait encore « tuer tout le
monde (àuéxTEtvs TràvTaç) » ; mais pour que l'anecdote reste
possible, « il excepte certains Perses de marque qui, prison-
niers, gardent la vie sauve (uXtiv oo-ot. twv £7rt.cpavwv Çwvteç
■ylXwarav) ». Cette dernière innovation est, en soi, si simple qu'on
pourrait l'attribuer à Plularque lui-même. Mais tout se tient
dans son récit et il est clair que la série de divergences qu'il
présente avec les autres versions de l'affaire de Psyttalie
résultent ^logiquement du fait que le sort des trois prisonniers
est abandonné à Thémistocle par Aristide. C'est là qu'est l'alté-
ration première et fondamentale de la tradition. Elle est trop
profonde pour venir de Plutarque : de la part de Phanias elle
n'a rien qui puisse surprendre, et nous allons retrouver dans
les deux anecdotes suivantes la même tendance à rapprocher,
en les opposant, les deux personnages. Pour Plutarque, la seule
chose à retenir est que, bien qu'il ne l'y nomme nulle part, il
avait certainement utilisé Phanias dans la Vie d'Aristide. Celle-
HISTOIRE ET BIOGRAPHIE '. PHANIAS d'ÉRÈSE 123
ci entre ainsi dans le domaine des sources auxquelles nous
sommes en droit de recourir pour la suite de notre étude.
Entretien d'Aristide et de Thémistocle à l'occasion
du premier stratagème.
Avec cette anecdote nous abordons le premier des deux frag-
ments qui, bien que restés anonymes chez Plutarque, peuvent
être attribués à Phanias, et c'est précisément la Vie d'Aristide
(YIII, 2 sqq.) qui constitue cette fois notre source pi'incipale.
Tel qu'il s'y présente, le fragment se réduit à l'entretien d'Aris-
tide et de Thémistocle après le stratagème. Plutarque ne s'in-
téressant, pour le moment, qu'à Aristide, ne retient de l'anec-
dote que la partie oii Aristide joue un rôle. Mais l'entretien
suppose le stratagème; Phanias n'avait pu rapporter l'un sans
raconter l'autre. La Vie de Thémistocle nous apporte le com-
plément désiré : l'entretien s'y retrouve, en effet, résumé, mais
précédé d'un récit du stratagème. Il y a des chances pour qu'en
mettant ce récit en regard de la tradition, on y découvre des
éléments qu'il sera permis de faire remonter à Phanias.
Les textes relatifs au stratagème sont extrêmement nombreux
et variés (1). Pratiquement on peut les ramener à quatre ver-
sions, celles d'Eschyle, d'Hérodote, de Diodore (Éphore) et de
Cornélius Nepos-Justin, qui seules présentent des ensembles
véritablement ordonnés et construits. Les autres textes n'ap-
portent que des variantes de détail, manifestement de basse
époquje, et, sauf exception pour Polyen (2), sans intérêt.
De quoi s'agissait-il pour Thémistocle? De décider Xerxès,
en lui faisant connaître, sous un jour d'ailleurs vrai ou faux,
(1) Esch., Perses, 355 sqq.; Hérod., VIH, 49-50; 56-64; 67-70; 74-76; 78-82
Diod., XI, 15-17 ; Corn. Nepos, Thém., 4 ; Frontin, Slrat., II, 2, 14; Justin, II, 12
Polyen, Strat., I, 30, 3; Aristodemos, I, 1 ; Schol. in Ael. Arist. Panathen.,^. 178
ûir. T. T., p. 613; [Plut.], Reg. et imp. apoph., ee[x., 6.
(2) Il qualifie le messager d'eunuque : V auTw St'xiwoç eûvouyoç TcaiSaywvôi; xoTv
ua{8otv (I, 30, 3 Cod. flor.). Cf. I, 30, 4 (second stratagème) : itsfxirsi 5^ iraXtv...
eûvoGj^ov dOvXov 'ApaixT^v.
124 L. BODIN
les projets des Grecs, à engager immédiatement et devant Sala-
mine, la bataille que ceux-ci voulaient différer et livrer ailleurs,
ou môme ne pas livrer du tout. Un récit complet du stratagème
comportait donc un exposé de la situation, le choix d'un mes-
sager, un message, des mesures prises par le Roi à la suite du
message. C'est sur ces quatre points que nos sources divergent
et trahissent des partis-pris.
Eschyle est d'une belle et forte sobriété. Il ne dit rien de la
situation et va droit au messager. D'un seul trait il le caracté-
rise : c'est « un Grec de l'armée des Athéniens ». Même sim-
plicité dans le texte du message : « Lorsque la nuit sombre
étendra son voile, les Grecs ne resteront pas là : se jetant sur
les bancs de leurs navires, ils chercheront, chacun de son côté,
leur salut dans une fuite secrète ». L'aveuglement de Xerxès,
la folie d'orgueil qui l'entraîne n'en sont que plus saisissants.
Il n'examine ni s'il est bien vrai que l'ennemi soit sur le point
de se disperser, ni si les Perses n'auraient pas intérêt à le
laisser faire : l'image du riche coup de filet que lui suggère la
jalousie des dieux trouble sa raison. La race même du mes-
sager n'éveille pas ses soupçons. « Il ne comprend pas la ruse,
la ruse d'un Grec (où iuvelç 86Xov | "Ellr^yo^ àvôpoç) ». Et tout de
suite, sans plus demander (euQùç w;; vîxouo-sv) il prend la mesure
fatale : le gros de sa flotte, sur trois files, gardera les passes ;
le reste, « décrivant un cercle, ira croiser autour de l'île d'Ajax
[aWoLç 8a xuxX(}) vïio-ov A'iavToç uspiÇ) » : nul d'entre les Grecs ne
doit échapper à sa destinée de mort. Ainsi le dessein profond du
poète maîtrise et s'asservit la réalité, et des éléments qu'elle lui
fournit dégage la haute leçon de mesure et de sagesse qu'il
entend nous donner.
L'histoire a d'autres lois que la poésie. Avec Hérodote, les
larges ombres délibérément réservées par Eschyle s'évanouis-
sent, découvrent les fonds, laissent voir le détail. Abondam-
ment documenté, il vise, à la fois, à faire entrer dans un récit
vivant la masse des témoignages dont il dispose et à satisfaire
la curiosité méfiante et raisonneuse de son lecteur. Aussi
HISTOIRE ET BIOGRAPHIE : PHANIAS d'ÉRÈSE 125
deviendra-t-il tout naliiiellement la source où puiseront à
pleines mains F^phore et l'auteur inconnu représenté pour nous
par Corn. Népos et Justin. Leurs récits ne sont — à part
quelques souvenirs d'Kschyle — que des abrégés du sien, mais
des abrégés systématiques, procédant de conceptions à priori,
et nous n'avons en léalité allaire, avec les textes de caractère
historique, qu'à une seule et même tradition sous trois formes
diiïérentes. De Tune à l'autre la diiïérence réside essentiel-
lement dans la façon dont sont présentées les intentions réelles
des Grecs à la veille de la bataille.
Pour Hérodote, les Grecs songent uniquement à gagner
Vlsthme^ afin de combattre devant le Péloponnèse, qui leur
assurera un refuge, et pour le Péloponnèse (1). Deux objections
se présentent. L'une est soufflée à Thémistocle par Mnésiphile
— qui lui dérobe ainsi le plus clair de son mérite — : une fois
sortis de Salamine, les Grecs ne vont-ils pas se disperser « pour
rentrer chacun dans ses foyers (xaTa ttoXe»,? exao-Tot -cpé^j^ovTat.) » ?
L'autre, Thémistocle la découvre tout seul, mais après que
Mnésiphile lui a ouvert les yeux sur le danger : en abandon-
nant Salamine, les Grecs se priveraient de l'avantage que leur
assure, vu leur petit nombre et la lourdeur de leurs vaisseaux,
l'étroitesse du champ de bataille (èv o-t£lv(J) vau[jLay££!.v Tipoç
YIJXSWV £0-TL, £V £ÙpU'/^(Op'lr) §£ TCpOÇ £X£'lv(i)V, 60 ^) . DaUS CCS COH-
ditions, pour décider Xerxès à attaquer, il ne suffit pas de lui
faire connaître le vrai projet des Grecs : l'objection de Mnési-
phile, renouvelée du point de vue perse par Artémise (y.oLzk
7t6X£tç £xao-Tot cp£uiov-:af., 68 p), l'inciterait à attendre la disper-
sion de Tennemi, et l'argument stratégique de Thémistocle,
également repris en sens inverse, ne manquerait pas de le
frapper; il faut lui faire entrevoir des chances immédiates de
succès. De là le texte du message, qui est, et ne pouvait être
que mensonger : a les Grecs sont divisés; au premier signal
(1) 'Avi^eiv xàç véaç irpôç tôv 'Ij6[xàv xat Tzpà t% IleXoTrovvTiffou vauptayjsiv (37).
'Eç xr\v IleXoicdvvTiaov iitoicXéeiv xal itspi êxeCvTjç xivSuveûeiv (74).
126 L. BODIN
d'une attaque, ils se battront entre eux ». — Pour accréditer enfin
ce roman les témoignages recueillis par Hérodote lui fournis-
saient, en la personne de Sikinnos, le meilleur des messagers :
un serviteur de Thémislocle, se présentant en son nom, répé-
tant ses propres paroles, s'autorisant d'une prétendue trahison
de sa part. — On conçoit que Xerxès, aussi habilement circon-
venu, ne manque pas de donner dans le panneau : tandis qu'un
détachement perse occupe Psyttalie, la flotte, par une double
manœuvre, s'avance, en décrivant un cercle (xux)voù|ji.evoi), vers
Salamine et, de son autre aile, barre le détroit (1). Hostile au
fond à ïhémistocle, nuancée de réserves sur les sentiments des
Grecs, laissant enfin subsister dans Fensemble l'image d'un
Xerxès trop naïvement séduit par la perspective du coup de
filet, cette version ne pouvait contenter Ëphore. \\ l'a refaite
à sa manière.
Pour lui, les Grecs veulent se concentrer à l'Isthme^ sous la
protection de leur armée de terre (2). H n'y a donc plus à craindre
ni à espérer qu'ils se dispersent : l'argument de Mnésiphile et,
par contre-coup, celui d'Artémise, tombent. L'argument de
Thémistocle seul subsiste (Tco).Xà yàp ttXsovsxtyJo-siv êv Ta^iç o-tsvo-
ywpiai; Toùç oXiyo'.ç o-xàcseo-i St.aY(oviÇoji.£VOUç ':z^oc^ 7roX);a7rAa(X'la(;
vaGç) et acquiert même une telle force qu'il s'impose d'emblée à
tous les chefs. D'autre part, il ne risque plus maintenant d'être
repris en sens inverse par les Perses : quelque avantage que
(1) Si difficile qu'il soit à interpréter, le texte d'Hérodote ne prête pas à la
même amphibologie que celui d'Eschyle et ne permet pas de concevoir la
manœuvre perse comme se dessinant autour de Vile de Salamine (vî^aov Aiavroç
irepi^j. Pour comprendre le développement ultérieur de la tradition, c'est la seule
chose qui importe.
(2) Cela ressort plutôt de l'ensemble de la version de Diodore que de son
exposé de la délibération. Celui-ci paraît même, à première vue, calqué sur celui
d'Hérodote (cf. Diod. XI, 13, 3 ; Hérod. VIII, 49 et 56 sqq.). Il s'en écarte cepen-
dant légèrement sur deux points et ces deux divergences supposent justement
une conception nouvelle des intentions des Grecs : s'ils veulent gagner l'isthme,
c'est parce qu'ils le savent bien fortifié (TETsij^iajiévou aÙToO xaXwi;) ; pour les en
détourner, Thémistocle leur fait observer qu'à l'isthme comme à Salamine, « la
lutte se livrera toujours sur mer (eaeaOat TreXayiov tôv àywva) « et que c'est d'après
cela qu'il faut raisonner.
HISTOIRE ET BIOGRAPHIE : PHANIAS d'ÉRÈSE 427
Xerxès trouve à combattre en mer libre, il peut toujours
considérer qu'il a un intérêt majeur à prévenir la réunion des
forces grecques. — Pour décider le Roi à attaquer, il est, dès
lors, parfaitement inutile de recourir à des fables ; qu'on lui
fasse seulement connaître la vérité : [xéXâoutiv al /.axà SaXa|jLv</a
VTÎeç aTToSi-Spàa-xeiv £x twv touwv xal Tipoç tov 'Io-B^jlov àOpo'lÇeo-Qai.,
bon gré, mal gré, il faudra bien qu'il marche. — Le message
enfin s'accréditant de lui-même, il n'est pas moins inutile de
compromettre Thémistocle par l'envoi d'un homme de sa
maison, parlant en son nom, et par conséquent d'utiliser dès
maintenant Sikinnos: Sikinnos doit rester au-dessus du soupçon
pour devenir l'instrument du second stratagème. Le premier
\enu, pour peu qu'on F y décide^ se présentant comme ti^ansfuge^
suffira à convaincre Xerxès en racontant ce qu'il a vu : lizti^i
zivoL upoç TOV SÉp^T^v aÙTojjLoXT;a-ai. — Xerxès est, en effet,
convaincu, et comme son but est, avant tout, d'empêcher la
concentration à l'Isthme, il a soin, tout en faisant engager le
combat, de détacher en arrière de Salamine, par une manœuvre
visiblement inspirée d'Eschyle (1), le contingent égyptien, afin
de fermer la passe de la Mégaride. Éphore pouvait être satisfait.
D'un seul coup, sans se brouiller avec la logique, il avait réha-
bilité les chefs grecs, éliminé l'importun Mnésiphile, replacé
Thémistocle à son rang, le premier, et ramené par surcroit
Xerxès à des proportions humaines et vraisemblables: au lieu
du despote de grand style que l'art vigoureux d'Eschyle pous-
sait à l'abîme, affolé d'orgueil, aveuglé par les Dieux, nous
n'avons plus devant nous qu'un général prudent, qui, mis au
courant des projets de l'ennemi, s'empresse de faire le néces-
saire pour en prévenir l'exécution.
La version Cornélius Nepos-Justin est comme la contre-
partie de celle d'Éphore et paraît s'inspirer principalement
d'Eschyle. Les Grecs maintenant ne songent qu'<i se disperser
et à rentrer chacun chez eux^ on nous le dit nettement : cum
(1) Voir p 126, n. 1.
128 L. BODIN
manere non auderent et plitrhni hortarentur ut domos suas
discederent^ nioenibusque se defenderent... (Nepos) ; cum^
deserto bello, ad sua tuenda delabi vellent... (Justin). L'argu-
ment de Mnésiphile retrouve toute sa force; Thémistocle ne
semble même pas en avoir d'autre à invoquer : universos
pares esse posse aiebat, dispersas testabatur perituros (Nepos).
— Lui faudra-t-il donc, pour décider Xerxès, sans se heur-
ter à l'objection d'Artémise, recourir de nouveau au roman?
On le croirait. Mais il n'est si bon argument qui ne se
retourne, celui d'Artémise comme les autres : « Les Grecs
dispersés, disait-elle, il sera plus facile de les battre ». Oui,
sans doute, mais il faudra plus de temps. C'est précisément
ce que Thémistocle fait dire au Roi : ses adversaires se
préparent à fuir; qu'il se hâte donc de les attaquer pour en
finir plus vite, qui si discessissent, majore cum labore et Ion-
qinqmore tempore bellum confecturum^ cum singulos consec-
tari cogeretur ; qiios si statim aggrederetur^ brevi universos
oppressurum (Nepos). — Pour le surplus, nos sources man-
quent d'imprévu : le messager, quoique rarement nommé,
reste dans la tradition d'Hérodote ; c'est un esclave dévoué de
Thémistocle [de servis suis quem habiiit fîdelissimum, Nepos;
per servum fidum, Justin), et qui se présente en son nom :
la donnée de la trahison simulée (simulata proditione, Fron-
tin) a survécu malgré Éphore. — Quant aux mesures prises
par Xerxès, il n'en est plus question. Nous apprenons seulement
que « sans soupçonner la ruse » (souvenir d'Eschyle), il engage
le combat et qu'il l'engage (survivance inattendue de la consi-
dération stratégique) dans un espace resserré, où il n'a pas la
liberté de la manœuvre. L'insistance sur le dévouement du
messager est, en tout cela, le seul trait un peu neuf. Dans l'en-
semble de la version, l'usure de la tradition est manifeste : une
idée directrice domine cependant encore le récit et lui donne
de la cohésion.
La version de Plutarque est, au contraire, essentiellement
composite. Débutant, comme à l'ordinaire, par un résumé
HISTOIRE ET BIOGRAPHIE : PHANIAS d'ÉRÈSE 129
d'Hérodote, pénible et superficiel (1) ('Aâa' ètoI... x. t. a., Thém.,
XII, 2), elle ne devient intéressante qu'au moment où ïhémis-
tocle entre en scène :
« C'est alors que Thémislocle, ne pouvant supporter que les Grecs
sacrifient l'avantage de leur position dans les détroits et se disper-
sent chacun dans leurs cités, arrête et combine l'affaire de Sikinnos.
Perse de naissance et prisonnier de guerre, ce Sikinnos lui était
cependant dévoué et servait de pédagogue à ses enfants. Il l'envoie
secrètement à Xerxès, avec ordre de lui dire que le commandant des
i'orces athéniennes, Thémistocle, prenant son parti, tenait à l'in-
former le premier que les Grecs se disposaient à fuir et lui conseillait
de ne pas les laisser faire, mais de profiter, pour les attaquer et
anéantir leur armée navale, de ce qu'ils étaient séparés de leurs
forces de terre et en désarroi. Convaincu que ce message lui était
adressé de bonne amitié, Xerxès l'accueillit avec joie. Sur le champ
il donne à ses capitaines l'ordre d'équiper à leur temps le gros de la
flotte, mais de détacher immédiatement en haute mer deux cents
navires pour envelopper, en l'encerclant, tout le détroit et relier les
îles en une ceinture continue, de façon qu'aucun ennemi n'échappe».
Il n'est pas douteux que Plutarque combine ici avec le récit
d'Hérodote une version particulière. C'est cette version qui,
dans notre hypothèse, appartiendrait à Phanias. Comme Phanias
avait certainement utilisé lui aussi Hérodote, sa part est assez
délicate à déterminer. Il est permis, par exemple, d'hésiter sur
les intentions qu'il prêtait aux Grecs, mais on voit tout de suite
qu'il mettait sur le même plan les deux motifs d'intervention
de Thémistocle, d'un côté, son argument personnel, base de la
version d'Ephore : l'importance stratégique des détroits, de
l'autre, l'argument de Mnésiphile, très important chez Hérodote,
capital chez Corn. Nepos et Justin : la crainte d'une dispersion
(1) Superficiel jusqu'au contre sens. Hérodote avait écrit : èvôaÛTa Kaxéêr, olùxôç
Sép^Tj; litl xàç vea;, èôéXiov acpi <su\).iii^ixi ts xal ituôsaSai xwv èiriitXeôvTwv xi; yvtojJLotç
(VIII, 61). On lit ici : aÔTÔç pauiXcùç [xsxà xoû TîeÇoG aTpaxou xaxaêài; èirl xt,v GâXax-
xav (SOpouç oi-pÔTi. Par Tinadvertance de Plutarque, la visite d'inspection de Xerxès
s'est transformée en une jonction de ses forces de terre avec sa flotte.
130 L. BODIN
possible des alliés. La façon dont les deux considérations sont
comme condensées dans la première phrase est tout à fait con-
forme à ses habitudes d'éclectisme. — Pour le texte du message,
il concilie avec la même adresse aisée les deux conceptions
divergentes d'Eschyle-Hérodote et d'Ephore : chez Ephore,
Thémistocle mettait Xerxès en garde contre un danger, la con-
centration des forces grecques à l'Isthme ; chez Eschyle et chez
Hérodote, il lui proposait une tâche séduisante : l'écrasement
immédiat et définitif de l'ennemi; en lui conseillant maintenant
£V (jj TapaTTOVTat. t(5v tteÇwv '/ wpk ovtsç eTii-ôéa-ôa', xal ût.acpQ£ipat. tt^v
vauT'-xriv SùvafjL'.v, il fait, en quelque sorte, les deux choses à la
fois. — Relativement au messager et aux résultats de son mes-
sage, Phanias ne s'était pas contenté des sources que nous con-
naissons. Le but de Xerxès, quand il a été une fois averti, reste
ce qu'il était pour Eschyle et pour Hérodote : c'est toujours le
coup de filet (ottg); sx^uyot. [jlïiSsIç tgjv ttoXsul'Iwv) ; la manœuvre
d'enveloppement, par certains points tout au moins, se rattache
encore au système d'Ephore : comme chez lui, la mission
« d'encercler la passe (7r£pt.êa).£a-9a(. tov Tropov £v xiJxX(j) Tuàvra) »
est dévolue à l'escadrille des deux cents vaisseaux (1); mais
l'ensemble des mouvements est présenté d'une manière nou-
velle : à l'occupation de la seule île dePsyttalie se substitue une
occupation générale des îles (2), et nulle part ailleurs nous ne
retrouvons l'ordre donné à la flotte principale de « s'équiper à
loisir » (3). — Admettons que Phanias ait fait de lui-même ces
modifications assez insignifiantes, il avait certainement trouvé
quelque part, dans une de ces sources peu connues qu'il aimait,
la personne de son messager. Il faut naturellement alléger ici
le texte de Plutarque de tout ce qu'il contient d'Hérodote. Ce
n'est pas notre Phanias qui aurait baptisé un Perse du nom de
(1) Diodore dit simplement t6 twv Aiyu-nTiwv vauxixdv. Mais Éphore, qui aimait
les précisions et qui savait par Hérodote (VII, 89; cf. Diod., XI, 3, 7) que le con-
tingent égyptien était de 200 vaisseaux, avait dû rappeler ce chiffre.
(2) Voir p. 121, n. 2.
(3) Il peut y avoir là un souvenir d'Hérodote, VIII, 70 : àvfiYOv xàç vsaç iizl tV
HISTOIRE ET BIOGRAPHIE I PHANIAS d'ÉRÈSE 131
Sikinnos, et, s'il avail fait de ce Perse un u prisonnier de
guerre », c'est qu'il avait vu là un moyen de l'accréditer auprès
de Xerxès : il s'agissait évidemment pour lui, et pour sa source,
d'un prisonnier de capture récente, qui, par conséquent, n'avait
encore eu le temps de devenir le « pédagogue » de personne. On
lui restituera sa physionomie originale en disant simplement
(( qu'il était perse, prisonnier de guerre, mais néanmoins dévoué
à Thémistocle ».
Vouloir préciser davantage serait imprudent et inutile. Le
stratagème ne nous intéresse qu'à litre accessoire, comme un
complément de la scène de l'entretien. C'est pour celle-ci seule-
nrent que nous pouvons véritablement parler d'un fragment de
Phanias. Revenons donc au passage de la Vie d'Aristide.
« Comme, en effet, — tandis qu'autour d^Eurybiade, on délibérait
d'abandonner Salamine — les trières des Barbares, ayant pris la mer
pendant la nuit et exécuté une manœuvre enveloppante, occupaient
déjà, et la passe sur un front circulaire, et les îles, personne ne
s'étant aperçu avant lui de cet encerclement, Aristide revint d'Égine,
après avoir traversé à grands risques les lignes des vaisseaux enne-
mis. S'étant rendu de nuit à la tente de Thémistocle, il le pria de
venir seul dehors, et là : « Thémistocle, lui dit-il, si nous sommes
sages tous deux, finissons dès ce moment nos vaines querelles de
jeunesse et nous mettons à rivaliser d'une noble et salutaire émula-
tion pour sauver la Grèce, toi, comme celui qui commande et à ton
rang de général, moi en t^'obéissant et en t'aidant de mes conseils :
j'aime, en effet, à apprendre que déjà tu t'es seul aujourd'hui attaché
au parti le meilleur en demandant qu'on cherche, au plus vite, la
décision sur mer dans les détroits. Sache donc que, si les alliés te
font de la résistance, il semble bien que l'ennemi travaille pour toi :
tout autour de nous et jusque par derrière déjà la mer est couverte
de navires ennemis, en sorte que ceux-là même qui s'y refusaient,
la nécessité maintenant les presse de se montrer vaillants et de livrer
bataille : il n'y a plus de route par où fuir ». Et Thémistocle lui
répondit : « J'aurais souhaité, Aristide, que tu ne prisses pas sur
moi l'avantage de cette démarche ; mais je tâcherai de rivaliser avec
un si beau commencement et d'avoir ma revanche par des ?ictes ».
132 L. BODIN
En même temps, il lui explique la ruse qu'il avait ménagée au Barbare
et l'invite à entreprendre Eurybiade et à lui faire en tendre qu'il n'était
point de salut possible à moins de se battre sur mer, ajoutant « qu'il
avait plus de crédit que lui ». D'où il advint (oBsv) qu'à l'assemblée
des généraux, le Corinthien Cléocrite ayant dit à Thémistocle que son
avis n'avait même pas l'agrément d'Aristide, puisque celui-ci était
présent et ne soufflait mot, Aristide répartit qu'il ne se tairait point
si Thémistocle ne soutenait le parti le meilleur, et qu'il demeurait
coi, non par quelque sentiment de complaisance pour lui, mais pour
ce qu'il approuvait son avis ».
Au début, la longue phrase ordinaire de raccord, pénible et
enchevêtrée; à la fin, une anecdote en contradiction avec les
données de l'anecdote principale : nous tenons les limites de
l'emprunt fait à Phanias.
Le thème est essentiellement le même que chez Hérodote (1) :
une conversation entre Aristide et son ennemi Thémistocle.
Mais la nouveauté apparaît tout de suite à une particularité sur
laquelle les deux textes de ï Aristide et du Thémistocle s'accor-
dent. Chez Hérodote, lorsqu'Aristide arrivait, les généraux
tenaient encore conseil : pour rencontrer Thémistocle, il devait
se rendre au <7\jvé^piov. Il se rend maintenant directement à sa
tente (stcI tyjv (7XT|vy]v). Si le texte de VAi^istide nous dit qu'il
l'invite à « sortir seul pour lui parler (xaAsa-aç aùxov sÇw jjiovov) »,
ce n'est que par une négligence de Plutarque. Plutarque s'est
souvenu mal à propos d'un lambeau de phrase d'Hérodote :
cTocç ettI to (juvéSpLov i^sxaXésTo 0£at.(TTox);£a. H nous a, par bon-
heur, conservé dans l'autre biographie le texte authentique :
Thémistocle étant dans sa tente, les témoins ne sont plus à
redouter : « il vient au devant de son visiteur (TcpoeXOovT!. Se t(J)
(1) Éphore est liors de cause. Pour une raison difficile à déterminer, peut-être
pour éliminer Aristide, il avait adopté de l'incident une version toute différente.
C'était, chez lui, un homme de Samos, envoyé par les Ioniens, qui, tout en
annonçant l'intention où étaient ceux-ci de passer du côté des Grecs pendant la
bataille, faisait connaître à Thémistocle les mesures prises par Xerxès. Éphore
combinait ainsi différentes indications d'Hérodote, la plupart étrangères à l'af-
faire de Salamine (cf. Diod., XI, 17, 3 et Hérod., VIII, 8, 90 ; IX, 89-90).
HISTOIRE ET BIOGRAPHIE : PHANIAS d'ÉRÈSE 133
0£tjL',c7Tox).£!;) ». Aiiisi Ic momcntcle l'entiotien aété délibérément
modifié (1). Par là on a voulu dramatiser la scène. Tant que
durait le conseil, Thémislocle pouvait garder l'espoir, soit de
faire triompher son avis, soit de le voir imposé, en dépit de
toutes les résistances, par Thcureux succès de son stratagème.
Le conseil terminé, que pouvait-il encore attendre? Décidé-
ment en minorité et, à mesure que les minutes s'écoulaient,
comptant de moins en moins sur l'attaque qu'il avait voulu
provoquer, il ne lui restait qu'à subir les événements. C'est h
cet instant suprême que survient Aristide : l'angoisse de la
situation accroît le piix de sa démarche.
Or quel est le sens de cette démarche? Les premiers mots
d'Aristide nous l'apprennent : « Renonçons, dit-il à Thémis-
tocle, renonçons à nos vaines querelles de jeunesse (t/.v xsv/iv
xal |jL£'.pax',w57] o-Tao-'.v à'-p£VT£ç) ; rivalisons désormais à qui saura
le mieux assurer le salut de la Grèce ». Il parlait tout autre-
ment chez Hérodote : « En toute occasion, disait-il, mais en
celle-ci surtout, nous devons rivaliser à qui servira le mieux
son pays ». On sent le chemin parcouru : pour Hérodote, il ne
s'agissait entre les deux anciens rivaux que de poursuivre, plus
ardente que jamais, une lutte qui n'avait toujours eu pour but
que l'intérêt commun. Chez Plutarque, au contraire, ce qu'Aris-
tide propose, c'est la rupture avec un passé de querelles sté-
riles : sa démarche est une démarche de réconciliation (2).
(1) TI résulte de là que, dans le résumé introductif, pou>vC'jo[xévwv xwv Tiepl Eùpu-
6ia(5Tiv est de Plutarque, et, de même, que Thémistocle n'avait pu conseiller à
Aristide « d'entreprendre Eurybiade et de lui faire entendre... etc. ». Entraîné
parla façon dont il avait résumé le fait, Plutarque s'est encore, sur ce point,
souvenu d'Hérodote. La Vie de Thémistocle restitue la version de Phanias : Aris-
tide est invité twv 'ETvXt^vwv auvsTrtTvafJLêavsaôai xal o'jp.TtpoOuij.sLaôat, ttCutiv ïyovzcn
[xâXXov; l'heure des avertissements est passée et son rôle ne peut plus être que
de pousser les Grecs à combattre avec ardeur : êTiTjei aTpaxYiyoùç xal TpiT,pâp/ouç
iizX tV iJ.â/Tiv Tiapo^ûvoiv. — Par une rencontre, qui n'est peut-être pas fortuite,
Aristide fait ici pour ïtiémistocle, ce que, chez Éphore (Diod., XI, 14, 1), Thé-
mistocle fait pour Eurybiade.
(2) Ce thème de « la réconciliation » avait fourni ou devait fournir des tradi-
tions divergentes : cf. Polyen, Strat., I, 31 ; Schol. in Lucian. (Jac. IV, p. 235);
Suidas, s. v. 'ÂptaT£(6'fi(; ; [Plut ], Reg. et imp. apoph., 'Apiax., 3.
REG, XXX, 1917, n» 137. 10
134 L- BODIN
Ceci n'explique pas seulement que l'auteur l'ait placée au
moment oii elle devait apparaître le plus opportune à Thémis-
toclc : nous avons en réalité là Fidéc maîtresse de Tanecdote,
ce qui en fait l'âme et la renouvelle.
L'insistance sur les motifs auxquels obéit Aristide est, à cet
égard, remarquable. Hérodote nous fournit, ici encore, un
excellent terme de comparaison. Chez lui, quand Aristide se
présente devant Thémistocle, il ignore son plan. C'est Thémis-
tocle qui le lui révèle au cours de l'entretien, et encore ne le
fait-il qu'en termes très généraux, qui ne laissent même pas
soupçonner s'il a obéi plutôt à ses propres conceptions straté-
giques qu'aux suggestions de Mnésiphile, s'il a voulu pré-
venir une dispersion possible des alliés ou faire en sorte qu'on
profitât de Favantage des détroits : « Les Grecs se refusant à
se mettre d'eux-mêmes en bataille, il fallait les y amener mal-
gré eux ». Par lui-même, tout ce qu'Aristide sait, c'est que les
Péloponnésiens a ont hâte de porter leur flotte vers l'Isthme
(oTt. a-7r£u8o',£V... àvàyeiv Taç véaç Tupo; tov 'Io-Qjjlov) », et, comme il a
constaté que c'était désormais chose impossible, il veut simple-
ment avertir le chef athénien qu'il est parfaitement indifférent
d'agiter plus longtemps la question : AÉyo) Se toi oti l'o-ov eorl
uo).Xà T£ xal 0Â'lyaX£V£',v 7r£pl aTcoTiAoou Toù £v8£Gt£v n£Xo7:ovvri(7W'.Tt,.
L'x\ristide de Plutarque est beaucoup mieux informé. Il sait,
lui, que a seul Thémistocle a discerné le meilleur parti en con-
seillant de livrer la bataille dans les détroits et sans délai »,
et, s'il vient le trouver, c'est parce qu'il a remarqué que les
manœuvres des Perses semblaient conspirer à la réalisation de
cette pensée stratégique. Yoilà qui définit très exactement la
valeur de sa démarche : d'agent fortuit et occasionnel d'infor-
mation il s'élève au rang de collaborateur volontaire de Thé-
mistocle : son mérite en est accru d'autant. Mais, d'autre part,
le motif qui le guide est d'ordre supérieur : il a jugé le plan
proposé par son rival et compris que seul il pouvait conduire à
la victoire : c'est vraiment en connaissance de cause qu'il sacri-
fie à l'intérêt de la Grèce ses griefs personnels.
HISTOIRE ET BIOGRAPHIE '. PHANIAS d'ÉRÈSE 135
L'anecdote étant ainsi conçue, on comprend sans peine que
l'auteur, tout en demandant son thème à Hérodote, se soit ins-
piré, pour le traiter, des données d'Ephore sur l'ensemble de la
situation et sur les opérations militaires. Kphore avait su se
débarrasser de Mnésiphile : chez lui, l'argument stratégique,
le plan véritablement propre à Thémistocle, était seul à comp-
ter. Or ici ce plan est également la chose importante, sa perfec-
tion devenant le motif déterminant d'Aristide. Mais on ne pou-
vait le reprendre à Ephore qu'en se conformant au reste de
son exposé. Nous avons déjà vu que de lui venait, au moins en
partie, le texte du message adressé à Xerxès ; c'est d'après lui
également que l'encerclement des Grecs est conçu comme com-
portant une manœuvre en arrière de Salamine : to yàp ev
xuxX({) xal xaTOTT^v rfir^ TiD^ayoç E^Tzi7:'kr\<j':of,i vswv TtoXejALwv.
Ainsi ridée de réconciliation agit de proche en proche sur
toutes les parties du récit et le transforme jusque dans ses élé-
ments en apparence secondaires. Mais pour estimer à son prix
l'art avec lequel cette réconciliation est traitée, quelque chose
encore nous manque : nous ignorons la nature du différend
qui séparait Aristide de Thémistocle. L'auteur de l'anecdote
avait dû s'expliquer sur ce point. Hérodote, lui, se bornait à
constater qu'entre les deux hommes l'inimitié était profonde :
0£[j.'.TTOx)ia sovTa [jl£v swjtw O'j cpO.ov, k'^j^^^hy Ss Ta aàXia-Ta (79).
La même phrase reparaît, mais modifiée, chez Plutarque : oùx
wv o'IXoç, àXXà xal 8t.' èxsivov £^wa-Tpaxt.a-ui£voç wo-uEp elpr^ioLi {Th.,
XII, 6). Notre auteur admettait-il donc que Thémistocle fût
responsable de l'ostracisme d'Aristide? Cela ne rendrait d'ail-
leurs pas raison de leur hostilité et n'en serait.qu'une consé-
quence. En réalité, il semble bien que la phrase soit de Plu-
tarque : elle ne se trouve que dans la Vie de Thémistocle^ et le
wTTOp £'ipri-at., qui l'accompagne, nous renvoie à un chapitre
antérieur où Thémistocle était, en effet, donné comme l'auteur
à la fois du bannissement d'Aristide et de son rappel. Or notre
anecdote ne peut admettre ni l'un ni l'autre. Pour le rappel,
c'est évident : gracié sur l'intervention de Thémistocle, Aristide
136 L. BODIN
perdrait tout le bénéfice moral de sa démarche, etThémistocle
ne pourrait plus lui dire : « J'aurais voulu que tu ne prisses
pas, en cette rencontre, avantage sur moi... ». Pour le bannis-
sement, ce n'est guère moins certain : l'expression de {jL£t.pa-
x'.wSriç a-Tàa-t.s, dont se sert Aristide, éveille plutôt l'idée d'un
différend permanent et complexe, sans conséquence précise,
que celle d'un désaccord aigu et politique ayant abouti récem-
ment à un vote d'ostracisme.
On songe, au contraire, malgré soi, à ce que Plutarque nous
dit, au début de V Aristide^ en s'appuyant sur des témoignages
anonymes, de l'opposition foncière qui, « dès leur enfance, dans
leurs propos comme dans leur conduite, qu'il s'agit de jeux ou
d'affaii'es sérieuses, avait éclaté entre les deux personnages,
révélant d'emblée leuis caractères (evio'. usv ouv cpao-iv uaTSaç
ovTaç a'jTO'jç xal a-uvTp£cpo|jL£Vou;;, kiz kpyî\ç £v uavTl xal o-ttouStIç
£yo|jL£VC|) xal TiaiSiàç TrpàypiaT!. xal ).6y(!j 8t.acp£p£a-Qa!. irpoç à)0.y]Xouç,
xal -zkq C2ua-£t,ç £Ùf|i>s uuo ':T^^ cp!.)vOV£t.x'la; ly,Eiv'f\ç, àvaxaAÙ7iT£0-9at., Ar.,
II, 2) ». Cette opposition ne va d'ailleurs qu'en s'accentuant, au
cours de leur carrière, et Plutarque, qui en suit pas à pas les
progrès, semble s'inspirer d'une source oii ils auraient été mis
en parallèle. Ils sont grands tous deux, mais par des qualités
contraires : chez Thémistocle, c'est un ardent besoin de
gloire (ï, Trpoç ooEav optjiT], Th.^ III, 1), une ambition sans égale
(ttj cpiA0T'-ij.'la TcàvTaç UTiîpéêaAtv, 77i., V, 3 ; cp'ja-£t. cpiXoTip-OxaTOç,
Th., XVIII, 1) : n'aspirant qu'au premier rang, « il accepte
hardiment de se faire des ennemis de ceux qui l'occupent et
spécialement d'Aristide, marchant toujours dans des voies
opposées aux siennes » {Th.^ III, 1). Aristide, au contraire,
d'un caractère doux (upaoc; cpua-£{.), né pour être le type même
de l'honnête homme (xaXoxayaQixo; tov TpÔTcov), ne fait rien
pour capter la faveur non plus que pour la gloire (7roÀt.T£u6-
{A£voç où Tupoç x°^pt.v, o'jSà uGoç So^av), mais cherche unique-
ment le meilleur par des voies sûres et conformes à la justice
{Th., III, 3). Antagonisme de tempérament, qui se traduit,
dans l'une et l'autre biographie, en formules saisissantes.
HISTOIRE ET BIOGRAPHIE ! PHANIAS d'ÉRÈSE 137
Tandis que Tli6mistocl(3 nous est présenté comme « violem-
ment porté à la gloire et, par ambition, amoureux passionné
des grandes actions, Trapàcpopoç ttooç 86Çav xal upà^swv [jLsyàXtav
uTco cpj.AOTiijLia? £paTT7]ç, Th.^ 111, 4) », Aristide u ne pense qu'à se
mettre à la disposition de son pays » et, suivant la jolie
traduction d'Amyot « à servir la chose publique, sans en
espérer ou attendre aucun loyer mercenaire, ny d'argent, ny
d'honneur et de gloire (r,You[jL£vou ypfjvat. rr, Tia-rpiSi Trapéys'.v
sauTÔv où ypYijjiàTwv jjlovov àXXà xal 36Çt;; Tipolixa xal àjjL5.<T9l ttoXi-
TeL»6[jL£vov, Ar., 111, 8, 5) ». Ce dernier trait nous ramène direc-
tement à notre anecdote; mais c'est en se souvenant de l'en-
semble du parallèle qu'on en appréciera le mérite. Entre deux
hommes d'un caractère si opposé et ennemis depuis toujours
un rapprochement ne semblait pas chose aisée. Du premier
coup Aristide atteint le but à force d'être sincère, c'est-à-dire
en restant lui-môme. En même temps qu'il en impose vrai-
ment à Thémistocle par la générosité de sa démarche, il trouve,
sans y penser, dans sa franchise d'honnête homme, l'argument
qui touchera le mieux son amour-propre et sa passion de la
gloire : il se déclare conquis par l'excellence de ses plans. Sur-
pris et flatté, Thémistocle perd un instant contenance et ne
reprend son assiette qu'en se promettant de faire mieux. La
scène est conduite avec une brusquerie aisée qui est ici la
suprême habileté. Calcul en moins, c'est déjà la réconciliation
de Thémistocle lui-même avec Xerxès. On peut reconnaître là,
en toute certitude, la main de Phanias ; on la retrouvera peut-
être mieux encore dans notre troisième anecdote.
Discussion entre Aristide et Thémistocle
avant le second stratagème.
Le stratagème en question ici est celui par lequel Thémis-
tocle, jouant auprès de Xerxès de la possibilité qu'ont les Grecs
de rompre le pont de bateaux établi sur l'Hellespont, tour à
tour, suivant les sources, favorise, détermine ou précipite son
138 L. BODIN
retour en iVsie. La discussion a pour objet de chercher s'il
vaut mieux, dans l'intérêt de la Grèce, que Xerxès reste ou qu'il
parte. De nouveau nous nous trouvons en présence d'une
abondante tradition : douze textes, en dehors de ceux de PIu-
tarque (1). Mais pour peu qu'on néglige les croisemenls de
détail, inévitables dans une série qui va d'Hérodote au Byzantin
Aristodèmos, ces textes se laissent aisément ramener à trois
familles, représentées respectivement par Hérodote, Diodore
(Ephore) et Justin.
L'ancêtre commun est Hérodote. Sa version est assez connue
pour qu'il suffise de la rappeler brièvement. Vaincu sur mer,
Xerxès craint (Seio-a;) que les Grecs n'aillent détruire les ponts (2,)
par lesquels il avait amené son armée de terre, et ne lui coupent
ainsi la retraite. Tandis que, pour donner le change sur ses
intentions, il feint de vouloir reprendre le combat et fait com-
mencer, dans cette vue, la construction d'une jetée entre Sala-
mine et les côtes de l'Attique (97), sa flotte, sur son ordre, lève
l'ancre en toute hâte (w; Ta-^so; ^\yj. exao-Toç), avec la mission de
garder les ponts et d'assurer son retour (107). Les Grecs la
poursuivent. Arrivés à Andros sans avoir pu la joindre, ils
tiennent conseil. ïhémistocle est d'avis qu'on ne doit point
s'arrêter, et qu'il faut, au contraire, continuant la poursuite
(è7i!.S!.(o5avTaç), gagner directement les détroits pour rompre les
ponts. Mais Eurybiade intervient : « Ce serait une lourde faute
d'enfermer ainsi l'ennemi en Europe et de le réduire aux abois;
après son échec, il ne songe vraisemblablement qu'à s'en aller :
on doit le laisser fuir » (108). Là-dessus, brusquement, Thémis-
(1) Hérod., VIII, 97 ; 103 ; 107-110; Thuc, I, 137, 4; Ktés., Persica, 26 ; Eschine
le Socratique 'AXxi6., frt. i (p. 34, Krauss); Diod., XI, 19, 5-6; Corn. Nepos, Thém.,
5 et 9; Frontin, Stral., II, 6, 8; Justin, II, 13, 5; Polyen, Strat., I, 30, 4; Aristo-
dèmos, ï, 7; Schoi. in Ael. Arist., p. 615 ; [Plut.], Reg. et imp. Apophth., Be\x.. 6.
(2) Ce pluriel s'accorde avec la description du pont donnée à VII, 36 ; Hérodote
l'emploie toujours (xàç ys'fûpaç, VIII, 97, 108, 110 ; xà; «r^sSia*;, VIII, 107 et 108),
mais n'est suivi que par Thucydide (rwv yôcpupôiv), par Plutarque dans une phrase
de VAristide (IX, 6) et par une scholie d'Aristophane {Cav. 84). Partout ailleurs,
on trouve le singulier. Éphore distingue l'ensemble du pont (tô Çsûyfjia) de la
chaussée ou tablier (f, yéçpupa) qui sert de passage.
HISTOIRE ET BIOGRAPHIE I PHANIAS d'ÉRÈSE 139
tocle, qui voit qu'il ne pourra convaincre la majorité des alliés,
fait volte-face, et comme les Athéniens persistent dans leur
première résolution, il les en détourne par un long dis-
cours (109). Tout semble dès lors devoir se dérouler normale-
ment. Xerxès, est si bien décidé à fuir, qu'au sentiment d'Hé-
rodote « quand tout le monde, hommes et femmes, s'y serait
mis, personne, tant il avait peur^ n'aurait pu le déterminer à
rester (oùBs yào zl 7:àvT£ç xal Tcàîra!. o-uvsêouÀsuov auTw |jl£V£',v, £'|ji£V£
av, 5ox££t.v l\).o'\ • ojTw xaTappo)5r,x££ (103) ». Les alliés, d'autre
part, ont tous, y compris les Athéniens, renoncé à lui couper
la retraite. Qu'est-il besoin maintenant d'un stratagème? S'il
ne s'agissait que de ramener l'armée perse en Asie, tout strata-
gème serait en etfet inutile. Mais ïhémistocle a d'autres préoc-
cupations. Il ne s'était rangé à l'avis d'Eurybiade et ne l'avait
imposé aux Athéniens — Hérodote a pris soin de nous le dire
— que pour se concilier, en vue de malheurs éventuels, la
faveur de Xerxès (110) : il fallait bien qu'il lui fît connaître sa
palinodie. C'est à quoi répond le stratagème : Sikinnos, qu'on
ne voit pas sans surprise reparaître dans ce rôle de messager,
est chargé de prévenir le Roi, « que ïhémistocle, désireux de le
servir, a retenu les Grecs, qui voulaient poursuivre sa flotte et
rompre ses ponts de bateaux, et qu'en conséquence, il peut s'en
aller en toute tranquillité (xax' T,a-u')(_i7iv ttoXXtiv xo(AiÇ£o) ». Bonne
nouvelle pour Xerxès que la peur torturait : il sait désormais
qu'il n'a rien à craindre ; mais il sait aussi qui l'a sauvé et c'est
tout ce que voulait Thémistocle. De valeur nulle au point de vue
des opérations militaires, le stratagème n'est utile qu'à lui, n'a
d'intérêt que pour lui : c'est une assurance que le prudent poli-
tique contracte, au prix d'une démarche assez louche, contre
les accidents possibles de sa carrière.
Cette version ne se discute pas. Fut-on un ïhémistocle, on
ne saurait prévoir les malheurs de si loin, et, quand on est
ïhémistocle on montre plus d'esprit : on ne prétend pas, à
deux jours d'intervalle, tour à tour duper et se concilier le,
même adversaire par le même procédé et lui faire prendre au
140 L. BODIN
sérieux le lendemain ce qui n'avait été la veille qu'une ruse
désastreuse. AUendons-nous à voir la tradition corriger Héro-
dote. Déjà Thucydide (1) n'avait accepté son récit qu'en le
remaniant. Après lui les transformations se font plus radicales
et visent, avant tout, à réhabiliter Thémistocle. Or Thémistocle
ne pouvait échapper à la critique que si le sti'atagème appa-
raissait comme imposé par une nécessité d'ordre militaire. Pour
préciser, il fallait de deux choses Tune, que, le départ de
Xerxès étant supposé désirable et Thémistocle le jugeant
nécessaire, ou bien Xerxès ne songeât pas à partir, ou bien,
s'il en avait l'intention, que les Grecs voulussent l'en empê-
cher. Les deux solutions ont été successivement adoptées,
déterminant, à côté de la ti'adition d'Hérodote, deux groupes
divergents.
C'est, d'un côté, celui que représente Ephore, suivi, cette
fois, très fidèlement par Corn. Nepos. Sa version est extrême-
ment simple, logique et cohérente, cela va sans dire, et natu-
rellement aussi, tout à la gloire de Thémistocle. Xerxès a été
vaincu sur mer; mais son armée de terre reste intacte et elle
est considérable : quelle raison aurait-il de partir, et de quoi
pourrait-il être effrayé'^. Le danger est pour les Grecs, et c'est
eux (( qui ont pew% à la pensée de combattre à terre tant de
(1) Le texte de Thucydide est, à la vérité, très obscur : l'interprétation que
j'ai précédemment adoptée [R. E. G., tome XXVIII, p. 257), reste douteuse. En
rapportant Tr,v ex SaXa[j:rvoî TtpoiyyeXaiv au second stratagème, on force le sens
du mot TTpoiyysXai;, et les mots èv. Sa)vaij.ïvoç présentent avec Hérodote une con-
tradiction qu'aucun autre témoignage ne justifie. Peut-être vaudrait-il mieux
revenir à la vieille explication d'Haacke et entendre : « Le texte de la lettre rappe-
lait l'avertissement, donné de Salamine, touchant la retraite (des Grecs) et, de
plus, comment, grâce à lui, Thémistocle — il s'en attribuait faussement le mérite
— les ponts de bateaux n'avaient pas, à la même époque, été rompus. » Ainsi
comprise, la parenthèse, rappelant à la fois, le piège tendu par Thémistocle à
Xerxès et le service qu'il lui avait rendu, correspondrait exactement aux deux
parties de la première phrase de la lettre : xaxà txèv tz1ei<szix... ttoXù S'êxt -rtXsfu)
àyaOa. Mais dans cette interprétation aussi, Thucydide écarterait formellement
l'absurde roman du second message : ce n'est pas, tant s'en faut, une raison de
la rejeter et l'on comprend qu'Ad. Bauer {T/iém., p. 49) s'y soit rallié. — La ver-
sion d'Eschine le Socratique, bien qu'assez indépendante et difficile à classer, ne
se distingue pas essentiellement de celle d'Hérodote.
HISTOIRE ET BIOGRAPHIE : PHANIAS d'ÉRÈSE 141
milliers d'hommes cpoêo jtjiÉvoiv tg)v 'P^Xavaov usÇrj ô'-aYwvlÇsTOa!.
Tcpo; Too-auTaç [jLup',àoa;) ». Il faut donc, de toute nécessité, /«ire
partir Xerxès malgré lui. Thémistocle y pourvoit de la façon
la plus naturelle. Il l'informe « que Icîs Grecs se disposent à
mettre à la voile pour gagner le pont de bateaux et en rompre
le tablier [\k€^Xou<7i TcX^ù^oLycEç tizi to Çs-jyjjLa AÙciv t^iv yscpupav) ».
Rien de plus ; mais cela sulJit : Xerxès, qui voit déjà ses
communications coupées, est pris d'une vive terreur (îuspicpoêo;
£y£V£To) et décide de passer au plus vite d'Europe en Asie.
Diodore malheureusement ne nous dit pas comment le messa-
ger se faisait agréer; Corn. Nepos non plus. 11 semble cepen-
dant que Thémistocle, qui, avant Salamine, était resté pru-
demment dans la coulisse, se découvre cette fois : il envoie
« le pédagogue de ses fils ». La vraie nouveauté d'ailleurs n'est
pas là. Elle est dans la façon dont Éphore a, en quelque sorte,
retourné la version d'Hérodote : Thémistocle avertit Xerxès,
non plus parce qu'il le sait effrayé et pour le rassurer, mais
parce qu'il le sait très tranquille et pour le faire partir en
Teffrayanl. Militairement inutile tout à l'heure et, par suite
simplement intéressé, son stratagème est devenu, comme par
magie, un pur service rendu à sa patrie, à l'heure où la ruse
seule pouvait la sauver d'un péril redoutable.
L'autre tradition, celle qu'on retrouve, à quelques variantes
près, dans la plupart des sources tardives, arrive au même
résultat, mais par une voie différente et avec moins d'origina-
lité. De nouveau, comme chez Hérodote, Xerxès abattu par la
défaite [clade perculsum, Justin), est décidé à emmener son
armée de terre [reliquas copias rex ipse reducere in regnum
parât). En revanche, contrairement à l'ensemble de la version
d'Hérodote, les Grecs victorieux veulent détruire le pont pour
lui couper la retraite. Vainement Thémistocle, qui voit le
danger, leur représente quelle folie ce serait de réduire ainsi
l'adversaire au désespoir; ils s'obstinent dans leur projet.
Que faire dès lors pour prévenir une telle faute, sinon d'aver-
tir Xerxès de ce qui se prépare et de l'engager à précipiter son
142 L. BODIN
départ? C'est à quoi se résout Thémistocle. Sur la personne du
messager, nos sources sont assez avares de renseignements :
elles se contentent, en général, de dire « .qu'il envoya quel-
qu'un » ; deux d'entre elles seulement précisent et encore de
façon contradictoire. Tandis que Justin nous parle du « même
serviteur [eumdem se^nmm) », Polyen spécifie, — et nous
verrons tout à l'heure, avec Plutarque, l'intérêt de cette
variante — « qu'il dépêche de nouveau au Roi un autre
eunuque, Arsakès (Tzi^izii 8r, lïàXiv wç j^ao-iXéa sùvou^ov a)^Xov
'Apo-àxYiv) ». Sur le texte du message, au contraire, nul flotte-
ment. Ce texte ne pouvait dilTérer beaucoup de celui que don-
nait Ephore, le but à atteindre restant au fond le même que
pour lui. Il se précise cependant de façon à s'adapter étroite-
ment aux circonstances : Xerxès étant maintenant décidé à
partir, il s'agit de le faire arriver avant que les Grecs, dans
leur entêtement, ne lui aient coupé la route; l'essentiel est
d'obtenir quil se hâte. Justin nous fournit la formule la plus
complète : « certioremque consilii (pontis interriimpendi) facit
et occiipare transitum maturata fuga jiibet ». Est-il nécessaire
de faire remarquer que cette nouvelle version du stratagème
est calquée sur la version traditionnelle du premier? Comme
avant la bataille, Thémistocle ne recourt à la ruse que pour
faire imposer par l'ennemi à ses concitoyens une solution
qu'il n'a pu leur arracher par ses conseils. Invention bâtarde,
simple contrefaçon d'époque évidemment avancée, mais qui a
du moins l'avantage, comme la version d'Éphore, de rendre
au stratagème une véritable utilité et, par conséquent, de
tourner à la gloire de Thémistocle, ce qui, chez Hérodote, ne
servait qu'à le compromettre.
Nos trois familles étant ainsi constituées, prenons mainte-
nant le texte de Plutarque [Thém. XVI) celui qui doit nous
apporter la version de Phanias :
« Après la bataille navale, Xerxès, encore mal résigné à son
échec, tentait, en fermant la passe qui le séparait de Salamine,
d'amener, sur des jetées, son armée de terre contre les Grecs.
HISTOIRE ET BIOGRAPHIE : PHANIAS d'ÉRÈSE 143
Thémistocle, cependant, pour sonder l'opinion d'Aristide, affecte de
proposer qu'on fasse voile vers THellespont et qu'on rompe le pont
de bateaux : « afin, disait-il, de nous emparer de l'Asie en Europe ».
Mais Aristide, se révoltant à cette idée, prend à son tour la parole :
« Nous n'avons eu jusqu'ici à combattre qu'un Barbare qui prenait
ses aises. Si nous l'enfermons en Grèce et le mettons à la gêne, en
l'effrayant, quand il dispose d'armées si formidables, il ne s'en
tiendra plus à regarder tranquillement le combal, assis sous un dais
d'or, mais pressé du danger, mettant tout en œuvre, donnant par-
tout de sa personne, il rétablira la partie qui était déjà perdue et
assurera, par de meilleurs conseils, l'ensemble de ses affaires. Ainsi
donc, Thémistocle, ajoute-t-il, ce qu'il nous faut, ce n'est point
détruire le pont dont il dispose, mais bien plutôt lui en construire,
s'il est possible, encore un autre, et le chasser en toute hâte de
l'Europe». — « Mais alors, répond Thémistocle, si l'on est vraiment
d'accord que c'est là notre intérêt, il est grand temps d'aviser, tous
ensemble, par quelque combinaison, à lui faire quitter la Grèce le
plus rapidement possible ». L'accord s'étant fait, il dépêche l'un des
eunuques royaux, nommé Arnakès, qu'il avait trouvé parmi les pri-
sonniers, avec ordre de dire au Roi, que « les Grecs, victorieux sur
mer, avaient décidé de faire voile vers l'Hellespont, pour atteindre le
pont de bateaux et en rompre le tablier (àvauXelv e?; tov 'EXXr^airovtov
eut xo ^£ÙY[jLa xai Xuetv xt^v vscpjpav), mais que Thémistocle, par intérêt
pour sa personne, l'invite à gagner, sayis perdre de temps (airsjSctv),
les mers de son obéissance et à passer en Asie, pendant que lui-
même suscite des retards aux alliés et leur fait différer la pour-
suite ». Pris de terreur à cette nouvelle, le Barbare se met en
devoir d'opérer sa retraite au plus vite ».
La phrase d'introduction n'a, cette fois, ni gaucherie, ni
lourdeur. A.u lieu de raccorder l'anecdote à un exposé des
faits tiré d'une histoire générale, Plutarque résume la situation
d'après l'anecdote elle-même. Le projet de Xerxès de relier
Salamine à l'Altique par une chaussée ne vient pas, en effet,
directement d'Hérodote. Pris ici au sérieux et présenté comme
le prélude d'une reprise effective du combat (1), avec le
(1) L'idée a pu être suggérée à l'auteur de l'anecdote (Phanias) par Ktésias :
144 L. BODIN
concours do rarmco de terre, il relève d'une conception nou-
velle, inspirée à la fois d'Hérodote et d'Ephore et sert en
quelque sorte de trait d'union entre leurs deux versions.
Ces deux versions ont exercé une égale influence sur l'his-
toriette. On retrouve Ephore dans la façon générale de présen-
ter les faits ; le motif de la scène principale, la discussion
entre Aristide et Thémistocle, est fourni par Hérodote, à cela
près qu'Aristide remplace maintenant Eurybiade. Ne nous
exagérons pas cependant la valeur de ces emprunts. Quand on
passe du texte d'Hérodote à celui de Plutarque, on sent immé-
diatement qu'il y a, ne fut-ce que dans le ton des personnages,
quelque chose de changé. Si deux ou trois mots, comme el
8ox£i TauTa a-U|jLcp£p£!.v... TcàvTaç fi[j.àç... stzeI 8s TauTa è'So^e, ne.
nous rappelaient qu'il s'agit toujours d'une délibération en
conseil, on croirait plutôt assister à une conversation d'homme
à homme : la discussion tourne à l'entretien familier, les
discours au dialogue. En dépit d'une ressemblance apparente
dans les situations, le rôle môme des personnages est entière-
ment modifié : Aristide n'est que de très loin l'héritier d'Eury-
biade, et quant à Thémistocle, il est à peine reconnaissable.
Pour suivre leur débat, restituons d'abord à ce dernier une
phrase qui ne se trouve que dans la Vie d'Aristide : elle est
trop soignée et trop bien accordée avec l'ensemble pour ne
pas appartenir à la version originale : « ce qu'ils avaient fait
jusque-là, serait-il censé dire à Aristide, était assurément fort
beau ; mais une tâche plus belle encore leur était réservée... »,
et sur ce début plein de promesses, il lui propose effective-
ment d'aller rompre le pont « afin, ajoute-il, pour compléter
la séduction, afin de nous emparer de l'Asie en Europe ». C'est,
à peu de chose près, la proposition qu'il soumettait à Eurybiade :
mais chez Hérodote, il parlait sérieusement. Ici il s'amuse ; il
ne veut que « sonder l'opinion d'Aristide », et tout ce beau
d'après une phrase des Persica (26), dont on retrouve l'écho chez Strabon
(IX, 1, 13) et chez Aristodèmos (I, 2), Ktésias avait pris, lui aussi, le projet au
sérieux, mais en le rapportant à la préparation de la bataille de Salamine.
HISTOIRE ET BIOGRAPHIE : PHANIAS d'ÉRÈSE 145
plan n'existe « qu'en paroles » (à7ro7:£t.cio[jLcvoç 'Apio-TeioGu /oyw
Yvw[j.iQv £Tco!.£^To). Dès maintenant son siège est fait : l'intérêt
des Grecs commande de faire partir Xerxès au plus tôt, par
n'importe quel moyen. Mais Tenlrepiise est scabreuse; des
esprits chagrins pourraient y chercher une ariière-pensée
suspecte : l'astucieux Athénien trouve plus sûr de se la faire
suggérer par un homme au-dessus du soupçon. De sa volte-
face il ne reste plus que l'apparence et comme le geste :
quand il paraîtra se rallier aux vues d'Arislide, nous saurons
qu'il est en réalité toujours d'accord avec lui-même. Aris-
tide, lui, a l'ingénuité candide que donne la pratique de la
vertu : il ne soupçonne rien. A la seule idée qu'on pourrait
couper la retraite à Xerxès, il s'indigne et se récrie (SuTyspaU
vovToç Th.j àvaxpaywv Arist.). Eurybiade protestait de même,
mais avec quelle lourdeur et quelle insistance de mauvais goût,
dans la symétrie tendue et l'aide de son argumentation ! « Que
le Perse, disait-il, coupé de ses communications, fût contraint
de demeurer en Europe, il tâcherait de ne pas rester inactif,
parce que, s'il restait inactif, il ne pourrait ni améliorer sa
situation, ni entrevoir parla suite aucune possibilité de retour,
et son armée mourrait de faim, tandis qu'au contraire, s'il
tentait un effort et s'attachait à agir, tout ce qui formait
l'Europe, cités et peuples les uns après les autres, pourrait
venir à lui, soit par force, soit, en prévenant cette extrémité,
par la soumission, et il aurait toujours pour se ravitailler les
récoltes annuelles de la Grèce ». Ce ton ne saurait convenir à
notre Aristide. Il sait qu'un Thémistocle comprend à demi-
mot et qu'à trop insister sur les meilleures raisons — ïhéo-
phraste (1), contemporain et compatriote de Phanias en avait
fait la remarque — on paraît douter de la finesse de son inter-
locuteur. Peut-être aussi derrière Thémistocle aperçoit-il la
galerie, c'est-à-dire le lecteur, et, pour lui plaire, il trouve
l'argument pittoresque : « Jusqu'ici le Barbare a pris ses aises
(1) Théophr., fr. 96.
146 L. BODIN
(toucpwv:!. tw j^apêàp(j))... ; qu'on le réduise au désespoir, on ne
le verra plus, sous un dais d'or, tranquille, comme au spectacle,
devant le combat (ojxst', xaB/j jjlsvos '^'^o a-xvàot. '/p^jcrj Qsào-sTa!. Trjv
jjiàyyiv £cp' T,Tuy_'la;) ». Et, de même, s'il se rencontre, pour con-
clure, avec Eurybiade, il y met plus d'esprit et va plus ^loin
que lui. L'autre disait : « Il faut le laisser fuir jusqu'à ce que
la fuite le ramène sur ses terres ». Aristide sent qu'il y a
mieux à faire ; mais les ruses ne sont point de sa compétence :
pour rendre sa pensée, il propose de construire deux ponts au
lieu d'un, ce qui n'est évidemment qu'une façon spirituelle de
passer la main à Thémistocle. Thémistocle l'attendait là : il
est arrivé à ses fins et peut placer son stratagème : « Mais alors
c'est le moment ou jamais de recourir à l'artifice ; cherchons
tous ensemble ». Ce « cherchons tous ensemble » est admi-
rable ; l'artifice n'est-il pas déjà tout trouvé? Sans doute ; mais
il fallait ménager l'auditoire. *
Fort désormais de la complicité d'Aristide, Thémistocle fait
avertir Xerxès. Dans ÏArùtide, Plutarque nous dit « qu'il
envoie de nouveau Arnakès, un eunuque ». Dans le Thémis-
tocle, le mot « de nouveau » disparaît et les précisions don-
nées sur le personnage indiquent clairement qu'il débute dans
son rôle ; c'est « un des eunuques du Roi, trouvé parmi les
captifs, nommé Arnakès ». On pourrait s'en tenir à cette ver-
sion et rejeter le 7rà).!.v comme un souvenir intempestif d'Héro-
dote. Mais Polyen nous fournit la véritable solution : « il envoie
de nouveau, nous dit-il, un autre eunuque ». Complété par
àX).ov, TràXiv est excellent; introduits dans le texte du Thémis-
tocle, les deux mots lui restituent sa forme primitive : tojjltoi
<!7iàX!.v à).).ov> Tivà T(ov jSao-L/vUwv eùvouywv. Le second messa-
ger, comme le premier, est un prisonnier perse, et nous appre-
nons — ce que Plutarque ne nous avait pas dit — que le pre-
mier était lui-même déjà un eunuque (i).
(1) Polyen (cité p. 1^3, n. 2) aurait pu nous en avertir.— Le choix d'un eunuque
comme messager nous est expliqué par Hérodote (Vlll, 105) : Tiapà yàp toÏti
^apêapoiai Titj.iwx£poî elai ol eùvoûyot iriatioç eïvsxA t% itaa'fi; tûv Ivopj^twv.
HISTOIRE ET BIOGRAPHIE I PHAMAS d'ÉRÈSE 147
Pour le message, Y Aristide n'est plus du tout d'accord avec
le Thémislocle. Enire les deux vei'sions, le choix est cependant
facile. La première n'est que celle d'Hérodote légèrement alté-
rée. Thémislocle explique au Roi « que les Grecs ayant résolu
de mettre à la voile pour gagner les ponts (1), il les en avait
détournés, désireux qu'il était de le voir échapper à sa
perte (2) ». Singulier moyen de faire fuir Xerxès que de
l'avertir que le péril est conjuré! Plutarque ne s'en est pas
avisé, puisqu'il continue bravement : « à cette nouvelle,
le Koi épouvanté se hâte vers THellespont (TOoicpoêoç ysvojjlevo;
eùOù; sttI tov 'EX).ria-7rovTov i^'KÛyz'o) ». En réalité il avait écrit
vite et s'était laissé influencer par le souvenir d'Hérodote.
Avec la Vie de Thémislocle^ la logique reprend ses droits :
ïhémistocle « conseille au Roi de regagner en hâte ses eaux
territoriales et de passer en Asie, tandis que lui-même suscite
des retards 'àw^ alliés et \q\xy fait différer la poursuite [l\kTzo\v.
jj(.£).AYi(T£'.ç Trpo; TYiv 0'lw^t.v) )) . Le couscil dc « se hâter » est en
contradiction formelle avec le xaT' f,a-'jyirjv ttoXâtiv xo|ji.iÇ£o d'Hé-
rodote ; il ne vient pas d'Ephore : chez Ephoie, ïhémistocle
avertit Xerxès, mais ne lui suggère rien ; il remonte, en
revanche, très nettement à la version représentée par Justin.
Quant à « la poursuite », elle est, tout au moins, dans la logique
de cette même version. Il va de soi, en effet, qu'il ne s'agit pas
ici, comme chez Hérodote, d'une poursuite de la flotte des
Perses, mais d'une poursuite de leur armée de terre. C'est en
ce sens d'ailleurs que Plutarque avait usé du mot dans un cha-
pitre antérieur {Thém., V, 5) et c'est en ce sens encore que
(1) ll>veTv sTtl tàî yscpjpa; a>p[XT,[jLévou; est une sorte de compromis entre le texte
d'Hérodote : xi? vsa; [àouAOïxévouî Sitôxeiv xal xiç sv 'EXXr.aTtdvTo) yscpûpaç Xûetv, et
celui de Phanias {Thém., XVI, 5) : toÏ? "EXXr^ai ôéSoxxa'. ava-îrXsrv eî; tôv 'EXXr.a-
TtovTov èirl TÔ ÎJeOyjxa xal Xusiv ttiV yecpupav. Le pluriel ràç yvziûpoi^ trahit, à lui
seul, l'influence d'Hérodote (voir p. 138, n. 2). Phanias s'était approprié la for-
mule d'Éphore (voir p. 141) : quelques lignes plus haut, Plutarque le suivait
encore lorsqu'il employait l'expression xô î;£OYîJ.a Staxo-lavcaç.
(2) aa>!;2aea'. ,3aaiX£a Po'jXojxevoî. Cf. Hérod. 110, aoi [àouXofxevoç -jTioupYéeiv et
Eschine le socratique 'AXx., p. 34 (Kr.), awaat paaiXéa xal toù; {xex' èx£{vou Tteipti-
ÎXSVOÇ.
148 L. BODIN
Thémislocle le reprendra plus tard devant le Roi, lors(]u1l se
vantera d'avoir empêché la poursuite (xwA'jo-avTi ttjv ôiw^lv) (1).
Celte nouvelle anecdote est inséparable de la précédente et
présente avec elle la plus étroite parenté. Toutes deux "sont
conçues de môme, procèdent d'une inspiration commune. Dans
l'une comme dans Fautie, le stratagème reste, à ce qu'il
semble, chose secondaire. Il n'est qu'un prétexte, une occasion
de mettre Aristide en rapports avec Thémistocle, et d'accuser,
en les opposant l'un à l'autre, leurs ditFérences de physionomie
morale. De là le caractère de leurs entretiens : le premier est
plus intime; il a lieu en secret, dans le mystère; le second,
quoique présenté comme une discussion publique, prend cepen-
dant tout de suite, lui aussi, l'allure et le ton d'une conversa-
tion privée. Dans chacune de ces deux rencontres les person-
nages sont d'ailleurs traités dans le même esprit, avec une
égale sympathie : leurs individualités contraires se précisent,
sans que ni l'un ni l'autre soit sacrifié. De même que, dans la
scène de réconciliation, Thémistocle se ressaisit à temps et
reprend son rang devant Aristide, de même ici, entre les deux,
l'équilibre est sauvegardé. Les rôles sont seulement renversés.
Thémislocle a l'initiative : du premier coup il a jugé la situa-
tion et compris ce qu'elle exigeait; le subterfuge auquel il
recourt laisse cependant à Aristide la faculté de la juger à son
tour, comme s'il n'avait pas été devancé, et sa clairvoyance
apparaît d'autant plus grande qu'elle échappe au piège qui lui
était tendu. De même encore, Thémistocle garde le dernier
mot : c'est lui qui trouve le stratagème ; mais il ne le pro-
duit que sur l'invitation d'Aristide et après que celui-ci a
très ingénieusement fait valoir les raisons qui le rendaient
nécessaire.
Un même esprit se fait ainsi jour dans nos deux anecdotes et
non seulement les relie l'une à l'autre, mais les rattache encore,
dans une certaine mesure à la troisième, à l'anecdote des fils
(1) Voir R. E. G., tome XXVIU, p. 271, n. 1.
HlSTOItiE ET BIOGRAPHIE ! PHANIAS d'ÉHÈSE 149
de Sandauké. Plutarqiic ne s'y était pas mépris en les grou-
pant toutes les trois et à la suite, dans la Vie cP Aristide. Ce que
rauteur semble avoir voulu nous montrei', c'est Aristide col-
laborant avec Thémistocle au salut commun, sacrifiant à la
cause de la Grèce de vieilles rancunes et allant, dans son abné-
gation, jusqu'à laisser à son rival, son rang et ses prérogatives
de chef suprême : Osaio-TOxAsouç a-TpaT/iVO'jvTOç ajTOxpaTopo;, Tiàvra
<TUV£7roaTT£ xal (TUveêoÙAE'Jsv, ev^oçoxaTOv stcI (TWTTjO'la xo'.vrj tto'.wv tov
I^OtTTov {Ar., VIII, Ij. Le thème n'était vraisemblablement pas
de son invention. Il le trouvait tout au moins indiqué dans
Ktésias. On lit, en effet, dans les nspa-ixà (1), à propos du départ
de Xerxès, Kal cpeuvs?. SÉpÇr.ç [iouXri tzôlXiv xal -iyyr^ 'Apt-o-Tsiâou
xal 0£[jLt.(rTox£Ojç... et déjà, un peu auparavant: BouXri ©Efji'.TTo-
xXéouç 'A9T,va'lo'j xal 'Apia":£'18ou TO^OTa», àrco KpriTr^ç Tupoo-xaXoGvuai...
La collaboration était donc une donnée traditionnelle. Si notre
hypothèse est fondée, si les deux rencontres d'Aristide avec
Thémistocle sont, comme « le sacrifice des fils de Sandauké »,
l'œuvre de Phanias, on voit quel parti celui-ci aurait su tirer
de cette première indication. Il se serait attaché à une série de
moments caractéristiques, prenant d'abord comme thème la
réconciliation nécessaire des deux ennemis de la veille, puis
les montrant associés dans Tœuvre commune, une première
fois à Psyttalie oii Aristide a tout le mérite du succès tandis
que Thémistocle porte seul la lourde responsabilité d'une déci-
sion particulièrement délicate, et ensuite, à l'occasion du second
stratagème, lorsque, par une coïncidence ingénieusement ména-
gée, tous deux, sans s'être donné le mot, se trouvent d'accord
sur la résolution à prendre.
Mais ce qui invite véritablement à attribuer à Phanias les
deux anecdotes anonymes, ce sont les analogies frappantes
qu'elles présentent avec la scène, signée celle-ci, de « l'arrivée
à la cour de Perse ». Entre ces différents morceaux il y a comme
une ressemblante générale de couleur et de dessin : de part et
(1) Ktésias, Persica, 26.
REG, XXX, 1917, n» 137. H
150 L. BODIN
d'autre, c'est le même emploi systématique du tour dialogué, le
même goût du détail pittoresque, nuancé à Toccasion d'exo-
tisme, le même art de raconter, sans appuyer, avec des sous-
entendus et des réticences. C'est aussi le même parti-pris de
tout sacrifier à la mise en valeur des caractères et la même
adresse à esquisser les personnages d'un trait léger ou, plutôt
encore, à les faire vivre devant nous en leur prêtant, au moment
voulu, le mot généralement très simple, mais d'une finesse
aiguë, qui trahit le sentiment intime et paraît jaillir de la
situation. Mais rien peut-être ne décèle plus nettement la
communauté d'origine de ces trois scènes que la façon dont
elles tranchent sur l'ensemble des tradilions dont elles s'ins-
pirent. Elles tiennent à toutes et ne ressemblent à aucune.
L'auteur prend son bien un peu partout, mais il excelle à fondre
ses emprunts et à en faire quelque chose de nouveau. Quand
il s'arrête à un modèle, il ne le copie pas ; on ne saurait même
dire qu'il l'imite : il le transforme dans le moment même qu'il
paraît le suivre de plus près. La lettre de Thémistocle, que lui
fournissait Thucydide, a passé tout entière et presque mot
pour mot dans les deux discours qui la remplacent, et cepen-
dant on ne la reconnaît plus. La lettre était une sorte de plai-
doyer raisonné, ne visant qu'à convaincre le Roi; les deux
discours sont de véritables artifices, de savants manèges pour
gagner son indulgence en provoquant son admiration et capter
ses faveurs à force d'esprit. De même, dans la première de nos
anecdotes, l'entrevue d'Aristide et de Thémistocle semble réglée
sur le récit d'Hérodote; elle passe par les mêmes phases, et
cependant ce qui n'était chez Hérodote qu'un incident du récit,
agréablement conté, est devenu l'histoire psychologique d'une
réconciliation. De même enfin, nous avons vu avec quelle
légèreté de main, l'auteur, sans presque rien changer à la
version d'Hérodote, avait su faire de ce qui n'était, pour celui-
ci, qu'une misérable palinodie de Thémistocle, un simple jeu à
l'égard d'Aristide et la plus innocente des comédies.
A moins de nier qu'il y ait dans le style, au sens le plus
HISTOIRE ET BIOGRAPHIE '. PHANIAS d'ÉRÈSE ISl
large du mot, dans la manière d'entendre la composition litté-
raire, quelque chose qui est comme la marque propre et recon-
naissable de l'écrivain, on n'hésitera pas à rapporter ces trois
scènes au même auteur, à notre Phanias.
III. Phanias. La Biographie politique.
Sous le nom de Phanias, Plutarque nous a conservé une
dernière anecdote relative à Thémistocle [Thém. YII, 5-7).
On sait, qu'au dire d'Hérodote, les Grecs, avant la bataille
d'Artémisium, avaient, une première fois déjà, songé à se retirer
vers le sud, et que Thémistocle, payé lui-même par les Eubéens,
n'était parvenu à les en détourner qu'en achetant successive-
ment Eurybiade et Adimante. Plutarque ne parle pas d'Adi-
mante, résume ce qui, chez Hérodote, concernait Eurybiade (1),
et continue ainsi :
(( Du côté de ses concitoyens, l'opposition la plus vive venait à
Thémistocle d'un certain Architélès, lequel était triérarque du vais-
seau sacré, et, n'ayant pas de quoi payer la solde de son équipage,
avait grand hâte de partir de là. Ce que voyant, il excita encore
davantage ses matelots contre lui et fit si bien que, se jetant sur
leur capitaine, ils lui arrachèrent son dîner. Comme Architélès là-
dessus se désolait et s'irritait, Thémistocle lui envoie des provi-
sions de pain et de viande, après avoir glissé au fond du panier
un talent d'argent et en lui faisant dire de commencer par dîner
puis, le jour venu, d'avoir à s'occuper de ses hommes, sinon qu'il
le décrierait auprès des Athéniens et l'accuserait d'être payé par
l'ennemi. C'est ainsi que Phanias le Lesbien raconte la chose ».
A la façon dont est ordonné le récit de Plutarque, il semble
(1) Quelques éléments étrangers qui doivent venir déjà de Phanias, troublent
légèrement ce résumé d'Hérodote. Hérodote ignore le nom de Pélagon, donné à
l'envoyé des Eubéens. Le dessein prêté aux Grecs de vouloir 5t|;aa6ai neXoiro^v/^aou
xai Tàv ireÇôv axpaTÔv xatç vaual TrpoaTrspiSaXéarOai lui est également étranger et
remonte indirectement à Ephore.
152 L- BODIN
que l'histoire d'Architélès remplaçait déjà, chez Phanias, celle
d'Adimante. D'oii celui-ci la tirait-il, nous l'ignorons, mais on
devine aisément pourquoi il l'avait adoptée. Chez Hérodote,
Thémistocle achetait assez brutalement Adimanle; il se montre
ici plus discret et plus adroit : il n'envoie de l'argent à Archi-
télès qu'après l'avoir mis à sa merci en lui suscitant des
embarras, et, comme il se méfie du personnage, il accompagne
sa générosité d'une prudente menace. Tout autant que par
l'inédit de l'anecdote, Phanias a dû être séduit par l'intérêt
psychologique et moral qu'elle présentait.
Le texte de Plutarque, qu'on peut croire abrégé, ne permet
pas malheureusement de pousser plus loin l'analyse de ce frag-
ment. Qu'il nous suffise d'y retrouver quelques-unes des ten-
dances qui nous avaient déjà frappés chez notre auteur, et
puisque sa manière nous est maintenant mieux connue,
essayons, pour conclure, de préciser son rôle dans l'histoire
de la Biographie politique.
La question serait, en grande partie, résolue, si nous savions
à quel ouvrage de Phanias sont empruntés nos fragments.
Quelques lignes encore de la Vie de Thémistocle (I, 2) paraissent,
au premier abord, nous orienter vers un écrit de caractère
biographique. Il s'agit de la famille du grand homme. Après
avoir raconté qu'on le faisait naître d'une Thrace, nommée
Abrotonon, Plutarque poursuit :
« Phanias cependant écrit que la mère de Thémistocle était, non
point thrace, mais carienne, et qu'elle s'appelait, non pas Abro-
tonon, mais Eiiterpe. Néanthès ajoute même qu'elle était de la ville
d'Halicarnasse en Carie ».
De telles précisions sur le yévo; d'un personnage sont du
domaine propre de la Biographie. Gardons-nous cependant de
conclure trop vite. Le renseignement donné par Néanthès ne
se trouvait point dans son Tcspl evSoÇwv àvSpwv : x^thénée nous
apprend (XIII, 576 D), qu'il est tiré de ses 'EXXïjVLxal 'lo-Topiat.
Celui qui vient de Phanias — et, par suite, tout ce que nous
HISTOIRE ET BIOGHAPHIE '. PHAiSIAS d'ÉHÈSE 158
avons de lui sur Thdmistocle — peut avoir une origine
analogue (1). Le môme problème se pose à propos de quelques
emprunts que lui fait Plutarque dans sa Vie de Salon et reste
pareillement insoluble (2).
Sur Phanias lui-môme nous sommes, par bonheur, un peu
mieux informés. De Suidas nous savons « qu'il avait été Télève
d'Aristote et qu'il vécut au temps de la GXP Olympiade et pen-
dant les années qui suivirent, sous Alexandre de Macédoine ».
Celte date est également celle que donne Suidas pour Aristoxène
de Tarente. Les deux personnages peuvent donc passer pour
assez exactement contemporains : la Vie d'Aristote (3) les range
d'ailleurs, comme disciples immédiats d'Aristote, à côté de
Théophraste, d'Eudème, de Glytus et de Dicéarque. Nous appre-
nons enfin par Diogène Laërce et par le scholiaste d'Apollonius
de Rhodes (4) que Phanias était en relations particulières
avec son compatriote Théophraste. Nous connaissons ainsi son
entourage, le cercle auquel il appartient; nous entrevoyons les
influences qu'il a subies.
x\vant tout, celle du maître, et, d'une manière générale, celle
de l'Ecole. La variété mônàe de son œuvre en témoigne. Il
continue, pour sa part, cette large enquête sur l'histoire litté-
raire vers laquelle Aristote avait dirigé ses disciples. Non seule-
ment il écrit, comme tant d'autres, un ÏIspl uoltitcûv, mais il
semble même, avec son Ilepl twv ScoxpaTixâiv, embrasser, un des
premiers, toute une école philosophique dans un ouvrage d'en-
semble. L'histoire politique et l'histoire naturelle attirent en
même temps et tour à tour son activité : à côté d'un IIspl twv
£v StxsXLqi Tupàvvwv et d'un Ilepl TrpuTavéwv 'Epeo-ltov, on nous cite
de lui un Ilepl (puxwv. C'est certainement un chercheur, un
érudit, qui mérite l'épithète, que lui décerne Plutarque, de
(1) Cf. F. Léo, Die qriechisch-rômische Biographie^ p. 113.
(2) Cf. C. Mûller, F. H. G., Il, p. 293 : « Quare quae leguntur fragm. S-H,ex
opère hislorico^ cujus titulum nunc ignoramus, deprompta esse censeo ».
(3) Vita Marciana, C. 9.
(4) Diog., L., V. 37 ; Schol. Apoll. Rh., I, 972.
154 L. BODIN
Ypa|i.jjLàT(ov oùx àTrewoç la-uopLxwv. Parmi les auteurs qu'il connaît
bien nous avons rencontré Hérodote, Thucydide, Ktésias^
Éphore ; peut-être aurions-nous pu, si nous étions mieux infor-
més, nommer Théopompe : nous savons, en effet, par un
exemple précis (frgt. 12 == Ath., VI, 231 E) que Phanias lui
avait fait des emprunts. Visiblement d'ailleurs il recherche les
anecdotes rares, et, pour les anecdotes traditionnelles, les
variantes isolées et peu répandues, ce qui le suppose au courant
de toute une littérature, difficilement accessible, de pamphlets,
de mémoires, d'histoires locales. Autant qu'on en peut juger
par les trois fragments qui nous en restent, et, en particulier,
par la charmante historiette d'Antiléon et d'Hipparinos (frgt. 16),
son recueil intitulé Tupàvviov àvaipso-iç £x TLjjiwp'laç relevait de
ce goût marqué pour les singularités de l'histoire.
Parla nature et l'objet de ses recherches, Phanias se rattache
directement au péripatétisme; il ne s'y rattache pas moins
étroitement par ce qui est peut-être le trait le plus saillant de
son originalité, son goût pour les études de caractères et la
finesse pénétrante de sa psychologie. A plusieurs reprises, nous
avons pu noter des points de contact entre l'esprit de nos anec-
dotes et l'éthique aristotélicienne. Mais l'influence du péripa-
tétisme sur Phanias dépasse ces rapprochements de détail. En
même temps qu'il a pour maître l'auteur des 'H9',xà NuofjLà^eta,
pour compatriote et pour ami celui des Xapaxrripeç, Phanias vit
dans le milieu d'où sont sortis les Ilepl piwv d'un Théophraste
et d'un Gléarque, le Ilepl 'EAAàôoç P'iou d'un Dicéarque, c'est-
à-dire des ouvrages dont l'objet est l'étude, soit théorique,
soit historique, des différents « genres de vie ». Toute celte
littérature lui, est familière. Autour de lui, d'autre part, on
travaille, avec une activité croissante, à restituer la phy-
sionomie individuelle, la personnalité des écrivains, des phi-
losophes, des artistes, et le mouvement aboutit, précisément
de son temps, avec Arisloxène, à la création de la Biogra-
phie littéraire. La tendance générale, qui se dessine ainsi, à'
mettre au premier plan l'observation des caractères et des
HISTOIRE ET BIOGRAPHIE : PHANIAS d'ÉRÈSE 155
mœurs n'a pas dû contribuer médiociement à déterminer son
tour d'esprit.
Qu'un homme formé à pareille école aborde l'histoire, il ne
pourra la prendre que par ses petits côtés : il s'attachera moins
à l'enchaînement des événements qu'aux événements eux-
mêmes, et, dans ceux-ci, moins aux faits qu'aux acteurs. Sur
ce terrain limité, sa curiosité aura le loisir de s'exercer, les
anecdotes se presseront devant lui. Mais il ne les acceptera pas
toutes uniformément, ni sans les modifier : il ne retiendra
que celles qui peignent l'homme et son effort ira à les rendre
plus expressives. C'est bien ainsi que procède Phanias. Nous
touchons là, en réalité, à sa technique littéraire, et de nouvelles
influences interviennent, qui l'expliquent. Le principe est for-
mulé par Aristote : « Tel est l'homme, telles sont ses paroles,
ses actions, sa manière de vivre, sxao-Toç oè olôç £a-Tt.v, TO',auTa
léyei xal TcpàxTet. xal outg) Çyj » [Nicoîîi. 1127 a 27). Si le caractère
transparaît dans la conduite, il suffira, pour peindre l'homme
de rappeler ses façons de parler ou d'agir. C'est précisément la
théorie que, très consciemment, avant qu'Aristote n'en déga-
geât le principe, Isocrate et Xénophon avaient appliquée dans
leurs £YX(o[i.!,a (1). Phanias trouvait chez eux des devanciers :
il s'inspire de leur méthode, mais en suivant des voies diffé-
rentefs. Avec lui, ce sont les personnages eux-mêmes qui se
présentent à nous, qui vivent devant nous. Le procédé sans
d'jiîlo est celui de tous les conteurs; à voir cependant avec
quelle science des effets Phanias le manie, on ne peut s'empêcher
de songer que, dans un genre tout différent, il avait, à sa
portée, de précieux modèles : sans parler des mimes^ très en
faveur dans l'École, qui, mieux que Ménandre pouvait lui
enseigner l'art délicat de saisir le geste et le mot qui fixent
(1) Isoc, Êvag., 65 : tcw; àv xt; tt,v dvSptav r^ ttjV 'fpovT.aiv f, aùpLitacav xt\v ipsTT^v
Tr,v Eôayopou aavcpo'jxêpov siriSsi^siev r\ 6tà xoioJxwv è'pyojv; — Xen., Agés., l, 6 :.
"Ooa ys jj.'^iV sv xri jàaTi>vs{a Sisîtpâtaxo vuv ''f\Br\ 5iT,yT,(T0[xai • aTio yàp xô5v è'pywv xaî xoùç
xpditouç aùxou xyXki<jx7. vo[jl'î;w xaxaSr^Xou; è'asuôai. Sur cette question, voir Léo,
ouv. cité, pp. 87 sqq.
156 L. BODIN
une physionomie morale, et, pour amener ce geste ou ce mot,
de composer de petites scènes habilement préparées, rapide-
ment et légèrement enh^vées? Hâtons-nous cependanl d'ajou-
ter, qu'autant que les citations de Plutarque permettent de
l'apprécier, son style n'a rien de commun avec le style de
Ménandre : il rappelle plutôt celui d'Hérodote, avec quelque
chose de plus alerte, ou encore celui de Xénophon dans la
Cyropédie.
Ecrivain de métier, psychologue averti, érudit curieux et très
informé, Phanias a droit à une place assez large dans l'histoire
littéraire. On ne saurait affirmer qu'on lui doive la création de
la Biographie politique, comme on doit à Aristoxène celle de la
Biographie littéraire. Mais cela tient, pour une bonne part, aux
conditions différentes dans lesquelles les deux genres devaient
se faire jour. La Biogra[)hie littéraire n'avait, pour ainsi dire,
pas d'antécédents : il lui fallait à la fois recueillir ses matériaux
et créer ses méthodes et ses cadres. Nous saisissons aisément
le moment où ce travail s'accomplit. La Biographie politique
s'était, au contraire, peu à peu formée au sein de l'Histoire.
La fameuse digression de Théopompe « sur les démagogues
athéniens », au livre X de ses <I>!.Af.7:7Cî.xà, formait vraisemblable-
ment une série d'esquisses biographiques et l'on a pu dire (1),
avec raison, de certains chapitres de r'ABr^vaitùv IloXtTsta « qu'ils
étaient, pour nous, les plus anciens échantillons de la Biogra-
phie péripatéticienne ». Au point de maturité où elle était
parvenue, créer la Biographie politique, c'était, en somme, la
détacher de l'Histoire et lui assurer une existence à part. H se
peut que Phanias n'ait pas été jusque-là; son œuvre n'en mar-
que pas moins un progrès. Non seulement il multiplie, à propos
d'un même personnage, les anecdotes ; mais toutes ces anecdotes
ont ceci de commun qu'elles ne visent qu'à faire ressortir des
traits de caractère. C'est par cette volonté constante de les
rendre significatives qu'il renouvelle un riche matériel diligem-
(1) Kaibel, Stil und Text der noX. 'Ae-r^v. 7, cité par Léo, p. 109.
HISTOIRE ET BIOGRAPHIE *. PHANIAS d'ÉRÈSE 157
ment rassemblé de toute part, concentrant dans de petites
compositions serrées les récits encore dispersés et trop dis-
cursifs d'un Hérodote, ranimant, par la vie que leur commu-
nique son expérience de la nature humaine, les pâles et froides
compositions d'un Ephore. S'il n'avait pas écrit une Biographie
proprement dite de ïhémistocle, il avait du moins créé ce qui
permettrait à d'autres de le faire, une sorte de type de l'anec-
dote biographique, l'anecdote de caractère.
L. BODIN.
UN HELLENISTE DU XVF SIECLE
EKELIEXCE DE L'AFEIMTÉ DE LA LAXGUE GRECQUE
AVEC LA FRANÇAISE, pai- BLASSET
Dès les premières années de la renaissance des études
grecques en France, longtemps avant la publication, en 1565,
par Henri Estienne de son célèbre Traie té de la eonformité clu
langage françois avee le grec^ nombreux furent les érudits que
séduisirent les analogies présentées par les deux langues (1).
L'un des premiers, en 1534, Charles de Bouelles, dans son
Liber de differenlia mdgarium linguarum et gallici sermonis
varietate (2), énumérait plusieurs mois de notre langue, aux-
quels il attribuait une origine grecque. Puis, en 1555, Joachim
Perion publiait quatre livres de dialogues de origine lingîiœ
gaUicœ et ejus cum grœca cognatione. L'année suivante, en 1556,
Jean Picard donnait, au livre IV de sa Prisca Celtopœdia ['à),
une longue liste de mots grecs passés en français, et, dans le
préambule de cette liste, il rappelait les noms des auteurs qui
(1) Voir la préface de Léon Faugère à l'édition donnée par lui en 1852 du Traicté
de H. Estienne.
(2) Paris, R. Estienne, février 1533 [1534], in-4o.
(3) Joannis Picardi Tonleriani de prisca Celtopœdia libri quinque. Parisiis,
1556, in-40.
UN HELLÉNISTE DU XVI* SIÈCLE 159
l'avaient précédé : « Hujusmodi dicliones non paucas noslra hac
(( tempestate observarunt Gulielmus Buda^us, sua^. œtatis eru-
« ditorum (absit verbo invidia) facile princeps, Janus Lascaris,
(( Lazarus Baïfius, Nicolaus Borbonius, Guilielmus Postellus,
« Garolus Bovillus, Jacobus Sylvius, quasdam Henatus Guil-
« lonius in Quotidianis suis prxlectionibus^ paucas obiter
« Erasmus Roterodamus in suis Chiliadibus, nonnullas etiam
« Tusanus, quo tempore stipendiis regiis in palaestia literaria
« militabat, novissimeque omnium, cœleris longe plures Joa-
« chimus Perionius, vir in abstrusissimis quibusque authoribus
« evolvendis nuUi secundus » (I).
A cette liste déjà longue peut encore s'ajouter un nouveau
nom, resté jusqu'ici à peu près complètement ignoré, celui de
Blasset, dont l'œuvre nous a été conservée en un petit manus-
crit recueilli jadis par le regretté EmiJeLegrand (2) et qui porte
aujourd'hui le n" 1309 dans le fonds du supplément grec de la
Bibliothèque nationale. C'est un cahier de vingt-neuf feuil-
lets (3), intitulé : De Vexellence de V affinité de la langue
grecque avec la française^ qui, sous forme de dictionnaire
alphabétique, offre une longue liste de mots grecs, accompagnés
de leur traduction en finançais et en latin. Il est précédé d'une
double dédicace, en vers français et latins; la première est
adressée « A tresnobles et illustres personnes messieurs Dias-
« sorinus Ghius (4) et Gonstantinus Gydonius » (o), et vers la fin
l'auteur nous révèle son nom :
(1) Pages 138-154.
(2) Voir Ém. Legrand, Bibliographie hellénique (1885), t. I, p. 301.
(3) Mesurant 180 millimètres sur 135 et recouverts d'une demi-reliure en maro-
quin La Valiière.
(4) Sur Jacques Diassorinos on peut consulter entre autres Ém. Legrand, i?i6/io-
graphie hellénique (1885), t. 1, p. 297-302 ; du même. Deux vies de Jacques Basi-
licos (1889), p. 217-236; différentes études de détail sont indiquées par M. Vogel
et V. Gardthausen dans Die griechischen Schreiber des Millelallers iind der Renais-
sance (1909), p. 152-154. '
(5) Sur Constantin Palseocappa voir A7inuaii-e pou7' l'encouragement des études
grecques en France (1886), t. XX, p. 241-279; Bibliothèque de VÉcole des char i:ès
(1886), t. XLVII, p. 201-207; et la bibliographie donnée dans l'ouvi'age cité de
M. Vogel et V. Gardthausen, p. 247-250.
160 H. OMONT
Entre lesquelz vostre Rlasset présent
Vous vient prier d'accepter son présent,
mais sans nous renseigner autrement sur sa personne. Dif-
férents passages de cet opuscule, il est vrai, permettent de
conjecturer que l'auteur était picaid : KatjLàpa, une chambre^
Picardi autem dicunt une cambre (fol. 13) ; — Kà[jLt.voç, w xà[jn.v£,
une cheminée^ quod Picardi queminée (fol. 13 v°) ; — Kùwv, un
chyen, ou un quyen, ut Picardi dicunt (fol. 14); — Mol, xol,
moy, toy, quod Picardi dicunt My, ty (fol. 18 v'') ; — Xàpaç,
un eschelles^ ou un escara^ ut Pica[r]di dicunt (fol. 29). On sait
d'ailleurs que le nom de Blasset, ou Blassel, a été très répandu
à Amiens depuis le moyen âge ; il suffira de rappeler qu'en
1376, un André Blassel était chapelain de la cathédrale et que,
sous Louis XIII, Nicolas Blasset s'est fait connaître par de
nombreux ouvrages de sculpture, notamment à la cathédrale
d'Amiens (1). Mais sur notre auteur lui-même les archives sont
jusqu'ici restées muettes, de même que les écrivains contem-
porains. On peut cependant conjecturer que son opuscule, dont
les premières et dernières pages sont publiées plus loin (2),
a été composé aux environs de l'année 1550; il est en effet
dédié à deux Grecs bien connus, Jacques Diassorinos et Cons-
tantin Palaeocappa, qui furent employés ensemble, de 1545 à
1555 environ, sous les ordres d'Ange Vergèce, à la rédaction
du catalogue des manuscrits grecs réunis par François I" dans
la bibliothèque de son château de Fontainebleau (3).
H. Omont.
(1) Voir G. DnTQXià^ Monographie de la cathédrale d'Amiens (1901-1903), t, II,
p. 79; cf. aussi Bulletin de la Société des antiquaires de Picardie^ 1908, p. 245.
(2) Ce spécimen suffira pour permettre de comparer le dictionnaire de Blasset
avec la liste publiée par H. Estienne à la fin de son Traicté.
(3) Voir Catalogues des manuscrits grecs de Fontainebleau sous François I"" et
H«nrî // (1889), p. xii.
UN HELLÉNISTE DU XVI^ SIÈCLE l6l
De l'eXELLENCE de l'affinité de la langue grecque avec LA FRANÇOISE.
A tresnobles et iilusires persoyines messieurs
Diassor'mus Chius et Constantinus Cydonius.
Considérant que le François language
De jour en jour prent un grand avantage,
Estant orné par les bons orateurs,
Poètes bons et nouveaux inventeurs,
Et que par tout nostre langue est illustre
Par bons esprits, qui luy donnent tel lustre,
. J'ay bien voulu faire ce petit œuvre,
Qui du François l'atTinité descueuvre
Avec le grec, monstrant la dignité
Que nostre langue ha dès l'antiquité,
Veu que des Grecs on la voit distiller
Par un commun usage de parler.
Et pour tousjours vous donner congnoissance
Qu'à voz vertus je doy obéissance,
Nobles seigneurs, prudents et gracieux,
Cest œuvre mien se présente à voz yeux
Si clair voyants, que la docte Minerve
Les premiers lieux de ses fils vous réserve.
Pour saluer vostre regard humain
De ce labour rédigé de ma main.
J'ay extirpé tout ce présent ouvrage
De maint prudent et docte personnage.
Hippocrates m'en a donné conseil
Et Galien, Platon en cas pareil
Et Lucian, Eudoxie, au semblable.
Et Xenophon, aucteur bien proffitable.
Puis Aristote et Theophraste aussi,
Dioscoride en un mesme souci.
D'Aristophane, Homère et Hésiode,
De Sophocles j'ay pris conseil commode,
D'iEschyle aussi, de Budé et Tusan,
Pour demonstrer que du grec ancian
162 H. OMONT
Langue Françoise illustre est descendue
Par l'univers à présent espandue,
Qui ne sera pas subjecte à mourir
Par tant d'autheurs qui la feront florir,
Entre lesquelz vostre Blasset présent
Vous vient prier d'accepter son présent;
D'aussi bon cueur que la dextre présente
Bien humblement le vous offre et présente.
Ad eosdem, de utiliiate linguse grœcae.
Quisquis grammatices se percupit esse peritum
Sermones grœcos utile nosse putet.
Qui grœcum ignorât, corrumpit nomina rerum,
Hoc sine nam rectè scribere nemo potest.
Ut Plynii mentem capias, et scire necesse est
Grœca tibi in cunctis verba décora plagis.
Argumenta placent? Sermonibus utere gra3cis,
His sine rhetoricam discere non poteris.
Scire mathematicam si quis fortasse peroptat,
Nec vitiosa sequi carmina, grseca sciât.
Discere si Christi sacrata volumina quaeris,
Notitia ex grsecis fontibus ampla venit.
Si medicas totis amplecti viribus artes
Optas, conveniens linguaque graeca tibi est.
Constat enim cunctis grsecaindita nomina morbis
Linguaque quœ satur graeca latina nequit.
Jura et quas omnis servat respublica leges,
Fontibus ex graecis nobile nomen habent.
Vis breviter dicam ? Sunt omnia débita Graecis,
Virgiliumque super nomen Homerus habet.
Si pater eloquii Gicero peperisse videtur
Immortale sibi tempus in omne decus,
Laudarunt Graeci fulmen Demosthenis omnes,
Suadela ornato cujus in ore fuit.
Attica et immensum lingua est celebrata per orbem
Hujus nec fînem laus habitura suum est.
"Oxi ô KsXxtaiJLOi; sXXrjvtÇcov xa^à uoXXà cpatvEiat.
UN HELLÉNISTE DU XVf SIÈCLE 163
Quod miilla vocabula in lingiia nostra, quœ e ^rœco sermone
translata esse facillimuni est judicare, vei'ba vero et vocabula mère
grœca pauca e multis succiirrunt.
A'.
- 'Aêpotovov, de l'aurone, ou garde-robe, abrotonum ; stirpis autem
nomen est.
' "Aêuaaoç, un ahystne, abyssus, aqua quse tinem non habet.
'Axpo^j^épiov, un crochet, fibula in hiimeris aut armillam sonat.
■ÀYpàcpTj, une agraphe, fibula. Hoc autem nomen doctissimo Buda^o
mirum visum est, quod lingua vernacula agraphe pro ea fibula
dicit, quœ grœce à^fA-r^o xac TtôpTia^ XiveTa'., quod a nostris manibus
composite vocabulo dictani ait ex Jani Lascaris sententia irapà -rT.v
ayav àTTTojjLsvr/; xal cruvaTrTouaav, id est ab eo quod capturam jungat
tactui.
'Ar^p, l'air, aer.
'ATioaTàxrjç, un apostat, qui defecit a Ode catholica ; hinc àTroj^ajta,
apostasie.
'AxapuaTo;, un acaryatre, pertinax.
'A"/.o'j£~£, acoutez, audite.
'Axo'j!j6at, acouster, audire.
'AXéa, le haie, tepor et aestivus calor.
"AvKjoy^ de l'anis, anisum. /
"Avr^Ôov, de l'aneth, anethon.
'ApT£[j.t(T(a, de Varmolse, artemisia.
'ApfjLovia, arnionie, consônantia, accord.
"aXç, du sel, sal ; hinc etiam amiral eum qui mari prœest dicimus,
àiro x?;; àX[a.'jpac;, id est salsugine vel re maritima.
'AxuÇstv, atyser, irritare; hinc illud gallicum : Aiyser le feu, ignem
irritare ; unde un tyson de feu.
"ApôUTov, un arresty senatus-consultum atque principis decretum.
"Apsaxo;;, ai ap£ax£, aresté, placidus, tranquillus.
"Ay^eXo;, un ange^ nuncius.
'AXX' fco{jL£v, allomen, c'est-à-dire allons nous en, idque Graecorum
more, abeamus.
A'.'aTjfjLa, aisément, facilitas.
A'.'aioç, (0 a'at£, aisié, facilis.
164 H. OMONT
'AxiTaXXstv, atiteler, hoc est parvula nutrire animalia.
'AfjLapxTjiJLa, ameiHume.
'ApY'jptov, argent.
"Appr^v xal xô appev, un ren, aries, vervex, masculum est.
'Afxàaai, amasser, mittere, coUigere.
'ApveTaOai, renier, negare.
'AxôXuxoc, un acolyte, qui non est prohibitus sacra langere mysteria.
'AiroaxoXoc, un apostre, apostolus, missus, legatus.
'AuoaxTQfjia, apostume, aposteme, abscessus humorum in partem
atfectans.
'AirorXr^çta, une apoplexie, id est corporis percutio et sensus priva-
tio stupidae mentis.
'At^^'-vOtov, de l'absinte.
"Apxoç, artis, panis, imposterum vox est panein intelligentium.
"Av6pa^, un anth[r]aCy ou charbon.
"ATzxto, je hape ; iinperativus : aue, hape, tange ; infinitivus : àueTv,
happer, attingere, hanc autem vocem prseter alias vobis acceptam
refero.
AiSoç, xat àuàyeo;, hâve, sic comme un havet.
'Ayjxyr^ixévo^^ rechigné, tristis.
'Afjtvo;, un anneau, agnus.
'Aj(^àx7)<;, une agathe, achates, gemma preciosa.
'AppaSwv, des arres, arrabo, arrhas, pignus.
*àvo;, un falos, lucerna.
4>aaiav6;, un faisant, phasianus.
*atvov, un fanon.
*paxp'!a, une frairie, hinc confrarie.
*tJY£Tv, fuyr, fugere.
<i>ovxtov, un fardeau., onus.
4>pevixt;, frénésie, mentis aberratio.
4>pev£Ttxa, frénétique .
<ï>iàXrj, une phiole.
<ï>uXXov, une fueille.
*XéY(i.a, le flegme, pituita.
UN HELLÉNISTE DU XVl*^ SIÈCLE 165
^av-cajia, faniasie, imaj^^inatio.
^XeêoTojjLia, phlcboloniie, venao sectio.
*àvTa!7[j(.a, un fantasme, portentum.
4>po'jp6c;, un fourier qui oheut les logis.
<ï>âÀacva, une Oalehie, balena.
*pta(j£'.v, frissonne)-, liorrere, hinc
*ptxr^, un friquel, horror.
*a(v£C7Tpa, une fenestre, l'cnestra, irapà -zo 'vatvetv, cjiiod tit ad lucem
admiltendam.
• 4>ipat, la Fere, ttÔAi;; KcX-ixr;;.
^opvôç, un four, runuis, ''irvo;.
*'JY'5^, ^('^ fan, fagus, arboris iioiiieo est, hinc une figue, àno xoù
cpaYsIv .
4>'jr^, Yuvr^ fjLîyaXr,, im^ /"c^'e, et àiro xou
4>op£Tv, id est a ferendo dictae sunt imndinœ, les foires, eo quod
major pars hominiim illuc feratur.
X.
'0 y^txcov, un hoclon, tunica.
Xdtpx-/;;;, iine charte, charta.
Xatpstv, cherer, ou faire hone chère, gaudere.
XoXépa, cholere.
Xâpa, chère, gaudium.
XapîcjacyOa'., charasser, gratulari.
XdcpiJLTi, escarmouche, belli sunl principia.
XXwpiov, hinc un lorion, vireo, vel suppressa litera a\is auteni
nomen est.
XÉ^etv, sive x^^'^^ chier, honos sit auribus, fundere et naturœ pur-
gandîfiobsequi, egerere.
XwveTov, hinc £Y/tov£Tov, un entonoir, infundibulum.
Xapxs, un eschelles, ou un escara, ut Pica[r]di dicunt.
Xop8a, une chorde.
XsoTTivr^, une chopine.
WaXxTjpiov, un psallerion, musicum aulem est instrumentum ita
dictum, quod alio nomine vàêXov, nablum dicitur.
TaXijLÔ;;, un psalmne^ psalmus.
REG, XXX, 1917, n» 137. 12
166 H» OMONT
il.
'liOeTv, otter, pellere, tollere ; hinc une hoite, qaam proprio nomine
Graeci aTrstpioa vocant.
"i>pa, une heure, hora, et spatium temporis, olov xaO' wpav.
'iJpoXoy.ov, î/>ie horeloge, horologium.
'iixpôç, rfe Vocre, el palle comme un ocre, pallidus.
'iiôv, un œuf, ovum.
BULLETIN ARCHÉOLOGIQUE
I. — Architecture. Fouilles.
Enceinte et temple de Caulonia. — Gaulonia n'est guère
connue que par ses belles monnaies archaïques au type d'Apol-
lon, et l'emplacement même de la ville ancienne était ignoré
jusqu'au jour, tout récent, où M. P. Orsi l'a retrouvé près du
cap Stilo. Les fouilles qu'il a poursuivies en ce point n'ont mis
au jour aucune inscription probante; mais on ne voit guère que
Caulonia qui ait pu occuper ce site à mi-chemin de Locres et
de Grotone. L'enceinte de la cité est dans l'ensemble assez bien
conservée, et son périmètre, qui, au moins dans sa forme der-
nière, est dix fois moins grand que celui de Syracuse, nous
permet d'étudier la fortification antique, sujet mal connu
jusqu'ici et à propos duquel M. Orsi a pu faire à Syracuse des
observations qui sont encore inédites. Les murs de Caulonia
sont flanqués, à intervalles irréguliers, de tours carrées qui
protègent les points faibles, dont un curieux ouvrage à corne. Il
est, à ce propos, intéressant de constater que la partie du front
la mieux défendue est celle qui naturellement est la plus forte,
ce qu'explique ingénieusement le mémoire de M. Orsi (1). L'ap-
pareil est composé de deux fronts plus ou moins réguliers, que
sépare un remplissage de galets roulés. La solidité du blocage
(1) Mon. Antichi, XXIII (1916), p. 685-698, De Sanctis ; p. 699-948, pi. I-XVIII,
g. 1-182, P. Orsi.
168 A. DE KIDDER
était assurée par un mortier de chaux, qu'on ne s'attendait pas
à retrouver dans une fortification datant du vi^ siècle avant
notre ère. — A l'intérieur de l'enceinte les fouilles n'ont
dégagé que des restes de maisons, assez misérables et les fon-
dations importantes d'un grand temple dorique, situé en lisière
de la mer et précédé, vers le Nord et le Nord-Ouest, par des
gradins d'accès. Une seule dalle testait des trois degrés dont se
compose le stylobate, et des colonnes, comme de l'entablement,
il n'est venu jusqu'à nous que d'insignifiants débris. Du moins
savons-nous que la toiture, à une certaine époque, était cou-
verte par des tuiles de marbre, et parmi les matériaux de cons-
truction on a reconnu, d'une manière certaine, la pierre de
Syracuse, ce qui prouve que le sanctuaire était d'importance
et qu'il n'a pu être édifié qu'à grands frais.
Fouilles de Céré. — Une suite d'efforts heuioux a mis au jour,
outre quelques tombes archaïques, une partie relativement
récente de la nécropole de Géré, celle oii les sépultures se sui-
vent en longues files, de part et d'autre de grandes allées recti-
lignes. D'après les derniers explorateurs, ce serait à partir du
IV* siècle qu'on remarquerait cette transfoi'malion dans la
distribution des tombes. Au-dessus des chambres sépulcrales,
des cippes, de forme et de nature diverses, étaient encastrés
dans des dalles horizontales, percées d'alvéoles. Des colonnettes
indiquaient les morts de sexe masculin; les avîaaTa des femmes
avaient l'aspect de sarcophages ou d'édicules, à deux ou rare-
ment à quatre versants, et de simples cailloux roulés paraissent
désigner des tombes d'enfants (1).
Mohja. — D'intéressants détails nous sont donnés sur les
fouilles exécutées dans Tile Saint Pantaléon, où l'on a reconnu
depuis longtemps l'emplacement de Motya. Une chaussée reliait
l'île à la terre ferme, et l'enceinte, défendue par vingt tours de
plan rectangulaire, avait plusieurs ouvertures ou portes, dont
(1) Notiz, d. Scavi, 1915, p. 347-387, flg. 1-29, Mengarelli et Nogara.
BULLETIN ARCHÉOLOGIQUE 169
Tune était triple et dont une autre ne serait pas sans rappeler
le Dipylon d'Athènes. La nécropole primitive, antérieure aux
fortifications, était à incinération, et le matériel funéraire, très
simple, ne comprenait qu'une poterie locale à décor géomé-
trique et des vases protocorinthiens. Les premières tombes à
inhumation se trouvent sur la terre ferme et succèdent aux
précédentes. Rion de phénicien dans les monuments découverts,
ce qui ne veut pas dire, comme le remarque justement
M. Pace (1), que les Phéniciens. n'aient pas occupé l'île, mais,
comme ils n'avaient pas d'art qui leur (ut propre, ils trouvaient
avantage à importer et à vendre des produits qu'ils n'avaient
pas eux-mêmes fabriqués.
Lechaion. — M. Georgiades avait reconnu les dispositions
principales du port que Corinthe possédait suj* le golfe de ce
nom. M. J. Paris (2) rectifie certains détails du plan dressé par
son prédécesseur et observe que les bassins intérieurs avaient
une surface totale d'une dizaine d'hectares, soit Je double de
ce que nous constatons à Délos : aucun port grec ne paraît
avoir eu pareille capacité. Les deux darses intérieures, qui
communiquaient entre elles par un pertuis de navigation,
devaient avoir chacune une passe d'accès indépendante. Deux
môles s'avançant en pleine mer protégeaient les deux bassins
de l'avant-port, ào\x les navires passaient dans les darses. Les
quais subsistent encore dans une partie des bassins intérieurs,
et l'îlot qui se dresse au milieu de l'un d'eux rappelle celui
que nous trouvons à Garthage.
Nécropole d'Eléonte. — Un souvenir pieux s'attache aux
fouilles hâtives que le corps expéditionnaire français a faites
dans la nécropole d'Eléonte (3). La ville antique n'a jamais eu
(1) Notiz. d. Scavi, 1915, p. 431-446, fig. 1-10.
(2) Bull. corr. hell., XXXIX (1915), p. 5-6, fig. 1.
(3) C. R. Acad. Inscr., 1915, p. 283-4, et 1916, p. 40-7, flg. i-3, Pottier. Bull,
corr, helL, XXXIX (1915), p. 135-240 (1-106), pi. I-XII, fig. 1-10, Chamonard et
Gourby.
170 A. DE RIDDER
un grand passé : toute son importance venait de son havre et
de sa position à l'entrée des Dardanelles, à une lieue environ
à l'Est du point oii devait s'élever le château d'Europe. Aussi
ne faut-il pas s'étonner que les sépultures y aient été modestes
et sans faste. Pas de bas-reliefs, ni d'édicules peints ou sculptés ;
aucune stèle même n'a été conservée : rien que des pithoi et
des cuves monolithes, qui paraissent avoir été indifféremment
employés. Le mobilier funéraire était de fabrication attique
ou fait à l'imitation des produits d'Athènes. La plus grande
partie des tombes appartient au v*" siècle ; mais on en a depuis
découvert de plus anciennes : un certain nombre date de l'épo-
que hellénistique, et l'une des sépultures, au moins, paraît
avoir été rouverte à l'époque impériale.
Sanctuaire d'Apollon Clarios. — M. Charles Picard donne
quelques détails sur les fouilles qu'il a dirigées à Claros, de
concert avec Macridy bey. 11 ressort de son bref exposé que la
grotte sacrée de l'oracle remonte à une antiquité très reculée,
puisqu'on y a découvert des fragments de poterie en terre
grise, non épurée, analogues aux tessons les plus anciens
d'Hissarlik et de Yortan. Le temple était situé dans la plaine
et n'a pas été encore dégagé. Les propylées, flanqués d'une
exèdre bien conservée, qui servaient d'accès au sanctuaire, ne
semblent pas remonter plus haut que le u® siècle avant notre
ère (l).
Monument des Néréides. — Bien que le soubassement du
monument soit encore en place et quoique la plus grande
partie de sa décoration sculpturale soit conservée au British
Muséum, nous connaissons fort mal la disposition primitive de
l'édifice. Trois essais de restauration ont été proposés, que
M. Lethaby critique de très près et auxquels il substitue une
hypothèse partiellement nouvelle. Nous ne pouvons que
signaler ici son étude, que n'accompagne pas une illustration
(1) Bull. corr. helL, XXXIX (1915), p. 32-52, pi. II-III, fig. 1-5.
BULLETIN ARCHÉOLOGIQUE 171
suffisante et qui ne peut ôtre jugée en connaissance de cause
que devant les originaux {\). Il suffira d'indiquer que les
Néréides sont toutes placées par lui dans les enlrecolonnements
du pteron, sans qu'aucune serve d'acrotère. Quant à la date du
monument, il faudrait la faire descendre très bas et jusqu'aux
temps d'Alexandre. Sans discuter ici cette opinion, nous rap-
pellerons simplement que Furlvvœngler, qui n'était pas mau-
vais juge, quoique parfois trop absolu, donnait à la construc-
tion un bon siècle de plus.
La maison romaine. — La maison pompéienne s'étale le plus
souvent en largeur et les pièces principales se distribuent
autour d'un atrium central d'où elles reçoivent à la fois Tair
et la lumière : pas ou peu d'étages, point de façade, et, sauf
exception, pas de fenêtres. Ce mode de construction était à sa
place là oii le terrain ne faisait pas défaut et où la population
était limitée. Il n'en était pas de même dans des villes où
l'habitat était très dense, comme à Rome et à Ostie. De fait, les
fouilles d'Ostie nous ont appris ce qu'était au juste cette insula
romaine que nous ne pouvons guère connaître dans la métro-
pole, bien que toute trace n'en ait pas, même à Rome, totale-
ment disparu. La maison, au contraire de la demeure pom-
péienne, s'y développe en hauteur. Les murs, de 0 m. 60 d'épais-
seur, peuvent porter plusieurs étages, dont chacun a 4 mètres
environ de haut. Pas d'entresol, sinon parfois au-dessus des
boutiques. Des fenêtres s'ouvrent dans les façades ou, au besoin,
sur les cortiles ou courettes. Des escaliers, non plus en bois,
mais en pierre, mènent aux divers étages. Des balcons, por-
tés par des poutres en bois ou sur des consoles en encorbel-
lement, éclairent et grandissent les pièces. Certains portent
des pergolœ et, à la partie supérieure de la maison, des solaria
abrités servent d'abris pendant l'hiver. Ce qu'Ostie nous fait
ainsi connaître, c'est proprement la maison à appartements, qui
fl) Journ. Hell. Stud., XXXV (1915), p. 208-224, fig. 1-3.
172 A. DE RIDDER
ne servait pas seulement au l)as peuple, mais à la bourgeoisie.
Il semble qu'elle n'ait pas été inconnue n Pompei; mais elle y
était l'exception, au lieu qu'à Rome, c'était l'inverse. Il devait
y avoir la même différence dans l'antiquité entre les deux types
de demeure, qu'il y en a de nos jours entre la maison à mul-
tiples appartements et l'ancien hôtel seigneurial, entre cour
et jardin (1).
Entrée de F Acropole. — D'après M. Graindor (2), l'escalier de
l'Acropole daterait probablement de Claude, les pylônes qui
flanquent la poite de Beulé pourraient être de la fin du iv" siècle
et cette porte elle-même ne serait pas antérieure au vii^ siècle
de notre ère.
V Asclépieion chrétien. — Le titre seul que M. Xyngopoulos
donne à son mémoire (3) nous aurait empêché d'en faire ici
mention, si l'auteur n'y avait étudié incidemment un monu-
ment célèbre du Louvre, la plaque d'autel de (.harvati. Frœh-
ner (4) voyait sur la tranche de l'imposte une croix et des
feuilles de chêne. M. Xyngopoulos estime que ce sont plutôt
des feuilles d'acanthe transformées ou mal copiées; mais ses
arguments sur ce point ne semblent guère convaincants.
L'origine du chapiteau corinthien. — Une corbeille placée
sur une tombe, recouverte d'une tuile plate et entourée par
les feuilles retombantes d'un plant d'acanthe, aurait été, sui-
vant la légende, aperçue par hasard à Gorinthe par Gallimaque,
et les Anciens voulaient que cette vue fortuite eût donné au
grand bronzier l'idée première de ce chapiteau. De fait, les
lécythes attiques nous montrent souvent les acanthes au pied
des stèles funéraires ; des feuilles ou des branches détachées
(1) Mon. Antichi, XXIII (1916), p. 341-608, pi. I-VI, fig. 1-16, G. Calza.
(2) Bull. corr. helL, XXXVIIl (1914), p. 272-293, fig. 1-2.
(3) 'E'fT,[jL. 'ApxatoV, 1915, p. 52-71, fig. 1-22.
(4) Inscr. Gr. du Louvre, 47, p. 104.
BULLETIN ARCHÉOLOniQUE 173
étaient parfois nonces n mi-haulenr; d'antres s'épanouissaient
i\ la partie snpérioure et se mariaient aux palmeltes et aux
acrol(>ros terminales. Lo conronnemeTil cJes sièles et des
colonnes mortuaires se rapproche ainsi de ce qui sera plus
tard le chapiteau corinthien, et il a pu y avoir transition d'une
forme à l'autre; mais les exemples rappelés et groupés par
M. Homolle (1) ne sont pas décisifs, et il faut attendre que des
découvertes ultérieures nous mettent sur la voie des origines
immédiates et directes. Il est plus aisé d'expliquer pourquoi
l'on a donné le nom de corinthien à ce genre de chapiteaux.
Gallimaque, qui passait pour leur inventeur, était un toreuti-
cien, et les textes, comme l'aspect métallique de ce chapiteau,
nous apprennent qu'il fut d'abord coulé et ciselé, avant d'être
imité et traduit en pierre et en marbre. Or les Anciens ont
cru, à une certaine époque, qu'il n'était bon bronze que de
Corinthe et c'est sans doute la raison pour laquelle ils pla-
çaient dans cette ville l'invention de Gallimaque. Si nous con-
naissions, même par une mauvaise réplique, la lampe d'or
de l'Erechtheion, tout poi-te à croire qu'on y verrait paraître,
peut-être en haut de la fameuse tige de palmier, l'un des
premiers modèles que les Grecs aient connus du chapiteau
corinthien.
IL — Sculpture.
L'anthropométrie dans la sculpture grecque. — Bien que
l'art grec prenne son point de départ dans l'observation directe
de la nature, il n'est pas, à proprement parler, réaliste. Aussi
la science et l'élude des proportions y jouent-elles dès le début
et continueront-elles toujours d'y jouer un grand rôle, ce qui
ne saurait étonner ceux qui se rappellent la veitu mystérieuse
que les nombres avaient pour les Anciens. Il n'est pas douteux
que certains sculpteurs grecs, sinon tous, n'aient réduit la
(1) Rev. archéoL, 1916, II, p. 17-60, fig. 1-23.
174 A. DE RIDDER
figure humaine à des dimensions et à des mesures déterminées :
le canon de Polyclète codifiait les relations des membres et des
diverses parties du corps, et la symétrie si vantée chez quelques
maîtres par les critiques anciens résultait pour une part de sub-
tils et de patients calculs. Malheureusement, si nous connaissons
le principe directeur, l'application nous en échappe. Les obser-
vations et les mensurations que les modernes ont tentées sur
les antiques ne concordent pas toujours et ne nous apprennent
rien de positif et de certain. M. Foat {\) remarque à ce propos
qu'il ne faut pas chercher dans ces questions une trop grande
exactitude : les Anciens n'avaient pas d'instruments aussi
perfectionnés que les nôtres et ils devaient, par la force des
choses, se contenter de mesures approximatives. De plus, obser-
ve-t-il encore, il faut prendre garde aux trompe-Fœil : un
corps sphérique ou cylindrique nous apparaît tout différent de
ce qu'il est en réalité, quand il se projette sur un plan vertical.
D'oii la difficulté que nous rencontrons à mesurer exactement
une statue ou un corps. Pour donner un point de départ com-
mode à ces études, M. Foat dessine un homme idéal ou normal,
qu'il reconstitue à l'aide de 500 mesures ou observations de
détail : ce sont autant de repères, qui serviront par comparai-
son à déterminer les caractères d'une statue ou d'un homme.
La compétence de l'auteur et l'étude patiente qu'il a fait du
sujet recommandent son essai à l'attention des spécialistes;
peut-être amènera-t-il un continuateur plus heureux à résou-
dre un problème qu'on a cru longtemps insoluble et dont on
conçoit l'importance pour l'histoire de l'art antique.
Le fronton oriental de Delphes. — M. Homolle a reconnu que
deux korès cantonnaient vers l'intérieur du fronton deux
grands lions dévorant leur proie; mais le point difficile est de
déterminer le motif qui remplissait le centre même du tympan,
et nous savons seulement qu'on y voyait, de part et d'autre,
(1) Journ. Hell. Slud., XXXV (1915), p. 225-259, pi. VIl-IX, fig. 1-19.
BULLETIN ARCHÉOLOGIQUE 175
deux figures d'homme, l'une de face et l'autre de profil, la
seconde plus haute que la première et par suite rapprochée de
l'axe médian. M. Courby (1) suppose que les corps les plus grands
appartenaient, non aux dieux rivaux, mais à des écuyers qui
tenaient près des naseaux les brides de l'attelage. Celui-ci se
présentait de face et occupait la place d'honneur, deux des
chevaux levant franchement l'une des pattes de devant et les
deux autres la soulevant légèrement. Dans la caisse du char
serait Apollon, ayant à ses côtés (?) Latone et Artémis. Une
Nikè surmonterait la pointe du fronton, et deux sphinx de
profil seraient placés aux deux extrémités.
Trône Ludovisi. — Je demande la permission de revenir sur
la question discutée du trône Ludovisi et de sa réplique amé-
ricaine (2). M. Gardner (3), quoique sans le dire formellement,
par pure courtoisie, laissait clairement entendre qu'il considé-
rait comme des pastiches les trois panneaux de Boston. J'avais
été très frappé par ses arguments, à la fois directs et précis ;
mais, comme la vue des photographies m'avait laissé jadis une
première impression favorable,» j'avais suspendu mon juge-
ment et conclu à l'envoi d'une commission arbitrale, qui étu-
dierait successivement de près les deux originaux et déciderait
en pleine connaissance de cause. Sur ces entrefaites, les mou-
lages des deux monuments sont entrés au musée du Louvre,
oii ils sont exposés dans la salle du Manège. Leur rapproche-
ment ne permet à mon sens qu'une conclusion, celle-là même
qu'exprimait en termes voilés M. Gardner. Sauf à réviser mon
opinion devant les bas-reliefs de Boston, je ne puis, d'après
ces moulages, y voir autre chose que des compositions moder-
nes d'après l'antique. Je n'ai certes pas la prétention que mon
avis personnel puisse trancher le débat; mais, comme, sur la
(1) Bull. corr. helL, XXXVIII (1914), p. 327-350, pi. VI-VII, fig. 1-13.
(2) REG, XXIV (1911), p. 174, XXV (1912), p. 369, XXVII (1914), p. 294, XXVIII
(1915), p. 188.
(3) REG, XXVll (1914), p. 294.
176 A. DE RTDDER
vue do reproditctions photographiques, j'avais jadis fait l'éloge
des has-reliet's nouvellement découverts, je tiens à dégager ma
responsabilité devant les lecteurs du Bulletin. De cette aven-
ture il se dégage une leçon, c'est qu'il est dangereux, sinon
impossible de décider, d'après des photographies, si un monu-
ment est ou non authentique. Avis aux archéologues de cabi-
net, habiles à collationner des fu^hes, mais dont l'œil ne sait
pas ou ne sait plus regarder une antique. Il ne suit pas de là
que le mémoire de Studniczka ne soit pas intéressant : seule-
ment il pèche par la base et sou fondement est ruineux.
Statue Hirsc/i. — Grâce à l'intermédiaire d'un séquestre
complaisant et de neutres obligeants, une statue grecque
archaïque, saisie à Paris en août 1914, a pu être, en pleine
guerre, transportée et vendue à Berlin. En attendant que cet
insigne monument soit publié comme il le mérite, une vignette,
parue dane la Revue archéologique (1), en donnera quelque
idée à ceux qui n'ont pu l'apercevoir, pendant le séjour, trop
bref, qu'il a fait parmi nous.
Apollon de Cherchell. — M. Michon, qui a pu voir la statue en
juin 1910, moins de trois mois après sa découverte, la fait pour
la première fois bien connaître dans les Monuments Piot (2). Si
curieuse que soit l'histoire de cette antique, depuis son retour
à la lumière, je me garderai de la retracer ici; car je n'aurais
pas licence de le faire librement, tant cette trouvaille a mis en
conflit d'intérêts divers, inégalement respectables. Je ferai
seulement observer que nous ignorons si la statue a été faite
pour Cherchell et commandée par Juba, ou simplement choi-
sie par les agents du roi dans l'atelier d'un marbrier : dans
les deux cas, il n'y aurait rien d'africain dans l'Apollon, sinon
le lieu même de sa découverte; car ce qui en fait aujourd'hui
le prix est qu'elle est la copie, presque intacte, d'un original
(1) 1916, II, p. 180-2, S. Reinach.
(2) XXII (1916), p. 55-70, pi. VII-IX, fig. 1-6.
BULLETIN AUCllÉOLOGlQUE
177
grec que nous connaissions par une lépiique inoins complète,
trouvée dans le Tibre et aujouid'luii au musée des Thermes.
Le nouveau marbre nous apprend d'une manière indirecte
quels étaient les attributs tenus par les deux bras. Il n'y a pas
de doute pour la branche de laurier
que serrait la main gauche; mais
Taffreux carquois, de forme l'écenle,
qui est en équilibre instable sur la
base, ne pouvait guère être sus-
pendu à la main droite, même par
rinlermédiaire d'une courroie : dès
lors un arc, que deux tenons ratta-
chaient au côté droit, devait conti-
nuer le carquois par une ligne ver-
ticale, qui contrebalançait à gauche
du spectateur le tronc d'arbre situé
à sa droite. 11 va sans dire que l'une
et l'autre béquille taisaient défaut
dans le prototype. Le modelé du
corps, à en juger par les phologra-
phies, ne parait pas tout à fait le
même dans les deux répliques.
M. Michon remarque justement que
la statue de Cherchell est d'allure
plus massive et semble plus « trapue ». Seule une compa-
raison minutieuse et faite, à défaut des deux antiques, sur
deux bons moulages peut nous apprendre si cette impression
première est exacte ou non. Au cas où elle ne serait pas
trompeuse, il ne s'en suivrait pas forcément que la copie afri-
caine fût la plus exacte; mais la question reste entière et devra
être examinée de près. De toute manière, la date du proto-
type peut être fixée, sinon avec précision, du moins avec peu
de chances d'erreur. Il n'est pas douteux qu'il faille la placer
dans les quelque dix ou vingt ans qui précèdent le milieu du
v® siècle. C'est le moment où, sans parler du fronton occidental
178 A. DE RIDDER
d'Olympie, apparaissent trois statues indépendantes et origi-
nales d'Apollon qui se rapprochent de la nôtre, bien qu'elles en
diffèrent par l'exécution et par certains détails. Il peut sembler
séduisant d'attribuer ces créations, à la fois analogues et con-
temporaines, à autant de maîtres divers, dont nous connais-
sons le nom à défaut des œuvres et qui travaillaient précisé-
ment dans le même temps. Mais une saine méthode veut que
nous résistions à cette tentation, ou que, si nous risquons une
conjecture, ce soit sans prétendre la transformer en certitude.
On peut remarquer que, dans ce groupe de quatre statues, la
nôtre se distingue, non seulement par le style, mais par la
grandeur. C'est déjà une image colossale, et le point n'est pas
indifférent à constater, car il marque un progrès dans la tech-
nique du bronze, les maîtres de la génération antérieure, tels
qu'un Hageladas, ne dépassant pas d'ordinaire ou n'atteignant
pas la taille humaine, même lorsqu'ils représentent des divini-
tés. Ces proportions exceptionnelles font penser que la statue
originale se dressait à l'intérieur de quelque temple. C'est, quoi
qu'en pense Amelung, une question de savoir si elle y était
seule ou si elle était accompagnée de divinités o-uwaot., telles
que Latone et Artémis.
Tête archaïque. — Le musée de Boston vient d'acquérir (1)
une tête un peu plus grande que nature, copie d'un original
que nous connaissons par une statue fragmentaire aujourd'hui
au Musée des Conservateurs et qui a été trouvée sur l'Esquilin,
près de l' « Auditorium » de Mécène; une réplique sans tête a
été découverte à Corinthe, et une tête, o\\ l'imitateur s'est montré
moins adroit ou moins fidèle, est conservée à Venise. Le pro-
totype appartient à cette période un peu antérieure à Phidias,
oîi l'art attique ne s'est pas encore débarrassé de ses conventions
primitives. On remarquera la saillie très nette que fait Tare des
sourcils, l'absence presque complète de la glande lacrymale, le
(1) Mus. of Fine Arts, Bulletin XIV (1916), 84, p. 28-9, fig. 1-2.
BULLETIN ARCHÉOLOGIQUE
179
bourrelet à peu près uniforme qui entouie les orbites et la forte
saillie de la lèvre inférieure,
ainsi que la plénitude et la
force du menton. Les cheveux
largement ondulés se termi-
nent sur les côtés par de courtes
boucles qui rendent assez mal
Taspect métallique de l'œuvre
originale et qui, coaime on Ta
remarqué, ne sont pas sans
évoquer le souvenir du célèbre
bas-relief de Triptolème. Peut-
être, comme l'a conjecturé
M. Mariani, le bronzier in-
connu auquel nous la devons,
avait-il voulu représenter une Dèmèter ou une Perséphone.
Tête du Parthénon. — Un don généreux vient de faire entrer
au Louvre (d) une tête d'éphèbe en fort relief qui, nous avons
toutes raisons de le croire, provient
du Parthénon. Elle faisait partie de
la frise, dont le Musée possède un
beau panneau, mais oii les person-
nages sont représentés en saillie
moins forte et entièrement de pro-
fil, si bien que le nouveau monu-
ment permet de nous faire une idée
moins incomplète des sculpteurs
qui, sous la direction de Phidias,
travaillèrent à la décoration du
temple. La conservation du morceau est presque parfaite, et
l'on n'y notera pas moins le travail sommaire de la chevelure
que le bourrelet sommaire qui cerne les orbites et l'arc exagéré
(1) Les Arls, 1916, p. 1-3, H. de Villefosse.
180 A. DE HIDDEB
de Ja bouche dont les lèvres sont grossies à dessein. Si certaines
parties en soûl négligées et si d'autre part quelques traits sont
ainsi soulignés avec insistance, c'est que la frise était vue de
très bas et qu'il fallait, pour Tapercevoii', se placer dans Tétroit
espace qui séparait la cella de la colonnade extérieure. Une
anecdote signilicative nous prouve que Phidias avait fort bien
compris l'importance qu'avaient ces (juestions de perspective et
de mise en place : la tête de la Coulonche montre que le maître
tenait compte jusque dans ses maquettes de ces déformations
visuelles; mais, dans ses statues de bronze, qui étaient destinées
à être vues de plus près et de plus haut, le travail de la figure
devait être à la fois diOerent et moins conventionnel.
La Suppliante Barherini. — M. Uauser voyait assez singu-
lièrement dans cette statue (1) la Pythie affaissée au sortir d'une
extase prophétique. Les empreintes qu'il avait remarquées sur
la poitrine et sur la cuisse ne seraient pas dues à un serpent
qui boirait dans une phiale, mais s'expliqueraient par des attri-
buts tout différents, telles qu'un arc tenu par la main relevée et
une tlèche qui frapperait le sein droit. L'arme s'aperçoit net-
tement sur les monnaies de Méthydria et d'Orchomène, où la
pose de la femme est trop semblable à celle de la Suppliante
pour qu'on puisse croire qu'elle ne dérive pas du même original.
Or les coins monétaires représentent à n'en pas douter Kallisto,
tuée par Artémis et mère du jeune Arcas. Ce serait donc le
nom qu'il faudrait donner à la Suppliante, que M. Collignon
avait précisément placée parmi les statues funéraires. Nous
savons que deux œuvres de Deinoménès, une lo et une Kallisto,
se faisaient pendant sui' l'iVcropole : il serait permis dès lors
d'atti'ibuer à Deinoménès le prototype de la statue Barberini,
qui, de fait, s'apparente de très près à l'école de Phidias. Res-
terait à trouver la date et l'occasion des deux ex-voto. M. Svoro-
nos croit trouver l'une et l'autre dans la tentative infructueuse
(1) REG., XXVlll (1915), p, 192-3.
(2) Journ. int. cVarch. numism., XVI (1914), p. 255-278, pi. XI, Svoronos.
BULLETKN AKCHÉOLOGIQUE 181
que (il Alcibiadc pour rattacher à la cause d'Alliènes les cités
du Péloponnèse qui étaient hostiles à Sparte, telles qu'Argos
et une partie des villes arcadiennes. La victoire dWgis aurait
fait refluer sur Athènes les exilés de ces deux régions, et ceux-
ci, en souvenir de l'hospitalité reçue, auraient consacré sur
l'Acropole les deux monuments. Les monnaies, qui n'ont été
frappées qu'après 370, une cinquantaine d'années plus tard,
reproduisaient avec liberté le môme motif; mais le groupe qui
fut dédié à Delphes par les Aicadiens devait être différent, car
il était plus complet et comprenait un plus grand nombre de
personnages, les trois enfants d'Arcas accompagnant leur père
dans le chef-d'œuvre de Pausanias.
Buste df athlète. — Un buste grec, qui vient d'entrer au Musée
de New-York (1), mérite d'être signalé, moins pour sa beauté
propre, car le travail n'en est pas de pre-
mier ordre, qu'à cause de sa conservation,
qui paraît exceptionnelle. C'est évidem-
ment un fragment de grande statue et,
comme l'indiquent les oreilles gonflées,
la représentation d'un jeune athlète. Le
morceau se rattache, par des liens assez
lâches, à l'art de Praxitèle, et, sans que
nous soyons en droit de l'attribuer au
maître, ni même à son école, elle est cer-
tainement de son temps. L'éditeur fait
remarquer avec raison ce que la facture
en a de conventionnel et l'on pourrait
presque dire de « classique ». Pourtant de légères asymétries
s'y distinguent à la considérer de près : c'est grâce à ces menues
inventions de détail que- le sculpteur évitait la monotonie et la
froideur et donnait à la fois de l'accent et quelque intérêt aux
figures qu'il modelait.
(1) B%ai. Metrop. Mus., XI, 4 (1916), p. 81-4, fig. 1-3, Robinsoii.
REG, XXX, 1917, n» 137. iS
182 A. DE RIDDER
Apollon lycien. — 11 y a de bonnes raisons pour attribuer à
Praxitèle l'Apollon Lykeios, qui est représenté au repos, le
bras droit replié au-dessus de la tête, la main gauche tenant
l'arc et la jambe de même sens infléchie, mais de manière que
la plante du pied reste horizoatale. De fait, on retrouve dans la
statue le rythme particulier au maître, et le souple balancement
des membres n'est pas sans rappeler l'Hermès d'Olympie et
l'Apollon sauroctone. Pausanias avait vu devant le Lykeion
d'Athènes une réplique de ce type qui s'adossait à une haute
colonne, et les variantes en marbre, comme celles du Louvre,
donnent souvent au dieu un support en forme de tronc; mais le
bronze original ne devait pas avoir besoin d'être étayé et, de
fait, quelques monnaies, frappées à Corinthe, à Pellène, à
Delphes et à Athènes, montrent que le prototype n'avait de
soutien d'aucune sorte. Le motif devint vite populaire, et nous
en connaissions plusieurs variantes. M. L. Gesano (1) croit en
trouver une nouvelle dans la statuette de Sutri dont nous avons
parlé dans l'un des bulletins qui précèdent (2) : l'objet que
l'éphèbe tiendrait dans sa main gauche ne serait autre que le
bois de l'arc.
Tête de Dèmèter. — Le Musée de Boston vient d'acquérir (3)
une tête de déesse qui est malheureusement assez mal conservée,
mais, qui, par certains traits, se rapproche de la tête de Ghios
que possède la même collection et qui a été, on s'en souvient,
étudiée par M. Marshall (4). Le nouveau fragment est en marbre
de Paros et plus grand que nature ; le bloc dans lequel on Ta
travaillé n'était pas de dimension suffisante, de sorte que le
haut du crâne avait dû être rapporté et n'a pas été conservé;
le cou devait de même s'encastrer dans une cavité ménagée à
cet effet. Les cheveux, divisés par une raie sur le front et mol-
li) Bull. corn, di Borna, XLllI (1915), p. 73-98, pi. ll-lll, fig. 1-3.
(2) BJFGf., XXVII(1914), p. 319.
(3) Muséum of Fine arts Bulletin, XIV (1916), 82, p. 9-11, fig.
(4) BEG., XXIIl (1910), p. 194.
BULLETIN ARCHÉOLOGIQUE
183
lement ondulés, sont couverts d'une sorle de kékryphale, qui
descend comme un voile sur le côté
gauche, ce qui peut convenir à une
Dèmèter. On remarquera la courbe
prononcée de la face qui donne au
visage une expression singulière et
la diminution progressive des deux
orbites vers Tangle extérieur, trait
qui se retrouve dans la tête de
Chios. Ces raffinements d'exécution
paraissent marquer une date pré-
cise et on ne se trompera pas beau-
coup en attribuant la tête à quelque
disciple de Praxitèle et en la datant de 350 environ avant
notre ère.
Tête de Rhodes. — Une tête en marbre, d'exécution médiocre,
mais de conservation presque parfaite, a récemment été décou-
verte à Rhodes sur le territoire de l'ancienne capitale de l'île
et acquise par M. Th. Leslie Shear (d). Comme les cheveux,
frisés en toufles irrégulières sur le
reste du crâne, se relèvent et se dres-
sent en haut du front, il est assez pro-
bable, quoique non tout à fait certain,
qu'elle représente Hélios. L'absence
des rais partant du bandeau n'a rien
qui puisse surprendre au début de la
période hellénistique : par contre, je
ne crois pas que l'éditeur soit fondé à
tirer argument de la forme arrondie et
presque circulaire que le sculpteur a donnée au visage. Peut-
être est-il également hasardeux d'y chercher une réplique exacte
soit du colosse de Rhodes, soit de l'Hélios que Pline attribue à
Lysippe. Mais il ne semble pas douteux que la tête appartienne.
(1) Amer, joiirn. of arch., XX (1916), p. 283-298, pi. VII- VIII, fig. 1-3.
184
A. DE HIDDER
soit à la fin du iv' siècle, soit au début du ui«, et M. Shear insiste
avec raison sur les rapports qu'elle présente avec un grand
bronze de Copenhague.
Sculptures de l'Artémision. — M. Lethaby fait part au pu-
blic (1) des observations que lui a suggérées l'étude attentive
des tambours sculptés et des piédestaux décorés de reliefs qui
proviennent, du second temple d'Ephèse. Il ne croit pas à la
frise d'entablement que Wood avait proposé de restituer et dont
Wilberga récemment et vainement tenlé de prouver l'existence.
Bas-relief de Ny-Carlsberg. — Un bas-relief attique du iv*^ siè-
cle, qui est conservé à Copenhague, représente trois^adorants,
un homme et deux femmes, devant un couple divin qu'accom-
i£:gv^:<^^"^ lasaSiiffj^i^
pagne un échanson. Le dieu couché tient la phiale et la corne
d'abondance, la déesse est de profil et assise au pied de son lit.
La scène, qui se reproduit, avec d'insignifiantes variantes, sur
des milliers de « repas funéraires », est des plus banales, et,
comme l'exécution n'en dépasse pas la moyenne, le monument
ne mériterait pas d'arrêter l'attention, n'était l'inscription gravée
sur son entablement. Nous apprenons que l'Athénien Olym-
(1) Jouni. Hell. Stud., XXXVl (1916), p. 25-35, flg. 1-7.
BULLETIN ARCHÉOLOGIQUE 185
piodoros, sa mère Arislomacho et sa fomme Thfîoris consacrent
cet ex-voto à Zens E]piteleios Philios, à Philia mère du dieu et
à Tychè Agathe, son épouse. La première des deux (iéesses avait
un autel sur l'Acropole ; mais elle n'est pas représentée sur le
bas-relief, et, si la dédicace la réunit ainsi à Zeus F]piteleios et
la joint à la Bonne Fortune, M. Blinkenberg (1) montre bien
qu'il ne faut voir là qu'une forme de dévotion toute particulière
et un culte tout occasionnel. Il est probable que le ménage était
sans enfants et qu'il s'adressait au dieu « qui mène toute chose
à bonne fin » pour obtenir que son union ne restât pas stérile.
Alexandre de Cyrène. — Une statue colossale, découverte en
1914 à Cyrène, représente à n'en pas douter Alexandre divinisé;
mais les attributs ont en. partie disparu,, de sorte qu'il est
malaisé de déterminer d'une manière plus précise le sens du
monument. M""" Ada Maviglia (2) suppose que le personnage
tenait de la main droite une corne d'abondance et de la gauche
un sceptre : ce serait un Hélios, dieu auquel convient fort bien
la protome de cheval qui flanque la gauche de la base. Ce n'est
naturellement pas l'Alexandre à la lance, mais il n'en serait
pas moins possible que Lysippe fût l'auteur du bronze original;
car, si le marbre de Cyrène rappelle par le modelé de la poi-
trine la tradition polyclétéenne, il n'y aurait rien là qui ne fût
parfaitement conforme à ce que nous savons de Lysippe. En
effet, pas plus que M. P. Gardner (3), M'"" Ada Maviglia n'at-
tribue au sculpteur l'apoxyomène du Vatican.
Portraits, hellénistiques. — M. Blum reconnaît Ptolémée IV
Philopator sur un camée de la Bibliothèque Nationale, Ptolé-
mée VI Philomètor sur les deux bagues en or du Louvre et
Antiochos VIII Gryposdans un buste trouvée l'ouest de l'Acro-
pole et conservé au Musée d'Athènes (4).
(1) Bull. Acad. de Danemark, 1916 (3), p. 203-9, pi. I.
(2) Rev. arch., 1916, I, p. 169-183, fig. 1.
(3) REG., XIX (1916), p. 160.
(4) Rull corr. helL, XXXIX (1915), p. 17-32, pi. I, fig. 1-2.
186 A. DE RIDDER
Vase Medicis. — M. Hauser, le dernier interprète de la scène
énigmatique qui se déroule sur la panse du cratère (1), prenait
pour une Pythie la femme demi-nue qui est assise par terre
devant le socle de la statue. M. Svoronos (2) y voit Procris, qui
viendrait d'être tuée par le javelot infaillible de Kephalos :
la divinité au chiton court serait Athèna Areia, patronne et
présidente de l'Aréopage. Les juges seraient représentés par
Ares, debout à gauche et voisin de la victime. Les deux parties,
dont les pieds relevés posent sur le XiQoç îiêpEwç et le )iQoç
àvat.5£'laç, seraient, d'une part, Kephalos, le meurtrier involon-
taire, de l'autre, le père de la morte, Erechthée. Le tableau
serait complété à gauche par les compagnons du chasseur
dans sa campagne contre les ïaphiens, Amphitryon, Heleios
et Panopeus : à droite serait Boutés et la représentation, qui
est incomplète sur le vase Médicis, pouvait comprendre
encore sur l'original Praxithea, la mère d'Erechthée et de
Boutés, ses deux filles enlacées, Procnè et Philomèle et
jusqu'à son époux, le vieux roi Pandion. Un dessin conservé à
la bibliothèque de Windsor (3) semble prouver qu'il faut ajouter
ces quatre personnages à la scène dont le cratère ne nous
offrirait qu'un extrait.
Relief de Rhodes. — Outre d'intéressantes stèles attiques ré-
cemment acquises par le British Muséum, M. A. H. Smith fait
connaître un fragment de grande composition (4), qui rentre
dans une série déjà connue par d'assez nombreux exemplaires.
Le nouveau monument a été découvert à Rhodes et représente
un guerrier de profil à gauche, la main gauche à la hanche, et la
droite tenant une pique baissée. Un serpent s'enroule au second
plan derrière la pointe de la lance et au pied d'une colonne, que
surmonte un vase fermé par un couvercle. La composition
(1) REG., XXVIII (1915), p. 201-2.
(2) Journ. int. d'arch. numism., XVI (1914), p. 213-254, pi. VIII-X, fig. 1.
(3) Rœm. Mittheil., XXIV (1909, p. 189-191, fig. 8.
(4) Journ. Hell. Stud., XXXVI (1916), p. 66-86, pi. III, fig. 1-15 (le bas-relief de
Rhodes fig. 12, p. 81).
BULLETIN ARCHÉOLOGIQUE
187
complète, sur un autre bas-relief du British Muséum, com-
prend de plus un clieval passant à droite du guerrier et, à
sa gauche, un personnage faisant une libation : le cippe, au lieu
du vase, porte un trophée. Ailleurs une Victoire se dresse sur
la colonne et tient un aplustre, de sorte que l'ex-voto pourrait
commémorer une victoire navale. Tous ces monuments sont
archaïstiques et quelques-uns de date assez basse; car, pour l'un
d'eux au moins, nous avons la preuve qu'il fut remployé pour
être sculpté, et à une date qui ne peut être antérieure au ii^ siè-
cle avant notre ère.
Tête romaine. — Le Musée de New-York vient d'acquérir (1)
un beau portrait qui date de l'époque flavienne. Le réalisme
n'en a rien de sec et d'agressif, bien que la ressemblance en
ait été, sans nul doute, exacte et parfaite. L'homme, déjà d'un
certain âge, a la bouche grande et lippue, les joues flasques,
les oreilles difformes et le front bossue ; les cheveux, ramenés
par devant, ne sont marqués que sur les bords de la calotte
crânienne : bien que toute trace de couleur ait aujourd'hui dis-
paru, il est probable que la polychromie devait collaborer jadis
à l'œuvre du sculpteur.
Statues de culte. — Non seulement les statues chryséléphan-
(1) Bull. Metrop. Mus., XI, 2, (1916), p. 39, fig. 1.
188 A. DE RIDDER
tines ne sonl pas venues jusqu'à nous, mais les repr(^sentations
(le pierre ou de marbre, qui en teuaient lieu dans les sanc-
tuaires plus modestes, ont elles-mêmes presque toutes disparu.
C'est ce qui donne quelque importance à la découverte que
M. Merlin vient de faire à Thuburbo Majus, où des restes
importants on( été mis au jour du Jupiter assis qui ornait autre-
fois la capitale de la ville romaine. La tête, assez bien con-
servée, n'a pas moins d'I m. 35 de haut et les pieds sont longs
d'I m. 15 : la statue, lorsqu'elle était complète, devait avoir
environ 7 mètres de hauteur (1).
Caducée. — On considère d'ordinaire le caducée d'Hermès
comme n'étant à l'origine qu'un simple bâton de berger recourbé
à la tête et orné de bandelettes, d'où l'idée serait venue tout
naturellement, à cause de la ressemblance des formes, de le
terminer par des avant-corps de serpents. M. Frothingham (2)
estime, au contraire, que l'attribut a de lointaines origines orien-
tales et qu'il faut y voir la transformation d'un dieu serpent. De
fait, sur les monnaies d'Hierapolis, où il paraît accosté d' A targa-
tis et d'Hadad, il est bien un membre essentiel de la triade
divine : on le comprend sans peine ; car le serpent, de très
bonne heure, est le signe et le symbole de la vie, d'où le sens
que le caducée aurait dans les mains d'Hermès, le dieu psy-
chopompe par excellence.
Le bon pasteur. — Les représentations du bon pasteur ras-
sortissent à peine à l'art grec et relèvent plutôt de l'art chré-
tien. Aussi nous ne ferons que signaler une statue que publie
M. Sotiriou. Sa provenance exacte est inconnue; mais elle paraît
avoir été trouvée en Grèce, et il est probable qu'elle y a été
travaillée, peut être même sort-elle d'un atelier attique. Elle
diffère des dix autres statues semblables que nous connaissons
à l'heure présente par l'extrême jeunesse du Pasteur et par la
(1) Bull, du Comité, 1915, pi, XXII, p. cxxx, clvii-viii.
(2) ^mer. ./o?/m. o/ r/rc/?,., XX (191fi). p. 114-211, fig. 1-41.
BULLETIN ARCHÉOLOGIQUE 189
nébrido qui traverse obliquemenl sa poitrine. De plus, elle a
le visage présenté de face, et le levers, au lieu d'ôlre percé d'un
trou comme dans la majorilé des répliques, est, au contraire,
soutenu par un étai en forme de tronc. L'édileiir donne à la
statuette une date relalivement basse et l'atlribue, pour d'assez
bonnes raisons, à la (in du ni^ siècle (i).
III. — Fresques. Vases peints.
Fresques de Pompei. — Après avoir été quelque temps tenues
sous le boisseau, les peintuies de la villa Gargiulo-Item (2)
viennent, avant même la publication définitive, d'être étudiées
à diverses reprises, mais, semble-t-il, avec plus d'application
que de succès. Que les fresques du triclinium composent l'un
des ensembles les plus saisissants qu'on doive à la peinture
pompéienne, tout le monde est d'accord sur ce point ; mais toute
l'ingéniosité des archéologues n'a pas jusqu'ici réussi à en expli-
quer le sujet d'une manière qui soit pleinement satisfaisante.
La raison paraît en être que la composition originale était sans
nul doute plus complète : pour l'adapter aux dimensions de la
salle, le décorateur a dû éliminer des parties essentielles, ce
qui a pu le porter à rapprocher arbitrairement des éléments qui
étaient dissociés dans le prototype. Beaucoup d'intentions lui
sont ainsi probablement prêtées qu'il n'a jamais eues, et c'est
gratuitement qu'on veut découvrir un sens abstrus et profond
là oii il n'a dû chercher qu'un effet pittoresque. Sous ces réserves,
on lira avec intérêt l'essai de M. Rizzo sur la décoration du
triclinium (3). Sur la paroi gauche se succéderaient l'initiation
de Bacchos enfant aux mystères orphiques, des prêtresses du
culte, un Panisque jouant de la flûte, une « Satyrisque » allai-
(1) 'E-pfifjL. 'ApxaioX., 1915, p. 34-43, fig. 1-6.
(2) fifîG., XXIV (1911), p. 197-8.
(3) Memorie d. R. Accad. di Archaeol., Lett. e B. Arti., Naples, III (1914),
p. 37-102 (1-66), pi. 1-IV, fîg. 1-28.
190 A. DE RIDDER
tant un chevreau et une Ménade fuyant vers la gauche. Au fond,
un Silène tendrait un hol à un Satyre, un autre Satyre élève-
rait en l'air un masque comique, Dionysos, l'un des pieds rituel-
lement déchausse', reposerait étendu sur le sein d'une déesse
assise qui pourrait être Perséphone et une Ménade, agenouillée
au premier plan, soulèverait le voile qui recouvre le vase mys-
tique, tandis qu'une figure ailée dont le torse est nu, peut-être
Adrasteia, ferait un signe de réprobation et détournerait la tête
en menaçant la Bacchante de sa baguette. Sur la paroi de droite,
une Ménade, échevelée et demi-nue, agenouillée à droite, se
cache le visage sur les genoux d'une femme assise et, devant
une figure d'arrière-plan, une autre Ménade, entièrement nue,
danse en jouant des cymbales. Toutes ces scènes auraient un
sens dionysiaque et secret qui justifierait le titre de Dionysos
Mystès que Fauteur donne à son essai. — M. Pottier (1) en
accepte l'essentiel dans un article récent qu'il a consacré au
même sujet. Seulement il remplace par Iakchos le jeune Dio-
nysos lisant un rituel orphique, et il voit dans la compagne du
dieu Ariane, au lieu de Corè ; enfin il ne croit pas que la Ménade
de la paroi gauche fuie devant l'Adrasteia du fond, qui, pour
lui, serait peut-être une Iris et qui exprimerait à sa manière
les sentiments de réprobation que les Romains éprouvèrent
tout d'abord à l'endroit des symboles grossiers de la religion
dionysiaque.
Vases de Crète. — Des sondages effectués à Atsipada (2), dans
l'éparchie d'H. Vasilios, ont mis au jour des vases mycéniens
tardifs, tels que des amphores à étrier, qui ne mériteraient pas
d'être autrement signalés, si l'inventeur n'avait fait à leur
sujet une observation intéressante. Il a pu constater que les
ossements d'enfants, qui étaient généralement renfermés dans
les vases de cette nécropole, n'étaient pas seulement contenus
dans les grandes jarres oii on les rencontre d'ordinaire. S'il
(1) Rev. archéoL, 1915, II, p. 321-347, fig. 1-9.
(2) 'EcpfiiJL. 'ApyaioX., 1915, p. 48-50, fig. 1-3.
BULLETIN ARCHÉOLOGIQUE 191
faut en croire son rapport, il en aurait également découvert
dans de très petits récipients qui n'auraient pas mesuré plus de
0 m. 10 à 0 m. 15 de hauteur. A vrai dire, le fait mérite confir-
mation ; car, d'après son témoignage, il n'a guère exhumé que
des fragments de poteries, Targile de celle céramique étant 1res
friable et paraissant s'être mal conservée.
Amphores du Dipylon. — M"" Gisela Richler fait connaître,
en les accompagnant d'un bon commentaire, les deux grandes
amphores attiques que possède le Musée de New-York. On sait
que ces récipients se dressaient au-dessus des tombeaux et ne
servaient pas seulement d'emblèmes ou de cr'/JjjLaTa, mais de
vases à libations ; car le fond en était percé, pour que les liquides
versés en guise d'offrande pussent parvenir jusqu'aux morts.
Le décor est celui qu'on rencontre d'ordinaire sur celte sorte de
vases : des chars traînés par un, par deux ou par trois chevaux,
et des guerriers et des pleureuses, s'alignant en deux rangées
superposées au-dessous ou aux côtés du cadavre, qui est exposé
sur un lit d'apparat, sous un grand baldaquin. Aux pieds du
mort, sur l'un des exemplaires, une femme assise tient un
enfant, tandis que deux autres enfants sont représentés au-
dessus de la bière. Sur l'autre vase, dix pleureuses sont assises
en bas du cercueil et deux enfants (?), dont l'un assis et l'autre
debout, sont figurés au chevet et aux pieds du défunt (1).
Coupes à figures noires. — J'ai signalé à diverses reprises les
fouilles anglaises de Rhitsona (2) et la belle moisson de décou-
vertes récollée dans cette nécropole béotienne. Outre la céra-
mique indigène, à fond blanchâtre et à décor bigarré, dont la
date est beaucoup plus basse qu'on ne le croyait d'ordinaire,
beaucoup de vases avaient été importés d'Altique et, parmi eux,
de nombreuses coupes à figures noires. M. Ure, qui a publié
avec beaucoup de soin les objets découverts dans les fouilles,
{\) Amer, journ. of arcfi., XIX (1915), p. 385-397, pi. XVlI-XXill, Gisela M. A.
Richter.
(2) REG., XXIII (1910), p. 204, 214, XXVI (1913), p. 421.
102 A. DE RTDDER
s'est attaché à distinguer d'une manière pins précise qu'on ne
l'avait fait avant lui les six variétés principales des coupes
attiques. Toutes sont bien représentées à Rtiitsona (1) ; mais elles
le sont plus ou moins abondamment, ce qui peut servir de cri-
térium pour reconnaître les diverses écoles ou les diiïérents
ateliers de production. A ce propos, M. Ure examine en passant
la question disputée des coupes « laconisantes » ; les rapports
indéniables qui rattachent certaines coupes à figures noires aux
vases de Laconie ou de Gyrène peuvent, à l'en croire, s'expli-
quer par l'imitation commune de modèles ioniens.
Psykter d'EutJi/ymidrs. — Deux bons dessins nous sont don-
nés d'un vase qui n'est pas inédit, mais qui avait disparu et
que l'on croyait perdu. M. Rizzo vient de le retrouver au Musée
de Turin, el il en a confié la publication à M. Hoppin (2), auteur
d'un bon essai sur Eulhymidès. Les vases signés par ce peintre
étant fort rares (on n'en connaît encore que cinq), on conçoit
qu'il importe d'en avoir des reproductions exactes. Les inscrip-
tions tracées sur le psykter semblent l'être avec négligence : il
est possible que, comme le conjecture M. Pottier elles soient
dues à un élève du maître. S'il en était ainsi, Tsuys va'/^t., dont
on avait fait grand état, perdrait beaucoup de son importance
et il faudrait y voir un simple témoignage d'admiration décerné
par un disciple au lieu d'un brevet de perfection que le maître
se serait donné à lui-même. On peut d'ailleurs interpréter
autrement l'exclamation et l'entendre de l'exploit qu'accomplit
l'agoniste Thésée.
Epeleios. — Le collège de Bryn Mawr possède une petite
collection de vases peints, parmi lesquels on remarque un
kyathos avec la signature de Nicosthènes et une coupe à figures
rouges de style sévère, découverte à Vu Ici par M. Gsell, dans les
fouilles qu'il dirigea sur les terres et pour le compte du prince
(1) 'E'f-nfx. ^Ap/aioX., 1915, p. 114-127, fig. 1-25.
(2) Journ. Hell.'stud., XXXV (191oj, p. 189-195, pi. V-VI.
BULLETIN AHCIIÉOLOGIULE 193
ïorlonia. La kylix porte le nom du l)el J^^peleios, que nous
retrouvons sur quatre vases, dont deux à Munich et deux
autres au Musée de New-York. Le décorateur, sans ôtre un
grand artiste, dessinait avec soin et avec une liabileté relative,
mais était d'une reniaïquable pauvreté d'imugination. Les
mêmes personnages sont silhouettés par lui, exactement dans
les mêmes attitudes, à deux ou trois figures d'intervalle : évi-
demment le peintre n'avait à sa disposition qu'un très petit
nombre de modèles et il a tâché d'en tirer le meilleur parti
qu'il pouvait. Peut-être, comme le suppose Maiy Hamilton
Swindler (1), travaillait-il dans l'atelier de Cachrylion.
Stamnos de Vignanello. — Une tombe à dromos, récemment
découverte à Vignanello, à la lisière du leiritoire falisque,
avait été déjà explorée et vidée d'une partie de son contenu.
On y a cependant découvert encore un fragment de vase à
parfum qui porte la signature de Gharinos et un|beau stamnos
à figures rouges (2), que M. Giglioli attribue à l'école d'Euthy-
midès. Sur la face principale, paraît être représentée l'ambas-
sade des Grecs auprès d'Achille. Suivant une conjecture ingé-
nieuse de l'éditeur, Ulysse tendrait au héros un casque et un
(1) Amer. Journ. of archseoL, XX (1916), p. 322-331, fig. 10-2.
(2) Not. degli scavi, 1916, p. 46-32, fig. 5-7.
194 A. DE RIDDER
glaive pour lui rappeler sa gloire passée et le persuader de
revenir dans la mêlée ; Patrocle et Phœnix seraient figurés,
Tun devant l'autel et l'autre derrière iVchille.
Coupe d'Euphronios. — De bonnes reproductions nous sont
données de la coupe, tournée par Euphronios, que possède le
Musée de New-York. A l'intérieur, Héraclès s'avance vers la
gauche, vêtu d'un chiton court et plissé, la tête coiffée d'un
mufle de lion, la peau du monstre nouée sur la poitrine : il
appuie la main droite sur la massue, et sa main gauche tient
l'arc et la flèche (1). Le héros est suivi d'un jeune enfant,
chaussé de hautes bottines lacées, coiffé d'un grand chapeau et
(1) Amer, journ. of archœoL, XX (1916), p. 125-133, pi. II-Vl, fig. 1, Gisela
M. Richter.
BULLETIN ARCHÉOLOGIQUE 195
portant une outre suspendue à un bâton de voyage : on peut y
voir lolaos, Hylas, Ilyllos ou un simple serviteur. A l'extérieur,
l'un des côtés montre la lutte d'Héraclès contre les quatre fils
d'Eurytos, sujet assez rare et que le peintie de la kylix paraît
avoir traité d'une manière originale. Deux lits servent de fond
à la scène et le héros assomme de ses poings fermés le jeune
Clytios, pendant qu'arrivent à la rescousse Iphitos et deux de
ses frères, dont l'un porte une pardalide. Au revers était repré-
sentée la mort de Busiris, avec l'autel traditionnel : deux per-
sonnages s'enfuient de part et d'autre du roi, qui semble
s'aiïaisser dans une pose hardie, dont l'ait grec nous a montré
beaucoup d'exemples. Si la surface de la coupe était mieux
conservée, il n'en est pas peut-être qui, dans l'atelier d'Euphro-
nios, nous eût mieux fait connaître l'artiste inconnu qui célé-
brait, sur les vases qu'il décorait, la beauté du jeune Panaitios.
La kylix permet du moins d'admirer la lière silhouette du
héros, marchant calme et confiant dans sa force, la tête puis-
sante et animée d'une vie singulière. De petits détails de tech-
nique, comme les lacets rouges du jeune compagnon d'Héraclès,
se retrouvent, par exemple, dans la Dolonie de la Bibliothèque
Nationale, qui est sortie du môme atelier et qui a pu être des-
sinée par la même main.
Le maître de Penthésilée. — La belle coupe de Munich où est
représentée la mort de Penthésilée ne porte pas de signature,
ce qui ne l'empêche pas d'être d'un art assez caractéristique
pour que certains critiques n'hésitent pas à reconnaître la main
de son auteur dans d'autres peintures à figures rouges qui sont
restées également anonymes. Une première liste avait déjà été
donnée par Furtwa^ngler et par Hartwig. Une récente étude de
Mary Hamilton Swindler l'augmente de dix-sept exemplaires :
L'auteur y reproduit un beau couvercle (?) de Boston, ainsi
qu'une singulière pyxis de New-York, les deux peintures étant
sur fond blanc (1).
(1) Amer, journ. of archœoL, XIX (1915), p. 398-417, pi. XXIV-XXX, fig. 1-9.
196
A. DE KIDDER
Le vase Tyszkieioicz. — Un cratère de rancienne collection
Tyszkiewicz (1), aujourd'hui au Musée de Boston, montre, sur
l'une de ses faces, le combat d'Achille et de Memnon, sur
l'autre celui de Diomède et d'Enée. M. Heazley croit reconnaître
la main de Tartiste qui Fa décoré sur des cratères de formes
diverses, sur des stamnoi, des hydries, des amphores, des péli-
kés et môme sur un curieux gullus de Boston à sujet funéraire.
Ce serait d'ailleurs un assez pauvre dessinateur; mais, comme
M. Beazley ne nous dit pas les caractères pai-ticuliers qui le dis-
tingueraient, nous ne pouvons que signaler ici son hypothèse.
Lécythes du Louvre. — Un lécylhe, récemment acquis, met
en scène Thanatos, non plus le dieu aux traits purs, qui,
accompagné d'Hypnos, porte pieusement le corps des héros,
mais le démon ravisseur, aux mains avides, au nez en bec
d'aigle et au front plissé de rides, que s'efforce en vain de fuir
une jeune morte, surprise devant sa stèle à deux degrés. Her-
mès, assis sur la droite, assiste tranquillement à ce drame, où
le dieu du trépas apparaît en triomphateur, barbare et mena-
çant. Euripide le dépeint à peu près de même dans son Alceste,
représentée en 438; mais il est fort douteux que le peintre du
(1) Amer, journ. ofarchœol., XX (1916), p. 144-153, fig. 1-8.
BULLETIN ARCHÉOLOGIQUE
197
vase se soit inspiré du poète. C'était d'ailleurs un artiste habile,
mais assez négligent, qui, lorsqu'il avait corrigé un uiouvement
qu'il jugeait mal dessiné, ne trouvait pas nécessaire d'eiracer
la première esquisse, ce qui prouve à la fois son souci d'exac-
titude et le peu de
prix que les Anciens
attachaient à ces of-
frandes éphémères. —
Sur un autre lécythe,
une femme est age-
nouillée devant la stè-
le, posture assez rare
dans l'antiquité et à
laquelle nous avons vu (2) que les Grecs répugnaient d'ordi-
naire. Le corps de la suppliante paraît entièrement nu, mais
il n'est pas douteux qu'une teinte plate, moins consistante,
avait été passée sur la silhouette et a aujourd'hui disparu. Ce
qui suffirait à le prouver est que, sur un troisième vase, une
femme, debout à droite, ne semble au premier abord vêtue que
d'un himation qui enveloppe le bas du corps. Mais, en y regar-
dant de plus près, on aperçoit sur la poitrine des traces cer-
Itaines d'un chiton transparent, serré à la taille par une cein-
[ture. Beaucoup de dessinateurs antiques avaient l'habitude de
fdessiner le corps nu sous l'étoffe : ils étaient par là sûrs de leur
lise en place et la composition y gagnait en équilibre. Enfin
in dernier vase montre, près de la stèle, deux grêles arbris-
^€eaux qui indiquent discrètement le lieu de la scène.
IV. — BroxNZes. Terres cuites.
Discoboles. — M. E'velyn White (3) reconnaît deux disco-
(1) Monuments Piot, XXII (1916), p. 35-53, pi. II-VI, Pottier.
(2) REG., XXV (1912), p. 380.
(3) Journ. ttell. Stud., XXXVI (1916), p. 16-24, pi. l-II, flg. 1-3.
REG, XXX, 1917, n« 137.
14
198
A. DE KIDDER
boJes dans deux intéressantes statuettes de bronze, trouvées
l'une et l'autre sur l'Acropole, au Sud du Parthénon. Le pre-
mier agoniste, dont le corps se penche vers la droite, porte la
jambe droite en avant et lève la main gauche au-dessus de
• l'épaule. La main droite n'est pas
conservée; mais le bras de même
^1 sens est à la fois baissé et à demi
jfljpr . tendu. Nous connaissons bien quel-
ques repi'ésenlations analogues de
discoboles ; mais le haut du corps
y est droit et d'aplomb ; de plus, le
pied gauche, au lieu de poser à plat
sur le sol, est jeté franchement en
ai'iière et porte sur les orteils. Mal-
gré ces divei'gences, il est possible
cependant que M. White ait raison.
— L'autre hguiine est plus énig-
matique encore. Les deux jambes y
sont pliées aux genoux, la droite
plus bas que la gauche : encore le
seraient-elles plus en réalité que
la planche ne le montre; car l'au-
teur estime que le bronze a été indûment redressé. Le bras
droit est levé, mais retourné de manière à présenter la face
plate de l'avant-bras ; le bras gauche devait être plutôt écarté
que levé ; enhn la tête, au lieu de suivre le mouvement du
torse, nous apparaît tout entière et dans un aplomb parfait,
quoiqu'elle soit moins dressée en réalité qu'il n'apparaît sur la
figure. Le motif, dans ces conditions, est très difficile à
expliquer. J'avais vu successivement dans la figurine un cou-
reur, un discobole et un sauteur, et je m'étais arrêté à cette
dernière hypothèse, que rejette M. White, pour cette raison
assez plausible que les deux bras ne sont pas exactement paral-
lèles. C'est pour lui un discobole, qui se prépare à prendre l'at-
titude si bien saisie par Myron : déjà ses genoux fléchissent, sa
BULLETIN AHCHÉOLOGIQUE
J99
main droite brandit en avant le disque et le bras gaiicbe com-
mence le mouvement giratoire qui l'amènera en avant et le
fera servir de contre-poids à Faction violente de l'autre bras. —
Quoi qu'il en soit de cette conjecture, M. While rend toute
justice à la singulière habileté de main dont témoignent encore
les deux figurines, malgré l'abominable traitement que les
conservateurs d'Athènes ont intligé à tous les bronzes trouvés
sur l'Acropole. J'avais, dans mon catalogue, donné à l'école
d'Eginc la seconde et la plus parfaite des deux statuettes.
M. White croit plutôt qu'elle a élé fabriquée à Athènes : j'ac-
cepte d'autant plus volontiers sa suggestion que je m'étais, dès
1897, rallié spontanément à la même opinion, dans un article
que M. White n'a pas connu (1).
Buste de nèyre. — Parmi les bronzes qui ont récemment été
mis au jour dans le pistinnum d'Ostie,
une applique (2) représente un jeune
esclave nègre, la face tournée vers la
droite. Le visage en est expressif et
vivant et le bronzier n'a eu garde d'ou-
blier la loupe assez forte qui surmonte
l'œil droit. De même, il a reproduit
avec soin les différentes pièces du cos-
tume servile, à la fois la tunique de
travail et la jiœnula, dont le capuchon
est rabattu par devant. Il ne semble
nullement nécessaire d'attribuer le
petit monument à la main-d'œuvre
alexandrine : il a dû être fait à Rome ou, tout au moins, en
Italie.
Outils en fer. — Le spécialiste qu'est M. Champion a dessiné
et déterminé les outils en fer que renferme le musée de
(1) Bull. corr. helL, XXI (1897), p. 253-4.
(2) Not. d. scavi, 1915, p. 256-7, fig. 20, G. Calza.
200
A. DE KIDDEK
S*-Germain (1). Ces petits monuments, d'ordinaire mal conser-
vés, ont rarement retenu l'attention des archéologues ; aussi
devons-nous être reconnaissants à M. Champion du soin et de
l'attention qu'il a mis à les étudier.
Terre cuite de Syracuse. — Les belles fouilles que M. Orsi
a pu diriger près de la
cathédrale de Syracuse
ont livré une abon-
dante moisson archéo-
logique dont quelques
spécimens nous sont
donnés dans les Noti"
zie (2). L'un des plus
remarquables est une
acrotère archaïque,
que décore une Gor-
gone courant vers la
gauche. Le monstre,
dont la tête est de face,
tient dans la main droite un petit cheval ailé, sans nul doute
Pégase. Les couleurs sont, paraît-il, fort bien conservées, et la
beauté de l'exécution ferait de ce morceau l'un des meilleurs
fragments architectoniques que nous ait laissés l'antiquité.
Gorgoneion. — Le musée d'Haï myros possède une lampe en
terre cuite (3), trouvée à Phères et décorée à la partie supérieure
d'un masque de Gorgone. La tète est de beau style, les cheveux
sont ondulés et frisés, le front surmonté d'ailettes et le cou
entouré d'un collier noue en son milieu, reste et souvenir des
serpents qui accompagnent d'ordinaire la protome. M. Gian-
nopoulos a su reconnaître la représentation ; mais il a tort de
(1) Rev. arch., 1916, I, p. 216-246, pi. I-XVI.
(2) 1915, p. nS, fig. 1.
(3) 'E'fTi{i. 'ApxatoX., 1915, p. 72-4, fig. 1-4.
BULLETIN ARCHÉOLOrrrQUE
201
la comparer à une autre lampe fragmentaire de Pharsale, dont
le type est différent et surtout d'en rapprocher les monnaies
bien connues de Larissa, sur lesquelles je doute fort qu'il faille
voir des têtes de Méduse.
Une amphore pansue, récemment
Amphore de Pompei.
trouvée à Pom-
pei (1), dans la pre-
mière région, est
décorée en relief
d'une représenta-
tion intéressante.
Au centre on voit
Athèna, la tête pen-
chée vers la gauche
et les mains occu-
pées à jeter l'égide
sur Tépaule droite.
La déesse est accos-
tée de deux figures
symétriques, deux
danseuses ou deux
hiérodoules (??), vêtues de courtes tuniques : toutes deux sont
tournées vers Pallas, et leurs avant-bras sont levés en signe
d'adoration.
V. — Orfèvrerie, Objets divers.
Orfèvrerie scythique. — Je n'ai pu, dans mes bulletins précé-
dents (2), que donner une idée sommaire du riche mobilier
funéraire que la commission archéologique russe a récemment
mis au jour à Solokha. En attendant une publication complète
(1) Not. d. scavi, 1915, fig. 3, p. 287, M. Délia Corte.
(2) RE G., XXVII (1914), p. 323-4; XXVIII (J915), p. 213-4.
202 A. DE RIDDER
de la trouvaille, M. Svoronos (1) essaie d'interpréter quelques-
uns des monuments ainsi découverts. La tête du peigne d'or
est formée d'une double barre que surmonte un cavalier grec,
combattant un ennemi de môme race dont le cheval est abattu :
un Scythe à pied prend la défense du vainqueur, ce qui paraît
montrer en lui un ami de la population indigène ; de fait,
quoique son armement soit hellénique, il ne laisse pas de porter
des anaxyrides, vêtement qu'on ne s'étonne pas de trouver dans
la région du Borystbène : tous ces traits conviendraient bien
à Miltiadc, qui, seul des Grecs, avait pris le parti des Scythes
contre les Perses, et l'on peut supposer que l'orfèvre ait voulu
représenter le héros athénien. Le vase d'argent aux reliefs
dorés serait, ainsi que le goryte, décoré de scènes plus récentes
et oii joueraient un rôle les fils de Leucon, Spartacos II et Pai-
risadès I", qui régnèrent ensemble de 349 à 343, mais dont le
second survécut à son frère. Le tertre de Solokha étant préci-
sément formé de deux tombes royales analogues et successives,
il semble indiqué d'y chercher la sépulture des deux rois.
Nous croyons apercevoir que, sous Leucon, les Sindes furent
définitivement soumis par les Scythes : ce ne put être qu'après
une expédition semblable à celle que nous voyons représentée
sur le goryte, où déjeunes chefs barbares (sans doute les futurs
rois, alors simples princes royaux) luttent contre des Barbares,
de type un peu différent. Sur le vase d'argent, deux cavaliers
combattent, l'un une lionne cornue, l'autre un lion qui a brisé
un javelot entre ses dents : on peut y reconnaître encore les
fils de Leucon combattant contre Panticapée et Théodosia; car
les monstres symboliques reparaissent, à peu près les mêmes,
sur les monnaies de ces deux villes. Reste une phiale d'or de
travail très probablement attique, qui serait antérieure et de la
fin du v^ siècle. Elle porte l'inscription énigmatique eT^euGépta
"EpfjLwv 'AvTt.o-8£vet., que M. Svoronos rapporte à Hermon le péri-
polarque, qui commandait à Munychie lors de l'assassinat de
(1) Journ. int. cfarch. numism., XVII (1915), p. 3-49, pi. I-IV, fig. 1-6.
BULLETIN ARCHÉOLOGIQUE 203
Phrynichos en 411 : le tyrannicide inconnu aurait été Anlis-
thène, en Flionneur duquel son chef aurait fait exécuter cet
ex-voto. La présence de la coupe dans la Russie méridionale
s'expliquerait par la dette qu'Athènes devait payer aux fils de
Leucon et qu'elle put acquitter par un riche envoi d'orfèvrerie.
Reliefs alexandrins. — Le musée d'Athènes renferme un
certain nombre de lamelles d'ivoire (1), courbes ou planes, qui
servaient de revêtement à des coffrets et qui proviennent
d'Alexandrie, où des objets de ce genre ont été découverts en
grand nombre. Les reliefs qui décorent ces plaquettes sont de
style assez médiocre ; mais ces petits monuments ne sont pas
sans importance, à cause de l'influence indéniable qu'ils ont
exercée sur les débuts de l'art byzantin. C'est pourquoi, en
attendant l'étude d'ensemble qui sera sans doute quelque jour
consacrée à cette série lardive, il faut remercier M. Xyngopou-
los de nous faire connaître les exemplaires d'Athènes. Les
Néréides, les Ménades et les Bacchantes (?) qu'on y retrouve
sont parmi les motifs les plus usuels qui décorent ces plaques
d'applique.
Empreintes ptolémaïqiies. — Nous savons que les rouleaux
de papyrus étaient souvent fermés et scellés au moyen de sim-
ples cachets d'argile. Il est dès lors probable que telle avait été
jadis la destination de trois cent trente empreintes de ce type
qu'on vient de découvrir à Edfou et qui sont entrées au musée
d'Ontario. Si mal conservées qu'elles soient pour la plupart,
elles méritent d'être étudiées ; car on y retrouve — en dehors des
inscriptions hiéroglyphiques, de quelques motifs de genre et
des types divins grecs ou gréco-égyptiens — un certain nombre
de portraits royaux qui devaient servir de marque authentique
aux pièces administratives. Le malheur est qu'ils sont difficiles
à identifier, les Ptolémées qui succédèrent à Philométor nous
(1) 'EcpTitx. 'ApxaioTv., 1915, p. 138-145, fig. 1-10.
204 A. DE RIDDER
étant très mal connus. M. Milne (1) reconnaît, sous toute
réserve, Soter I", Philadelphe, Soter II, Evergète II, Alexan-
dre I" et Cléopâtre II.
Perles de verre. — Les perles de verre décorées d'ornements
en forme d'œil se rencontrent depuis la XVIIP dynastie jusqu'à
l'époque médiévale; mais, si leur apparition fréquente dans
les sépultures antiques semble les destiner à servir de surs
indices chronologiques, on ne peut guère, dans la pratique,
recourir à ce critérium, car rien n'est plus malaisé que de dater
ces petits monuments, et les mômes procédés de fabrication s'y
répètent à des milliers d'années de distance. Pour prendre un
exemple, M. Gustave Eisen, qui vient de faire une étude spé-
ciale de ces grains de collier, reconnaît que les yeux en spirale,
très en faveur sous la XIX^ dynastie, disparaissent aussitôt après
pour ne plus se rencontrer qu'aux environs de l'an 300 de
notre ère. Malgré ce qu'ont d'inquiétant et de déconcertant les
constatations de ce savant, nous devons lui être reconnaissant
de l'examen minutieux auquel il s'est livré et qui lui a permis
de distinguer, d'une manière plus précise qu'on ne l'avait fait
avant lui, la technique de ces perles de verre (2). — Un
second article du même auteur est consacré aux verres
soufflés (3). On ne croit plus aujourd'hui que l'invention de
ce procédé soit très ancienne,' et M. Eisen ne l'attribue qu'à
l'époque ptolémaïque, tandis que d'autres la font même des-
cendre jusqu'à l'ère impériale ; mais il reste à expliquer com-
ment et pourquoi on abandonna la technique ancienne des
verres coulés, et je ne puis sur ce point que renvoyer le
lecteur aux explications très spéciales que donne l'auteur sur
les deux stades qui se seraient succédé dans l'élaboration du
nouveau procédé industriel. La difficulté pour les verriers
était d'adapter aux produits obtenus avec la canne à souffler
(1) Journ. Hell. Stud., XXXVI (1916), p. 87-101, pi. IV-V.
(2) Amer. Journ. arch., XX (1916), p. 1-27, pi. I, fig. 1-19,
(3) Ihid,, p. 134-143,
BULLETIN ARCEÎÉOLOGIQUE 20S
rornementation qui était d'usage courant dans la technique
ancienne, telle que les spirales, les chevrons et les accolades
multicolores, si fréquentes sur les vases à parfums, d'où beau-
coup d'essais imparfaits qui proviennent de cette époque de
transition et qui en portent la marque.
Mosaïque de Carthage. — Les jeux du cirque ne sont repré-
sentés d'une manière tout à fait claire et distincte que sur un
assez petit nombre de monuments. D'où l'intérêt que présente
pour nous (1) une mosaïque récemment découverte à Carthage
sur la colline de l'Odéon. La vignette n'en laisse guère appa-
raître que la silhouette; mais M. L. A. Constans nous en donne
une description minutieuse et précise. Il y reconnaît l'emploi
du vélum et distingue deux petits temples aux abords du cir-
que : l'édifice hexagone de la spina serait une de ces falae dont
Servius et Nonius donnent des définitions contradictoires.
Quatre chars paraissent dans l'arène, dont l'un, celui qui porte
le vainqueur, tourne en sens inverse des trois autres.
A. De RiDDER.
(1) Rev. arch., 1916, I, p. 247-259, fig. 1.
COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
La Revue rend compte, à cette place, de tous les ouvrages relatifs aux
études helléniques ou à la Grèce moderne, dont un exemplaire sera
adressé au bureau de la. Rédaction, chez M. Leroux^ éditeur, 28, rue
Bonaparte.
Les ouvrages dont les auteurs font hommage à V Association pour
V encouragement des Études grecques ne seront analysés dans cette
bibliographie que s'il en est envoyé deux exemplaires, l'un devant
rester à la Bibliothèque de V Association, et l'autre devant être remis à
V auteur du compte rendu.
1. James Tiirney ALLEN. Greek acting
in the fiflli Century (Extr. des Uni-
versity of Califoriiia puhlicatioiis in
Classical philology, vol. 2, n» 15,
pp. 219 289). Berkeley, University of
California Press, 1916.
M. A. constate que la conception
traditionnelle de la mise en scène dans
le théâtre grec de Tépoque classique a
été profondément modifiée par les dé-
couvertes archéologiques. Le théâtre,
au ve siècle, n'a pas de scène suréle-
vée (Dôrpfeldy ; les brodequins à se-
melle épaisse n'apparaissent qu'à
l'époque romaine (Smith, Bieber,
Kôrte) ;le costume tragique, loin d'être
somptueux et embarrassant, laisse
toute liberté aux mouvements de lac-
teur ; enfin l'énorme masque en usage
au temps de Lucien est inconnu au
v« siècle. La conclusion de M. A. est
que la représentation des drames d'Es-
chyle et de Sophocle n'avait nulle-
ment le caractère d'idéalisation con-
ventionnelle {slupidly conventional)
qu'on lui prête d'ordinaire. Elle ne vi-
sait pas à donner l'impression d'un
monde surhumain, majestueux et un
peu figé ; les acteurs et le chœur, se
mêlant dans un décor d'une simplicité
presque rudimentaire, avaient le jeu
vif et libre qu'on pouvait attendre
d'une race aussi mobile et vibrante
que Tétaieiit les Grecs; ils donnaient
une représentation réaliste de la vie
ordinaire.
Cette petite dissertation tranche, on
le voit, assez cavalièrement des ques-
tions fort complexes et parfois incer-
taines, quoi qu'en dise son auteur.
M. A. paraît oublier notamment que
tout est stylisé dans l'art grec clas-
sique, qui n'est pas une copie de la
réalité concrète (Meillet), et en outre
que les origines religieuses du drame
COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
207
ont exercé leur influence non seule-
ment sur l'esprit des œuvres, mais
sur le détail de la mise en scène.
L. Mkridier.
2. Henri ALIANE. Histoire du (exle de
Platon. Bibliothèque de TÉcole des
Hautes-Études, Sciences historiques
et philologiques, fasc. 218. Paris,
Ed. Champion, 1915; in-8°, ii-325 p.
Le savant et très utile ouvrage que,
tandis qu'il est aux armées, M. AUine
oBre au public des hellénistes et des
amis de Platon est le remaniement
d'un mémoire que l'Académie des In-
scriptions et Belles-Lettres avait cou-
ronné en 1913 (prix extraordinaire
Bordin). Le titre en indique claire-
ment l'objet : ce n'est pas assez, en effet,
de décrire et d'énumérer les matériaux
dont l'ensemble a formé notre texte de
Platon, il faut faire comprendre com-
ment cet ensemble s'est peu à peu
constitué ; il faut « restituer l'activité
de ceux qui conservèrent, transcrivi-
rent, éditèrent et lurent le texte de
Platon » {avant-propos, 1). Nombreux
sont les facteurs de cette histoire, fac-
teurs techniques, facteurs intellec-
tuels, et les vicissitudes du texte de
Platon ne sont intelligibles que ratta-
chées à l'histoire générale du livre,
à celle de la philologie, enfin à
l'historien du Platonisme et des étu-
des grecques en général. Rien de plus
passionnant que de suivre ainsi, dans
ses moments successifs, la transmis-
sion de la plus belle pensée antique,
de celle aussi dont les œuvres, par un
trop rare privilège, se sont seules in-
tégralement conservées jusqu'à nous.
Le premier problème que rencontre
l'historien du texte de Platon, c'gst de
savoir quel a été le r^le de Platon lui-
même et celui de l'Académie dans la
publication des dialogues (ch. i). Il est
peu vraisemblable, selon M. A. (p. 3,
n. 3), que Platon ait rien publié du vi-
vant de Socrate : les petits dialogues de
sa jeunesse sont lus seulement devant
des amis; peut-être ceux-ci sont-ils
autorisés à en prendre copie; mais il
ne peut être question alors que de co-
pies privées. Il en est sans doute en-
core de même,, et les copies ne dépas-
sent pas les limites du cénacle socra-
tique, quand, après la mort du Maître
et la dispersion de l'École, Platon en-
treprend de glorifier la mémoire de So-
crate. Mais, lorsqu'il se fut installé à
Athènes et fut à son tour devenu chef
d'école, il n'est pas impossible qu'il
ait fait exécuter, pour le public, des
copies sous sa direction ; qu'il ait
édité, en outre de ses œuvres nouvel-
les, les œuvres anciennes non pu-
bliées; qu'il ait même, devant le suc-
cès croissant de ses livres, abandonné
aux libraires le soin de les reproduire.
Dès lors, inévitablement, à côté des
bons exemplaires, des copies fautives
ont dû déjà circuler (3-7). Ainsi, en
dehors pourtant de certains [Sophiste,
Parménide), qui étaient des u-jrojxvfijiaTa
destinés aux seuls élèves de l'École
(8 sq.), les dialogues se répandaient
dans toute la Grèce, et jusqu'en Sicile
(probablement par l'entremise d'Her-
modore de Syracuse [13]). De l'examen
des témoignages antiques (Aulu-Gelle et
l'Anti-atticiste) relatifs à une division
ancienne de la République en six li-
vres, de la considération des projets
tétralogiques de Platon (p. ex. Théétète,
Sophiste, Politique, Philosophe), qui
n'ont abouti qu'à des trilogies. M. A.
essaie d'induire une hypothèse sur la
constitution de ces éditions partielles :
d'une part, il pense qu'aucune division
en livres, quelle qu'elle soit n'est con-
temporaine de Platon, mais que, d'au-
tre part, celui-ci a bien pu réunir cer-
tains dialogues dans l'ordre où il vou-
lait qu'on les lût (14-20). Il examine
ensuite la question des brouillons de
Platon (20-26), moins intéressante à
propos de ces prétendues rédactions
différentes qui auraient subsisté du
début de la République ou de celui du
Théétéle, qu'elle ne l'est à propos de
208
COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
la publication posthume des Lois par
Philippe d'Oponte. Toutefois le rôle de
l'Académie dans la publication et la
diffusion des œuvres du maître n'est pas
du tout celui qu'a cru Grote : s'il y
avait eu, en effet, une édition académi-
que définitivement constituée, aussitôt
après la mort de Platon et au moyen
de ses manuscrits soi-disant conservés
dans l'École, le travail critique ulté-
rieur des Alexandrins se comprendrait
difficilement (27-34).
Comment devons-nous donc nous
représenter le travail des premières
générations académiques dans la con-
stitution du corpus platonicien (ch. ii)?
Il s'attache principalement à la con-
servation de l'enseignement oral (ré-
dactions des aypa'xia Soyfxaxa, des Siat-
pÉTstç), à l'étude du Timée, qui fait
autorité pour toute une partie du sys-
tème, non traitée par Platon dans ses
leçons (34 sq. 63; cf. 9, n. 3). Des dis-
ciples s'appliquent à continuer l'œuvre
du maître dans son esprit, et c'est
ainsi que dès cette époque, sans la
moindre intention frauduleuse, quel-
ques apocryphes comme VÉpinomis
(œuvre de Philippe d'Oponte), le Mi-
nos, quelques-unes des Lettres, ont pu
se joindre à l'œuvre de Platon. Parmi
les autres apocryphes postérieurs,
plusieurs ont bénéficié pareillement
de ce fait qu'ils défendaient contre les
écoles rivales la pensée de l'Académie
(36-45; cf. 117-119). A mesure que le
souvenir de l'enseignement oral du
Maître s'effaçait, on sentit davantage
le besoin de s'appuyer sur son œuvre
écrite. C'est ainsi que se fit sentir la
nécessité d'une édition académique
générale. A quelle époque ? M. A. con-
jecture, en se fondant sur une indica-
tion d'Antigone de Caryste (D. L. III,
66), que ce fut à peu près du temps
de l'arrivée de Zenon à Athènes (314),
vers la fin du scolarcat de Xénocrate.
Divers indices (le goût de Xénocrate
pour les divisions tripartites, l'op-
position déjà classique de certaines
dénominations caractéristiques) lui
donnent à penser que cette édition
comportait déjà, au moins partiel-
lement, le classement trilogique et
la détermination du caractère de cha-
que dialogue. Les titres, quelques
sous-titres, sont aussi déjà fixés (45-
56). Quel est alors l'état du texte?
Satisfaisant, sans plus. On n'a pas
gardé d'autographes de Platon (cf.
31 sq.), et, d'autre part, les causes
d'altération se sont multipliées : la
rapide dégradation des papyrus (cf. 18,
35 sq.) oblige à des transcriptions fré-
quentes, et il faut parfois combler des
lacunes ; l'écriture des livres, sans
séparation entre les mots, sans ponc-
tuation, sans accents, expose les co-
pistes à des erreurs de lecture ; des
gloses marginales sont interpolées ;
l'évolution même de la langue conduit
à de maladroites corrections (bon
exemple pour le duel, p. 61 ; mais il
faut lire Théét. 158 b). On ne devait
donc pas tarder à comprendre l'utilité
d'une critique du texte. Peut-être
même cette critique commença-t-elle
avec celui qui passe pour avoir été le
premier exégète de Platon, Crantor,
deuxième scolarque de l'Académie
après Xénocrate (56-64; cf. aussi 77
et 80).
Avant de parler de ce travail critique
(ch. m), il faut, grâce à ces papyrus
égyptiens découverts en 1889 et 1890
par Flinders Pétrie et sur lesquels se
lisent des morceaux du Lâchés et du
Phédon, se rendre compte de ce qu'était,
au début du m^ siècle, le texte des
exemplaires les plus ordinaires. Ces
papyrus sont donc d'un grand intérêt
historique. M. A. fait du texte qu'ils nous
donnent un examen judicieux qt impar-
tial (ce qui n'est pas toujours arrivé),
mais dans le détail duquel il nous
est malheureusement impossible de le
suivre ici (65-78). Ce qui a rendu pos-
sible la préparation d'une édition cri-
tique, c'est le développement général
de la critique des textes pendant la
période hellénistique, à Pergame (prin-
cipalement, pour Platon, avec Pané-
COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
209
tius au ne siècle), à Antioche, à Rhodes
(av6c Posidonius au i*"" s. ; cf. aussi
105), mais surtout à Alexandrie, avec
rélève et le successeur d'Eratosthène
qui fut lui-même platonisaut, Tillustre
Aristophane de Byzance (vers 2S7-180).
Sa classification trilogique, bien con-
nue, de quinze dialogues (voir le ta-
bleau p. 51), les autres demeurant
xa6' ëv xai ixaxxw; accompagnait-elle
une édition complète de Platon? Pour
le croire, M. A. se fonde sur ce fait que
Diogène Laërce, un peu après qu il a
parlé de la classification trilogique
d'Aristophanç, mentionne (111, 65) l'ap-
plication au texte de Platon (application
confirmée par le témoignage, vraisem-
blablement indépendant, de VAiiecdo-
tum Cavense, xi^ ou xu^ siècle, publié
par Reitïenschied Rh. Mus., 1868) de
ces signes critiques, dont Finvention
est due aux philologues alexandrins
(80-87) : Tobélos, la diplè (se. y(ia[jL|j.ri)
et le y, pointés ou non, Tantisigma
pointé, l'astérisque, le Kéraunion. M. A.
décrit ces signes, dont certains ont
passé dans quelques-uns de nos plus
anciens mss. (cf. 187,2); il en expli-
que l'usage, en fait l'histoire avant et
après Aristophane. 11 est probable en
outre qu'une introduction synthétisait
les divers ordres d'observations aux-
quels ils se rapportaient, observations
philosophiques, littéraires, philologi-
ques ou enfin proprement critiques et
relatives à des passages faussement
suspectés ou méritant au contraire de
l'être (87-93). Dans son travail d'éditeur
Aristophane parait avoir montré beau-
coup de prudence et un grand respect
de la tradition, préférant par exemple
admettre quelques apocryphes plutôt
que de rien faire d'irréparable (93-97 ;
cf. 41) ; conservant le groupement tri-
logique, dont une préoccupation bio-
graphique expliquerait bien les singu-
larités (par ex. pour le Tfiéétète placé à
côté de YEuthypIiron et de V Apologie,
et non pas avec le Sophiste et le Poli-
tique)-, retenant. enfin le principe du
classement par caractères (97-99). Les
rouleaux sont devenus plus uniformes
et moins étendus, d'où la possibilité,
avec cette édition, d'une division fixe
des grands dialogues [Rép, et Lois)', des
divisions slichométriques sont intro-
duites, dont quelques vestiges ont
subsisté dans deux de nos mss. (cf.
108, 4); la ponctuation, les accents
rendent la lecture plus facile. Toutefois
cette édition savante, bien qu'elle ait
dû inspirer des éditions de vulgarisa-
tion ou des éditions scolaires, ne réus-
sit pas, semble-t-il, à faire disparaître
les mauvaises éditions à bon marché,
puisque nous voyons un lettré comme
Denys d'Halicarnasse citer le Ménéxène
d'après un texte misérablement fautif
(99-103).
Le ch. IV, après avoir rappelé la
décadence des études critiques à
Alexandrie, la destruction de la Biblio-
thèque dans l'incendie de 47, la diffu-
sion du Platonisme dans le monde
romain grâce à Panétius et à Posi-
donius, nous conduit jusqu'à l'appari-
tion d'une nouvelle édition, l'édition
d'Atticus.. C'est bien T. Pomponius
Atticus, l'ami de Cicéron, qui en fut le
libraire. Mais ce n'est pas, contraire-
ment à l'opinion d'Usener, la première
bonne édition de Platon, et M. A. ne
croit pas non plus que la translation à
Rome de la bibliothèque d'Aristote
l'ait rendue possible. Cette édition atti-
cienne a dû être seulement une adap-
tation, matériellement très soignée,
de la grande édition alexandrine (106-
112). Comme il semble résulter d'un
texte de Varron [de ling. lat., VII, 37)
que les dialogues y étaient groupés en
tétralogies et que, d'autre part, Albinus
[Prologos, ch. 4, p. 149 Herm.) attribue
ce mode de classement à Dercyllidès
en même temps qu'à Thrasylle (tableau,
p. 114), M. A. en infère que Dercyllidès
est le véritable auteur de cette édition,
dont l'autorité ne tarda pas à devenir
considérable et à laquelle (108) se rat-
tacherait l'archétype de nos mss.
médiévaux. Parmi les remarques inté-
ressantes que présente M. A. au sujet
210
COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
du croisement de plusieurs principes
distincts dans le classement tétralogi-
que, il faut noter spécialement, en tant
qu'elles lui paraissent propres à déce-
ler la main d'un Académicien néopy-
thagorisant tel qu'était Dercyllidès,
celles qui se rapportent à la constitu-
tion d'une ennéade mystique de tétra-
logies et à la juxtaposition aux dialo-
gues authentiques d'apocryphes issus
de r Académie (112-119; cf. 41-43).
Quoi qu'il en soit, cette classification,
reprise parThrasylle (sous Tibère), s'est
imposée même à ceux qui la criti-
quaient, et elle s'est perpétuée dans
nos mss. Ceux-ci se rattachent encore
au catalogue de Thrasylle par leurs
sous-titres (en dépit de quelques diver-
gences, peu surprenantes d'ailleurs)
(124-129 ; cf. 55) et par ces épitliètes [rfii-
xôç, )voy'.%ôî, etc.) au moyen desquelles
les professeurs expriniaient le caractère
du dialogue et, par suite, la place qu'il
devait tenir dans une culture philoso-
phique rationnelle (129-134). L'intérôt
qu'excite alors l'œuvre de Platon se
révèle encore par l'importance toujours
croissanle de la tradition indirecte :
réminiscences, traductions etimltations
(p. ex. chez Cicéron ou chez les écri-
vains atticistes du ii« siècle, comme
Lucien, cf. 141), citations, extraits dans
les traités des rhéteurs (134-137), lem-
mes des commentaires philosophiques,
surtout au h" s. ap. J.-C. (137-141),
travaux des lexicographes (141-143).
Non moins précieux pour l'histoire du
texte sont les excellents papyrus du
iic et du me siècles (notamment por-
tions importantes du Phèdre et com-
mentaire anonyme du Théétète) trouvés
à Oxyrhynchus, et qui témoignent
d'une tendance de la tradition antique
à s'uniformiser (143-146). M. A. pour-
suit ensuite l'étude de la tradition
indirecte chez les érudits ou les sty-
listes chrétiens du m* et du iv^ siècles,
chez les philosophes néoplatoniciens et
les commentateurs d'Aristote, du iii^ au
vie siècle, chez les faiseurs d'antholo-
gies et les compilateurs (146-148). Leurs
citations nous renseignent sur l'état
du texte à un moment capital de son
histoire, quand, au iv* siècle, on a
commencé d'abandonner l'incommode
rouleau de papyrus pour les livres de
parchemin et que bientôt, en raison de
la cherté du parchemin, s'établit l'usage
du palimpseste ; un palimpseste du
ve siècle nous a conservé un commen-
taire néoplatonicien du Parménide,
avec ses lemmes (149 sq.). Toutefois
citations, lemmes, et surtout traduc-
tions, ne doivent être utilisés que
selon les règles d'une méthode critique
très prudente et très rigoureuse, qui
relativement aux citations compor-
terait un classement par familles
comme pour les mss. (150-157). De la
tradition qu'on peut ainsi dégager des
papyrus et des citations, ce sont les
mss. de la 2« famille (A, Paris. 1807, et
T, Venet. app. cl. 4, 1) qui se rappro-
chent le plus. Mais il n'y a pas encore
de vulgate constituée (157-159 ; cf. 145).
Cependant, en dépit de l'indifférence
critique des commentateurs néoplato-
niciens (Longin excepté) — car toutes
les leçons sollicitent également ces
virtuoses de l'exégèse — l'habitude
s'impose graduellement de diviser,
pour l'explication, le texte en xwT^a,
d'en fixer par suite la ponctuation, et
enfin d'établir un texte scolaire uni-
forme : on tend donc vers l'établisse-
sement d'une vulgate, tandis que d'au-
tre part la publication sur parchemin,
permettant la réunion en un seul
volume d'un plus grand nombre de
dialogues, favorisait la constitution de
recueils complets des œuvres de Pla-
ton (160-173).
Comment s'est fait le passage de la
tradition antique à la tradition médié-
vale (ch. v)? Un problème se pose tout
d'abord : y a-t-il un archétype com-
mun de tous nos manuscrits? « L'ar-
chétype a réellement existé, écrit M. A.
(176), si l'unité de notre tradition est
réelle et spécifique. Elle est réelle et
spécifique, si nous constatons des par-
ticularités communes à tous nos ma-
COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
211
niiscrits et à eux seuls et si cette coui-
munauté ne peut s'expliquer par Tac-
tion du iiasard ». Or une analyse très
serrée et très précise conduit Fauteur
à vérifier cette iiypotiièse : il y a bien
une unité dans la. tradition médiévale
(174-183). D'autre part, puisque la com-
paraison avec les papyrus oxyhynchi-
tes et avec les citations nous permet de
faire remonter jusqu'à l'antiquité les
plus notables divergences de nos ma-
nuscrits, puisque ceux-ci portent des
variantes, et les mêmes dans des ma-
nuscrits de familles ditférentes, puis-
qu'on y trouve, avec des vestiges de la
notation critique et stichométrique des
Alexandrins, quelques scholies an-
ciennes (183-188, et plus loin), on
peut conjecturer que l'archétype était
un bon exemplaire d'érudit, où il y
avait au moins tout cela. Certaines in-
dications de nos manuscrits montrent
qu'il comprenait deux tomes, écrits
sur deux colonnes ; et divers indices
autorisent à le dater au plus tôt de la
fin du vie siècle. Jl se rapprocherait
assez bien des exemplaires néoplatoni-
ciens, dont il ditférerait pourtant par
ses. apocryphes. Enfin la substitution
de -x. Trpoas'j/'î\c;, expression propre à la
langue ecclésiastique dans le sens de
prière, au sous-titre ic. £Ôy-f|î pour le
2'i Alcibiade trahirait la main d'un de
ces érudits chrétiens qui ne répudiaient
entièrement ni la culture païenne, ni
le néoplatonisme (188-198 ; cf. 104 sq.,
146), Or, après une période de demi-
obscurité qui dure trois siècles (529,
fermeture de l'Ecole d'Athènes) et pen-
dant laquelle la culture grecque et le
Platonisme gagnent au contraire du ter-
rain en Perse, chez les Syriens, chez
les Arabes (198-282), une renaissance
s'était produite au ix^ siècle à Gonstan-
tinople, sous l'influence principalement
du patriarche Photius, fondateur d'un
véritable « séminaire philologique »
dont il est le « directeur d'études » (cf.
277). Les leçons que nos manuscrits
(entre autres le Vaticanus 0, qui est du
xe siècle) nous donnent comme prove-
nant du liore du palriarche et que l'on
retrouve toutes dans notre Parisinus
1807, A, autorisent à penser que c'est
à la récension faite par Photius sur
son exemplaire que se rattache cet im-
portant manuscrit (202-209), œuvre très
soignée (on connaît la belle reproduc-
tion phototypique que M. Omont en a
donnée chez Leroux) et dont la date
peut être fixée à la seconde moitié du
ix<' siècle. Il tient (avec le Venelus T,
qui est de la fin du xi« siècle ou du
début du xii«) la tête de la 2^ famille de
nos manuscrits (210-217,. Le manuscrit
qui, dans la l^e famille (217-226J occupe
la même place, c'est le Bodleianus (B),
de la bibliothèque d'Oxford, appelé
aussi Clurkianus du nom du minéralo-
giste Clarke qui le découvrit et l'acheta
à Patmos en 1801 (cf. 200, 3 ; 221, 2), exé-
cuté en 895 par Jean le Galligraphe
pour le compte d'Aréthas, diacre de
Patras. L'antlplatonisme ardent (cf.
250 sq.) de scholies qui|»araissent être
de la main de celui-ci révéleraient en
lui un disciple du patiiarche (cf. 204
sq.). Quoi qu'il en soit, dans un autre
groupe de la même famille, dominé par
le Vindobonensis 21, Y (qui est du
xivc siècle, mais suppose une plus an-
cienne tradition), on trouve des scholies
inspirées du même esprit et les traces
d'une récension due à un élève avéré
de Photius, Léon le Philosophe (226-
235). Une tradition autonome est repré-
sentée par les deux groupes de la
3e famille, dominés, le premier (222-
242) et le plus important, par le Vin-
dobon. 54, W, peut-être du xu^ siècle,
l'autre (242-244) par le Vindohon. 55, F.
Les indications que donne M. A. sur
l'âge de ces manuscrits, sur leur état,
sur leur contenu, leurs particularités
diverses, sur ce qu'on sait de leur his-
toire sont malheureusement impossibles
à résumer. La conclusion de son étude
sur la tradition manuscrite, c'est en
somme que, à la fin du ix* siècle ou au
début du x% nos meilleurs exemplaires
de Platon sont écrits, et déjà effectuées
les recensions savantes auxquelles se
212
COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
rattachent nos deux premières fa-
milles ; que les copies qui donnent
naissance à la 3^ famille sont venues
un peu plus tard ; enfin que tout ce
travail philologique a subi fortement
rintluence de Photius (244 sq.).
« Dans certains cas, dit M. A. (245),
l'histoire des marges peut éclairer sin-
gulièrement l'histoire du texte. » L'ob-
jet du ch. VI sera donc d'étudier les
scholies marginales et d'essayer de dis-
cerner les couches successives dont
elles sont constituées. Cette recherche
(dans laquelle l'auteur a pris pour
guide le travail de L. Gohn dans le
-/5« Suppl. des Fleckheisen's JahrbASSi,
p. ni) est nécessairement délicate, elle
exige de minutieuses et subtiles ana-
lyses : relatives d'abord au Bodleianus,
parce que les mains diverses s'y
laissent plus facilement distinguer et
qu'on peut ainsi remonter à un en-
semble, sans doute assez mince, de
scholies exactementcontemporaines du
manuscrit (247-257), ces analyses
portent ensuite sur la masse, beaucoup
plus considérable, des scholies des
autres manuscrits. Elles montrent
qu'un travail très important d'annota-
tion a été accompli au ix« siècle, en-
core sous l'influence de Photius ; que
ce travail a recouvert les quelques
scholies antiques encore subsistantes;
qu'il n'a cessé de s'accroître dans la
suite par les soins des Byzantins; que
la conservation des scholies antiques,
dont quelques unes remontent au
iv« siècle, est due surtout à l'œuvre des
lexicographes (257-274, 278-280). Le
fait que toute une catégorie de scho-
lies fait défaut dans le Bodl. ne doit
pas être interprété contre l'existence
de l'archétype (274-276, 252-255). Au
reste, dans le Bodl. et dans les autres
manuscrits, les caractères du travail
d'annotation du ix« siècle sont très dif-
férents : là, travail tout individuel d'un
homme que certaines choses seules
intéressent; ici, travail collectif, beau-
coup plus étendu, de dépouillement et
de compilation (276-278).
Le dernier chapitre traite de la réac-
tion byzantine en faveur de Platon à
laquelle travailla au xi^ siècle avec une
ardeur enthousiaste, bien que dans un
esprit d'apologétique chrétienne passa-
blement équivoque, Constantin Psel-
lus ; de la portée considérable de cette
renaissance (281-284) ; du réveil ana-
logue qui se produisit au xiP siècle
dans l'Italie méridionale (284-286); des
manuscrits secondaires que nous de-
vons aux lettrés byzantins, entre le x"
et le xii« siècle (286-290) ; puis des
etforts qui, dès le xii« siècle, mais
surtout au xiv^, se manifestent dans
les pays latins pour s'initier à la cul-
ture grecque, avec une tendance mar-
quée à chercherdans Platon les moyens
de lutter contre la tyrannie de la
scolastique aristotélicienne : Boccace
et Pétrarque ont beaucoup fait dans ce
sens, et le premier ms. que celui-ci se
procure est un Platon. A la fin du
xiv" siècle et au commencement du xv«,
on se met, à Florence d'abord, puis
dans toute l'Italie, à étudier le grec
sous la direction de professeurs venus
de Byzance, et en même temps on
traduit en latin quelques dialogues de
Platon (290-295). D'autre part, on col-
lectionne avec zèle les manuscrits : en
1423, Giovanni Aurispa apporte de
Byzance 238 volumes, dont un Platon.
De nombreuses copies sont exécutées,
surtout quand les Grecs, après la
prise de Constantinople, commencent
d'affluer en Italie, et plusieurs de nos
manuscrits secondaires datent de cette
époque (296-299; 304-308). Enfin le
patronage accordé par Laurent le Ma-
gnifique à l'Académie platonicienne de
Florence fondée par Cosme de Médicis,
l'adresse diplomatique avec laquelle
Bessarion sert la cause du platonisme
dans la grande querelle soutenue par
Georges Géiniste Pléthon et ses parti-
sans contre les Aristotéliciens, tout
cela contribue à favoriser la recherche
et la conservation des manuscrits de
Platon, l'étude et la diffusion de sa
philosophie, à rendre possible enfin la
COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
213
magnifique traduction de Marsile Ficin,
dont la publication, en 1482, marque un
moment capital dans l'histoire du Pla-
tonisme (299-303). Avec la Renaissance
française le texte de Platon va bénéfi-
cier d'une faveur semblable à celle qu'il
a trouvée dans la Renaissance ita-
lienne : on recherche les exemplaires,
on fait des copies et des traductions
(303 sq.). Il faut reconnaître toutefois
que ce grand mouvement platonicien,
en multipliant les croisements de ma-
nuscrits, a contribué à en rendre le
classement par familles très hasardeux
pour ceux qui sont postérieurs à la
grande renaissance byzantine : il faut
se contenter alors de ressemblances
partielles, mais significatives. AI. A.
expose avec précision quels indices
externes et internes permettent d'abord
d'établir des groupes, puis, dans ces
groupes, de déterminer un ordre de
filiation, sans oublier que cette relation
des manuscrits varie suivant les dia-
logues et qu'elle ne vaut pas uniformé-
ment pour l'œuvre entière. 11 en donne
pour exemple un classement des ma-
nuscrits du Phèdre, fondé sur l'étude
de 52 manuscrits, dont 5 ont été éli-
minés comme insignifiants et 16 comme
ne représentant aucune tradition pure
(308-315). Le chapitre se termine par
une revue historique et critique des édi-
tions imprimées, depuis celles d'Aide
Manuce, Venise 1513, de Valder, Bâle
1534, d'Henri Estienne, 1578, jusqu'à
celle de M. Burnet; elle signale ce que
Ton sait des manuscrits utilisés par
les anciens éditeurs, le progrès consi-
dérable réalisé par les collations de
Bekker et, de nos jours, par les tra-
vaux de Schanz et de Krâl (315-319).
En résumé, l'histoire du texte de
Platon est intimement liée à l'histoire
du Platonisme et de l'Hellénisme en
général; elle révèle la continuité inin-
terrompue de la tradition platoni-
cienne, l'étroite liaison qui unit à la
forme la plus pure de la tradition an-
tique notre tradition médiévale et, par
suite, la confiance que celle-ci mérite,
HEG, XXX, 1917, n" 137.
pourvu qu'elle soit interrogée avec
méthode (319 sq.). — Un appendice
est consacré aux sigles dont se sont
servis les divers éditeurs pour désigner
les manuscrits : un tableau commode
les rassemble et indique ceux dont
M. A. souhaiterait l'unanime accepta-
tion (321-323).
Ce long compte rendu ne donne
qu'une idée bien imparfaite de l'extrême
richesse du livre; on a cherché du
moins à faire comprendre quel en est
l'intérêt et quelle en doit être l'utilité
pour tous ceux qui s'intéressent, à
quelque titre que ce soit, aux études
platoniciennes. Cet ouvrage, en effet,
dégage et synthétise, pour leur plus
grand profit, les résultats d'une foule
do livres et de dissertations, et il té-
moigne à chaque page d'une érudition
solide et étendue (l). Peut-être souhai-
terait-on parfois qu'à l'agrément et à
la souplesse élégante de la forme, fût
unie, en raison même de la complexité
touffue du sujet (2), une rigueur plus
grande dans la conduite de l'exposi-
tion. Peut-être se demanderait- on
encore si l'auteur ne semble pas céder
avec trop de complaisance au prestige
des nombreuses vraisemblances qu'il a
si heureusement combinées. Cette his-
toire du texte de Platon, à l'exception
d'un très petit nombre de données
positives, est une histoire, raisonnable
sans doute, mais aussi prodigieusement
conjecturale, et dans laquelle l'hypo-
thèse sert plus d'une fois de garantie à
l'hypothèse (3). Cette réserve, dont
(1) Une liste des ouvrages cités, qui sont si
nombreux, eût rendu des services.
(2) Aussi un index alpliabétiquc sera-t-il
accueilli avec reconnaissance, le jour où M. A.
aura le loisir de nous le donner.
(3) Ainsi, par exemple, les caractères que M. A.
suppose être ceux de l'édition, d'ailleurs hypo-
thétique, d'Aristophane de Bjzance dépendent
entièrement des hypothèses antérieures sur l'état
du texte et sur l'existence d'une édition xénocra-
lique. L'hypothèse de la participation de Dercyl-
lidès à une édition atticienne devient le fait de
l'édition de Dercyllidès (lia; H7, 2 fin; 129).
15
2li
COMt»TES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
l'expression même est un hommage
rendu à l'ingéniosité avec laquelle
l'auteur a mis en œuvre une somme
imposante de probabilités, ne saurait
faire méconnaître ces qualités d'ana-
lyse exacte et patiente qui s'affirment
tant de fois dans l'ouvrage de M. A,, la
netteté de vues avec laquelle il sait
poser les problèmes et déterminer la
méthode propre à les résoudre, la pers-
picacité dont il fait preuve dans la
recherche des solutions (1). En résumé,
De même, c'est cette Iiy|)ollièse qui fonde la
probabilité de la substitution, dans Diogène
Laërce, du nom de Dercyllidès à celui de
Thrasylle (123, 2). Enfin, si un homme comme
Denys d'Halicarnasse se contente d'une édition
incorrecte (103), n'est-ce pas une raison de
douter de l'existence de l'édition d'Aristophane
et. peut-être même, toutes réserves faites quant
à la question de date, de celle de Dercyllidès?
(I) Nous sommes avertis que M. A. n'a pu
corriger les épreuves. Les fautes d'impression
sont d'ailleurs légères et se rectifient d'elles-
mêmes {traduction pour tradition, 96 ; collec-
tions pour collations, 318). P. ^75, l. 4, ne
faut-il pas lire Diodore, au lieu de Tarrhaios ?
P. 302, n. 6 le ms. Laurent. 80, 17, L. de Bur-
net, est donné comme le 6 de Bekker, tandis que
le tableau p. 323 rapporte ce sigle à Stallbaum :
c'est cette dernière indication qui est exacte.
P. 150, 1. 6 d'en bas, par eux-mêmes ne se
comprend pas. — P. H, 1, la référence manque ;
celle de 57, 3 : Scholie sur les Catégories...
{14, 43), 28 A est étrange : il faut lire, je pense,
Schol. Br. 2<? a, 43 ; celles de 59, 2 à Aristole
manquent de précision. — P. 86, 1, que signifie le
renvoi ùVAppendice 1 '! L'ouvrage ne comprend
qu'un seul appendice, et il n'y est pas question
de cela. — Pourquoi n'esl-il fait que de vagues
allusions (6, 21) à l'hypothèse des doubles édi-
tions (pour le Phèdre, p. ex.), en rapport avec
le problème stylistique et la chronologie? —
J'avoue ne pas comprendre comment (jTtY|J.'>i
TeXc{a peut vouloir dire point en liaut, et
û'jrOCTTiyjJ.T,, à la fois virgule et point en bas
(102, 166), — 147, 5, Olympiodore le jeune a
commenté les Catégories et les Météorologiques
d'Aristote : c'est donc à tort qu'il est exclu du
groupe des commentateurs. — Deux mots enfin
sur les noms propres. Qu'on écrive, comme fait
M. A., Pan«itios. Posidonios, Ammonios, etc.,
soit, et l'inconséquence qui laisse en môme temps
subsister Arislote, Né/ee, Thrasylle, Philippe
ce livre fait grand honneur à la science
et au talent de son auteur.
Léon Robin.
3. Paul CLOCHÉ. La restauration dé-
mocratique à Athènes en 403 av.
J.-C. Paris, Leroux, 1913. In-S»,
xxiv-493 p.
M. Cloché a pris le soin de résumer
pour les lecteurs de cette revue le con-
tenu de son ouvrage (t. XXIX, p. 14-28).
Il a rendu ainsi la tâche du recenseur
plus facile sans doute, mais peut-être
plus ingrate.
Les événements de 403 constituent
la dernière révolution que relate Aris-
tote dans son esquisse de l'histoire
constitutionnelle d'Athènes; ils abou-
tirent à la restauration de la démo-
cratie, laquelle se maintint, sans modi-
fications sensibles, au cours du
iv siècle. Démocratie radicale, régime
de « Terreur adoucie », si Ton en croit
M. Cavaignac. M. Cloché n'en juge point
ainsi : la guerre civile de 403 se ter-
mina par un compromis fait, sous
les auspices de Pausanias de Sparte,
par les deux partis en présence, et,
tout bien considéré, les aristocrates
athéniens surent tirer fort bon parti
du nouveau régime. Assurément ils
échouèrent à fausser le principe même
de la démocratie et à réserver les droits
politiques à une classe privilégiée;
mais ils ne furent point inquiétés dans
leur possession des biens de fortune et
ils eurent part prépondérante dans
l'administration de la cité.
d'Oponte, Diogénia/^, Diogène, Laërce, etc. n'est
pas intolérable. Mais, par contre, on s'étonne
de trouver, ici Antioclufs (121, 4). là côte à côte
Simpliciws et DamasAio.y (210 ; 147; 41, 2), ou
Proclos (128) et AppelliAron (58), sans ajouter
que parfois (64) on lit DamasciMs et Proclws.
Sur cette petite question, ne pourrait-on se
mettre enfin d'accord, soit pour une réforme
radicale, soit pour la conservation d'incorrections
consacrées par l'usage ?
COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
215
Telle est la thèse, fort défendable, ce
semble, que M. Cloché s'efforce d'éta-
blir dans les deux parties de son travail.
La première partie est consacrée à la
guerre civile; elle débute, d'une ma-
nière un peu abrupte, à la prise de
Phylé par Thrasybule. 11 n'eût point été
inutile de nous retracer d'une manière
assez détaillée les faits antérieurs qui
préparèrent la crise et qui l'expliquent.
Des acteurs du drame sont qualifiés
de <« théraménistes »; mais cette appel-
lation ne nous représente rien si l'on
ne nous a point défini la doctrine poli-
tique de Théramène. La deuxième
partie gtudie la restauration démocra-
tique « au point de vue de la mise en
application de Tamnistie, des conflits
d'ordre militaire, judiciaire et politique
qui s'y rattachent »; elle tend à nous
montrer l'équité, la loyauté, le libéra-
lisme du Démos.
Il semble qu'on ne puisse toucher
aux choses de la démocratie athénienne
sans un peu de parti pris. Certes les
sympathies de M. Cloché ne l'entraînent
à nul excès de pensée ni de langage, et
c'est seulement à la dernière page de
son livre qu'il déplore la paresse et
l'engourdissement de la démocratie,
qui, « en dépit d'un passé terrible et
douloureux, reste asservie à des in-
fluences hostiles à son principe ». Mais
il faut attribuer à ces sympathies
avouées et avouables quelque subtilité
à décharger le parti démocratique
d'accusations portées contre lui. Le
Démos envoie en une mission péril-
leuse trois cents cavaliers qui avaient
servi sous les Trente. 11 estimait, selon
Xénophon, que ce serait tout bénéfice
s'ils n'en revenaient point. « Mesure
de haine », protestent d'aucuns. —
« Acte de prudence politique », répond
M. Cloché. Je n'y contredis point; mais
ne voit-il pas que les deux jugements
ne se distinguent que par la nuance
du sentiment et qu'il était vain peut-
être d'y consacrer deux pages de dis-
cussion (p. 412-414).
Au reste, l'ouvrage entier, qui a près
de cinq cents pages, est un ouvrage
de discussion. M. Cloché, de son propre
aveu, a institué une confrontation
entre les témoignages anciens et les
travaux modernes (p. iv). Cette con-
frontation se répète de chapitre en cha-
pitre et alourdit singulièrement la sé-
rieuse étude qui nous est présentée.
Les témoignages anciens sont « peu
nombreux et peu développés ». C'est
Xénophon que M. Cloché suit de pré-
férence et il en donne de plausibles
raisons. Dans son jugement sur Aris-
tote, il s'accorde à peu près avec
G. Mathieu, dont l'étude sur 1' 'AÔT.vaîwv
IIoXiTEta a paru peu après (voir ci-après
p. 230). Les travaux modernes abondent:
il aurait fallu supprimer délibérément
tous ceux qui ont été écrits avant la
publication de l'ouvrage d'Aristote. Et
surtout, il aurait fallu éliminer presque
tous les auteurs d'histoires générales,
après avoir reconnu, comme l'a fait
M. Cloché, qu'ils suivaient d'ordinaire
une vulgate, plus ou moins déformée
par des additions, des suppressions,
des enjolivements arbitraires. Mais au
contraire, M. Cloché s'est complu à en
évoquer le plus grand nombre possible
de la poussière des bibliothèques et à
polémiquer contre ces ombres vaines.
Dans une partie du dernier chapitre,
M. Cloché a traité du décret conférant
le droit de cité aux métèques qui prirent
part aux luttes de Phylé et de Munychie
(p. 459-469). Sans doute avait-il ter-
miné cette partie de son travail avant
que parût Veditio niinor des Inscrip-
tiones allicae qu'il ne cite point; mais
il ne cite pas non plus le supplément
du Recueil de Michel, publié en 1912,
et il s'attarde à disputer contre Ziebarth
dont les hypothèses reposent sur des
lectures et des restitutions défec-
tueuses. Si M. Cloché vient à traiter
d'autres sujets où il rencontre, chemin
faisant, de plus nombreux documents
épigraphiques, j'espère qu'il leur fera
un sort meilleur.
P. Roussel.
216
COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
4. Roy J. DEFERRARl. Lucians Alii-
cism. The morpholoqy of the verb.
Princeton (New-Jersey), Princeton
University Press; London, Humphrey
Milford ; Oxford University Press,
1916. In-8% ix-85 p.
L'auteur, dans cette étude qui est
une thèse de doctorat, annonce tout
d abord qu'il se propose d'examiner à
loisir la langue de Lucien dans ses
rapports avec l'atticisme; ses devan-
ciers n'ont pas, à son gré, serré d'assez
près la tradition manuscrite, seule
base de toute statistique autorisée. Il
revient donc à la charge, non sans
alléger sa matière d'une vingtaine
d'opuscules inégalement suspects. Là-
dessus déjà quelques réserves seraient
à faire, car les observations consignées
dans un trop court chapitre (le ix«) ne
comblent pas suffisamment cette lacune
de parti pris; mais le champ demeure
fort vaste encore, et M. Deferrari se
borne pour l'instant à l'examen de la
morphologie verbale, qui est assuré-
ment capitale en l'espèce.
Louons-le d'avoir su ne pas la ré-
duire à de simples divergences dans
l'orthographe : celle-ci en effet, rendue
incertaine par les probabilités d'une
recension atticiste et, au rebours, d'un
laisser-aller des copistes dans le sens
de la xotvT;, demeure chose superfi-
cielle, secondaire et, à tous égards,
fort sujette à caution. Aidé par les tra-
vaux de Jacobitz, de Fritzsche, de Som-
merbrodt, de Nilen surtout, auquel il
emprunte sa notation des manuscrits,
l'auteur passe assez vite sur la double
T, le V è'fsTvxuaxixôv, l'augment, pour
insister sur le détail des désinences
verbales et des tj'pes de conjugaison.
Fort à propos, un chapitre spécial
(le viiie) est réservé aux verbes irrégu-
liers, eIjjlî, eljxi, syo), t'T,[jLL, ôpâw et une
dizaine d'autres, on ne peut plus fré-
quemment employés, dont les sur-
vivances morphologiques semblent
échapper à toute loi pour suivre comme
au hasard les fantaisies de l'usage.
Une bibliographie précède, à laquelle
on s'étonne de voir manquer entre
autres le nom de Maurice Croiset, si
étroitement spécialisé que soit l'objet
de la thèse : il faut connaître le tem-
pérament de Lucien, sa judicieuse mo-
dération, la sûreté de son goût pour
comprendre à quel point sera malaisée
la solution, à l'aide des seuls réper-
toires de formes employées, du pro-
blème de son atticisme. Le système
chez lui était constamment tempéré
par des soucis d'ordre artistique, par
le souci de fuir à tout prix l'obscurité
et l'atfectation. Voilà qui est bien fait
pour compliquer les difficultés de la tra-
dition manuscrite et la tâche du philo-
logue; mais là précisément est l'intérêt
le plus vif de la question, qui pas-
sionne M. Deferrari après tant d'autres.
On doit souhaiter qu'il poursuive ses
recherches au delà des minuties mor-
phologiques pour arriver à la syntaxe,
singulièrement plus importante, et au
style, qui est l'essentiel. Tel qu'il est,
ce début promet beaucoup, et l'index
qui le termine en rend la consultation
facile autant que profitable.
Samuel Chabert.
5. Armand DE LATTE. Études sur la
littérature pythagoricienne. Biblio-
thèque de l'École des Hautes-Etudes.
Sciences historiques et philologi-
ques. 217^ fasc. Paris, Ed. Cham-
pion, 1915. ln-8o, 314 p.
Les divers travaux que M. D. a réu-
nis dans ce volume traitent d'un des
plus obscurs et des plus difficiles
problèmes de l'histoire de la philoso-
phie grecque.
Le premier (cf. Rev. de Philol. anc.
1910, 175 sqq.), est consacré à un
Upôi; Xôyoç pythagoricien (1-75), en vers.
M. D. essaie de le reconstituera l'aide
des fragments conservés par les bio-
graphies successives de Pythagore et
aussi à l'aide des Vers dorés. Un rapide
coup d'œil sur l'histoire de la tradition
COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
217
pythagoricienne (7 sq.) lui donne occa-
sion d'expliquer quelle a été la genèse
de son travail : les ressemblances de
l'exposition des doctrines et des pra-
tiques pythagoriciennes chez nos deux
meilleurs témoins, Aristoxène de Ta-
rente et Timée de Tauroménium, ne
s'expliquent pas par la tradition orale,
mais seulement par l'existence d'une
source commune, que décèlent et d'où
proviennent les fragments poétiques
pythagoriciens qu'on découvre dans
leurs œuvres. Voici d'abord, provenant
de Timée, cinq vers d'un poème que
les disciples de l'École récitaient sur
l'ordre du maître et qui concernent le
précepte de l'examen de conscience ;
une démonstration ingénieuse et pro-
bante y reconnaît un morceau du tepèç
làyoi dans lequel étaient réunis les
principes et les règles de la vie pytha-
goricienne. Des emprunts anaolgues
sontrévélésnotammentparla présence,
dans la prose de Diogène Laërce
quand il puise à l'histoire de Timée,
de formes ioniennes, de mots poéti-
ques et rares, de débris de vers, d'ex-
pressions imagées dont la présence ne
se comprend que si ce sont des ves-
tiges, heureusement conservés, de ce
catéchisme théorique et pratique de
l'ordre (8-15, cf. 17). D'autres vers, cités
par Jamblique et que, " par compa-
raison, M. D. croit dérivés de Ti-
mée, auraient la même origine. En-
fin certaines formules suggèrent des
rapprochements avec Platon, dans des
endroits où il paraît bien faire appel à
sa connaissance approfondie de la lit-
térature pythagoricienne (noter 17,2
l'ingénieuse et très séduisante correc-
tion proposée par M. Serruys à Lois
VI, 753 e : au lieu ipyou, inutile et
bizarrement placé, on pourrait lire,
pour le plus grand avantage de l'hypo-
thèse de M. D. <î>ep<oG Xo>you).
Or ce tspôç XôYOi;. Aristoxène semble
aussi l'avoir connu, autrement peut-
être, mais sous une forme semblable,
comme le prouvent tant de mots poéti-
ques, ou encore la présence, à côté
des formes doriennes de la langue
scientifique des Pythagoriciens, de
formes poétiques ioniennes, et enfin
plusieurs formules, d'allure poétique,
où il énonce, parfois en accord avec
Timée ou avec l'Orphisme, soit des
règles morales, soit des doctrines de
l'École. Au reste, la comparaison des
renseignements d'Aristoxène avec ceux
de Timée, est un moyen indirect de
reconnaître chez lui la substance du
Discoi/rs sacré. Il faut noter aussi des
survivances d'une ancienne termino-
logie technique, dont le caractère py-
thagoricien n'est pas douteux (19-23).
Enfin, dans Héraclide du Pont, dans
le ^« Alcibiade (qui, s'il n'est pas de
Platon, est du moins une œuvre aca-
démique), chez Chrysippe, nous trou-
vons des vers qui sont cités comme
pythagoriciens ou connus pour tels par
des écrivains postérieurs. M. D. les
rapporte encore au Upo<; Xdyoç (23-25).
Le peu d'étendue de l'œuvre peut
expliquer qu'elle se soit en grande
partie perdue (26). — Quelle en est
l'origine ? Bien qu'il ne soit pas tout
à fait impossible d'en rapporter la
composition à Pythagore lui-même,
cette attribution paraît très douteuse.
D'autre part, le îepoç Xdyo; est vraisem-
blablement antérieur au schisme qui
se produit dans l'École à la fin du
ve siècle : ni purement théorique, ni
fanatique et superstitieux, il ne porte
la marque d'aucune des deux fameuses
sectes. Mathématiques et Acousmati-
gues, qui se séparèrent alors (29-31 ;
cf. la dernière étude). D'autres raisons
encore déterminent M. D. à le placer
au début ou au milieu du v^ siècle,
en un temps où le Pythagorisme est
très voisin de l'Orphisme. Des rédac-
tions ditïerentes du Discours sacré ont
pu être élaborées dans les diverses
communautés (sans que l'état actuel
de nos connaissances permette de dis-
cerner ces couches successives), puis
fusionner en une œuvre unique, dont
au iv« siècle déjà il ne reste plus que
des fragments. — Dans le ch. ii, Tessai
218
COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
de reconstitution se complète au moyen
de témoignages d'époque plus récente :
dans Héraclide Lembus, dans Plutar-
que, dans l'écrit d'auteur incertain sur
La vie et la poésie d'Homère, dans
Galien, M. D, trouve encore des restes
du Discours saci'é, qui confirment ou
expliquent les indications de ïimée et
d'Aristoxène (1). Une scholie homé-
rique lui fournit l'occasion d'un com-
mentaire intéressant sur la raison pour
laquelle il était interdit de manger des
fèves (36-38; cf. 292 sq.). Des rappro-
chements ingénieux entre plusieurs
textes de Sextus Empiricus, de Sotion,
d'Ovide, de Plutarque lui permettent
de retrouver des vestiges ou des frag-
ments du Upà^ Tvdyo); (38-42). Par contre,
on se tromperait en rapportant à notre
poème, ou aux Pythagoriciens en gé-
néral, les idées pessimistes qu'Ausone
pourrait sembler leur attribuer dans
une de ses églogues (VII, 2). — Quels
sont enfin les fragments du '.spà;; lôyo^i
recueillis par les Vers dorés (ch. m, 45
sqq.)? Ce poème est antérieur à la date
que lui assignait Nauck, le début du
iv^ siècle ap. J.-C. ; il est, au plus tard,
du milieu du iii^ siècle, car Athénée y
fait allusion (vm, 320 f, cf. 288 a).
L'absence de plan, les obscurités, les
renvois (cf. p. 70, 72) à des développe-
ment antérieurs que l'ouvrage ne ren-
ferme pas, montrent clairement que
c'est une compilation, heureusement
assez maladroite pour qu'on y puisse
discerner les parties anciennes. Comme
il renferme cinq des fragments qui ont
paru provenir du îspôç Xoyoç, on peut
supposer que l'auteur a utilisé, soit des
livres où celui-ci était cité, soit une col-
lection de fragments. Il sera donc néces-
saire d'examiner, pour chaque vers, la
question d'origine. Cet examen minu-
tieux, dans le détail duquel il est diffi-
cile de suivre M. D., lui permet — par des
(1) Le témoignage de celui-ci, dans Aulu-Gelle,
IV, 11, 4, contre la prétendue interdiction des
fèves, dont il va être question, n'est ni mentionné,
ni discuté par M. D. ; cf. 23,3 et 292,3.
comparaisons avec d'autres témoigna-
ges ou avec toute la littératures appa-
rentée au Pythagorisme, avec Pindare,
avec Empédocle, avecParménide, ainsi
qu'avec l'Orphisme (62, 63, 65), par des
rapprochements avec les inscriptions
des sectes à mystères de l'Italie méri-
dionale (63, 71, 78) ou encore avec les
figures gravées (74 sq.), — de reconnaî-
tre dans les '/puaa è'-irr, de nombreux
fragments, disloqués, mal assemblés et
déformés, du Ispôç \6yo^. En somme,
sur 71 vers, une quarantaine doivent
être regardés comme dérivant de cette
source primitive. On notera tout parti-
culièrement l'interprétation intéres-
sante des vers 21-23 (p. 54 sq.), 49-53
(p. 61-64), 54-60 (vestiges d'une com-
paraison où il faut peut-être trouver
l'origine de la célèbre comparaison
du cylindre dans Chrysippe, p. 64-67),
67-69 (qui donnent lieu à des rappro-
chements très instructifs avec les my-
thes platoniciens du Phèdre, p. 72-77).
L'étude qui suit (cf. Rev. de Philolo-
gie anc, 1911, p. 255 sqq.) est consacrée
à la lettre de Lysis à Hipparque, négli-
gée jusqu'ici par les critiques. Cette
étude s'ouvre par des remarques géné-
rales, des plus judicieuses, sur les va-
riations de l'attitude de la critique à
l'égard de la littérature épistolaire de
l'antiquité. Même inauthentiques, ces
lettres anciennes ont tenu dans la tra-
dition historique relative à la philoso-
phie grecque une place considérable, et
leur histoire est inséparable de l'étude
de la biographie alexandrine (83-85).
La lettre en question nous est parve-
nue dans deux traditions différentes;
l'une, par Jamblique {V. P. 75-78), pro-
vient, selon M, D., d'Apollonius de
Tyane et, au delà, vraisemblablement
de Timée. Une autre tradition, — qui
diffère à la fois par le texte, par l'ordre
dans lequel les idées sont présentées et
surtout par des passages nouveaux,
une introduction et une conclusion, —
parait dériver dun ancien recueil de
lettres {Epistologr. gr. de Hercher,
coll. Didot, 601 sq,). Selon toute appa-
COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
219
rence c'est une refonte de la tradition
A, et c'est à elle que paraît se rattacher,
mais avec quelque dilïérence dans le
texte et dans le nom du destinataire
qui devient Hippase, le fragment assez
court que nous en a conservé Diogène
Laërce, VIII, 42 (85-88). Successivement
M. D. étudie les deux versions. Dans
la première, Lysis s'étonne et s'indigne
qu'Hipparque, infidèle à la règle de
Pythagore, enseigne publiquement, à
la façon des autres philosophes, la
doctrine de leur école, et sans avoir au
préalable soumis ses auditeurs à une
préparation morale et à une purgation
des passions ; après l'avoir d'abord
menacé d'une sorte d'excommunica-
tion, il lui expose les raisons pour
lesquelles il est nécessaire d'employer
cette méthode. Des correspondants que
savons-nous ? Rien sur Hipparque qui
ne vienne de la lettre en question, peu
de chose sur Lysis, et rien qui s'ac-
corde avec ce que la lettre implique.
En considérant cependant les conditions
du milieu pythagoricien à la fin du
ve siècle, date probable de la lettre, il
n'est pas invraisemblable que parmi
les groupes isolés qui s'étaient formés
çà et là autour des membres dispersés
de la Société, les uns aient adopté le
régime des autres écoles philosophi-
ques, tandis qu'ailleurs on restait
fidèle aux anciennes traditions de l'école
et hostile aux aocpiaxat (cf. 97). Le fond
même de la lettre, l'emploi du dialecte
dorien, le caractère symbolique du
style, le ton emphatique, rien de
tout cela n'autorise, bien au con-
traire, à en suspecter l'authenticité :
c'est l'adjuration d'un initié à un
confrère égaré. La religieuse véné-
ration dont elle témoigne à l'égard du
Maître s'accorde bien avec ce que nous
savons des sentiments ordinaires des
Pythagoriciens et avec l'opinion que
Pythagore paraît avoir eue du caractère
surhumain de sa personnalité prophé-
tique (cf. 16). La place importante
qu'elle fait à la lutte ascétique contre
les passions est de même tout à fait
dans l'esprit du Pythagorisme ancien
et encore de celui du iv» siècle.
Les renseignements que nous fournit
notre lettre sur le secret pythagoricien
sont propres à éclairer un peu une
question si controversée. Cette obliga-
tion paraît se rapporter surtout à
l'époque où la dissolution de la Société
et la dispersion de ses membres a mis
ceux-ci en présence d'autres sociétés
philosophiques, et la lettre de Lysis
fait comprendre à quelles précautions
préparatoires était soumise l'admission
des néophytes dans cette confrérie
religieuse et à la révélation mystique
de la parole du Maître (cf. 266). Toute-
fois M. D. doute qu'il faille aller au
delà de ces indications et suivre Timée
dans ce qu'il nous dit d'une organisa-
tion rigoureuse et presque militaire de
la Société, notamment pour la pré-
tendue désignation de ses membres,
aux divers degrés de leur initiation,
par les mots exotériques et ésolériques
(98-101). En résumé, rien ne permet de
suspecter l'authenticité de notre lettre.
Dans ses exposés psychologiques no-
tamment, elle ne porte aucune trace
des influences platoniciennes que révé-
lerait au contraire à coup sûr un
document apocryphe du milieu du
ive siècle. Quelle en est l'origine?
Émane-t-elle du groupe des ad mirateurs
thébains de Lysis ? De Lysis lui-même?
Ou bien plutôt d'un cercle pythagori-
cien du ive siècle? Elle n'en resterait
pas moins, dans ce dernier cas, une
des « meilleures sources directes de
l'histoire pythagoricienne » et un
élément important de la tradition his-
torique (103). — Quant à la tradi-
tion B, le remaniement qui lui a donné
naissance est déterminé tout entier par
l'introduction dans le texte d'un mor-
ceau relatif à la conservation des
•jTro[JLVfi[xaTa de Pythagore par sa fille
Damo et sa petite-fille Bitaia ou Bitalê
(cf. 206), et il serait l'œuvre de quelque
érudit alexandrin du i*"" siècle avant
J.-C. A l'hypothèse de Diels, d'après
laquelle la lettre de Lysis serait une
220
COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
préface mise par un faussaire à un îspôç
Xoyoç de sa fabrication, M. D. objecte
que, à l'opposé de ce deinier morceau
qui ne peut être antérieur au i^^ siècle
de notre ère (cf. 192 sqq.), la version
remaniée de la lettre de Lysis est déjà
connue des biographes que suit Dio-
gène Laërce et remonte par conséquent
au moins au le-- s. avant notre ère.
11 y voit bien une préface, mais au
faux traité pythagoricien iratSs'jxixov
TToXtxixov cpuaixôv, lequel date du ii« ou
du ler s. av. J.-C. (cf. aussi 205 sq.).
Le parallèle qu'il établit à ce propos
entre la légende de Philolaûs qui,
tombé dans la misère, vendit à Dion
les trois livres de Pythagore. et l'his-
toire, interpolée dans la lettre de Lysis,
de Danio qui, malgré sa pauvreté, a au
contraire gardé secrets les écrits de
son père, expliquerait assez bien que,
par cette histoire, le faussaire espérât
faire passer son œuvre pour les fameux
trois livres qu'avait divulgués Philolaûs
(103-106).
Il serait malaisé d'analyser dans ce
compte rendu la troisième étude, sur
Véxégèse pythagoricienne des poèmes
homériques (109-136). M. D. y montre
comment l'école pythagoricienne,
après avoir probablement condamné
l'immoralité des poèmes homériques,
jugea sans doute par la suite plus ha-
bile (cf. 116) de les utiliser pour son
enseignement ou pour son œuvre
d'éducation morale. Elle possédait, en
effet, au ve et au iv^ siècles des lectures
choisies d'Homère et d'Hésiode, antho-
logies accompagnées, semble-t-il (134;
cf. 274), de commentaires qui expli-
quaient la signification édifiante de
chaque morceau. M. D. recueille çà
et là un assez grand nombre de ves-
tiges de cette littérature pythagori-
cienne. Tantôt on s'efforçait de décou-
vrir une intention morale dans le ré-
cit qui en semblait le plus dépourvu,
comme dans l'histoire de Pandare
(112-114); tantôt on recourait à l'inter-
prétation allégorique (cf. 119, 123, 125,
135), par exemple quand on considé-
rait le bruit des flèches d'Apollon {II.
A, V. 47) comme le symbole du bruit
de la sphère du soleil dans son mou-
vement rapide de révolution (116), ou
qu'on s'ingéniait à donner une signifi-
cation philosophique à l'antre des
nymphes d'Ithaque (129-131), ou à
l'épisode des Sirènes (132-134) dans
l'Odyssée. On cherchait à expliquer
certains termes homériques, alO-rip, où-
pavoc;, ô>v'jti.T:oç, ou 5é[j.a<; et awixa dans
le sens de la doctrine (126, 130), et par-
fois au moyen des ressources d'une
étymologie fantaisiste, awjxa-af.fxa, 8é-
[jLa;-auv6e6s|X£vov (131 sq.; cf. 115 et
n. 3, 281). On trouvait dans Homère
la justification des croyances et des
pratiques de l'École, ainsi de la mé-
tempsycose (127-129), ou de l'existence
du feu central (123), ou de la règle du
silence (116 sq.; cf. 120). On lui de-
mandait des thèmes de sermons
(118 sq.). On voulait même qu'il y eût
dans les poèmes homériques un pres-
sentiment de la théorie des nombres
et dès idées qui en dérivent (121-123,
123 sq., 124 sq. ; cf. 136). Il est pos-
sible enfin que les Pythagoriciens aient
pratiqué à l'égard des poèmes homé-
riques la méthode de l'interpolation :
dans la description des châtiments in-
fernaux {Od. X, 565-632), dont les idées
cadrent mal avec les conceptions mo-
rales et religieuses du reste du poème,
ce n'est pas tant d'influences orphi-
ques qu'il faut parler (avec VVilamo-
witz) que d'influences pythagoricien-
nes. D'autre part, on a dans l'anti-
quité rapporté aux Pythagoriciens des
poésies morales, attribuées par eux à
Linus (cf. 265, 1 et 297), et admis qu'ils
ne seraient pas étrangers à la publi-
cation des poésies orphiques (cf. 4 sq.).
L'hypothèse d'une interpolation pytha-
goricienne n'aurait donc rien d'invrai-
semblable, et M. D. est disposé à l'ac-
cepter également pour certaines des
interpolations anciennes d'Hésiode
(134-136).
Encore une étude, d'un caractère très
spécial, sur U?îe série nouvelle d'Epi-
COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
221
thêta deorum d'après les Theologou-
mena de Nicomaque {\'M)-i6i). \Jarith-
mologie pythagoricienne (ce terme est-
il vraiment plus propre que celui
di arithmétique à exprimer le caractère
non scientifique de ces spéculations?),
après s'être bor.née à considérer les
rapports de certains nombres avec les
phénomènes naturels, s'est peu à peu
orientée vers la théologie, et a fini par
identifier chacun des nombres de la
série décadique avec une ou plusieurs
divinités. C'est cette identification qui
explique l'application aux nombres de
certaines dénominations, qui sont en
réalité les épithètes ou les surnoms
des divinités représentées par ces
nombres. Classer ces dénominations,
étudier le sens et l'origine de celles
qui sont révélées par la tradition des
Theologoumeîia, tel est l'objet que se
propose M. D. Il prend pour base de
son étude le résumé des Theologou-
mena de Nicomaque dans Photius, cod.
187, p. 143-145 Bekker, et il s'aide des
extraits de cet ouvrage que contien-
nent nos Theoloqoumena anonymes
attribués faussement à Jamblique, uti-
lisant aussi, à l'occasion, Modératus,
Lydus, Martianus Capella. La source
commune serait les deux apocryphes
d'origine néopythagoricienne auxquels
sera consacrée l'étude VI. Ce travail
de M. D. intéressera autant le mytho-
logue que l'historien de la philoso-
phie. On trouvera à la fin de l'étude
(p. 163 sq.) une liste des épithètes de
chaque divinité, avec indication des
épithètes nouvelles. 11 n'eût pas été
inutile d'y signaler, en face de chaque
épithète, le nombre auquel elle con-
vient.
La cinquième étude, Anecdota arith-
mologica, comprend la publication,
avec indication en note des passages
parallèles, de plusieurs petits traités
arithmologiques. A) 1 (167-171) : résumé
d'arithmologie, limité aux sept pre-
miers nombres, qui se trouve dans les
Paris, gr. 1417, f» 7 v. et 2992, f° 56 v.,
du xve et du xvi« siècle. Ce texte offre
des traits remarquables de parenté
avec les commentaires d'Alexandre
d'Aphrodise et d Asclépius sur un pas-
sage de la Métaphysique d'Aristote (A,
5,985 b, 26j. M. 1). établit, contre Hay-
duck, l'éditeur d'Asclépius dans la
collection de l'Académie de Berlin, que
le commentaire de ce dernier ne dérive
pas d'Alexandre, mais d'un original,
vraisemblablement un ancien com-
mentaire d'Aristote, dont une récen-
sion différente et parfois moins bonne
a été utilisée en commun par l'auteur
anonyme du résumé et par Alexandre.
On peut en outre tirer de cette com-
paraison d'utiles indications pour
rétablissement du texte d'Alexandre (1).
La source primitive serait un grand
recueil arithmologique, sans doutedela
période alexandrine (cf. 140 et n. 1, 207,
208), qui a été utilisé aussi par Philon,
Nicomaque, Clément d'Alexandrie (cf.
étude Vil), Macrobe, Théon de Smyrne,
Martianus Capella etc. — 2 (171-175).
Autre résumé d'arithmologie (ms. 1115
[xve s.] de la Bibliothèque d'Athènes)
qui traite de tous les nombres de la
décade, avec une préoccupation mar-
quée d'en expliquer les qualités]par
l'étymologie. Il provient d'une autre
source et se rattache plus étroitement
à la tradition ordinaire des traités
arithmologiques ; souvent il paraît
inspiré directement de Nicomaque. —
B) 1 (175-177). Quelques remarques
extraites d'un commentaire latin [Pa-
ris, gr. 1940, fo 62-64), explicatif et
critique, des Theologoumena du Ps.
(1) P. 170, 171 : la correction TSXpaixsVOi;,
au lieu de (JTspedi; mss., avant de figurer daas
l'éd. de Hayduck (38, 16), avait été faite par
Bonitz (28, 29). D'autre part il est inexact d'at-
tribuer à ce dernier le changement de èxôiv
(29, 1) en fiTivôiv, même dans les Addenda où il
utilise Asclépius. C'est à Hayduck qu'il faut en
rapporter l'initiative (38, 191, non seulement
d'après Asclépius, mais aussi d'après la version
des mss. LF {Laurent. 87,42 et Ambros. US).
P. 170, I. 14 d'en bas. je suppose qu'il faut
ajouter 9 après 8. Enfin l'observation, même
page, 1.10 d'en bas, appellerait des réserves.
222
COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
Jambliqiie, et qui va jusqu'à la p. 12
de réd. de Paris 1543 (H, 6 Ast), pour
se continuer jusqu'à la p. 13 (12 Ast)
par un brouillon de traduction latine.
— 2. Remarques et conjectures suggé-
rées à M. D. par divers passages :
a) (m-n9) du même traité (1); h) (179
sq.) du résumé des Theolog . de Nico-
maque dans Photius (2). — C (181).
Interprétation presque satisfaisante,
au moyen dune heureuse conjecture,
d'un passage (dans Annales intern.
d'HisL Congrès de Paris 1900, ije sec-
tion, p. 33, 7) du -. Sexdtooç d'Anato-
lius (cf. 140 et 177), que Tannery a mal
compris et que Heiberg n'a pas resti-
tué. Dans la lacune, après èv... com-
pléter par Ti6£îJ.évri la' et corriger èav
en Èav. — D (182-185). Publication,
avec mention des textes parallèles, de
quatre courts fragments de traités
arithmologiques sur un des thèmes
habituels, la division des âges de la
vie humaine : le premier est une ver-
sion nouvelle d'un fragment du iz. É6-
SoijLczooiv du Ps. Hippocrate {Paris, (jr.
Coisl. 345, fo 224 v) ; les deux suivants,
dans le même ms. à la suite du pré-
(1) P. 7, 1. 27 Ast, au lieu de ta TCavxojv
tSiwfxaxa TTcpié/ouTav wç èxôlvo;, lire zs-
p'.éyo^xa se rapportant à lIpoiTsa supra, et
sxeiVTj, se rapportant à aÔTr,v qui désigne ici la
Monade identifiée par l'auteur avec Prêtée ; cf.
Syrianus ni Ar. Metaph. 831 a, G, 842 a, 8 (où
il faut lire IlpwTéa au lieu de "paxéa ; cf. cepen-
dant 193, 2). P. 23, o, au lieu de ETi [xr^v, wpa,
VÛÇ X. T. X., lire £Tl ETOÇ, [X7)V, TJJ.£pa ...,
par analogie avec 20, 4 et pour avoir un groupe
de quatre termes.
(2) P. 143 b (et non a) 6 Bekkcr : au lieu de
supprimer (I)5ÛT, olov ÛTCOjiovfi, corriger en xal
SuTfi..., cf. Theolog. arithm., 12, 1 Ast. P. 143 b,
41 , supprimer la virgule après 6aXajJOÛyrov, qui
SI rapporte à Tptxwva. P. 144 a, 9, à propos du
quaternaire, au lieu de cpûatç xai alô)va, lire
cpujiî àtôXa ou '^jûaii; xoO AîôXou, cf. Theo-
log. arithm. 22 (et non 21, comme il est dit
par erreur), 31. Ibid. 1. 16, conserver àp-
[xovîxa, mais en lisant âpjxovixaç, avec le sens
de lY'pitliètc Me'XT:ô[J.svoî appliquée à Dionysos
= le quaternaire dont il est encore question (cf.
p. 152).
cèdent; le dernier, dans le Paris, gr.
1738, fo 159 V. — E) a) (185-187). Frag-
ment d'une exposition astronomique,
relatif aux variations des qualités de
l'air selon les saisons, le cours de la
lune, les heures du jour et celles de
la nuit [Par. gr. 2992 [cf. 167] fo 369, r) ;
les idées sont analogues à celles de la
tradition médicale et météorologique
grecque, b) (187). Notice extraite du
Par. gr. 1185 suppl., f» 62 v, sur la té-
traktys.
11 s'agit dans l'étude VI de ces deux
traités pythagoriciens d'arithmologie
dont il a été question plus haut (IV)
et auxquels M. D. attribue une grande
importance dans le développement de
la théologie arithmétique (cf. 207 et
140). — Le premier article (191-208) est
une tentative pour reconstituer un îspôç
Tidyo; en prose dorienne, soi-disant de
Pythagore, dont Jamblique (F. P., 146)
cite le prologue et qui, dit-il, passait
aussi dans l'École pour être une compi-
lation rédigée par ïélaugès, le fils de
Pythagore, d'après des docuiuents se-
crets laissés par celui-ci à sa famille
(cf. 205 sq., 105). M. D. en retrouve
des vestiges dans le même ouvrage de
Jamblique et dans son Inlrod. in Nicom.
Arithm., dans Proclus, dans Syrianus,
dans Hiéroclès, dans les e£o)voyou|jL£va
àpiOjxTixix'î^ç (vraiseiublablemeut d'après
Nicomaque), dans Modératus, dans Por-
phyre, dans Plutarque, mais surtout
dans le De mensibus de Lydus : il y re-
lève (197-203) les passages où se retrou-
veraient des vestiges ou des fragments
du îspôç Xôyo; et, par des rapproche-
ments avec les autres auteurs, il recon-
naît que le caractère astrologique de
l'arithmologie de Lydus provient de ce
\z^b^ >vdyo;. Ainsi le traité, en considé-
rant les nombres de la décade comme
identiques à des divinités, représentait
ces divinités comme des astres et
établissait pour chaque divinité une
exacte concordance entre le nombre et
le jour de la semaine qui lui étaient
consacrés. A ces spéculations s'en
joignent d'autres d'un caractère my-
COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
223
thologique ou étymologique (208). La
présence des formes dialectales do-
riennes (liste de ces formes, 203 sq.)
est aussi un moyen de déceler les restes
du traité en question. Enfin certains
fragments arithmologiques dans Mar-
tianus Capella manifestent des doc-
trines analogues (204 sq.). Quant à
Torigine, M. D. est conduit par certains
indices à penser que l'ouvrage a été
publié en Italie et qu'il sort des milieux
néopythagoriciens de Rome, qui de
très bonne heure rapprochèrent Pytha-
gore de Numa (206 sq.). Les sources
du faux, ce sont, comme le montrent
plusieurs concordances, les anciens
traités pythagoriciens d'arithmologie
et le recueil alexandrin dont on a parlé
plus haut, la part du faussaire consis-
tant surtout sans doute dans l'orien-
tation théologique nouvelle donnée à
Tarithmologie (207 sq.). — Dans le
second article (208-227), M. D. traite
d'un ispôî Xôyoî qu'Abel a considéré
comme orphique, auquel il rattache
dans ses Orphica les frg. 141-151, qui
ont servi de base à Roscher pour une
reconstitution de l'arithmologie de
l'ancien Orphisme {Die Hehdomaden-
lehre d. gv. Phil. u. Aerzte, Sachs.
Gesellsch. d. W., Phil. hist. Kl. 1906).
La restitution d'Abel est, selon M. D.,
bonne à reprendre, et, d'autre part, il
estime qu'il ne s'agit pas ici d'un ispôç
Xdyo;, mais, dans la plupart des frag-
ments, d'un ujxvo; sic àpi8[xdv; enfin, que
l'inspiration n'en est nullement orphi-
que, mais pythagoricienne. Cette der-
nière erreur s'explique par le fait que
les mêmes auteurs attribuent cette
œuvre tantôt à Pythagore, tantôt à
Orphée (cf. 4, 4), Or, tandis que les
doctrines arithmologiques sont étran-
gères à rOrphisme et au Néoorphisme,
au contraire, entre le '.cpoç Xôyoî dorien
et VHymne, il y a une identité de sujet
et des concordances de détail. Entre
plusieurs hypothèses possibles pour
expliquer leurs rapports, la plus plau-
sible, ce serait que les deux ouvrages
ont été publiés ensemble par le même
faussaire, un néopylhngoricien dési-
reux de faire remonter jusqu'à Orphée
les doctrines pythagoriciennes : d'où,
dans le prologue du '.Epô; Xôyoç, cette
déclaration de Pythagore qu'il a été
initié par Aglaophamus à la science
orphique du nombre. Ce qui explique
en même temps la dualité d'attribution
chez les mf'mes témoins. Une étude
analytique comparative approfondie
est consacrée au principal fragment
(Syr. in Ar. Meta. 893 a, 19). M. D.
retrouve dans Vilymne la main du
faussaire qui a écrit le isp. Xôy. dorien
(217). 11 rejette (217 sq.) le frg. 145
d'Abel, où il ne voit qu'une remarque
personnelle de Lydus. Par contre, il
découvre des fragments nouveaux ou
de simples traces dans divers auteurs
depuis Philon jusqu'à Jean Diacre (219-
227). Si donc nous sommes en pré-
sence d'un hymne pythagoricien et
non orphique, les théories sur l'évolu-
tion de l'arithmologie <« s'en trouveront
modifiées, et en premier lieu il con-
viendra d'étudier de nouveau d'où dé-
rive l'arithmologie médicale », de
reprendre par conséquent les travaux
de Roscher. Mais pour cela, conclut
sagement M. D., il faut un dépouille-
ment complet des sources et ce dé-
pouillement est loin d'être achevé (227).
La Vile étude (231-245) ne concerne
pas à proprement parler la littérature
pythagoricienne, mais elle est très inté-
ressante pour l'histoire de l'arithmo-
logie dans la littérature chrétienne et
chez les Gnostiques. M. D. s'y propose
d'expliquer un curieux passage des
Slromales {\l, 15), dans lequel Clément
d'Alexandrie commente le commande-
ment du Décalogue sur le repos hebdo-
madaire en utilisant, dans un but apo-
logétique et avec le souci de rester
orthodoxe, les spéculations de l'arith-
mologie païenne. La comparaison avec
Eusèbe [Praep. ev., XIII, 12, 9-12) mon-
tre que ce commentaire est emprunté
au juif Aristobule et, sur un point, à
Philon. Des concordances avec d'autres
écrits arithmologiques, particulière-
224
COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
ment remarquables avec Anatolius
(concordances que M. D. reproche à
Stâhlin d'avoir négligées), prouvant
l'existence, pour tout ce qui porte la
marque des idées païennes, d'une
source commune, sans doute cet ancien
recueil alexandrin d'arithmologie dont
il a été déjà question : ainsi c'est évi-
demment à une source lointaine qu'il
faut rapporter l'identification (145, 6)
de 7 avec la lumière spirituelle, iden-
tification attribuée à Philolaûs [Theo-
log., o5). Mais, entre cette source et
Clément, il y a un intermédiaire, dont
l'influence, marquée d'idées gnostiques,
apparaît dans la parenthèse (138, 5-
ou8è l'v 141, 7) qui coupe le fragment
d'Aristobule. Une citation d'I renée
{adv. Iiaer., I, 14, 6) permet de recon-
naître, avec certitude pour la plus
grande partie du morceau, que celui-
ci provient du gnostique Marcus. Ce
très curieux passage, auquel, dit M. D.
(239), les commentateurs d"lrénée n'ont
rien compris renferme une explication
arithmologique de la Transfiguration,
qui en même temps rend compte sym-
boliquement de l'Incarnation et consiste
essentiellement à montrer que en Jésus
sldentifient les nombres 6, 7 et 8 (237,
237 sq.) (1). Une autre explication ari-
thmologique de la parole de Jésus :
« Je suis l'alpha et l'oméga » a la même
origine (243 sq). La question de savoir
si l'emprunt de Clément est direct de-
meure indécise (244; cf. 233).
L'étude sur la t.étractys pijthagori-
cienne (249-268) nous ramène à l'objet
principal du livre. Le sens de cette doc-
trine importante, dont la tradition com-
porte des variations qu'on a trop né-
gligées, est resté fort obscur. Après
avoir, par l'étude des variantes qu'on
rencontre dans les citations du ser-
ment pythagoricien, où est nommée la
tétractys, mis en lumière l'existence de
divers rameaux de la tradition (250-252),
(l) P. 240, 1 (241), il semble qu'on doive lire
dans la deuxième colonne ^ = 6«, au lion do
M. D. remarque que, s'il est impossible
de déterminer l'origine littéraire de
cette formule fameuse (cf. 265), du moins
on peut constater que la plupart de nos
citations remontent, à travers de nom-
breux intermédiaires, à deux sources
assez anciennes, d'une part l'historien
Timée, d'autre part le traité alexan-
drin d'arithmologie dont il a été déjà
souvent question (253 et n. 3), de sorte
que l'existence de cette formule dans
l'ancien Pythagorisme semble garan-
tie. Quant au sens originel de la doc-
trine, seul un classement méthodique
des anciennes définitions peut le faire
retrouver. Souvent confondue avec le
nombre 4 ou parfois encore, en vertu
d'ailleurs de la même confusion, avec le
nombre en général parce qu'elle en est
le principe, la tétractys est plus ordi-
nairement définie comme un ensemble
de quatre choses, 4 saisons, 4 âges, 4 élé-
ments, etc., ou bien de quatre nombres
(les quatre premiers dont la somme
est 10, le nombre parfait, ou bien enfin
comme identique à 36, somme des
quatre premiers pairs avec les quatre
premiers impairs, dont le rôle est si
important dans la musicographie py-
thagoricienne. L'importance de la té-
tractys venait donc de ce qvi'elle don-
nait la clef des lois de la musique et
que, ces lois étant étendues à la phy-
sique tout entière, elle devenait le prin-
cipe dune philosophie arithmologique
de la nature (255-259). Un fragment
(cf. 276) du catéchisme acousmatique
(Jamblique, V. P. 82, d'après Aristote,
cf. 273 sq.), confirme cette conception
de la tétractys : celle-ci y est identifiée
à l'harmonie des Sirènes, c'est-à-dire,
par comparaison avec le mythe pytha-
goricien d'Er dans la République de
Platon (X, 617 b), à l'harmonie des
Sphères, et en même temps à l'oracle
de Delphes, car les Sirènes, divinités
musicales et prophétiques, ont rapport
à Apollon; et Pythagore d'autre part,
•qui a révélé aux hommes les lois delà
musique, qui a eu seul le privilège
d'entendre cette harmonie des Sphères,
COMPTES KENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
225
est à ce titre une incarnation d'Apollon
(259-262). Enfin la valeur morale de la
tétractys explique renthonsiasnie et la
vénération qu'elle inspirait aux Pytha-
goriciens : la musique terrestre, dont
elle est le principe, a une valeur ca-
thartique à Tégai'd des passions, comme
la musique céleste, dont la première
est une imitation, à l'égard des âmes
désincarnées (262 sq.). Mais pourquoi
le sei'ment pythagoricien, pratique qui
consiste à jurer par l'auteur de la ré-
vélation de la tétractys, a-t-il la forme
négative, ou [xdc... (250, 251)? C'est qu'il
sanctionne la promesse de ne pas li-
vrer aux non-initiés la révélation du
Maître. Dans l'école hippocratique, dans
les confréries orphiques, dans les écoles
d'alchimistes, on jurait de même, par
les divinités spéciales et par les patrons
consacrés, de ne pas trahir le secret
des enseignements reçus (265-268).
Le Catéchisme des Acousmatiques
(271-312), tel qu'on le trouve dans Jam-
blique {V. P., ch. xviii, § 82 sqq.) et
tel qu'on peut en reconstituer le détail
d'après des témoignages épars, repré-
sente, en dehors des interprétations
symboliques qui en ont été données
surtout dans l'école néopythagori-
cienne, la tradition non scientifique
de la règle pythagoricienne. La source
est le Tz. nuôayopsîwv d'Aristote (273 sq.).
S'il y a quelque obscurité dans Jam-
blique (§ 81) à propos de la polémique
des (xxoujjxaTixoi contre les [j:a6T,txaTi-
xot (cf. 309), une simple interversion
de ces deux termes au § 81 (doit être lu
au lieu de 84, p. 272, 1. 6) est capable,
mieux que toute hypothèse, de la faire
disparaître (272 sq.) (i). Ce catéchisme
renferme deux parties. L'une, comme
il est naturel à un catéchisme (p. 306),
procède par questions et réponses.
D'une part, ce sont des définitions mys-
tiques de l'essence, du xi è<sxi, de cer-
tains êtres ou phénomènes. Noter l'in-
génieuse interprétation des définitions
(1) La correction a été déjà suggérée par Diels,
Vorsokr.', p. 656, ad 29, 33.
du tremblement déterre et du tonnerre
par une comparaison avec le mythe
d'Ev [Rép., X, 621 bj, (276 sq.; cf. 298
sq.). Le son que rend l'airain quand
on le frappe est la voix d'un des dé-
mons qui y sont enfermés : curieuse
survivance d'anciennes doctrines ani-
mistes (277). D'autres formules sont des
vestiges, ou d'une astronomie popu-
laire, ou d'une nomenclature astrono-
mique des constellations, à tendance
religieuse et que les Pythagoriciens
prétendaient substituer aux appella-
tions populaires. La nature divine de
Pythagore, représentée d'ailleurs sous
diverses formes, était encore un des
dogmes du catéchisme des Acousma-
tiques, auxquels M. D. rapporte aussi
la croyance à Tinfaillibilité du Maître
(278-280). D'autre part, ce sont des
réponses à la question t{ [xâ>vtaTa ;
quelle est la perfection de chaque qua-
lité? Ainsi la sagesse parfaite se ren-
contre dans le nombre d'abord, puis
dans une invention primitive du lan-
gage telle que, par leur étymologie
et même par leur son, les mots
répondent parfaitement à la nature des
choses (cf. 131, 171-175); enfin, dans la
médecine, à laquelle l'École s'était
appliquée, mais sans l'isoler de pra-
tiques purement magiques (280-282).
La liste de Jamblique peut être com-
plétée par des témoignages qui parais-
sent également provenir d'Aristote
(283- sq.). L'analogie de plusieurs de ces
sentences acousmatiques avec les sen-
tences des sept Sages est notée par
Jamblique (= Aristote); les Pythago-
riciens ont voulu utiliser un procédé
d'expression en faveur, en l'adaptant
à l'expression de leurs idées propres
(284 sq.). — La deuxième partie des
àvcouajiaTa contient des prescriptions
rituelles, des préceptes d'abstinence,
des préceptes de morale. Les premières
sont des restes de tabous primitifs, dont
la signification n'était plus comprise et
qu'on cherchait à expliquer de diverses
manières : tandis qu'Aristote (= Jam-
I blique) les prenait dans leur sens litté-
226
COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
rai et, s'inspirant principalement de
commentaires non pythagoriciens, en
rendait compte par les superstitions du
folk-lore, par la comparaison avec les
coutumes des peuples barbares et par
les croyances pythagoriciennes, d'au-
tres, dans l'École même, en donnaient
une interprétation symbolique. Tels
sont les !Ju[x6o)va Trueayopivtot d'Andro-
cyde le pythagoricien et d'Anaximandre
le Jeune, auteurs du iv« siècle, dont les
concordances paraissent à M. D. ne
pouvoir s'expliquer que par l'existence
d'une source commune. Leurs relations
avec les divers auteurs qui nous ont
fait connaître leurs interprétations sont
représentées, p. 286, dans un stemma
qui figure les traditions diiïérentes. Tou-
tefois, dans Aristote même, il y a des
vestiges d'interprétation allégorique,
vestiges que relève M.D. (288). 11 étudie
ensuite les abstinences, celles qui con-
cernent la chair de certains animaux
(289-292) et celles qui concernent les
végétaux (292-294). Dans les préceptes
moraux enfin on retrouve la trace d'une
véritable biographie légendaire de Py-
thagore (cf. 310) et, à côté de traditions
mystiques, des indices d'opinions doc-
trinales (294-297). La continuation de
l'exposé de Jainblique, interrompu au
§ 85 (qu'il faut lire au lieu de § 83), doit
être cherchée dans les §§ 153-156, dont
M. D. étudie les textes les plus inté-
ressants (297-301). Puis il recherche,
en s'appliquant ù distinguer les diverses
traditions, des vestiges d'à-<co'ja[j.axa
dans d'autres témoins, et notamment
dans les extraits qui paraissent prove-
nir de Timée et où on aperçoit )a trace
d'une critique des règles antérieures
(301-305). Probablement les recueils
d'2xoûj|jLaTa ont été nombreux, soit
ceux qui étaient destinés au cercle des
initiés, soit ceux que publiaient des
érudits avec commentaires explicatifs
(305 sq.). L'obscurité de leurs formules,
en même temps qu'elle les garantissait
contre la curiosité indiscrète des pro-
fanes, semblait en outre plus propre
à assurer à ces formules une efficacité
magique (307). L'intérêt qu'il y a de
distinguer soigneusement les tradi-
tions, c'est qu'on connaît ainsi les po-
lémiques intérieures et qu'on les voit
s'élever non pas seulement entre Ma-
thématiques et Acousmatiques, mais
encore entredes sectes diverses d'Acous-
matiques, chaque groupe prétendant
représenter la tradition authentique du
Maître. Du moins- semble-t-il raisonna-
ble à M. D. de regarder la tradition
acousmatique comme antérieure à
l'autre, précisément parce que, dès le
ve siècle et au iv^, elle apparaît comme
une survivance (et bien qu'elle ne per-
mette pas de remonter avec assurance
jusqu'à la réforme même de Pythagore):
les Pythagoriciens de la secte mathé-
matique passaient plus ou moins pour
des hérétiques, de « soi-disant Pytha-
goriciens » (ol xa>vO"j[j.evoi riuSayôpeioi,
comme dit Aristote), qui avaient modi-
fié dans un sens rationaliste l'orienta-
tion primitive de l'école (308-312).
On a essayé de donner ici une idée
assez précise de la variété de ces études
de détail et du minutieux inventaire
qu'elles entreprennent. Bien qu'elles
ne touchent pour ainsi dire pas aux
doctrines vraiment philosophiques du
Pythagorisme, elles constituent une
contribution de premier ordre à l'his-
toire de cette école. Sans doute on
souhaiterait parfois un peu plus de
méthode dans l'exposition (1), et, sur
(1) Je n'insiste pas sur des imperfections de
détail que M. D., empêché par les circonstances
de revoir les épreuves, eût fait certainement dis-
paraître. La plupart des fautes typographiques
sont aisées à redresser. Celles qui intéressent les
références sont plus gênantes; j'en ai signalé
plusieurs au cours de ce compte-rendu, et, dans
une telle abondance de renvois, il était difficile
qu'il ne se glissât pas d'erreurs (cf. p. 63, Diog.
La., Vlll, au lieu de 29, lire 27). Peut-être eût-il
été possible de donner les références d'une façon
plus commode pour le lecteur, par exemple en
donnant pour Aristote ou pour Syrianus le ren-
voi complet, y compris l'indication de la ligne, à
l'édition da l'Acad. de Berlin (cf. p. 1, n. 3,
p. 177, p. 2Î1 etc.). J'en ai complété quelques-
COMPTES KENDUS BIBLIOGHAPHIQUES
227
I
plus d'un point, M. D. ne manquera
pas de rencontrer des contradic-
teurs (1). Mais les discussions ainsi
provoquées ne peuvent à leur tour
manquer d'être fécondes. En analysant
comme il le fait, sans parti-pris géné-
ral de défiance envers certaines sources,
la matière de la tradition pythagori-
cienne (fragments et doxographie), en
l'envisageant dans sa continuité, en
s'efforçant de distinguer les traditions
difl'érentes et de les comparer entre
elles, M. D. emploie la seule méthode
qui soit capable d'en dégager, autant
que possible, les éléments primitifs
authentiques et de les situer chronolo-
giquement. Le danger d'i^tre trop
accueillant à l'égard de certaines sources
est moins grand que celui d'en écarter
quelques-unes sans avoir fait aupara-
vant un inventaire comparatif intégral
de leur contenu : ainsi du moins on ne
risque pas de laisser échapper d'utiles
éléments dinformation. M, D. nous
promet d'autres recherches sur les
Pythagoriciens p. 6 et 136) et la publi-
cation d'un recueil de fragments
pythagoriciens (avant-propos) : elles
unes à l'occasion, pour ces auteurs et pour
d'autres. Que signifie |). o7, renvoi 1, 180, sans
autre indication ?
(1) Ainsi, par exemple, l'antériorité que, d'après
Dôring, il attribue à la formule « les ctioses
imitent les nombres » par rapport à cette autre
« les clioses sont des nombres » n'est peut-être
pas aussi incontestable qu'il le dit (27 sq., 30, 32 ;
cf. 1 i). La relation inverse est admise par Burnet,
pour qui la première formule est postérieure à la
critique de Zenon d'Elée {Gr. Philos., I, §72;
cf. Early Gr. Philos. § 153). — Comment M. I).
est-il assuré qu'Aristoxène ne nomme Pytliagore
que rarement et à bon escient (p. 20) ? Prouver
ainsi l'ancienneté d'une tradition ne suppose-t-il
pas une pétition de principe? — La faveur qu'il
accorde an témoignage de Timée est-elle entière-
ment justifiée? P. 47, il écarte, à son sujet, une
liypothèse parce qu'elle est « incompatible avec
le caractère d'un historien consciencieux ». Mais
d'autre part, il confesse p. 102, ce qui paraît être
la vérité même, qu' « il serait imprudent de
reconnaître une autorité incontestable à sesaffir-,
mations »,
seront, comme le présent volume,
bienvenues de tous les hellénistes et
particulièrement des historiens de la
philosophie grecque (1).
Léon Robin.
6. Dictionnaire des anliquités grecques
et romaines. — Fascicule 51 (Via-
Vomitorium). Hachette, 1916. ln-4o,
p. 809-868).
Ce fascicule, comme tous ceux de la
lettre V, intéresse encore plus les lati-
nistes que les hellénistes ; mais la part
de ceux-ci est encore considérable.
Les premières pages terminent la
deuxième partie de l'article Via
(Chapot); je signale particulièrement
dans la suite : Victoria (H. Graillot);
Vicus (A. Grenier) ; Viduvium (E. Pot-
tier) ; Vigiles (R. Gagnât); Villa
(A. Grenier et G. Lafaye) ; Viriim
(A. Jardé) ; Vitrum (iMorin-Jean) ; Vo-
lumen (G. Lafaye) ; et le commence-
ment de Vomiloriam (0. Navarre).
A. P.
1. Roy Kenneth HACK. The doctrine
of literary forms (Printed froiu the
HarvardStudies inclassicalphilology .,
vol. XXVII, 1916). In-80, 65 p.
M. n. proteste contre l'importance
prise dans les méthodes de la critique
par la doctrine des formes littéraires
et des genres. Il dénonce à l'aide
d'exemples précis les insuffisances et
les dangers de cette doctrine : l'histoire
de la littérature latine, notamment,
tend à n'être plus, dit M. H., que la
description des divers genres littéraires
et de leur évolution. On arrive ainsi à
reléguer au second plan l'inspiration,
(1) M. D. n'a pas la superstition de la pseudo-
grécité des noms grecs transcrits en français.
Mais personne ne lui accordera la graphie Asklé-
pius, qui coexiste d'ailleurs dans son livre avec
Asclépius.
228
COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
la personnalité même des écrivains,
pour admettre que le caractère de telle
œuvre poétique, ou de telle série
d'œuvres, est comme déterminé d'a-
vance par le genre. Cette théorie, qui
conduit la critique à des conclusions
contradictoires, a en outre le tort de
ne rien expliquer. Ainsi pour ï Art poé-
tique d'Horace. Certains y ont vu un
ouvrage didactique, accompli suivant
Norden, ou nécessitant, selon Ribbeck,
tout un travail de transposition;
d'autres (Weissenfels) le regardent
comme une épître, en font ressortir
l'allure décousue, et expliquent parles
lois du genre épistolaire la fantaisie
de la composition. Ces conclusions
opposées ont pour principe la même
erreur. C'est par le dedans, dit M. H-.,
qu'il faut expliquer l'Art poétique, en
partant de la personnalité même d'Ho-
race; par cette méthode tout s'éclaire,
et l'unité interne du poème apparaît.
Mais Horace lui-même a eu le tort de
soutenir la théorie des genres et des
formes littéraires. Et VArt Poétique
nous donne par là un second enseigne-
ment. L'idée maîtresse de l'ouvrage est
que l'écrivain doit toujours observer les
convenances (tô tcûétiov, rfecorwm), c'est-
à-dire ajuster dans la pratique à chaque
cas particulier l'imitation d'un modèle
idéal. Horace fixe pour chaque genre
poétique les mètres à employer : or
s'est-il conformé lui-même à ses doc-
trines? Nullement, et il en trahit ainsi
la fragilité. Il mêle les genres : près de
la moitié des Epodes sont lyriques par
le contenu; les Odes, par la variété de
leurs caractères, échappent à toute clas-
sification, et les plus médiocres sont
précisément celles où le poète s'est
plié aux lois du genre telles qu'il les
avait établies.
D'où provient donc celte fausse et
stérile doctrine? On la trouve déjà
chez Cicéron, dont la conception de
l'éloquence répond exactement à la
conception des genres poétiques chez
Horace. Même théoiie de la conve-
nance et du modèle idéal. Or Cicéron
nous indique sa source : la philosophie
platonicienne. La doctrine des formes
littéraires et des genres n'est que l'ap-
plication à la littérature de la théorie
des Idées. Aux yeux de Platon la seule
réalité véritable est, comme on sait,
celle des Idées, des Types immuables
et éternels, et il n'y a de science que
celle des Idées. Pour rendre aussi con-
forme que possible au monde des
Idées le monde imparfait où il vit,
Platon en élimine tout ce qui lui
semble dépourvu d'existence et de
valeur réelles Dans cette catégorie
sacrifiée il range les productions poé-
tiques, et il y parvient grâce à sa théo-
rie de l'imitation, l'œuvre du poète
n'étant pour lui que la copie d'un fan-
tôme de réalité. Or, dit M. H., la doc-
trine des Types immuables dont l'en-
semble forme la réalité est valable
pour la science, mais non pour la
poésie. L'appliquera l'activité poétique
est un sophisme dont on a le droit de
s'indigner. Car la vérité scientifique
n'est pas la seule, et le poète crée de
la réalité, en vertu du don divin qu'il
possède.
L'erreur de Platon a malheureuse-
ment donné naissance à tout un sys-
tème d'esthétique et de critique. Gom-
ment juger d'un lit exécuté par l'ou-
vrier à l'image de l'Idée de lit? D'après
son degré de ressemblance avec le lit
idéal. Voilà en germe la doctrine de la
convenance xà Tipsirov), celle des formes
ou des genres. On la retrouve chez
Aristote, dont la Poétique nous offre
pour la première fois l'exposé systé-
matique et complet de la doctrine des
formes littéraires. En vain Aristote
essaie-t-il de réduire la portée de cette
doctrine en formulant sa théorie de la
xâBapai;, et en alléguant que la poésie,
fondée sur le général, prend ainsi une
valeur philosophique : il conserve l'er-
reur fondamentale de Platon, il établit
des définitions qui expriment à ses yeux
la réalité suprême, mais qui, en fait, ne
sont d'aucun secours pour expliquer
une œuvre littéraire donnée. Il accré-
COMPTES RENDUS BlBLlOGHAinilQUES
^29
I
dite cette croyance erronée qu'un
poème peut être étudié du dehors et ne
doit être jugé bon que s'il otîre une
exacte conlorniité avec Telôo; corres-
pondant.
Platon et aprf'-s lui Aristote sont donc
responsables de la doctrine qui a pré-
valu chez les Péripatéticiens et les
Alexandrins, chez Varron, Cicéron,
Horace, et qu'on retrouve de nos jours
chez Taine, Bruuetière et Norden. Ap-
pliqué à la littérature, l'idéalisme pla-
tonicien est un principe de mort qui a
engendré la routine ou l'extravagance.
Il est temps de donner d'autres fonde-
ments à la critique. La doctrine des
formes littéraires ne fournit que des
étiquettes et ne rend compte de rien ;
la Quellensforschung, qui distingue
dans l'œuvre littéraire les éléments
empruntés, est un travail illusoire. Le
critique digne de ce nom doit être à la
fois un savant, pour reconstituer
d'abord tout ce qui peut être connu de
la réalité objective, et un poète, pour
se replacer ensuite, par un intense
effort d'intuition et de sympathie, au
centre de l'élan créateur, pour recréer
lui-même l'œuvje qu'il étu.lie.
Si ingénieuse et suggestive que soit
cette généalogie de la doctrine des
/ormes littéraires, il n'est pas sûr
qu'elle s'accorde exactement avec la
vérité historique, qui paraît être beau-
coup plus complexe. Il e'st probable
que les théories de ïaine et de Bruue-
tière, par exemple, ont leur source
ailleurs que dans le lointain système
de Platon. En établissant cette filiation
avec tant d'assurance, M. IL n'est-il pas
d'ailleurs en contradiction avec sa
propre thèse? Certes il a raison de faire
des réserves sur une conception méca-
nique de la critique, qui n'a peut-être
de scientifique que l'apparence. Ce n'est
pas en isolant les éléments de l'œuvre
d'art, en cataloguant des influences,
qu'on peut expliquer le mystère de la
création poétique ni l'unité interne
d'un poème. Mais les vues que M. IL
expose avec beaucoup de franchise et
REG, XXX, 1917, n» 137.
parfois dhuinopr ne sont pas entière-
ment nouvelles, bien qu'elles semblent
se rattacher aux systèmes récents de
W. James et de Bergson. En France la
critique a reconnu et signalé depuis des
années ce qu'il y a de caduc dans les
théories de Taine et de Brunetière. Elle
estime, d'ailleurs, que tout n'est pas à
rejeter dans la doctrine des genres et
de leur évolution. A-t-elle tort de re-
placer l'écrivain dans son milieu,
d'admettre qu'il subit dans une cer-
taine mesure l'influence de la tradition
littéraire, et de tenir compte de cette
influence dans son effort pour éclairer
la formation des œuvres ?
L. Mékidieb.
8. C. A. MANNING. A study of ar-
chaisrn in Euripides. Columbia Uni-
versity, 1916. ln-8o, 98 p.
Il y a longtemps qu'on l'a remarqué :
si difl'érent qu'Euripide soit d'Eschyle,
et si vives que soient les critiques qu'il
n'a pas ménagées à son grand devan-
cier, on commettrait une erreur si on
établissait entre eux deux, sur tous les
points, une opposition absolue, comme
le fait, pour les besoins de sa cause,
Aristophane, dans les Grenouilles. Au
moins à certains moments de sa vie,
dans certains de ses drames, Euripide
a remis en honneur certaines formules
que Sophocle a généralement aban-
données, et il semble s'être inspiré de
la technique dramatique d'Eschyle. Un
allemand, Krausse, a déjà écrit sur le
thème une dissertation : De Euripide
Mschyli instauratore, lena, 1905; titre
qui, à lui seul, risque de grossir la si-
gnification d'observations dont un bon
nombre cependant sont exactes et ont
leur valeur. M. Manning, pour carac-
tériser cette tendance, a employé —
peut-être avec raison — le terme plus
compréhensible : d'archaïsme ; mais
lui-même me paraît aussi parfois abon-
der dans son propre sens. Euripide a
eu à peu près toutes les curiosités ; on
, 16
230
COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
peut presque dire : toutes les fantai-
sies; on ne saurait donc être surpris
qu'il ait eu la tentation de chercher
parfois la nouveauté dans Texhumation
du passé ; c'est le contraire qui sur-
prendrait. Mais ce n'est là qu'un élé-
ment de son œuvre, entre mille autres.
M. M., en l'isolant, raniplifie, et il est
d'autant plus exposé à ce danger qu'il
étudie les faits littéraires un peu trop
matériellement, si j'ose dire, et par
leur côté extérieur, sans en pénétrer
vraiment l'esprit.
En 9 chapitres, il examine successi-
vement : 1" la structure du drame;
2° les prologues et les épilogues ; 3" la
parodos (en deux subdivisions : struc-
ture de l'ensemble, motifs qui jus-
tifient l'entrée du chœur) ; 4° les
iambes du chœur; 5o l'emploi de l'ana-
peste ; 6" celui du tétramètre tro-
chaïque ; 7" les descriptions ; 8" les
songes; 9° la religion d'Euripide. Ces
chapitres sont très inégaux, d'étendue
et de mérite. Un des plus précis est
le premier, qui contient des remar-
ques utiles, quoique l'auteur se tra-
vaille beaucoup pour retrouver dans la
composition d'une tragédie d'Euripide
une sorte d'adaptation des procédés
dont se sert Eschyle pour composer
une trilogie. Le 2e est vraiment bien
maigre ; je note que Al. M. n'a pas
connu le livre de M. Méridier. Dans le
3^ et le 4^, je retrouve, sur le rôle actif
du chœur, chez Euripide, de bonnes
choses que M. Decharme a déjà très
justement développées. Il y a quelques
indications à retenir aussi dans le 5"
et le 6e; cependant l'interprétation des
scènes en tétramètres trochaïques n'est
pas toujours satisfaisante. — Ces six
premiers chapitres traitent de la tech-
nique ; les trois derniers touchent da-
vantage à l'inspiration personnelle du
poète ; mais c'est alors que le défaut
de la méthode apparaît le plus claire-
ment : c'est vraiment par trop s'arrê-
ter au dehors des choses. Voyons le
dernier chapitre. M. M. commence par
citer une page du livre de M. Verrall
sur Euripide le rationaliste et fait
toutes ses réserves sur l'idée générale
de ce livre : ce n'est pas cela que je lui
reprocherai. Mais comment procède-
t-il lui-même ? 11 part de ce principe
qu'il n'y avait pas en Grèce de credo
officiel, et que les divinités helléniques
étaient d'origine diverse. 11 en conclut
qu'il faut étudier séparément le rôle
que joue chacune d'elles dans le théâtre
d'Euripide, et il choisit trois exemples :
Dionysos, Apollon, Athéna. Prenons le
premier. M. M. relève les mentions
qu'Euripide a faites de Dionysos, et je
me demande s'il compte que nous tire-
rons grand profit de savoir que Phèdre
est appelée AiovJaou Sajxap au vers 339
(ïllippolyte, ou qu'une amphore de vin
est dite eriaaûpia-jJLa Aiovûaou au
vers 497 d'Hécube. Naturellement, les
Bacchantes sont ensuite examinées par-
ticulièrement, et je dois rendre à Al. M.
cette justice qu'il n'a aucun goût pour
des interprétations aussi arbitraires
que celles de MM. Verrall ou Norwood.
Alais lui-même ne simplifie-t-il pas sin-
gulièrement les choses dans les deux
ou trois pages bien superficielles qu'il
leur consacre ?
Le livre se termine sur les dernières
lignes du paragraphe relatif à Athéna,
sans aucune conclusion d'ensemble. On
n'en sera pas très surpris après ce que
je viens de dire; mais n'est-ce pas la
meilleure preuve que AL AL s'est con-
damné à une méthode bien stérile ?
A. PUECH.
9. G. MATHIEU. Arislote, Constitu-
tion d'Athènes. Essai sur la méthode
suivie par Aristote dans la discus-
sion des textes {Bibliothèque de
l'Ecole des llaules-Étiides, se. hist.
et phil., fasc. 216). Paris, Cham-
pion, 1915. In-8o, vii-'l37 p.
L'ouvrage de AL Mathieu — déve-
loppement d'un mémoire préparé en
19H pour le diplôme d'études supé-
rieures — consiste essentiellement en
COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
234
une étude critique sur r'AÔ-rivaiiov llo).:-
T£(a; mais cette étude critique ditt'ère
sensiblement des précédentes, par son
but et par sa méthode. F/introduction
rappelle l'enthousiasuje provoqué, en
1891, par la publication de Kenyon, la
désillusion qui le suivit si promptc-
ment, les discussions qui divisèrent à
ce sujet le monde savant : tout cela,
suivant M. Mathieu, est dû aux dé-
fauts, à rinsufïisance des méthodes
employées. Les méthodes « compara-
tives », qui consistent à opposer les
affirmations d'Aristole à celles d'autres
auteurs anciens, ne sauraient conduire
à des résultats positifs : « quelle re-
« cherche délicate que celle où le seul
« fait de la découverte de Toeuvre dont
« on cherchée connaître la valeur suf-
« fit à remettre en question la valeur
« même des ouvrages d'après lesquels
« on veut la juger ! » (p. IV). — La mé-
thode « stylistique » ne peut être
fructueuse, étant donné le caractère
singulier de T'A, IL, dans Tœuvre du
Stagirite. Enfin, la méthode « subjec-
tive », c'est-à-dire l'étude des tendances,
apparaît doublement critiquable; car
il faudrait comparer ces tendances avec
celles qui se manifestent dans la Poli-
tique, par exemple, et il existe en
outre, dans l' 'A, n., des tendances di-
verses, contradictoires même, ce qui
explique les différences d'interpréta-
tion.
Ce procès étant fait, M, M. signale
dans toutes ces méthodes une lacune
qu'il veut précisément combler. « On a
« un peu négligé de rechercher com-
« ment Fauteur de 1' 'A. n. confrontait
M les témoignages, pour quelles raisons
« il choisissait entre eux, comment il
ft discutait les problèmes que soulevait
« leur désaccord, en un mot quelle
« était sa méthode de discussion histo
« rique » (p. VI). Il ne s'agit donc pas
d'étudier les sources « pour aider à la
découverte de la vérité » — ce que se
proposait Wilamovitz dans son Aris-
tofeles und ALhen -, mais de « déter-
« miner par quels procédés et pour
« quelles raisons A. se décide à ac-
« cepter une version plutôt qu'une
« autre » (p. vu). C'est, en quelque
sorte, un travail de critique interne,
au moyen duquel M. M. espère définir
la nature même de 1"A. H.
Ce but explique la méthode suivie.
Sauf pour le fameux ch. iv (Dracon),
rejeté à la fin du volume — nous ver-
rons plus loin pourquoi — , l'ordre
chronologique est presque constam-
ment respecté: M. M. suit pas à pas
le texte des 41 premiers chapitres de
1"A. n. Il convient donc, pour com-
prendre les résultats auxquels est par-
venu M. M., de les examiner analyti-
quement, et d'apporter, dans cette
analyse, un peu de cette précision mi-
nutieuse qui est la caractéristique
essentielle de ce travail.
Dans son premier chapitre (Athènes
avant Solon), M. M. expose les dif-
ficultés auxquelles se heurtait Aristote :
renseignements vagues et incertains
(légendes, quelques hypothèses four-
nies par les Atthidographes). Aristote
a donc été amené à évoquer le passé
d'après les vestiges qu'en avait con-
servés l'Athènes du iv" siècle; cela
explique l'emploi de termes tels que
aTi[A£ta, x£X[XT,pLa (p. 2). Mais cette
méthode est appliquée sans rigueur.
Bien que M. M. accepte, à la suite d'une
discussion très serrée, la date du coup
d'État de Cylon, l'incertitude de la
chronologie est prouvée par les for-
mules coutumières : [xsTà xaûxa, ttôX-jv
/povov, etc. — et surtout par cet aveu
d'indifférence, à propos de l'institution
des archontes : Toùto [xàv ouv ÔTroxépwç
TTOx' S/SI,, [j.t,vcp6v àv TrapaVAdtxxoi xoT^
yjtovùl:, ('A. FI., 111, 3). L'exposé même
des institutions soloniennes est vague
et tendancieux : seules les attribu-
tions des thesmothètes sont définies,
et le rôle considérable qui est assigné
à l'Aréopage primitif fait prévoir, dès
lors, un ami de l'oligarchie. Cepen-
dant, au chapitre xxv, les droits de
l'Aréopage sont considérés comme
ajoutés, ÈTr^exa; ce qui est absolument
232
COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
contraire aux affirmations des premiers
chapitres. C'est qu'A., loin d'être
partial, accueille les traditions diffé-
rentes et les combine au point de se
contredire lui-même.
Pour Solon (ch. ii), Aristote possé-
dait des documents (poésies, inscrip-
tions), mais surtout les considérations
politiques que lui apportaient les Atthi-
dographes : et c'est de cela seulement
qu'il s'est servi. Or ces travaux
devaient être à la fois partiaux, c'est-
à-dire déformés par les préoccupations
politiques, et peu critiques, en ce sens
qu'on cristallisait, autour du grand
nom de Solon, toute la législation ulté-
rieure. — On retrouve ici la même
indifférence à Tégard des dates, et la
méthode des « aTfijjLeTa » déjà signalée.
C'est d'après son temps, en effet,
qu'Aristote se représente la division des
citoyens en quatre classes, le tirage au
sort des archontes (M. M., après un
nouvel examen de la question, affirme
qu'ils étaient alors élus). — Mais pres-
que tous les renseignements donnés
par Aristote proviennent d'écrits his-
torico-politiques, les uns nettement
démocratiques et favorables à la « doc-
trine populaire », les autres dévoués à
l'aristocratie et reflétant cette « doctrine
littéraire » sur laquelle s'appuyait le
parti d'isocrate. A la première ten-
dance appartient évidemment le pas-
sage sur la j£i(jdty0£ia, qu'Aristote pré-
sente comme une abolition totale
des dettes, et qu'il approuve, contrai-
rement à Platon, à Isocrate et à tous
les « boni viri » de l'antiquité. — Mais,
par ailleurs, il reste fidèle à la tradi-
tion aristocratique ; c'est ainsi qu'il
représente Solon comme un modéré
de naissance noble, de fortune
moyenne, et qu'il grandit l'Aréopage
au point de lui attribuer le jugement
des etaayvcXiai. On aperçoit donc un
mélange de traditions contraires, — et
M. M. n'a pas exagéré la part qui
revenait aux influences aristocratiques.
Dès qu'il est question de la tyrannie
(ch. m), la méthode d'Aristote devient
plus apparente. On le voit plus soucieux
de la chronologie (M. M. discute lon-
guement les dates que donne Aristote
pour Solon et pour les Pisistrati-
des). Certaines discordances prouvent
qu'Aristote puise encore à deux sources
différentes : quelque Atthidographe et
Hérodote. Toutes les difficultés s'expli-
quent par ce conflit entre traditions
divergentes; M. M. le prouve au sujet
de la guerre contre Mégare, de l'éta-
blissement de la tyrannie pisistratide,
etc. Alors même qu'il s'agit de Pisis-
trate, Aristote, qui lui est favorable,
n'abandonne pas la tradition démocra-
tique hostile au tyran, et lui attribue
un impôt de 1/10, essentiellement
impopulaire. Nulle part cet « imbro-
glioj) n'aboutit à un exposé plus obscur
qu'au moment où Aristote décrit la
tyrannie d'Hipparque et d'Hippias ; le
ch, xviii, relatif à l'attentat d'Harmodios
et d'Aristogiton, est un modèle de con-
fusion. M. M. en fait une critique très
serrée (p. 42-51) et dénonce excellem-
ment les contradictions, les erreurs
provoquées par les erreurs précédentes,
les invraisemblances chronologiques,
etc. — Mais on voit très nettement
apparaître l'hostilité d'Aristote à légard
de la démocratie ; quand il parle de
Pisistrate, d'Harmodios et d'Aristogi-
ton, il énonce des idées personnelles,
favorables à l'aristocratie ; et cet idéal
antidémocratique va prédominer désor-
mais.
Le chapitre iv'est consacré à la pé-
riode 510-411, qu'Aristote lui-même
envisage comme un siècle de véritable
démocratie. Suivant sa méthode, M. M.
examine, un par un, les événements
dans l'ordre oîi ils se présentent ; il
signale de nombreuses obscurités à
propos de Clisthène et de ses réformes
(création de nouveaux citoyens, ques-
tion des tribus, date de l'établissement
des stratèges) ; les sources étant di-
verses (Hérodote, influences hostiles à
Clisthène, traditions démocratiques),
les renseignements sont peu cohérents;
il en est de même pour Aristide. —
COMPTES RENDUS BIBLIOPtRAPHIQUES
233
Mais les vues personnelles d'Aristote,
de plus en plus hostiles à la démocra-
tie, acquièrent une place prépondé-
rante; c'est pourquoi il exalte le rôle
joué par TAréopage avant Salamino,
condamue Thémistocle et Ephialte, et
approuve la mise à mort de ce dernier,
bien qu'il suive, pour le récit des évé-
nements, une tradition démocratique !
Enfin, quand il décrit, assez exacte-
ment, la démocratie athénienne, il
cherche nettement à la dénigrer; il
présente, en etï'et, les Athéniens comme
des fainéants stipendiés par l'État, cri-
tique la politique de Périclès qu'il assi-
mile aux démagogues, insinue, à pro-
pos d'Anytos, que les héiiastes étaient
corruptibles. Cela suffit à prouver le
rôle que les tendances oligarchiques
vont jouer, désormais, dans l' 'A. El.
Avec les Quatre-Cents, en effet (ch. v),
apparaissent très nettement les vues
politiques d'Aristote. S il utilise parfois
Thucydide, pour le récit des faits
(aflaire de l'Eubée, chute des Quatre-
Cents), il ne lui emprunte qu'un juge-
ment, précisément favorable à la cons-
titution des Cinq-Mille, et passe sous
silence le rôle joué par l'armée de
Samos, ce qui prouve déjà des inten-
tions peu démocratiques. Partout ail-
leurs, Aristote s'écarte de Thucydide,
et M. M., par une analyse serrée et
minutieuse, prouve que les retouches
d'Aristote ont pour but de légitimer
le régime des Quatre-Cents, de le pré-
senter comme régulier et constitution-
nel. A cette fin, Aristote se garde de
citer Peisandros, oligarque avéré,
parmi les auteurs de la constitution
nouvelle ; il expose, aux ch. xxx et
XXXI, les deux constitutions qu'auraient
votées les Cinq-Mille, voulant montrer
ce dont les Quatre-Cents auraient été
capables; il les représente enfin comme
des adversaires d'une paix honteuse,
alors que Thucydide soutient le con-
traire. — Par endroits (ch. xxxii) repa-
raît le désir de combiner des tradi-
tions contraires; mais tout est dominé
par les sympathies oligarchiques :
Aristote va jusqu'à encadrer dans son
récit des documents otfirjels, destinés
à le rendre plus probant.
Mi'^mes tendances et mêmes procé-
dés dans les chapitres suivants où
Aristote expose la fin de la guerre
du Péloponnèse et l'établissement des
Trente (ch. vi). Traitant du procès des
Arginuses, il affirme, avec V Apologie,
que les deux stratèges ont été con-
damnés à mort : mais il a soin de pas-
ser sous silence le rôle de Théramène.
Il déprécie à dessein, le rôle de Cléo-
phon, l'accuse d'avoir fait échouer en
406 — date peu vraisemblable — des
négociations de paix très avantageuses
pour Athènes ; il en fait l'auteur de la
diobélie et présente sa mort comme le
légitime etfet de la colère populaire,
ce que Lysias conteste formellement.
Dorénavant, l'A. n. n'est plus
qu'un plaidoyer favorable à Théra-
mène, ce qui n'exclut pas absolument
les influences démocratiques ; mais il
cherche surtont à dégager la responsa-
bilité de Théramène, et, dans la restau-
ration de la démocratie, il ne loue que
les modérés, prêts aux réconciliations
politiques. Tout révèle ici l'influence
d'un ouvrage à tendances oligarchiques.
C'est alors seulement (ch. viij que
M. M. examine le problème de Dracon.
Il y voit, avec Ed. Meyer, deux ques-
tions distinctes : la constitution de
Dracon a-t-elle existé ? Le chapitre iv
de T'A. II. est-il l'œuvre d'Aristote?
A la première, M. M. répond non. 11
conteste, avec Ed. Meyer, l'existence
des stratèges avant oOl, celle du Con-
seil de 401 membres ; les évaluations
en argent monnayé sont à ses yeux des
anachronismes ; il signale enfin toutes
les difficultés relatives à la désigna-
tion des magistrats, au roulement
établi entre les citoyens pour l'accès
aux magistratures : bref, il voit, dans
la constitution draconienne, une
création contemporaine des Quatre-
Cents, et la fixe à l'année 409/8, c'est-
à-dire sous l'archontat de Dioclès.
Quant à l'authenticité- du chapitre,
234
COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
M. M. admet que le morceau }Deut être
l'œuvre d'Aristote et rejette, au sujet
du style, les arguments de M, Dufour.
La conclusion de M. M. est double :
1° 11 condense ses observations sur
la méthode d'Aristote : emploi de plu-
sieurs sources (Hérodote, Thucydide,
Atthidographes, ouvrages à tendances
politiques, aussi bien démocratiques
qu'oligarchiques). M. M. relève les em-
prunts faits à cette tradition démocra-
tique, mais n'ose rien affirmer quant à
leur origine ; il croit cependant à l'exis-
tence d'un ouvrage démocratique, au-
quel Aristote aurait puisé. Plus com-
plexe est la question des influences
aristocratiques; car la démocratie n'est
pas toujours critiquée de la même
façon dans T'A. M. Ces critiques ont
tantôt l'accent d'un pamphlet, tantôt le
ton d'un ouvrage doctrinal, fidèle aux
traditions vénérables du « bon vieux
temps » (p. 118). Aristote se serait donc
inspiré à la fois d'un pamphlet, qui
serait l'œuvre de Critias et daterait
de l'an 403, et d'un ouvrage doctrinal,
favorable à Théramène ; celui-ci aurait
été écrit par un partisan de Phormisios
entre 403 et 400. Ainsi s'expliquent
les divergences et les contradictions
de l'ouvrage, d'autant plus que, par
souci d'impartialité, Aristote concilie au
lieu de choisir.
2» Arrivé à ce résultat, M. M. croit
pouvoir déterminer la nature de 1"A. IL
Ouvrage de valeur historique contes-
table, parce qu'il ne peut être consi-
déré comme un travail de première
main, il doit surtout nous intéresser
comme exemple de la littérature poli-
tique d'Athènes. M. M. reporte sa com-
position aux dernières années d'Aris-
tote ; ce serait même, d'après lui, une
œuvre posthume, que la mort du Sta-
girite aurait laissée à Tétat d'ébauche,
le pendant de VEnéide, à cet égard,
dans la littérature athénienne.
Ce travail, dont nous venons d'ex-
poser les résultats, a une très réelle
valeur. Dabord, il repose sur une
étude approfondie du texte d'Aristote,
et sur la connaissance exacte des sour-
ces auxquelles celui-ci a pu puiser.
Les comparaisons avec Hérodote
(ch. m), avec Thucydide (ch. v), sont
extrêmement serrées. M. Mathieu con-
naît également bien les textes d'Iso-
crate, si utiles pour fixer les opinions
politiques auxquelles Aristote acquies-
çait. Les jugements qu'il a recueillis sur
l'abolition des dettes (notes de la p. 18)
sont d'un grand poids dans la discus-
sion; les rapprochements avec Satyros
(p. 28), avec Andocide (p. 73) sont
particulièrement judicieux.
Au cours de sa discussion, M. M.
a exprimé plusieurs idées personnelles.
Plusieurs sont à retenir. La distinc-
tinction qu'il établit, dans sa con-
clusion, entre les diverses attaques
qu'Aristote dirige contre la démocratie
est neuve et en tout point acceptable.
Le plus souvent, son argumentation
est serrée et convaincante; il arrive
cependant que M. M. veuille trop prou-
ver. N'y a-t-il pas quelque ingéniosité
exagérée à vouloir transformer en pro-
fession de foi aristocratique l'éloge
qu'Aristote au chapitre cxi de 1' 'A. n.
accorde au rôle toujours grandissant
de r £xx>vT,a'.a? Et ne pourrait-on y voir,
tout simplement, le reflet d'une in-
fluence démocratique, ce que M. M. lui-
même a si fréquemment constaté? —
La conclusion renferme, elle aussi, des
hypothèses assez audacieuses. Nous
avons vu que M. M. attribuait l'ouvrage
doctrinaire, qui serait une des sources
d'Aristote, à un partisan de Phormisios.
Or, cette attribution se fende sur ce
fait que Phormisios est cité, sans raison
apparente, dans 1' 'A. II. : et de cela
M. M. conclut que Phormisios devait
être « l'homme politique préféré de
l'oligarque doctrinaire (p. 122) »! Les
témoignages de la Politique, de Lysias,
prouvent, il est vrai, que Phormisios
était, comme Aristote, un aristocrate
modéré, favorable à la classe paysanne ;
mais cela ne suffit pas pour affirmer
que l'écrivain en question se rattachait
à son parti.
COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
235
Si Ton peut trouver un défaut domi-
nant dans ce travail, c'est sans doute
une tendance à l'envisager uniquement
comme une série de discussions, un
peu sèches, sui' un texte donné. M. M.
aurait pu rappi'ocher plus souvent
T'A. n. des autres écrits politiques du
philosophe, La Politique n'apparaît
qu'incidemment dans ce travail. A
propos de la asuâ/ôsia, dont Aristote
fait l'éloge, M. M. aurait pu s'appuj'er
'sur un passage de la Politique, où le
législateur est félicité pour avoir rétabli
l'égalité des biens (II, 1266). Les consi-
dérations sur les Pisistratides appe-
laient aussi deux citations : l'éloge du
bon tyran (1315 ù 40) et les dangers
courus par la tyrannie, qui doit re-
douter la colère plus encore que la
haine (1312 b 25) : on aurait ainsi
prouvé qu'Aristote énonce, à ce moment
là, des idées -personnelles. C'est sur-
tout dans la conclusion que M. M.
aurait dû comparer l'idéal politique
esquissé dans F 'A. II. avec celui
qu'Aristote exprime formellement dans
ses ouvrages de doctrine. On peut
signaler, sur ce point, une lacune dans
la bibliographie, que M. M. aurait peut-
être pu réunir en tête du volume
(publications de textes, traductions,
ouvrages d'ensemble, travaux de dé-
tails). Les théories de M. M. se rappro-
chent, en somme, de celles de von Mess
[Aristoteles 'A. II. und die politische
Schiifstellerei Athens, Rheinisches Mu-
séum, t. LXVÏ, 1911) : or cet article n'est
pas cité. — 11 y aurait eu avantage à
consulter les ouvrages récents sur les
théories politiques et économiques
d'Aristote, ceux de Kinkel, par exem-
ple, et de Defourny : M. M. y aurait
trouvé l'explication de cette hostilité à
la démocratie pure, à l'empire mari-
time, etc. D'une façon générale, M. M.
passe trop vite sur les idées qui débor-
dent le cadre même de son travail. Il
mentionne (p. 12) l'absence d'impar-
tialité chez les historiens anciens :
n'aurait-il pu élargir un peu le débat,
en utilisant le livre d'H. Peter, Wahr-
heit und Kunst, Geschichlschreibung
und Plagiat in klassischen Altertum?
La falsification qu'est la constitu-
tion draconienne appelait (p. 108) une
cotnparaison avec Lycurgue, dont la
légende prend corps au iv« siècle, avec
Éphore, et surtout au iii'^ siècle, sous
Agis et Cléomène, précisément pour
les mêmes raisons ; Plutarque, les
Forschunrjen d'Ed. Meyer, la Griechis-
che Geschichte de Busolt offraient les
éléments d'un parallèle.
La composition du livre présente des
avantages et des inconvénients. Ce
« commentaire perpétuel » du texte
d'Aristote lui permet d'atteindre à une
grande précision; le chapitre m, rela-
tif à la tyrannie, où la méthode d'Aris-
tote se révèle dans toute sa complexité,
ne pouvait, semble-t-il, être traité d'au-
tre manière. En outre, à suivre de très
près T'A. n., M. M. a pu indiquer avec
une grande netteté les modifications
des procédés et des tendances au cours
de l'ouvrage : on n'avait pas encore
montré, avec autant d'exactitude, com-
ment Aristote devient peu à peu et de
plus en plus hostile à la démocratie.
Mais par endroits, la fidélité peut-être
excessive avec laquelle M. M. s'est atta-
ché au texte d'Aristote amène des redi-
tes et quelque confusion. Au ch. ii,
M. M. montre d'abord Aristote obéis-
sant à diverses tendances, soit démo-
cratiques soit aristocratiques. Puis il
indique, dans l'exposé des institutions
soloniennes, la méthode des oTriiieTa.
EnQn, quand il s'agit de l'Aéropage et
des sîaayyeXîat, M. M. retrouve l'action
de tendances politiques. N'aurait-il pas
été préférable d'abandonner, pour ce
chapitre, l'ordre chronologique, et de
grouper les différentes questions, rela-
tives à Solon, d'après les différentes
méthodes dont Aristote s'est servi?
Dans le détail, enfin, on peut signaler
quelques négligences. Les fautes d'im-
pression sont rares (1) ; mais on ren-
(1) Signalons, p. 39 : Aristote pour Aristide ; —
p. 71, héliostes pour héliastes ; — p. 90, note 5 :
236
COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
contre quelques références incomplètes
(p. 59, lignes 23-24) ou inexactes
(p. 38, le texte dit : '\. 11. XXVI, 3, -
et la note 7, XXVH, 3 ; — c^est XXVI, 4
qu'il faut lire). On souhaiterait aussi,
p. 38, la référence de l'insciùption sur
laquelle s'appuie le texte de Thucy-
dide (VI, 55, 1), les références du
terme è-KisixEiç (p. 69, 1. 20). On re-
grette (p. 92) l'absence du texte de
Xénophon {HelL, 1, 7, 35) sur la mort
de Gléophon ; p. 40, le texte de Y A. n.
relatif au désarmement du peuple
('A. n., XV, 4-5). Pourquoi, dans son
chapitre I, M. M. ne cite-t-il pas, à
propos de l'Aéropage, ce texte si frap-
pant de r 'A. n. (111, [3, 16]) qui critique
visiblement le temps présent : Kùpioi
0 T,(Tav xaî xàç St'xa; y.ù'zoxz\ci^ xpîvsiv
xal 0 'JX w a Tt £ p vu v xpoavatxptvsiv ?
Pourquoi négliger cet éloge de Solon
('A. n., XI, [12, 20]) qu'Aristote glorifie
d'avoir voulu « sauver la patrie ei
établir les meilleures lois w?— Parlant
du port des armes aux Panathénées
(p. 48), M. M. déclare qu'Aristote
connaît « sans doute », à ce sujet, un
décret de la démocratie. Pourquoi « sans
doute »? Il existe dans T'A. n. un texte
formel, que M. M. a tort de négliger
('A. n., XVllI, 4) : Où yàp iTicaTrov tôts
[JLSO' 0-)vO)V, àXX' 'JJTSpOV TOÙTO /CaT.eO'-
xsuajEv ô Sf,;jLoç. Enfin, M. M. est par-
fois trop elliptique et par suite peu
clair; il y a, p. 10, p. 59, des passages
obscurs; nous ne savons pas pourquoi
il accepte l'opinion de M. Carcopino
touchant l'estracisme de, Thémistocle
(p. 62); il ne souligne pas l'importance
en quelque sorte nationale du fameux
axôXiov (p. 42) :
'Ev [xûpTO'j xXaSl xd ^i-fo; cpopT,ao).
Nous ne savons pas (p. 108), en quoi
les conclusions de M. Dufour, tou-
chant l'expression é'Spa jâouXf,;, sont
exagérées.
Mais les imperfections dont il s'agit
ne diminuent en rien la valeur de l'ou-
Diodore XIII, 52-2-53 pour 52-53 ; — p. 127,
^our pour jour.
vrage. 11 reste incontestable que M. M.
a donné un travail sérieux et solide,
assez souvent personnel, qui détermine
parfaitement la valeur historique de
1"A. n. et répond exactement au but
que l'auteur s'est proposé.
Uobert Jahdh.lier.
10. C. H. myOKE. The religions Viought
of the Greeks from Homer to the
triumph of Chris t.ianity. Cambridge,
Harvard University Press, 1916. In-S»,
vii-385 p.
M. Moore, professeur de lalin à
l'Université Harvard, — mais fort bon
helléniste aussi, comme ce livre en té-
moigne, — avait fait, en 1913, dans
quelques collèges de l'Ouest qui sont
en relation avec cette Université, puis
en 1914 à llnslitut Lowell, de Boston,
une double série de conférences, qui
lui ont fourni la matière de ce volume.
Ces excellentes leçons méritaient, en
effet, d'être réunies et publiées; elles
forment un exposé remarquablement
clair, sobre et intéressant d'un sujet
vaste et difficile. M. M. s'est proposé de
présenter, en marquant seulement les
grandes lignes, l'évolution de la pensée
religieuse chez les Grecs, depuis les
poèmes homériques jusqu'cà la théo-
logie chrétienne. Il laisse de côté toute
discussion sur les origines, les carac-
tères primitifs des cultes, rites et lé-
gendes. H prend les Grecs à partir du
moment oii ils ont commencé à réflé-
chir sur tout cela, sur la nature des
dieux, sur leurs relations avec l'huma-
nité, sur les besoins religieux de celle-
ci, sur le rapport de la religion et de
la morale. Il dégage le progrès des
idées par l'œuvre des poètes, des con-
fréries mystiques, des écoles philoso-
phiques, etc., jusqu'à ce que la pensée
grecque s'altère au contact des in-
fluences orientales ; peut-être a-t-il un
peu trop de tendance à croire que la
civilisation hellénique, antérieurement
à la période alexandrine, s'est déve-
COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
237
loppée en vase clos. Dans ses deux der-
niers chapitres, il fait le bilan de ce
que le christianistiie doit :i i'iieiiénismc.
Une étude de ce genrr» est nécessaire-
ment un peu cursive, et Af. M. la
donne modestement pour un essai. l'>n
réalité, sur toutes les ((uestions déli-
cates qu'il est conduit à examiner —
(par exemple : le caractère plus ou
moins artificiel de la religion homé-
rique; l'influence de l'orphisme et des
mystères; les idées morales et reli-
gieuses dans la tragédie; rintcrprT'ta-
tion, au point de vue religieux, du
platonisme ou du stoïcisme; la signi-
fication véritable des emprunts faits à
la philosophie par les apologistes ou
les docteurs alexandrins) — on sent,
derrière cet exposé concis et plein, une
connaissance solide et précise des
textes et des documents de toutes
sortes, et, malgré les divergences
d'appréciation inévitables, on aime à
louer la constante mesure et l'habi-
tuelle justesse du jugement. C est de
la bonne vulgarisation, telle quelle ne
peut être faite que par un véritable
savant. — Le livre se termine par un
appendice bibliographique, qui ne
donne qu'un choix, mais un choix bien
fait.
A. PiJEcn.
11. Georges NICOLE. Corpus des Céra-
mistes grecs. Paris, Leroux, 1917.
Tn-8o, 40 p.
C'est le tirage à part d'un article
paru dans la Revue archéologique (1916,
IV, p. 373-412) ; il est bon de le signaler
aux travailleurs qui voudraient le pos-
séder en fascicule séparé, comme mé-
mento utile à consulter. C'est, en effet,
un complément à l'ouvrage classique
de W. Klein sur les signatures des
céramistes grecs {Die griechischen
Vasen mit Meistersignaturen, Vienne,
2° édition, 1887), qui était devenu
fort incomplet après les multiples
découvertes faites depuis trente ans.
Tout archéologue s'occupant de céra-
mographie grecque comble, tant bien
que mal, les lacunf's par des notes sur
son exemplaire des Meistersignaturen.
Mais il était bon que la revision com-
plète fût tentée et mise au point avec
exactitude. M. Nicole l'a entreprise et
nous devons lui en savoir beaucoup de
gré. Alors que Klein navait énuméré
que 103 noms différents de peintres ou
de fabricants de vases, il en mentionne
133. Son plan est aussi plus logique
est plus commode que celui de son
prédécesseur. Il a divisé l'ensemble en
quatre sections : 1. Fabriques primi-
tives non attiques. II. Vases attiques à
figures noires. III. Vases attiques à
technique mixte. IV. Vases attiques à
figures rouges. Dans chaque catégorie
il a adopté l'ordre alphabétique. Il est
facile de retrouver très rapidement le
nom de l'artiste dont on veut connaître
la production. La bibliographie de
chaque œuvre est donnée par de
courtes annotations qui ne s'embarras-
sent pas de toutes les publicatioûs à
citer, mais qui renvoient au travail le
plus récent. Aucun des sujets n'est
décrit. Cette suppression voulue allège
évidemment le fascicule et a permis
de lui donner une forme de répertoire
très concis; pourtant, je crois qu'il y
aurait eu avantage à indiquer au moins
par quelques mots les sujets repré-
sentés; l'auteur aurait épargné au lec-
teur des consultations souvent longues
et difficiles et il eût placé sous nos
yeux l'ensemble de la production de
chaque artiste. Le travail pèche, à cet
égard, par un excès de brièveté, et
quelques pages d'impression de plus
l'auraient rendu encore plus utile.
M. Nicole m'a déjà signalé quelques
additions ou changements à introduire
dont je ferai profiter nos lecteurs :
P. 3. Ajouter aux potiers du vue siè-
cle une signature incomplète :
...IIMEPOIEIEN, sur un vase du
Musée de Palerme, un fragment, trouvé
à Sélinonte et apparenté aux vases de
Mélos, mais avec traits incisés. —
238
COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
P. 15, ligne 29. Supprimer : 30. Un
fragment à Constantinopie. Écrire :
Berl. phiL Woch., 1888, p. 1517 sq.
(skyphos). Dans la note, 1. 2, écrire :
(nos l et 29). — P. 18, en bas, ajouter :
86 bis. Rome. Villa du pape Jules. Pyxis
à flg. rouges. Rizzo la tient pour le chef-
d'œuvre de l'atelier de Nicosthénès et
en attribue la peinture à Epiktétos. —
— P. 19, 1. 10. Écrire : 91 et 92. Lig. 11:
no 59, 1 et 29. Lig. 12. Au lieu de vases,
écrire : Amphores trouvées en 1913,
etc. Changer les n"» 92, 93, 94, en
nos 93^ 94^ 9r,, et ajouter, 1. 15 : 96.
Kyathos de Bryn Mawr, Aynevican
Journ. of archaeology, 1916, p. 316,
fig. 4. — P. 20, I. 32. Ajouter : 30. Kylix.
Rome. Villa du pape Jules. Int. : Ulysse
sous le bélier de Polyphèmc. — P. 21,
I. 23. Effacer : Disparu, et écrire :
Musée de Boston. — P. 29, 1. 9. Écrire :
Musée de Turin. iNote 1, 1. 20. Écrire :
2e édition avec refonte complète, parue
en 1917 sous le titre, Eulhymides and
his fellows, Cambridge, Harvard, Uni-
ver-sity Press. — P. 36, 1. 2, n» 3.
Écrire : Musée de Bruxelles. — P. 38,
1. 18, no 5. Écrire : Milan, collection
théâtrale de la Scala. Note 1, I. 1.
Écrire : deuxième moitié du iv siècle.
— P. 40. Ajouter : 132. Platon. Uli-
Tojvo; S'.y.ôXio'jTa;; 'ATTOAWvie'!;; è~ovi\^£,
sur plusieurs vases à reliefs du Musée
de Palerme, trouvés à Teano {Mon.
atiLichi dei Lincei, XX, 1910, p. 29). Cf.
la signature nXâTwp, Pagenstecher,
Die calen. Relief-Keramik, p. 121.
E. POTTIER.
12. Henri OMONT. Minoide Mynas et
ses missions en Orient {1840-185Ô)
(Extrait des Mémoires de l'Acadétnie
des Inscriptions et Belles-Lettres,
t. XI.). Paris. G. Klincksieck, 1916.
ln-40, 85 p.
Minoïde Mynas (MivwtSïi; MT,vâO est
connu surtout par Theureuse décou-
verte qu'il fit au mont Athos des ma-
nuscrits qui nous ont conservé les
Fables de Babrius (actuellement au
British Muséum) et le traité de la
gymnastique de Philostrate. Différents
ouvrages de philologie grecque qu'il a
publiés sont aujourd'hui tombés dans
l'oubli : Orthophonie grecque, ou traité
de Vaccentualion (1824), Calliope, ou
traité sur la véritable prononciation
(1825), Théorie de la grammaire et de
la langue grecques (1827), Grammaire
grecque... et la différence avec le grec
vulgaire (1828). Mentionnons aussi un
poème (en grec) en l'honneur de Char-
les X, la Kapo>;ià(; restée inédite (1).
C'est au cours de deux missions
(car la troisième, de 1850 à 1855, fut
sans résultats), la première, de février
1840 à mars 1843, la deuxième, de mai
1844 à décembre 1845, qu'il explora
avec succès les bibliothèques de
l'Orient. L'art antique ne fut pas né-
gligé, comme on peut le voir dans le
Catalogue sommaire des marbres anti-
ques du Musée du Louvre et dans un
intéressant article de M. E. JNlichon,
Fondation Piot, Monuments et Mé-
moires (1915), t. XIT.
Les fonds des Archives Nationales
et celui du Supplément grec de la Bi-
bliothèque Nationale ont permis à
M. Omont de tracer un tableau très
vivant de lactivité littéraire de M. My-
nas, activité qui ne fut pas sans fruit
pour la littérature, la grammaire,
(I) Voici, à litre de curiosité, la dédicace, en
français dans le texte, qu'on lit, Supplément
grec 1147 folio B :
En daignant accueillir l'hommage de mon
poëme et ces accens de reconnaissance que
j'ose, selon mes faibles moyens vous offrir au
nom des Hellènes, Votre Majesté encourage les
nourrissons des muscs grecques. Désormais,
rendus à leur patrie et à leur liberté, ils ne chan-
teront plus cette colère d'Achille, qui fut fatale
à tant de guerriers, mais ils célébreront les
bienfaits de Votre Majesté, la valeur invincible
des Français et le salut de la Grèce, gloire qui
ne périra jamais.
Je suis avec respect, Sire, de Votre Majesté, le
♦ rès humble serviteur.
Minoïde Mynas.
COMPTES RENDUS BIBLI0(;RAPHIQUES
239
rhistoire, le droit, la médecine, la
philosophie et la physique, les ou-
vrages d'église, voire l'astrologie, (/an-
tiquité et le moyen âge y sont égale-
ment représentés.
Chose curieuse, le manuscrit de la
gymnastique de Philostrate n'était
pas entré à la Bibliothèque Nationale
du vivant de Mynas; il était consi-
déré comme perdu. Ce n'est qu'en 1898
qu'il fut découvert, avec une trentaine
d'autres volumes, chez le fils d'un des
créanciers de Mynas ; ils rejoignirent
les premiers dans notre Bibliothèque
Nationale. En somme, les manuscrits
rapportés d'Orient par Minoïde Mynas
constituent 206 volumes, qui font tous
partie du Supplément grec.
II faut louer M. Omont de ses patien-
tes recherches et du soin dont il est cou-
tumier. Les notes dont il a accompa-
gné le texte de l'exposé des deux mis-
sionsfit celui des appendices ne laissent
aucun point dans l'ombre. Ajoutons
enfin, que les tableaux de concordance
qui terminent le volume, seront très
appréciés de ceux qui viendront con-
sulter les manuscrits rapportés par le
chercheur avisé que fut Minoïde Mynas.
n. Lebègle.
13. PALLADIUS. Histoire Lausiaque.
Texte grec, introduction et traduc-
tion française par A. Lucot (collec-
tion H. Hemmer et P. Lejay, t. XV).
A. Picard, 1912. In-12, lix-425 p.
[/édition de dom Butler {Texls and
Studies, tome VI, 1904) ayant enfin
permis de dégager le texte de l'ou-
vrage de Palladius des conglomérats
auxquels il avait été associé, MM. Hem-
mer et Lejay pouvaient le faire entrer
dans leur collection. VHistoire Lau-
siaque est aussi mal écrite (1) qu'elle
(1) Les incorrections grossières, que Butler a
trop fidèlement conserv<^es, doivent le plus sou-
vent, comme le veut M. Bonnet, être imputées
aux copistes. Palladius savait sa fjrammaire ;
mais il ne savait pas écrire.
est mal composée ; je ne dis rien du
fond, et de la folle démonologie qui la
remplit presque d'un bout à l'autre.
Mais elle est indispensable à qui veut
connaître les origines du nionachisme,
et il faut la lire, quelque fatigante ou
irritante que soit cette lecture.
M. Lucot reproduit le texte de dom
Butler, en tenant compte des observa-
tions de certaines recensions (par
exemple, celles de MM. Max Bonnet et
C.-II. Turner), parfois aussi de com-
munications nouvelles qu'il a reçues
de dom Butler ; il l'a fait précéder
d'une introduction un peu indigeste,
mais utile. 11 définit ainsi sa méthode
de traduction : « La présente traduc-
tion, en regard du texte, a pour but
de le calquer tel qu'il est, sans rien
négliger, ni adapter, ni voiler, dans
les longueurs, le vague, les redites, et
le réalisme. Littérale, elle vise à l'exac-
titude et à la précision. Les particules
même, n'étant pas de simples redon-
dances, ont été respectées » (p. lui).
Qui connaît le texte de Palladius et lit
ce programme est sûr d'avance que
cette traduction ne sera pas de celles
dont on dit qu'elles sont « aisées et
coulantes ». On a toujours du scrupule
à paraître critiquer un souci respec-
table en soi d'exactitude et de fidélité.
Mais il est peut-être excessif de se
donner presque autant de mal pour
reproduire les maladresses d'une ma-
zette qu'on a le devoir d'en prendre
pour rendre du mieux qu'on peut l'art
d'un grand écrivain. La littérallté ex-
trême de ML. a du reste pour con-
séquence de raviver d'une manière
très imprévue d'anciennes métaphores,
extrêmement usées en grec, devenues
si banales que personne n'en sentait
plus la valeur primitive ; cela n'amé-
liore pas le style de Palladius, et c'est,
en vérité, une autre manière de le
trahir. J'ajoute qu'il y a dans la tra-
duction quelques erreurs de sens, et
dans les notes une certaine gaucherie.
Voici quelques exemples : p. 3 note),
la distinction marquée entre sOs'Xôvtwv
240
COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
et pou>vO[jL£vo)v est juste en soi ; mais,
dans la phrase visée, les deux mots
sont absolument équivalents; — p. 6,
à quoi peut servir une note comme
celle sur le mot yvôJcjtç, quand Temploi
qu'en fait Palladius n'otVre aucune dif-
ficulté? — p. 7, ivTuy/avôvTwv est rendu
exactement dans la traduction par :
lecteur. Alors pourquoi cette note sin-
gulièrement confuse, et qui semble
contredire le texte : « svx'jy/avôv-cwv, le
premier venu ; « der erste beste ». Wie-
NER-ScHMiEDEL. Les versious portent :
leqens ». — La page 27 est particuliè-
rement malheureuse. La phrase sui-
vante : «stoî yàp h Xôyoç xwv èv r.^lv xt,-
v-fijxaTwv {sic), êçop^Çwv jAèv xà ^XaCspx,
Ti 00 (T>vaîi6xv6{jL£Vo; Se xà lirw^sXfi, est
ainsi rendu : « C'est qu'en nous, parmi
les émotions, la raison, qui est divine,
d'un côté bannit les choses nuisibles,
d'un autre côté elle accepte ce qui est
assez avantageux » Évidemment cela
n'estpas élégant; mais ce n'est pas clair
non plus La faute, je le reconnais, est
à Butler, qui déjà a mal ponctué : car il
est évident qu'il faut lire : esTo? yàp ô
Xoyoc; (avec ellipse du verbe : être), twv
êv fiîJLTv xtvTjtxaTwv i^opiî^wv ii.èv etc. Mais
un traducteur qui n'arrive pas à un
résultat plus satisfaisant que la phrase
précitée devrait bien se demander si la
faute n'en est pas au texte qu'il suit.
La phrase suivante : Kal ^\inz [j.oi etc.,
est rendue : « Regarde-moi comme des
hommes saints ceux qui ont bu du vin
avec raison, et comme des hommes
profanes ceux qui ont bu de l'eau sans
raison.... ». Le s^^ns est : « Considère
les saints qui boivent du vin, en se
conformant à la raison », — c'est-à-dire,
comme le montre la suite, Joseph, ou
Jésus, vini potator, — » et les profanes
qui boivent de l'eau sans raison », —
c'est-à-dire, comme le montre égale-
ment la suite, les philosophes ou les
Manichéens, et « alors cesse de blâmer
ou de louer la matière ; blâme ou loue
ceux qui en font bon ou mauvais
usage. » P. 50. Le membre de phrase :
4>povTÎÎJovT()(; jxou irepl xf,? ÎJwî\<; 'louXtivou,
ToO à6>v(ou (^aaiXswç w; Siwxxou, est
rendu : « Songeant à la vie de Julien,
l'empereur misérable étant persécu-
teur.... ». Ici M. L. n'a pas l'excuse de
la littéralité, puisque étant n'est pas
l'équivalent de d)?. — Ces exemples
montrent que cette traduction gagne-
rait à être revisée ; mais il faut avoir
beaucoup d'indulgence pour un tra-
ducteur de Palladius.
A. PUECH.
14. A. E. PHOUTRIDES. The chorus of
Euripides [Harvard studies in clas-
sical philology, 1916). In-S», 94 p.
(p. 76-170 du'vol. XXVII).
Ce travail intéressant, d'un tour vif
et agréable, — avec un peu de rhéto-
rique parfois (1), — est une thèse de
doctorat d'un élève de M. Herbert Weir
Smyth. M. Decharme, dans son excel-
lent livre sur Euripide et Vesprit de son
théâtre, a été un des premiers à mon-
trer qu il était tout à fait injuste de
condamner sans appel les chœurs
d'Euripide, sur la foi d'un texte dou-
teux et obscur d'Aristote, dont on a
singulièrement abusé. Il l'a montré
avec sa prudence et son tact habituels,
sans verser aucunement, à son tour,
dans un excès d'apologie, et en parais-
sant craindre que le préjugé fût trop
enraciné pour qu'on eût chance de le
détruire, même par de bonnes raisons.
Cependant sa voix a été écoutée, et il
semble que la critique serait aujour-
d'hui plutôt portée à oublier que, si
c'est une grande erreur de considérer
les stasimra d'Euripide comme des
embolima, — quand Aristote lui-même
adresse ce reproche à Agathon, non à
Euripide, — Euripide n'est pas cepen-
dant toujours irréprochable. M. Ph., par
exemple, dès ses premières pages,
veut établir que si, dans les Phénicien-
nes, YAndromaque, Vlpliigénie à Aulis^
{[) Cf. par exemple p. 112-113 le parallèle
entre Eschyle, Sophocle, Kuripide et MiUon,Ten-
nyson, Mathew Arnold.
COMPTES HENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
241
le chœur reste beaucoup plus déta-
ché de Faction que dans les autres dra-
mes du poète, cela est conforme à la
vérité dramatique, puisque le caractère
et la condition des personnes qui com-
posent le chœur expliquent et môme
imposent cette inditlérence relative.
Cela est très juste, mais ne saurait
absoudre entièrement Euripide. Car il
faudrait justifier encore le choix qu'il
a fait de telle ou telle catégorie de
personnes, et c'est ce dont M. Ph. ne
paTaît pas se préoccuper. Examinant
ensuite le contenu des chants du chœur,
M. Ph. se demande s'il est vrai qu'Eu-
ripide y ait parfois voulu insinuer ses
idées personnelles, et il le nie énergi-
quement. Il soutient énergiquement
que le chœur, tel que le poète le con-
çoit, exprime uniquement les opinions
courantes, le jugement moyen de la
foule, chaque fois nuancé, dans l'ex-
pression, selon le caractère et la condi-
tion des choreutes. On conçoit que
cette thèse rende très aisée à M. Ph.
l'interprétation des Bacchanf.es, puisque,
— il le dit en propres termes, — le
chœur d'Euripide, en toutes les pièces
et à toutes les époques de sa vie, a pour
devise ce mot même des compagnes
de Dionysos, dont on s'est si souvent
scandalisé : t6 TrXf,8o; ôti tô cpauXÔTeGov
— èvôuLias /pf,Tat xs, tô8' àv osyoîfJLav. Je
ne dis pas que M. Ph. n'ait pas raison
pour le cas particulier des Bacchantes,
mais il est d'autres cas où il faut fer-
mer les yeux à l'évidence pour nier
que le poète parle par la bouche du
chœur. Je renvoie à certains des exem-
ples qu'a cités IVI. Decharme, tout en re-
connaissant que M. Ph. a fait sur
quelques autres des réserves dont il
faut tenir compte, et qu'on lira avec
profit toute sa discussion, même si on
n'admet pas sa conclusion générale.
La dernière partie de la dissertation
nous éloigne beaucoup trop d'Euripide.
Voulant rechercher s'il y a dans les
tragédies d'Euripide des '« hypor-
chèmes », M. Ph. engage toute une
recherche sur les origines et la nature
de l'hyporchôme. Cette recherche a
son intérêt, mais non hic erat his locus.
Renonçons donc à cette manie de
parler de tout à propos de tout, dont
Wilamowitz a donné si souvent le
mauvais exemple (1).
A. PUECH.
la. /.. J. lUCHAHDSON. Greekand Latin
Glyconics (tirage à part de : Univer-
sity of California publications in phi-
lology, vol. 2, n» 13, p. 257-265), 1915.
M. R., partant de ce principe que
les poètes lyriques latins ont appris
la métrique d'après la théorie tout
artificielle des metra derivata, se de-
mande si, en fait, leurs vers sont cons-
truits d'après cette théorie, ou si la
facture n'en dérive pas plutôt, instinc-
tivement, du sentiment du rythme
qu'ils avaient acquis par la lecture de
leurs modèles grecs. Il pose la question
pour le cas particulier des vers glyco-
niques, et cherche à la résoudre par
des statistiques relatives à la réparti-
tion des césures et des diériéses. Ces
statistiques portent sur les fragments
d'Alcée et de Sapho, et les chœurs de
Sophocle et d'Euripide, d'une part,
sur les odes de Catulle et d'Horace, de
l'autre. La conclusion de M. R. est que
la théorie de la dérivation des mètres
n'a guère gêné Catulle et Horace, qui
ont lu attentivement les Grecs et se
sont imprégnés de leur manière. Des
deux lyriques latins, c'est Horace qui
est le plus fidèle à la tradition d'Al-
cée et de Sapho, ce que M. R. est tenté
d'expliquer par le séjour d'Horace à
Athènes en sa jeunesse; séjour qui lui
aurait permis, en même temps qu'il
(l) Encore une remarque. Al. Ph., en acceptant
un peu facilement peut-être l'authenticité du
R/ii'sus, a trouvé par là môme, cela va sans dire,
i'e.xemple le plus favorable d'un cliœur d'Euri-
pide mêlé aclivcmcnt à l'action. Mais c'est ici
peut-être que discuter plus longuement l'authen-
ticité du H/iésus, dans une note ou un appen-
dice, n'eût pas été une digression.
242
COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
lisait les classiques grecs, de connaître
un enseignement théorique un peu
moins arbitraire que celui des écoles
latines.
A. P
16. .1. ROSTAGNI. Poeti Alessuiidrini.
Torino, Bocca, 1910. ln-12, Xlll-
398 p.
Le livre de M. Rostagni ne se donne
pas pour une étude complète de la
poésie alexandrine. Il se borne, volon-
tairement, au portrait de trois des plus
cai'actéi'istiques écrivains de cette cu-
rieuse période de la littérature helléni-
que, Théocrite, Asclépiade de Samos
et son école, Callimaque. Quelques
appendices se rapportent à des
points particuliers, notamment à une
comparaison de Callimaque et de son
émule latin. Properce. A la suite de
chaque chapitre, des notes et des
éclaircissements.
Néanmoins, en dépit do la modestie
de son titre, il était inévitable que,
pour préciser la place que chacun des
auteurs considérés occupe dans This-
toire des lettres grecques, R. donnât
pour bordure à ses quadros, une es-
quisse souvent assez poussée des ten-
dances, goûts, aspirations, voire des im-
puissances ou renoncements du temps
où ils ont vécu et produit. Effigies et
cadres, disons le tout de suite, valent
par le relief vigoureux, le dessin net,
la couleur vive et nuancée à la fois.
L'auteur est un philologue averti; c'est
aussi un psychologue délié, un artiste
délicat et sensible. Il connaît bien les
grands travaux consacrés à une époque
pour laquelle il ne dissimule pas ses
préférences ; il en tire un parti ingé-
nieux et adroit. Surtout, il nous com-
munique les impressions toutes fraî-
ches et directes d'une lecture tout in-
dépendante, affranchie de préjugés et
d'opinions toutes faites. En présence
des idylles, des élégies, des hymnes,
son érudition, quoique très étendue et
solide, ne lui pèse point. 11 garde toule
sa spontanéité. On dirait d'un moderne
appréciant d'autres modernes.
Il doit, sans doute, à cette disposi-
tion d'esprit, heureusement conservée
en un sujet où rien n'était plus ditïi-
cile, d'avoir écrit sur Théocrite et Cal-
limaque des pages vraiment attachantes.
Le grand poète qu'on sait bien que fut
Théocrite s'otl're à nous très vivant.
Nous le voyons observer, jouir, créer,
renouveler en les transformant ou les
altérant pour des fins parfaitement con-
scientes, d'antiques formes littéraires
dont on pouvait croire la sève à jamais
épuisée. Certes nous ne doutions point,
après les analyses minutieuses et pro-
fondes de Couat, Legrand, Croiset, que
nous ne dussions goûter en lui un ar-
tisan de lettres merveilleusement docte
et pour qui les procédés n'avaient plus
de secrets, plus assez de secrets peut-
être. Sa ressemblance indéniable avec
tel de nos contemporains, nous incli-
nait à découvrir en lui, une sorte d'an-
cêtre du Parnasse, observateur précis,
réaliste parfois puissant, mais adepte,
avant la lettre, de la doctrine de l'art
pour l'art. Était-il touché d'autre chose
que de l'agrément purement plastique
d'un bas-relief, d'une peinture, d'un
vase précieux orné de médaillons? Épris
de sujets de genre, il les transposait
avec une habileté supérieure, y mêlant
en de savants dosages des éléments de
vérité directe; c'était le premier en date
et non le moins exquis des faiseurs de
tableaux à la plume. Pour Rostagni,
Théocrite est cela sans doute, mais il
n'est point impassible et détaché. Il réa-
git, au contraire et de façons infiniment
diverses en face des choses, des événe-
ments, des hommes; capable d'abord
d'enthousiasmes et d'e.spoirs ardents,
d'autres fois déçu et finalement ironiste
amusé, très moderne aussi en cela.
Dans ce Théocrite, il y a du Voltaire,
presque du Henri Heine.
Pareillement, Callimaque. Érudit,
certes, laborieusement érudit. Ce trait
de sa physionomie est trop accusé pour
COMPTES RENDUS BIULIOGHAPUIQUES
243
que R. essaye de le dissimuler. Les
AiTia et les Hymnes trahissent trop le
curieux, le cliercheni' de rare et d'iné-
dit. Mais, lui aussi est caitable, à l'oc-
casion, de quelque chose de mieux et,
quand on sait voir, sa poésie se révèle
autrement vivante et actuelle. Tout de
même que Théocritc s'éehaufîe au
rayonnement de la rt)yauté des Pha-
raons f^recs, Callimaque, à son tour,
laisse filtrer au travers de ses imagi-
nations compliquées un retlet de
l'éclat d'une cour qu'il approcha de
plus près encore. Il a un idéal politique
qui se manifeste à la fin de l'hymne à
Artémis. Il a sa conception du pouvoir
et de la personne des rois, monarques
empruntés à la réalité contemporaine,
agrandis et recréés par sa fantaisie. Il
nous dit ce qu'il pense de la religion et
des religions. Il mêle le réel de tous les
jours à la légende. En un mot, beau-
coup plus voisin encore qu'on ne pour-
rait peut-être le croire de Théocrite lui-
même; comme lui, tantôt lyrique, tan-
tôt enthousiaste, aussi souvent sans
illusion, sceptique et de fine ironie.
Ainsi se manifeste à nos yeux, incar-
née dans ses deux plus illustres repré-
sentants, la Poésie alexandrine. En elle
se rejoignent toutes les traditions d'au-
trefois, tous les souvenirs de la litté-
rature antérieure. Mais voici son trait
essentiel. Ce qui était jadis objet de
croyance et de foi, n'est plus que passé
lointain, dont le respect se tempère de
scepticisme et de sourire. R. y voit
l'aboutissement d'une longue évolution,
accomplie au ii^ siècle. Dans un por-
trait fort curieux et saisissant, mais
quelque peu romantique d'Euripide,
l'auteur nous le montre à la fois en-
chanté encore de la beauté des légendes
dont avait vécu la poésie des Homère,
des Eschyle, des Sophocle, mais inca-
pable désormais d'y croire et soutirant
de cette impuissance. Il se penche sur
le passé, courbé déjà sur un avenir
qu'il pressent sans se le définir. Phy-
sionomie « pâle et grave », cet Euri-
pide tient du Musset de Rolla. Avec
Théocrite et Callimaque, le saut est
fait. On ne croit plus, uiais on en prend
son parti. Contes délicieux désormais,
les récits sur les dieux, matière non
de foi, mais de pure jouissance esthé-
tique. Incrédulité sans colère et sans
haine, qui a pour nous d'autant plus de
prix qu'elle est plus proche de nos
modernes attitudes d'esprit et de cœur.
Et maintenant, tout cela est-il bien
véritable ? N'entre-t-il pas, dans la con-
ception que R. s'est formée de deux
poètes qu'il chérit entre tous, beaucoup
de subjectivisme, d'imagination per-
sonnelle ? Ne sont-il pas, sous sa
plume, d'autant plus vivants qu'il les
crée en quelque sorte, à mesure qu'il
les analyse? N'y a-t-il pas une séduc-
tion dangereuse à retrouver toujours
dans les hommes d'autrefois les
hommes que nous sommes aujourd'hui.
On ne saurait, sans doute, fermer les
yeux aux analogies ou aux similitudes;
mais il faut les ouvrir sur les dissem-
blances. L'auteur de ce très intéressant
livre ne manque-t-il pas d'aventure à
cet inéluctable devoir de l'historien qui
veut faire uniquement œuvre de
science ? On le craint, quelque précau-
tion qu'il prenne ou quelque surveil-
lance qu'il tâche d'exercer sur lui-
même. L'artiste en R. ne fait-il pas
quelquefois tort au critique? Mais il
est bon aussi que, de temps à autre,
naisse un ouvrage tel que celui-ci. S'il
éveille le scrupule, au moins il fait
réfléchir. Jamais banal dans ses aper-
çus, il ouvre au lecteur des horizons
neufs, lui suggère des observations
qui peuvent être fécondes.
Louis François.
17. ./. E. SANDYS. Aristoteles Conslitu-
Lion of Athens, a revised Text with
an introduction, critical and expla-
natory notes, testimonia and indices.
Second édition, revised and elar-
ged. London, Macmillan, 1912. In-S»,
xcu-331 p.
244
COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
La Revue est fort en retard avec cette
édition, dont les mérites sont aujour-
d'iiui bien connus. Elle a paru, pour
la première fois, en 1893, et son utilité
fut dès lors de donner, après les pre-
mières éditions purement critiques, un
abondant commentaire où étaient ras-
semblés les textes parallèles, et dis-
cutées eu détail les questions histo-
riques et juridiques. M. S., en la réé-
ditant, a mis soigneusement au cou-
rant les notes explicatives, a rendu la
lecture du texte plus aisée en suppri-
mant les crochets partout où la lec-
ture peut-être considérée aujourd'hui
comme certaine, revisé et accru encore
l'index très complet qui la termine.
A. PUECH.
18. r. se HE IL. Le Gobnjas de la Cyro-
pédie et les textes cunéiformes, dans
la Revue d'assyrlolorjie et d'archéo-
logie orientale, t. XI (1914), pp. 165-
174.
Le P. Scheil a publié un article fort
important en ce qui concerne les
soOrces de la Cyropédie et l'autorité
historique de Xénophon. Le nom de
Gohryas, plusieurs fois mentionné par
les historiens grecs, correspond au
nom perse Gaubaruoa, au nom baby-
lonien Kuba[r]ru : cette IdentiQcation
est acquise par la comparaison d'Hé-
rodote (111,70) avec l'inscription tri-
lingue de Béhistoun (§ 68). En consé-
quence, le P. Scheil établit que le
Gobryas placé par Xénophon à côté de
Cyrus le Grand est le Gubaru (Gubarru)
contemporain de Nabuchodonosor-Na-
bonide (604-538). Marquart [Philol.,
Suppl., t. VI, p. 591) avait reconnu en
Gobryas un prince vassal des Babylo-
niens. Un document néo-babylonien
trouvé à Uruk s'accorde avec Xéno-
phon pour nous dire que Gobryas était
un chef babylonien, général émérite et
gouverneur de province, qui se rendit
à Cyrus sans coup férir, lui facilita la
conquête de la Babylonie et entra le
premier dans Babylone. Voilà tout au
ûioins un personnage de la Cyropédie
qui, loin d'avoir été forgé de toutes
pièces, a été enipi'unté par l'inventeur
du roman historique à des traditions
authentiques. Les hellénistes doivent
de sincères remerciements au P. Scheil
pour leur avoir fourni un renseigne-
ment aussi précieux.
Gustave Glotz.
19. Georr/es SEVRE. Archéologie
thrace. Documents inédits ou peu
connus. Première série. Paris,
Ernest Leroux, 1913. Grand in-S»,
140 p.
Le présent fascicule contient six
articles parus dans la Revue archéolo-
gique en 19H, 1912, 1913. La liste et
l'élude des documents cités sont pré-
cédés d'une introduction où M. S. in-
dique le but de la publication qu'il a
entreprise'. Cette publication compren-
dra plusieurs séries d'articles, dont la
première est donnée ici. M. S. compte
en emprunter la matière à des souve-
nirs de voyage, à des renseignements
recueillis sur place par des personnes
qui ne se proposent pas de les utiliser
pour elles-mêmes, à des publications
de caractère provisoire (revues indi-
gènes aujourd'hui introuvables, re-
cueils paraissant irrégulièrement, pé-
riodiques rédigés dans les parlers
locaux), enfin à des documents négli-
gés ou bien oubliés dans des collections
privées ou publiques. Des documents
publiés, les uns seront entièrement
inédits; d'autres, déjà livrés au public
mais peu connus, seront de nouveau
signalés à son attention. Un petit
nombre seulement viennent des rives
de la Propontide ou de l'Egée ; la plu-
part sont fournis par la Bulgarie, le
pays le mieux exploré et où des efforts
ont été déjà faits pour organiser
scientifiquement les recherches archéo-
logiques et la publication des résul-
tats. Toutefois la tâche de M. S. dépasse
COMPTES KENDUS HIBLIOGK APHIQUES
•de beaucoup celle d'un traducteur,
même pour les documents déjà publiés :
•les conditions défectueuses oil ils ont
paru exigent une refonte complète.
Pour ceux-ci, M. S. ne remonte pas au
delà de 1910 ; c'est à cette date, en effet,
qu'apparaît pour la première fois un
Recueil officiel d'antiquités, publié par
les soins des sociétés archéologiques
locales. Quant aux inédits, copiés di-
rectement par M. S. ou adressés par
des amis français établis dans le pays,
ils se placent entre 1898 et 1910.
Cette première série comprend 128
documents : inscriptions grecques ou
latines sans représentations figurées
(ex-voto à des divinités, inscriptions
avec des noms d'empereurs, inscrip-
tions honorifiques ou politiques, bor-
nes territoriales, inscriptions funé-
raires), monuments figurés (bronzes,
monuments en marbre et pierre : sta-
tuettes, sarcophages, ex-voto au type
du Cavalier, ex-voto à des divinités
diverses, monuments funéraires), enfin
objets divers (anneau d'or, poids en
plomb, vase de marbre).
Louis Méridier.
-20. Hermann SIGG. Die Aktionsart des
Hauptspielers und der Nehenpersonen
in den Sophokleischen Dramen^ dar-
gestelll am Oidipus Tyrannos. (Inau-
guraldissertation der philosoph. Fa-
kultât der Universitât Bern zur
Erlangung der Doktorwûrde). So-
leure, Vogt-Schild, 1916. In-8o, 156 p.
Les personnages qui entoUrent le
■protagoniste dans Œdipe Roi, dit M. S.,
se divisent en deux groupes : Créon,
Tirésias et le serviteur de Laïos peu-
vent être considérés comme des adver-
saires d'OEdipe, car leur action s'op-
pose généralement à la sienne; Jocaste,
le grand-prêtre, le messager de Co-
rinthe agissent, au contraire, dans le
même sens que lui ; quant à Vexange-
los, il n'est qu'un figurant. Le trait dis-
itinctif d'CEdipe, le seul personnage du
REG, XXX, 1917, n» 137.
drame qui soit presque constamment
en scène, c'est la force de la volonté,
toujours tendue vers le même but ; à
cet égard Jocaste, dont le rôle est le
plus important après celui d'OEdipe, se
rapproche du protagoniste; les autres
personnages montrent une volonté
moins ferme. OEdipe est le pivot de
l'action ; par suite les personnages se-
condaires nous sont montrés, non pas
dans l'influence qu'ils peuvent exercer
les uns sur les autres, mais dans leur
rapport avec Œdipe. Nulle part les
adversaires du protagoniste ne réus-
sissent à l'écarter de sa route ; il brise
impérieusement chacune de leurs ré-
sistances, et les autres personnages
sont envers lui dans un état de dépen-
dance presque absolue : la seule in-
fluence qu'il subisse est celle de Jo-
caste et du chœur, quand il consent à
ne pas châtier Créon. Or le dessein de
Sophocle est précisément de montrer
comment le protagoniste réagit contre
les volontés opposées à la sienne. Mais,
si CEdipe persiste inflexiblement dans
sa résolution, les révélations succes-
sives qui lui sont faites modifient peu
à peu son caractère ; de là une évolu-
tion profonde qui marque dans l'art
de Sophocle un grand progrès sur
celui d'Eschyle . Les adversaires chan-
gent, eux aussi, d'attitude, sans que le
poète nous fasse assister toutefois à
des combats intérieurs ; le changement
des états d'âme se traduit en actes, non
en analyses. Les personnages secon-
daires sont induits à l'action par des
mobiles où la réflexion . a plus de
part que l'humeur naturelle, tandis
qu'CEdipe, généreux, fier de sa force,
impatient de toute résistance, est pous-
sé surtout par son caractère. Sophocle
a-t-il vu en lui une victime du destin
ou un coupable ? M. S., après avoir cité
les opinions contraires de Wilamowitz,
Robert, Sudhaus, Birt et Petersen, se
prononce avec quelques réserves pour
la seconde solution. Tandis que la
franchise et la sincérité éclatent par-
tout dans la conduite d'Œdipe, parce
17
246
COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
qiril n'a pus de précautions à prendre,
étant le plus fort, les autres person-
nages tendent d'autant plus à dissi-
muler et à mentir que laction est plus
pathétique : différence très nette et
caractéristique par où OEdipe s'oppose
non seulement à ceux qui l'entourent,
mais aussi aux personnages d'Euri-
pide et à la Clytemnestre d'Eschyle.
L'étude de M. S. est suivie de quelques
observations sur la théorie du drame
dans Aristote, sur les autres pièces de
Sophocle, et sur l'emploi du masque
tragique. Le drame de Sophocle, re-
marque M. S., répond dans l'ensemble
à la conception d'Aristote : la. Poétique
donne le pas à la fable sur les mœurs,
et voit dans la volonté l'élément fon-
damental du caractère ; elle demande
aux caractères de ne pas se démentir,
aux personnages d'avoir des intentions
élevées ; le chœur doit être considéré
comme un acteur. M. S. observe que
la prééminence du protagoniste, si
frappante dans Œdipe Roi, est beau-
coup moins marquée dans les derniers
drames de Sophocle, qui a dû subir
sur ce point l'influence d'Euripide.
Enfin il estime que l'emploi du
masque ne suffit pas à expliquer l'u-
nité et la simplicité du caractère chez
le protagoniste.
Les conclusions de M. S. sont géné-
ralement fines et judicieuses, plutôt
qu'originales. 11 fait observer lui-même
qu'elles se rencontrent avec celles de
M. Gustav Freytag [Die Technik des
Dramas, 1897). Cependant il y aurait à
faire à son étude certaines objections
de détail. Par exemple il paraît excessif
d'appeler une évolution profonde du
caractère (gewaltige Gharakterent-
wicklung, p. 128) la transformation par
laquelle OEdipe, « l'impeccable repré-
sentant des dieux sur la terre » nous
apparaît finalement comme un crimi-
nel infâme : ce qui s'est modifié au
cours du drame, ce n'est pas la per-
sonnalité même d'OEdipe, mais la lu-
mière que les événements projettent
sur lui du dehors. La nouveauté de ce
travail réside surtout dans la méthode,
qui est patiente et minutieuse, un peu
lente pourtant et sujette aux redites,
M. S. pose dans l'Introduction douze
questions à résoudre : il les examine
tour à tour dans les épisodes succes-
sifs du drame ; puis il les reprend une
à une, sous forme de conclusion,
d'abord pour les personnages secon-
daires, puis pour le protagoniste. La
bibliographie donnée au début est in-
complète. M. S. ne cite presque que
des ouvrages d'outre-Rhin ; il paraît
ignorer les travaux de Campbel et de
Jebb, et ne mentionne pas le livre de
M. Allègre sur Les ressorts dramatiques
du théâtre de Sophocle et la composition,
de ses tragédies.
L. Méiudier.
21. Martj Hamilton SWINDLER. Cre-
tan Eléments in the Cuits and Ritual
ofApollo (Bryn Mawr Collège Mono-
graphs. Vol. XIII). Bryn Mawr,.
Pennsylvania, 1913. In-8o, 77 p.
L'objet de cette dissertation est de
montrer sur un point particulier l'im-
portance des influences Cretoises, mi-
noennes et préhelléniques, dans la
formation de la religion et des cultes
grecs. Après avoir rappelé que la Grèce
doit à la Crète le culte de la Grande
Déesse, mère des Dieux, et probable-
ment la religion orphique. Miss S.
essaie de discerner les éléments crétois
qui se sont introduits dans le culte
d'Apollon. Sa thèse peut se résumer
ainsi : Apollon, en qui il faut voir sans
doute un dieu panhellénique, est entré
en Grèce par le Nord au moment où
commençait à décliner la puissance
minoenne, et sur son passage il a
absorbé un certain nombre de divinités
et de cultes préhelléniques. A Delphes
il trouve un vieil oracle chthonien
d'origine Cretoise, ou du moins acca-
paré depuis longtemps par les Crétois,
comme l'attestent ses caractères et les
relations très anciennes de Delphes
COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
247
avec la Crète : il s'approprie cet oracle.
En Crète on honorait à Cnossos un
dieu-dauphin, dieu guérisseur qui avait
dû être apporté à Pytho par les Cretois
et avait donné à la localité son nom
de Delphes : Apollon se confond avec
cette divinité et prend le titre de
• Delphinios. Le dieu-souris Smintheus,
dont le nom est carien, était passé de
Crète à Rhodes et en Troade avant la
migration éolienne. A l'époque homé-
rique, le culte d'Apollon Smintheus,
prophète et guérisseur, qui défendait
des rats et de la peste, était florissant
à Chrysè, Killa et Ténédos, d'ailleurs
limité presque exclusivement à la côte
d'Asie-Mineure et aux lies. Les Cretois
avaient un dieu, appelé Amyclaeos, du
du nom d'Amyclaeon, port de l'île ; il
était représenté par un emblème ana-
► logue au pilier sacré. Or près de Sparte
une ville du même nom (Amycles),
probablement fondée par les Cretois,
adorait un dieu local, Hyakinthos,
divinité chthonienne dont le culte,
réservé surtout aux femmes, s'appa-
rentait à la religion égéenne. Venu à
Amycles, Apollon s'approprie en partie
le rituel d'Hyakinthos et le titre à' Amy-
claeos. De même il prend l'épithète
d'Agyieus, le dieu-pilier qui détourne
le mal de la maison, et qui de Crète
avait dû passer à Delphes; celle de r«r-
rhaeos, le dieu de Tarrha, petite ville
de la Crète occidentale, qui sans doute
était un centre religieux important. A
Delphes, il remplace une vieille déesse,
Phoebé, dont le nom implique une
double idée de prophétie et de pureté
rituelle, et il devient Apollon Phoebos.
Enfin il usurpe le nom de Carneios,
dieu péloponésien des troupeaux, mal
connu d'ailleurs et d'origine incertaine.
Avec ces titres, dont il dépouille les
dieux qu'il remplace, Apollon s'appro-
prie un rituel de purification, proba-
blement fort ancien et de provenance
Cretoise. Car la Crète avait une classe
de thaumaturges qui purifiaient à l'aide
des rites magiques, comme Épiménide,
on d'incantations ayant le pouvoir de
guérir, comme Thalétas; les Curetés
Cretois étaient des magiciens. Ces pra-
tiques durent venir de Crète à Delphes
avec Delphinios. De même la Crète
minoenne a fourni au culte grec d'Apol-
lon une grande part de ses éléments
musicaux, sous la forme primitive de
chants de guérison. Les anciens recon-
. naissaient déjà l'origine crétoise de
ïhyporchème qui, peut-être inventé par
les Curetés à une époque lointaine,
dut passer de Crète à Délos et fut
introduit à Sparte par le Cretois Tha-
létas, avec le rythme crétique. Le nome
paraît avoir aussi appartenu à un vieux
culte Cretois ; Chrysothémis, qui faisait
partie d'une colonie crétoise établie à
Delphes et rattachée à Tarrha, le chanta
le premier aux concours pythiques.
Quant au péaii, chant de guérison, les
Achéens l'empruntèrent à la Crète,
d'où il rayonna à Délos, à Amycles, à
Delphes, et à Sparte.
Ces vues ne sont pas toutes nouvel-
les. En bien des endroits Miss S., dont
l'information ne laisse rien à désirer,
nous indique elle-même qu'elle ne fait
que résumer et coordonner des théo-
ries récentes. Dans ces théories il entre
une grande part d'hypothèse : Miss S.
ne le dissimule pas, et ses conclusions
témoignent d'une prudence louable:
L. Méridier.
Bon à tirer donné le 5 février 1918.
Le rédacteur en chef^ Gustave Glotz.
Le Puy-en-Velay. — Imp. Peyriller, Rouchon et Gamon, boulevard Carnot, 23.
BÏPOTHÈSES SUR LE CONTRAT PRIMITIF Ei\ GRÈCE
(l«i" Article)
Le substantif syvtjYi et le verbe eyvuào-Ga', n'apparaissent
qu'une fois chacun dans les poèmes homériques, et tous deux
au même vers, 9 351. Quelques mots sur le passage, d'ailleurs
bien connu.
C'est dans un chant de Dèmodocos. L'aède raconte comment
Hèphaistos surprit en flagrant délit d'adultère Aphrodite et
Ares : le dieu offensé convoque tous les immortels; les immor-
tels se pressent et rient. Il est reconnu d'une seule voix
qu'Ares doit la composition pour adultère, les |jLO'//^àypt.a. Mais
comment cette composition sera-t-elle acquittée ? — Ici nous
traduisons le passage (v. 344-359), en réservant le vers qui fait
question.
(.( Mais Poséidon ne riait pas, et il suppliait instamment
Hèphaistos le célèbre artisan de délier Ares. Et il lui adressait
ces paroles ailées : « Délie-le : je te promets qu'il te payera
« en entier, comme tu l'ordonneras, la juste somme, parmi les
« dieux immortels ». Mais le dieu célèbre entre tous par son
adresse lui répondit : « Ne me demande pas cela, Poséidon
« qui soutiens la terre :
8£i).aî TOt, SsO.wv ye xal è^^ùciL\ svYuàao-Qai.
« Gomment pourrais-je te lier parmi les dieux immortels si
« Ares venait à s'en aller, éludant sa dette et ses liens? ».
Sur quoi Poséidon qui ébranle la terre répondit : « Hèphaistos,
REG, XXX, 1917, n» 139, 18
250 LOUIS GERNET
(( eh bien ! si Ares vient à s'en aller et à s'enfuir en éludant sa
« dette, c'est moi-même qui te payerai la somme ». Et alors, le
dieu célèbre entre tous par son adresse répondit : « Il n'est ni
« possible ni convenable de refuser ta parole ». Ayant dit,
Hèphaistos défit les liens... »
On le voit : nous avons là, transportée dans le monde des
dieux, une scène juridique du monde des hommes. Il s'agit de
l'interpréter.
Précisons quelques points. Avec des textes anciens surtout,
la précaution n'est jamais de trop ; il faut ouvrir ou fermer des
avenues.
i° L'objet de la démarche de Poséidon est tout de suite indi-
qué : oTTwç Xuo-£t.£v "ApYia. Il y a deux moments dans les pour-
parlers : au premier, Hèphaistos ne juge pas avoir de quoi relâ-
cher Ares; au second, il le relâche. Poséidon a donc fait deux
propositions. La première comporte une promesse pour autrui
(aijTov umo^o|jiat.... Tio-sLv) ; cet engagement ne fait pas l'affaire
d'Hèphaistos. Dans la seconde, Poséidon promet sa prestation
(auToç Tot. l-^iù TaSs tIcw); Hèphaistos accepte. Ne craignons pas
d'insister.
2° Gomment faut-il entendre le wç o-ù xe^euet.? du vers 347 ?
Poséidon promet, dit Glotz (1), qu'Ares payera, « au comman-
dement » d'Hèphaistos, la somme convenable. De fait, il est
possible en général que le « présent » ait un sens plus ou
moins « futur » (2). Il en a un ici ; mais nous le ferons moins
accentué : (oç o-ù xeXsuetç ne peut guère s'appliquer à la somma-
tion qu'Hèphaistos adressera plus tard à Ares, — à l'échéance
de la dette : xeXeuo-eiç s'imposerait (3); et on doit penser que
(1) G. Glotz, La solidarité de la famille dans le droit criminel en Grèce, p. 132.
(2) Exemples connus, comme A 82 (xal [xeTOT^iaôsv è'/ei xôtov), A 365, etc. Pour
l'interprétation de ces emplois, cf. Brugmann, Abr. de gr. cojnp., trad. fr., p. 594,
p. 600.
(3) La « concordance des temps » irait de soi, avec Tiaeiv ot. l'idée du futur est
exprimée pour elle-même, — ce que l'usage du grec n'exigerait pas, mais ce qui
est courant dans les promesses, dans la formule plus ou moins stéréotypée de
sponsiones.
HYPOTHÈSES SUR LE CONTRAT PRIMITIF EN GRÈCE 251
cette échéance est plus ou moins fixée par la coutume (1), ce
qui rendrait inutiles et oiseux les mots en question ; à tout le
moins, elle ne va pas, au caprice d'IIèphaistos, avoir lieu un
beau jour, à un moment quelconque. « Comme tu l'ordonne-
ras », c'est donc « comme tu vas l'ordonner » (2), et il s'agit
du montant des iLoi-^ârpioi.. Ce montant n'est pas arbitraire : la
coutume le règle dans une certaine mesure, et c'est pourquoi
il est qualifié de « convenable », a'!a-!.[jLa, pourquoi il n'en sera
pas autrement parlé jusqu'à la fin ; mais on doit admettre que,
dans une certaine mesure aussi — en tenant compte de telle
circonstance aggravante, de la condition de l'offenseur qu'il
tient à discrétion, etc. — l'offensé a le droit de le modifier :
c'est le seul sens que puissent avoir les mots (oç crû xeleùeiq. On
a tiré argument du « silence des intéressés sur la question qui
les intéresse le plus » — à savoir sur le quantum de l'obligation
— pour conclure que le chiffre des pLoiy^àypLa était bel et bien
fixé par la coutume : c'est un certum^ dit Esmein (3), comme
dans le nexiim et en général dans les contrats formels du droit
romain, et on le connaît à l'avance exactement. En tout état de
cause, pourtant, ce ne serait pas à Poséidon d'indiquer un
chiffre qui, dans un régime oii la rançon serait arbitraire,
resterait justement soumis à la libre appréciation de la partie
offensée. Quant à invoquer l'analogie du droit romain, les cir-
constances historiques n'y invitent point, ni la teneur du pas-
sage. Encore une fois, le taux des |jLot.y^àYp(.a est bien quelque
peu réglé, et à vrai dire on ne voit pas qu'il puisse en être
autrement dans une société qui admet la pratique de la 'itot.vvi
ou du wergeld (4) ; seulement, il n'apparaît pas dans le récit
(1) Cf. Inscr. jur. gr., n" XVII, I. 28-31 [t. I, p. 360] (premier code de Gortyne).
(2) Le « sens futur » résulte, pour le présent, de son aspect, soit « ponctuel »,
soit « duratif » : aux deux points de vue xsXeueiç se rapporte à une proposition
déjà virtuelle d'Hèphaistos, et dont on attend qu'elle se produise au cours même
de la scène.
(3) Esmein, Sur un contrat dans VOlympe homérique, in Mélanges de Rome, VIII
(1888), p. 436; cf. Glotz, Solidarité, l. c.
(4) Glotz, 0. L, pp. 124-131, recueille et analyse les cas homériques d'à-iroiva,
d'où il résulte que la rançon est toujours une forte somme. Qu'une réglementation
252 LOUIS GERNET
de Dèmodocos qu'on ait affaire à un véritable tarif, fixé ne
varietur, — à un tarif qui, de fait, impliquerait une réglemen-
tation codifiée à la façon de la loi de Gortyne ou des leges ger-
maniques. Nous dirons donc que la scène ne suppose pas un
autre régime juridique que le régime ordinaire de composition,
qu'elle ne dénonce pas par elle-même un « progrès » défini,
une étape plus ou moins avancée dans l'évolution du droit (1).
3*^ La formule ^fz à9avàTot.o-t. Gsoiclv figure également à la fin
des vers 348 et 352. Répétition manifestement voulue. Une
lecture qui paraît remonter à iVristarque en affaiblit l'effet (2) :
c'est à tort. La répétition souligne une circonstance essentielle :
le caractère public d'un acte ou d'une procédure. — Dans le
premier cas, l'expression ne peut guère être rapportée à uTirlo--
•^ojjiat., qui l'appellerait volontiers (3), mais qui est trop loin ; on
doit donc la joindre à tlo-sw (4) : il s'agit d'une prestation qui
s'accomplira « parmi les Dieux immortels » ; c'est ainsi que le
« paiement » aijra valeur libératoire. C'est ainsi que, lors-
qu'Agamemnon fait sa paix avec Achille, les présents sont
apportés au milieu de l'agora afin que tous les Achéens les
officieuse n'y apparaisse pas, il n'y a pas à s'en étonner et rien à en induire :
une épopée n'est pas un coutumier. Aussi bien, la poésie a passé par là : les
àiroiva, dont le versement incombe en principe au clan, au ys'voç solidaire,
paraissent souvent soldés, dans les poèmes homériques, en vrais biens meubles,
en objets de propriété individuelle.
(1) Sans doute, le xaSe xtaw, tout court et tout sec, de Poséidon indique bien
qu'il y a une somme prévue — un certain nombre de têtes de bétail probable-
ment : mais nous croyons que ce n'est pas là du nouveau et que la fixation n'est
pas absolue. Le wç au xs^^suetç, tel que nous l'interprétons, n'a pas d'écho ? Oui,
il n'en est plus question dans la suite : mais il n'en est plus question quelle que
soit l'interprétation qu'on adopte. Glotz, qui parle [Le.) de « conditions secon-
daires... laissées à la discrétion des parties, surtout de la partie offensée »,
reconnaît parla implicitement que la proposition de Poséidon — invitation dis-
crète à fixer ces conditions — n'est pas retenue par Hèphaistos. Hèphaistos se
contente-t-il du prix ordinaire ? Le poète, qui est un. poète et non un juriste,
a-t-il laissé tombé plus ou moins involontairement cette amorce? Peu importe.
(2) V. 352 : tiwç av Èyà) ce, cpépiuTs, {xsx' àOavotToiai 8éot[JLt;
(3) Cf. T 314, où il s'agit d'un serment prêté parmi tous les dieux immortels.
(4) Glotz, l. c, paraît vouloir la rattacher à aïai[xa, en traduisant : « tout ce qui
est fixé par la coutume des dieux immortels ». Il entend sans doute accentuer
l'idée qu'il voit dans le texte. Mais le grec répugne à une pareille construction.
HYPOTHÈSES SUlt LE CONTRAT PKIMITIF EN GRÈCE 253
puissent voir de leurs yeux (T 172-4, cf. 249). — Hèphaistos
reprend les mômes mots dans une intention sarcastique
(Ameis) : il faudrait que, dans la môme assemblée des dieux,
il enchaînât Poséidon ! Il ne le pourrait pas.
4° Vers 352, uw; av syo) o-s Uoiu.1 ; II n'est pas question d'en-
chaîner Poséidon sur le champ, et si les dieux sont encore
censés présents, c'est, comme au vers 348, au moment où la
dette viendra à échéance, en tout cas lorsqu'il s'agira d'exécu-
ter un débiteur : on sait assez que l'optatif avec av peut nor-
malement se rapporter à l'avenir. La proposition d x£v "ApY^ç
olyoïTQ représente une condition suspensive, et elle sera reprise
par Poséidon sous la forme £•-... xev... ot-'/joTat., où le subjonctif
avec x£v a une valeur de futur (1). Hèphaistos, et Poséidon
après lui, prévoient le cas où Ares, libéré de ses liens, s'enfuira
— quittera l'Olympe, comme le suggère Ameis et comme l'évé-
nement va le vérifier (v. 360 sq.) : une fois le débiteur en pays
étranger, le créancier perd ses moyens, et la procédure sa
vertu.
5° Conséquemment, les mots xpéoq xal Sso-fjiov àXu^a; ne sup-
posent pas une évasion irrégulière d'Ares. Ares aura été délié
parce qu'Hèphaistos l'aura bien voulu. Seulement, par la fuite,
il se déroberait alors à sa dette. Le participe aoriste peut très
bien indiquer une action concomitante à celle du verbe prin-
cipal, ou qui appartient, comme on dit, au même complexus (2).
L'idée essentielle, dans x^^oq xal Seo-jjiôv, est celle de Sea-pv :
nous avons là une expression synthétique qui revient à dire :
« Si Ares, débarrassé de ses liens, venait à échapper aussi à sa
dette » ; et c'est le seul mot de « dette » que reprendra Poséi-
don dans la formule de sponsio^ au vers 355.
Tout cela est bien long. Mais il fallait déblayer. Maintenant,
(1) Et xcv et l'optatif au sens de l'éventualité se rencontre chez Homère non
seulement après un temps passé (B 597), mais avec un présent ayant une valeur
de futur (I 141).
(2) Cet emploi du participe aoriste se constate à côté d'un futur (Eurip., Hip-
poL, 356), c'est-à-dire dans un cas pratiquement analogue au nôtre. Cf. Riemann-
Goelzer, Gramm. comp. du gr. et du lat., Syntaxe, § 286, 2° (p. 294).
254 LOUIS GERNET
que veut dire le vers 351 ? Il y en a deux interprétations pos-
sibles, suivant qu'on donne ou non à eyyuv^ le sens de « cau-
tion « (1). Dans le premier cas, il faut adopter franchement la
traduction de Thalheim (2) suivi par Partsch (3) : « les cau-
tions données à des faibles sont faibles ». Dans le second cas,
il faut adopter franchement la traduction d'Esmein : « les pro-
messes des faibles sont de faibles promesses ».
Nous nous proposons d'autoriser, plus décidément encore
que ne l'a fait Esmein, le sens de eyyù'f\ « promesse » (4), ou
plutôt même, comme il n'y a rien dans le mot qui implique
une notion unilatérale, « contrat ». Et justement, nous espé-
rons trouver dans cette discussion les éléments d'une certaine
théorie du contrat primitif. C'est dans cette vue que nous cri-
tiquerons l'introduction historique que Partsch a donnée à une
étude récente et considérable sur le cautionnement en Grèce (5) :
pour Partsch, qui se fonde précisément sur notre passage, le
cautionnement apparaît de très bonne heure et sous un aspect
particulier : la caution homérique n'est autre chose qu'un
otage qui engagerait sa personne pour garantir la réalisation
dételle ou telle éventualité. Dans une première partie, nous
écarterons cette théorie et nous dirons ce qu'est, à notre avis,
le primitif arrangement à cause délictuelle. Cette discussion
nous aura amené à considérer Yèyrù'ri matrimoniale dont
Partsch a voulu faire état, et qui méritera d'être étudiée pour
elle-même dans une seconde partie. En troisième lieu enfin,
(1) Il pourrait y en avoir une troisième, si l'on veut, et dont le grec s'accom-
moderait plus volontiers que de celle de Thalheim-Partsch. Elle consisterait à
prendre èyy&f] dans le sens de « caution», mais à comprendre :« les cautions
que fournissent des gens de rien ne valent rien ». Cette interprétation, que sem-
blent avoir entrevue le scholiaste E et Eustathe, 1600, 1, est pourtant la plus
inadmissible : on ne voit pas pourquoi Hèphaistos se délierait de Poséidon dont
il va accepter la promesse l'instant d'après. Cf. Ebeling, Lex. Hom., I, p. 331,
qui admet finalement le sens proposé plus tard par Thalheim et Partsch.
(2) Hirschberger Gymnasialprogramm, 1894, p. 8.
(3) Griech. Burgsch. (cf. n. 5), p. H.
(4) Art. cité, pp. 426-436.
(5) J. Partsch, Griechisches Burgschaftsrechl, I. Das Recht des altgriech.
Gemeindestaats, pp. 9-86.
HYPOTHÈSES SUR LE CONTRAT PRIMITIF EN GRÈCE 255
nous essayerons de définir une certaine notion du contrat,
celle que nous croyons pouvoir relier au mot eyyuvi, celle qui
pour nous est primitive.
I
làlyyÙ'f] HOMÉRIQUE
Il peut sembler paradoxal de soutenir que le mot èyy6-f\ qui,
dans toute la grécité — Veyyùr\(nq du mariage étant à part (1) —
a le sens de caution, et qui apparaît dans un passage homé-
mérique oii il s'agit à première vue d'une caution, ne désigne
pas, dans ce passage, une caution.
Cependant, l'enchaînement des sens, selon notre hypothèse,
n'aurait rien de plus étrange que dans le mot latin sponsio, qui
désigne d'abord et d'une façon générale le contrat verbal, mais
qui s'applique en particulier au cautionnement (2). On sait que
la généralité du cautionnement est un fait relativement pri-
mitif dans l'histoire du droit contractuel, et on s'expliquerait
que, par « restriction de sens », le terme qui signifiait « con-
trat » n'ait plus représenté qu'un contrat, un des plus fré-
quents et des plus nécessaires. On dira que nous n'avons pas
le droit de remonter si haut ; on objectera l'âge du texte : il est
admis que cette partie de VOdyssée est très récente, très proche
du temps dès lequel lyyuYi a le sens exclusif de « caution ».
Pour notre part, nous ne sommes pas frappé de la nécessité de
cette chronologie : on ne peut guère l'autoriser que d'argu-
(1) Et encore, nous verrons qu'on a voulu la rattacher aussi à riyyûifi-
caution.
(2) Sponsio désigne la forme la plus ancienne de cautionnement {sponsoi' sur-
tout est spécialisé au sens de « garant »). — Postérieurement ont été créées les
formes de la fidepromissio et de la fidejussio. — Sur la dérivation du terme
sponsio, cf. P. -F. Girard, Manuel de droit romain'^, p. 744 : avant de faire naître
une dette accessoire, la sponsio aurait servi à faire naître Tobligation de plu-
sieurs débiteurs corréaux ; l'ancien droit aurait vu dans la promesse de l'objet
de la première dette une novation {ib., n. 2). On appréciera de plus en plus la
portée de ces indications.
256 LOUIS GERNET
ments d'ordre subjectif (1). En tout cas, à moins de repousser
en principe toute interprétation d'Homère, il faut bien per-
mettre à la critique de distinguer, dans une rédaction dont
nous ignorons d'ailleurs la date précise, des formes assez pri-
mitives de vie sociale et de moralité; et nous avons le droit de
comprendre comme un vieux brocard le vers qui en a suffi-
samment la forme : ôsiXai toi. ôstXwv ye xal syyùa!. eyvuàaaQat.. —
A cet égard, nous ferons observer que le mot ssSva, dans un
passage du même récit qu'il n'y a pas de raison de tenir pour
plus ancien que le nôtre, est employé avec le plus primitif de
ses sens : prix d'achat de la femme, versé au beau-père et
gardé par le beau-père (2). — Ajoutons que l'insistance de
Partsch à rajeunir le plus possible le récit de l'aède se concilie
mal avec la théorie qu'il soutient (3) — et que nous nous gar-
derons bien de soutenir (4) — sur le caractère de la composi-
tion dans ce passage : il veut que celle-ci ne soit pas réglée par
la coutume et ne dépende que de l'arbitraire de l'offensé ; ce
qui, pour le coup, nous reporterait à une époque extrêmement
primitive.
Quoi qu'il en soit, retenons que la chronologie ne saurait
en aucune façon imposer le sens de caution. Et abordons
directement le problème. Contre la traduction de Parsch, on
peut faire valoir des arguments philologiques et des argu-
(1) Subjectif et littéraire. On fera valoir que le texte n'a pas une parfaite cohé-
rence logique (Partsch) parce que Hèphaistos parle d'abord de réclamer les è'eSva
au père d'Aphrodite, et parle ensuite de tout autre chose sans plus se soucier
des IsSva : on en conclut que ces parties sont d'âge différent. Vraiment, c'est
abuser des droits de la critique. — Ou bien on objectera, contre l'antiquité du
récit, ce qu'il y a en lui du fabliau, et le comique d'une pareille situation dans le
monde des dieux. Et pourquoi le fabliau ne serait-il pas « primitif » ?
(2) C'est l'état le plus ancien que nous puissions atteindre : cf. 0. Schrader,
Reallex., p. 544.
(3) 0. /., p. 17, n. 6, contre l'interprétation d'Esmein et de Glotz.
(4) Nous nous sommes expliqué sur la question : notre position est intermé-
diaire entre celle de Partsch et celle d'Esmein-Glotz, mais en somme beaucoup
plus rapprochée de cette dernière que d'une thèse extrême que contredit ouverte-
ment la lettre du texte. Celle-ci ne pourrait se réclamer du w? au y.zKîûsk, que
nous avons invoqué : il faudrait plus, quelque chose comme §u<ra xcXeûsiç, qui
d'ailleurs aurait aussi bien fait le vers.
HYPOTHÈSES SUR LE CONTRAT PRIMITIF EN GRÈCE 257
ments juridiques ; contre le sens primilif qu'il prête à ^yy^t,, on
peut soulever une difficulté assez grave : celle que présente la
dualité d'emplois dans rèyyuTi-caution et Vè^yùr\ matrimoniale.
Les arguments philologiques, d'abord. Nous ne ferons pas
autrement de réserves sur la construction ôeùwv lyvuai, « les
sûretés que l'on donne à des faibles » : elle est pourtant néces-
saire, comme nous Talions voir, dans l'interprétation de
Partsch, et on avouera bien qu'elle est un peu dure. Mais nous
ne nous occuperons que de trois mots en particulier, qui nous
paraissent constituer autant d'objections : SsO.aî, Ssùcov et
eyyuàaa-Qat..
Asùai, en parlant des « cautions », signifierait « impuis-
santes, faibles » (1). Observons d'abord qu'il faut donc donner
à « caution » un sens quelque peu abstrait : rèyyuTi, malgré la
conception résolument concrète que s'en fait Partsch, ce ne
peut être la personne même du garant, quelque chose, prati-
quement, comme l'eyyuTiTYiç lui-même. Maintenant, en admet-
tant que SeOvOç, appliqué aux personnes, puisse avoir le sens de
« faible », il paraît assez malaisé qu'il le garde en s'appliquant
aux choses : du sens premier — et étymologique — de « crain-
tif », on admet théoriquement qu'on passe à l'idée de faiblesse
physique; mais comment passer au sens d'inefficace? Ou, si
l'on veut que Ss'Aa'l soit tout près, pour le sens, de Ssiawv (« les
cautions dont disposent les chélifs sont chétives »), il faut faire
de eyyuai un mot rigoureusement abstrait, en y faisant prédo-
miner l'idée morale de sûreté, de garantie : ce qui, nous le
verrons, ne ferait pas l'affaire de Partsch.
Mais c'est la traduction de Sedwv lui-même que nous n'ad-
(1) On a vu qu'Esmein traduit aussi par « faibles » : traduction que nous avons
adoptée provisoirement, et parce que l'essentiel était dans syvjr,. Au reste, si
l'on admet l'interprétation générale d'Esmein, sa traduction de SctXai n'est plus
séparée de la nôtre que par une nuance qu'on peut pratiquement négliger.
258 LOUIS GERNET
mettrons pas. Ni chez Homère, ni même postérieurement,
nous ne trouvons le mot Ssàoç au sens de « physiquement
faible ». Remarquons que, pour Thalheim et Partsch, ce ne
serait pas assez que cette valeur y fût implicite : elle doit y être
en relief; tout l'argument est là : Hèphaistos est trop faible
pour enchaîner Poséidon, c'est pourquoi il refuse une caution
qui ne lui servirait de rien. Or ce sens-là, encore une fois, nous
ne le trouvons pas : Ss'Ào; est pris au sens de « lâche », de
« malheureux », de « méprisable », mais c'est tout. Et ceci
déjà serait un argument qui interdirait de rapporter à
Hèphaistos l'idée exprimée par ôs'Jwv : d'où lui viendrait cette
humilité ? — Mais d'où lui vient, dans l'interprétation de
Partsch, celle de se dire si faible — et de s'en faire un argument?
Sentiment étrange : je veux bien qu'Hèphaistos, l'instant
d'avant, se soit qualifié lui-même de riueSavo;, mais c'est en se
comparant à Ares xaXo; ts xal clo^Itzoç : c'est autre chose. Sen-
timent peu intelligible: Hèphaistos vient de prouver que, pour
enchaîner, il n'a pas son pareil. — Et nous verrons bientôt
grossir cette invraisemblance.
Passons à syyucyaa-Ba!.. On ne le traduit pas : il est explétif.
Soit. Mais il faut en rendre raison. Si nous admettons le sens
en question, nous devons comprendre, ce semble, syrùat
£yy!jàaT9a', — c'est-à-dire wo-ts aj-ràç syyuao-Sat. — comme des
sûretés à utiliser, ou des cautions à exécuter. Ceci fournirait
du moins l'interprétation la plus cohérente : on trouvera sans
doute qu'elle est un peu loin du texte, et on l'atténuera en tra-
duisant mot à mot : a des cautions à recevoir comme cautions ».
En tout cas, le sujet logique de eyyuàaTQat. ne saurait être que
celui qui accepte ou qui a accepté la caution — comme il l'est
dans tout le vers. Et c'est cela qui est inadmissible : eyyuâirOat
se dit exclusivement, par ailleurs, de qui fournit la caution ;
fût-ce dans un régime de droit primitif, il n'a pas pu se rap-
porter à un créancier. C'esi là une dilïîculté vraiment grave si
un mot explétif n'a pas le droit pour autant d'être un mot
absurde. — Mais nous avons admis qu'âyyuàao-Sai est un moyen :
HYPOTHÈSES SUR LE CONTRAT PRIMITIF EN GRÈCE 259
dira-t-on qu'il est un passif? De fait, il est bien possible qu'on
veuille aiguiller par là : si ce n'est pas Finterprétalion
d'Ebeling (1), il semble que ce soit celle de Partsch pour qui le
cautionnement homérique est comme qui dirait un contrat
réel, et la caution une personne qui est remise « dans la main »
du créancier. Ce sera donc un passif (observons qu'en pareil
cas, c'est plutôt l'infinitif « actif », en vertu môme de sa
notion (2), qu'on attendrait ; mais passons). Le passif du moyen?
C'est impossible, ou c'est plus que hasardeux. Le passif de
e^yuâv ? Mais alors, on trouverait syYuâv dans la terminologie
du cautionnement, et rapporté au créancier : on ne le trouve
jamais. Gomprendra-t-on svyuav au sens de « donner, remet-
tre » — ce qui rend déjà la construction bien pénible (3) ? Mais
sur quelle autorité? — Eustathe (eyyua jjièv 6 Slôqu*;); des lexi-
cographes : rien en somme, — des hypothèses de scholiastes
qui ratiocinent.
Le « mot à mot » le plus vulgaire apparaît impossible.
En arrivant aux arguments juridiques, nous aurons autre
chose à proposer que des négations. — Nous examinerons suc-
cessivement l'interprétation môme du passage et l'idée que
Partsch se fait de la caution.
« Gomment pourrais-je te lier? » demande Hèphaistos à
Poséidon. Trop faible, il exigerait une autre garantie, sur
quoi Poséidon promettrait de payer la somme au cas ori Ares
se déroberait. Mais en quoi cette seconde garantie vaut-elle
mieux? Hèphaistos a la parole de Poséidon; mais si Poséidon
(1) Lex. hom.,l. c, s. v. èffuioit-on.
(2) Cf. Bréal, Essai de sémantique, p. 80.
(3) L'emploi du verbe ivâSs/cciOai, dans la terminologie du cautionnement,
nous paraît écarter, sans réplique, pareille déduction : il se dit de qui assume
l'obligation de garantie; or, à moins d'y voir une métaphore toute littéraire, il
faut bien y reconnaître l'idée de « recevoir », rapportée ici à celui même qui,
dans le principe, serait « livré » : la vérité est que ôéj^eaGai, comme nous le
verrons, implique l'idée du contrat par paumée.
260 LOUIS GERNET
lui-même se dérobe ? Il ne reste qu'un moyen, le seul du droit
primitif : la contrainte par corps; Hèphaistos procédera par
manus injectio sur la personne de Poséidon, et il le gardera
emprisonné pour être ensuite racheté, ou mis à mort, ou réduit
en servitude comme dans la procédure archaïque — et géné-
rale — des « actions de la loi » ; il devra, comme le dit le poète
avec une tournure un peu elliptique (1), « enchaîner » son
nouveau débiteur. On retombe toujours dans la même hypo-
thèse, prétendue défavorable pour Hèphaistos. Tant qu'à faire,
pourquoi celui-ci n'a-t-il pas exigé que Poséidon se constituât
otage, se laissât enchaîner lui-même ? C'est ainsi qu'on se
représente généralement le cautionnement le plus ancien; ce
sont les analogies Iburnies par les législations anciennes
— surtout germaniques — qui ont induit Partsch à retrouver
le même phénomène juridique dans Vl-vv{jr\ (2). La constitution
d'otage, voilà qui serait clair : il n'y est même pas fait allusion.
Et à ce propos, on ne peut s'empêcher d'observer que le lien
est plutôt lâche entre le texte qui reste le seul fondement d'une
théorie du « cautionnement primitif » et la théorie même qu'on
y rattache. Si ce cautionnement implique l'engagement de la
personne qu'on veut voir dans rEyyÙTj, d'oij vient que cet enga-
gement de la personne ne fonctionne précisément pas ici ? S'il
consiste dans une dette non pas accessoire, mais principale,
d'où vient que les acteurs de la scène ne s'intéressent, dans le
moment même oii il est question d'eyytJYi qu'à la personne d'un
autre débiteur? S'il représente, dans toute la force de l'expres-
sion juridique, une promesse pour autrui, d'oii vient que cette
promesse, le créancier l'écarté par une fin de non-recevoir? —
Et c'est toujours le même problème : des deux promesses que
fait successivement Poséidon, pourquoi le privilège qui est
(1) Aristarque interprétait : tcwi; av a' eij9ûvoi[;.i. L'enchaînement n'est après tout
qu'un moment dans l'exécution du débiteur : c'est Vexécution qu'il symbolise
parce qu'il en est l'image frappante.
(2) Les analogies sont d'autant plus marquées que la constitution d'otage a
lieu à l'occasion d'une obligation délictuelle. Pour la bibliographie, voir Huvelin
in Année SocioL, XII, p. 26, n, 1,
HYPOTHÈSES SLR LE CONTHAT PRIMITIF EN GRÈCE 261
accordé à la seconde, les voies d'exécution étant les mômes, et
l'objection qui s'oppose à la première s'opposant aussi à la
seconde? Dira-t-on que la parole de Poséidon a une valeur
éminente aux yeux de Ilcphaistos? Mais pourquoi l'a-t-elle au
second moment, et pas au premier? Pour Partscli, en eiïet, la
promesse pour autrui est parfaitement valable, en droit ; et
pourtant l'expression formelle de cette promesse (uTcloyop-ai) ne
satisfait pas Hèphaistos : Hèphaistos craint-il que Poséidon ne
soit pas en état de contraindre Ares à s'exécuter? Prévoit-il
l'événement qui se réalisera, la fuite d'Ares? Mais c'est là une
question qui est en dehors de la question : elle est d'espèce,
et non de principe ; or c'est une vérité de principe qu'exprime
le vers 351, et il le faudrait comprendre ainsi : les cautions ne
signifient rien quand celui qui les reçoit est trop faible pour
procéder par manus injectio si celui qui s'est porté fort n'est
pas en état ou en humeur de forcer le délinquant à s'exécuter.
Au vrai, ce serait mettre en cause l'efficacité même d'un con-
trat que l'on déclare pourtant très général (1).
Mais d'abord, il semble que ce soit une pétition de principe
de prétendre que, dans un état primitif de droit, le droit, c'est
la force. On ne saurait admettre que l'usage de moyens comme
la manus injectio exige nécessairement un bras plus solide que
celui de l'adversaire. Ces gestes sont avant tout des rites (cela
est tout à fait visible dans certaines procédures analogues, per-
sistant à l'époque historique, comme rs^aycay/) ou la deductio
quae moribus fit). Et notice passage dit bien dans quelles condi-
tions de publicité l'exécution d'un débiteur devrait s'accomplir ;
jjlst' àSavàTOLo-', Q£oiar(.v qui, revenant en écho, est comme une
expression consacrée, suit le mot SéoLfjLt. : armé de la seule pro-
messe de Poséidon — la première — Hèphaistos ne pourra
procéder à la manus injectio au milieu — on dirait presque :
(1) Il faut tout prévoir : nous prévoirons donc cette hypothèse que Hèphaistos
— qui manifeste dans la scène une certaine déférence pour Poséidon — éprouve
un scrupule à la pensée d'exécuter un débiteur aussi éminent. Mais ce serait
aller bien loin; et les mêmes objections continueraient de valoir.
262 LOUIS GEKNET
dans rassemblée — des dieux, avec ce sentiment du droit
reconnu et confiant que renforce la société par sa présence.
En d'autres termes, Hèphaistos n'invoque pas l'insuffisance de
sa force physique : il sollicite un supplément de force juridique.
Et ici nous arrivons à une question générale. Quelle idée
convient-il de se faire de cet accord, de ce contrat primitif qui,
pour Partsch, est un cautionnement? Partsch oppose le droit
grec au droit romain, et il ne parait pas douteux qu'il ait rai-
son — du moins quant à l'époque proprement historique du
droit. Chez les Romains prévaut le principe qu'on ne peut pas
s'engager pour autrui : la caution est un débiteur au même titre
que le débiteur principal, et son obligation s'énonce dans un
idem dari^ idem fieri. Chez les Grecs, la caution s'engage à ce
que le créancier obtienne du débiteur telle ou telle prestation ;
ou plutôt on ne peut même pas parler d'un débiteur, car l'in-
dividu qu'on cautionne peut n'être pas personnellement obligé.
— Sans méconnaître une distinction qu'il ne faudrait d'ailleurs
pas exagérer (1), on ne doit pas s'appliquer à la rendre inin-
telligible : et ce serait la rendre inintelligible que de ne pas
fonder les deux systèmes juridiques sur une même réalité
sociale, antérieure à l'un comme à l'autre. 11 s'agit de se
demander comment certaines représentations, dans un état de
droit qui ne comporte pas le cautionnement au sens propre,
ont pu, par un développement divergent, aboutir à ces deux
(1) Car, d'une part, même s'il n'y a pas de « débiteur principal », il y a tout
de même une dette dont Tobjet est la prestation convenue — et en droit clas-
sique, le cautionnement tombe lorsque la dette cautionnée n'existe pas ou n'existe
plus (Partsch, pp. 172 et s.). Et d'autre part, le droit romain connaît des procédés
(engagement par lequel le promettant se porte fort, — système de la promissio
pœnae) qui font une certaine place à la promesse pour autrui. Ajoutons que,
par une exception dont on verra l'intérêt, le droit romain classique valide dans
certain cas la promesse pro herede — c'est-à-dire faite pour un membre actuel
ou virtuel de la domus (Justinien l'a validée d'une manière générale). Il est vrai
que l'effet de cette promesse est précisément de lier un tiers : mais c'est un cas
de solidarité familiale.
HYPOTHÈSES SLR LE CONTHAT PIUMiTIF EN GRÈCE 263
principos contradictoires : la promesse pour autrui est juridi-
quement nulle; — la promesse pour autrui est juridiquement
valable. C'est cet état primitif que nous allons essayer de
retrouver dans le texte d'Homère.
De môme que, tout à l'heure, nous reprochions à Partsch une
conception plus ou moins « naturaliste » du droit, de même nous
jugerons ici qu'il perd un peu de vue ce problème essentiel :
quelle structure sociale traduit le droit en question? Que la
scène, chez Homère, soit transportée dans le monde des dieux,
il n'importe : c'est toujours le même problème. Dans le prin-
cipe, nous avons affaire à des familles dont les membres sont
solidaires les uns des autres vis-à-vis des autres familles. Si
l'un d'eux est engagé dans une obligation ex delicto et retenu à
la discrétion de l'offensé, un autre se portera fort : et l'engage-
ment de celui-ci apparaît comme un cas de solidarité passive (1).
Est-ce qu'alors nous nous trouverons en présence d'un « cau-
tionnement ^) ? Pas précisément, mais plutôt d'un rapport juri-
dique spécial, dont le développement postérieur a pu se faire
en deux directions et aboutir d'une part au cautionnement grec,
d'autre part au cautionnement romain.
L'offensé s'est emparé de l'offenseur. Le relâchera-t-il sur la
simple promesse de payer la composition? Non point : pro-
messes de Itù^ol sont SeùaL Que veut dire âsùoç?
L'individu ne vaut que par son groupe : tout seul, il n'est
rien. Dans bien des états de civilisation, et sans doute dans la
Grèce môme à l'origine (2), il ne saurait payer sa rançon par
(1) Il y a certainement quelque chose de cela dans la scène homérique. Suivant
une généalogie constante, Poséidon est l'oncle d'Ares, un parent particulièrement
respectable et autorisé. Ajoutons que si les textes n'apportent pas le témoignage
direct de rapports spéciaux entre Ares et Poséidon, la confusion ou le rappro-
chement possibles de leurs surnoms Enyalios et Enalios, l'existence d'un Enya-
lios fils de Poséidon, et celle d'un Enyalios fils de Kronos et de Rhéa (comme
Poséidon lui-même) dont Ares prend le nom après l'avoir tué, suggèrent l'idée
d'un lien assez intime entre les deux divinités (cf. Tumpel, in Pauly-Wissowa,
s. V. Ares, II, col. 643; Jessen, ib., s. v. Enyalios, V, col. 2653).
(2) Glotz lui-même dit bien d'après Guiraud {Propr. fonc, p. 93 et s.) : « L'indi-
vidu a d'abord disposé des objets mobiliers : Vinaliénabilité des biens fonciers ne
264 LOUIS GERNET
ses propres moyens. Le pût-il, on conçoit que l'engagement pris
par un homme réduit à l'impuissance et en son seul nom
soit sans valeur. C'est là précisément ce que signifie le brocard
du vers 351 et qu'Hèphaistos n'a guère à détourner de son
emploi originel pour l'appliquer à la situation présente. C'est là
précisément l'idée que soulignent Bsùai et 8£(.X(ov. Le premier
sens de 8£'A6; est « lâche )^ ; mais dans une société guerrière
comme la société homérique, une double série d'adjectifs
exprime une double série de valeurs antithétiques : d'une part,
des mots comme àyaBoç, àpiTToç, £a-8X6ç désignent la bravoure,
mais avec elle la bonne naissance, la force sûre de soi dont le
sentiment est communiqué à l'individu par un groupe familial
puissant et considéré ; d'autre part, des mots comme xaxo;,
SsO.o; désignent la lâcheté militaire, mais aussi la misère de
l'isolé, la vilenie de qui n'est pas de bonne famille (1) : ainsi
ozù.ôç pourra signifier à la fois « poltron » et « de peu de prix »,
et c'est pourquoi il est rapproché de où-r'.oavoç, A 293. Celui qui
ne vaut rien, c'est celui qui est socialement impuissant (2) plus
encore que physiquement faible : l'individu surpris en flagrant
délit, enchaîné, est tel — tant que sa famille n'intervient pas.
Mais sa famille intervient. En son nom, un de ses membres
particulièrement qualifié entreprend de traiter avec rofl*ensé.
Seulement l'offensé ne se contentera pas de la promesse qui lui
l'empêchait ni d'offrir les ëeova ni de payer la izov/r^ » {Solidarité, p. 5). Mais on
ne voit pas comment il était possible, à Torigine, de payer une composition
qu on dit si grosse, dans un régime de propriété familiale. Nous y reviendrons à
propos des leSva, Pour ce qui est de la Tioivf,, il est vrai que nous la voyons
souvent payée en métaux, qui pourraient être des acquêts individuels; mais
nous avons toute raison de penser que les lingots de métaux précieux dénoncent
une époque relativement récente, et, d'une manière générale, que l'individualisme
de la propriété ne se concilie guère avec le régime du yévo? solidaire. Aussi bien,
la composition apparaît quelquefois payée en têtes de bétail (4» 79-80), ce qui
paraît l'état primitif (cf. Schrader, Reallex., s. v. Blutrache) et ce qui atteste la
solidarité de la famille dans le payement de la -koivi/^ (cf. Glotz, o. t., p. 7).
(1) Aussi rencontrons-nous plus tard, chez Théognis, l'emploi habituel de
ôeiXoî opposé à èaôTvô;, avec le sens de « non noble, manant ». Cette valeur est déjà
plus qu'en germe dans Homère.
(2) D'un homme qui n'a pas ou qui n'a plus de parents, on dit qu'il est « sans
honneur » : ol/sTa', Ti[xà tpîXwv TaTwixévo) 'fwxi (Pind., N., X, 78).
HYPOTHÈSES SUR LE CONTRAT PKIMITIF EN GRÈCE 265
sera hile pou?' rofTenseur. Encore une fois, celui-ci n'est rien.
Voilà pourquoi Hèphaistos refuse la première promesse de
Poséidon*. Voilà pourquoi il est juste de dire, à ce moment, que
les promesses pour autrui ne sont pas valables. Il faut que la
famille promette son propre fait, au moins par la voix d'un de
ses membres.
Est-ce là un cautionnement? Si on y tient, oui. Mais nous
préférons dire : pas encore Nous le préférons à cause des
idées fausses qui s'attachent souvent aux « origines » : le
cautionnement — objet, dit-on, du plus ancien contrat — est
volontiers représenté comme un procédé brutal, comme une
main-mise matérielle sur le répondant — la substitution actuelle
du débiteur solidaire ayant précédé sa substitution éventuelle^
le fait concret ayant précédé la forme symbolique : d'abord un
otage qui se laisse enchaîner à la place du prisonnier, puis une
caution proprement dite qui répond pour lui. Pour Partsch qui
en interprète ainsi l'étymologie, le cautionnement primitif —
qui, précisément, ne fonctionne pas dans la scène homérique —
est le fait de se mettre « dans la main » du créancier (1). —
(1) Les difficultés que nous avons déjà rencontrées à propos de l'interprétation
de r èyyjiaaBat, homérique, nous les retrouvons ici sous un aspect général. Le
moyen suppose ou appelle Vactif. Si Partsch est conséquent avec lui-même — et
il Test — il lui faut admettre que syyucxv a premièrement le sens propre de « mettre
dans la main ». Mais ce sens propre n'est pas attesté : il devra du moins en
rester quelque chose dans la terminologie du cautionnement; or il n'en reste
rien. Le verbe simple, à l'actif, n'y figure même pas. Restent les composés : mais
ceux-ci, à l'ordinaire, expriment l'idée que nous, nous attendrons, à savoir celle
d'un co-contractant qui serait le sujet actif de l'obligation, ou celle d'une partie
qui contraint la partie adverse — pas autre chose : ainsi vcaTsyyuàv s'emploiera
spécialement en parlant de la partie qui oblige un étranger à fournir caution par
devant le polémarque, à l'occasion d'une asserlio in liberlatem ou d'un autre
procès — d'où le passif (Lys., XXllI, 10; Isocr., XVII, 14 ; [Dém.], XXXII, 29;
LIX, 40, 49, etc.). Le même ou d'autres composés, à l'actif, signifient en général
«contraindre à- fournir caution » (Platon, Lois, IX, 871 E; 872 B ; cf. Lys., X,
17), parfois pour l'exécution d'une dette échue (Dém., XXIV, 73; Plut., Timol., 37).
Qu'on en tire au passif l'idée de « être dégagé sous caution », et par suite sim-
plement, à prix d'argent, en parlant de prisonniers (Thuc, III, 70, 1; Dém., XIX,
169), il y a là un développement naturel. Qu'on emploie même xaTeyyjav au sens
de « remettre comme sûreté », en parlant d'esclaves, qui sont des choses et dont
l'engagiste conserve d'ailleurs la possession ([Dém,], XXXIII, 10; cf. Dareste,
Plaid, civ., I, p. 203 ; p. 215,' n. 10), il n'y a pas à s'en étonner. — Pour s^eyyjTi,
REG, XXX, 1917, n» 139. 19
266 LOLIS GERNET
Mais dans le système inlerfamilial des obligations ex delicto^
qui aussi bien repose déjà sur une couche solide de droit, nous
ne voyons rien de tel; nous ne voyons rien de toi dans* Homère
ni dans les coutumes qu'un âge ancien a transmises aux légis-
lations grecques : d'après la loi de Gortyne, le délinquant reste
enchaîné, et sa famille interpellée le libère en payant la com-
position (1). Et, en effet, pourquoi un otage dans un pareil
régime (2)? En quoi un autre prisonnier ferait-il mieux Taffaire
de la partie offensée (3) ?
Point d'otage par conséquent, et point de caution au sens
individualiste du mot : mais l'offensé a foi dans l'engagement
solennel qui lui procure, au sens plein, la force et la vertu que
concentre une association familiale. Ainsi l'offensé peut relâ-
cher l'offenseur à la suite d'une promesse. Nous n'avons pas
affaire à des rapports entre individus : la société est présente,
actuelle; des groupes sont en contact. De la sorte, nous n'avons
pas affaire à une réalité toute matérielle, à un régime de bruta-
lité : l'idéal règne (4), et — nous pouvons l'entrevoir dès main-
èÇeyyuaaôai, cf. Harpocration et Suidas, 5. v.\ Bekker, ^wecd., I, 38, 9 ; Poil.,
VI, 177; Andoc. 1, 44 ; Lys., XXIII, 10; Dém., XXIV, 40. — Au reste, nous ne
nions pas que le cautionnement, quand il a commencé à fonctionner, ait pu com-
porter Ja tradition d'une personne : de là ÛTriyyjoç dans Hérod., V, 71, au sens
plein àe ohnoxlus ; mais cette iyyûri-constitution d'otage est certainement posté-
rieure au régime social que représentent les poèmes homériques ; — et le sens
matériel — que nous ne voyons pas qu'ait jamais eu le simple syyuotv — loin d'être
un sens premier, serait un sens dérivé.
(1) J. J. G., I,p. 360, col. Il, 1. 28-36 (justement en cas d'adultère). Ceci repré-
sente, naturellement, un état du droit postérieur à l'âge homérique. L'otï'ensé ne
se contente plus d'une parole : il lui faut la somme ; il n'a plus confiance.
(2) La caution-otage se comprend dans un régime postérieur, où c'est un autre
individu qui répond pour le délinquant, en attendant que celui-ci puisse recueillir
des fonds : c'est à ce régime que se rapportent les observations de Huvelin, /. c.
(où se trahit un certain embarras, touchant les « origines », p. 26, n. 4).
(3) Parce qu'il représente la famille? C'est donc qu'il y a eu un arrangement
avec la famille solidaire — comme nous le soutenons ; mais la substitution d'un
prisonnier à un autre n'a plus de raison d'être : si l'offensé n'a pas confiance,
qu'il garde le premier.
(4) Il est frappant de voir que la procédure qui, après un meurtre, aboutit à
une réconciliation entre deux familles et fonde, dès le premier moment, une
obligation, ne nécessite aucune « sûreté accessoire » : l'accord est sa propre
garantie à lui-même (cf. Glotz, Solidarité, p. 135 et s.; p. 137). Cette notion de
HYPOTHÈSES SUR LE CONTHAT PRIMITIF EN GRÈCE 267
tenant — la religion. L' sy^urj est le nom du contrat interfa-
lïiilial qui fonde une obligation ex deliclo et dont l'élément
capital est la promesse faite au nom de la famille du délin-
quant.
Quant au vrai cautionnement, il apparaît plus tard, quand
le groupe familial s'est désagrégé. Il est la garantie nouvelle
que réclame une société nouvelle : la famille n'est plus une
force, d'une part, et le créancier exigera une sécurité en quel-
que sorte matérielle; on a affaire à des individus, d'autre
part, et le créancier exigera une personne substituable à la
personne du débiteur. Seulement, dans une évolution morale,
la discontinuité n'est jamais absolue : le régime antérieur au
cautionnement se prolonge dans le cautionnement (aussi bien,
la caution est-elle souvent un parent). La promesse pour un
isolé ne vaut rien, l'attestation solennelle de la solidarité
familiale a une valeur irréfutable — telle était la double
morale du récit homérique. Et dans le régime postérieur, selon
le degré d'individualisme que comportait la société (1), cette
notion, assez une au fond, a bifurqué jusqu'à des contradic-
tions. Aniinomie de principes qui traduit une différence cer-
taine dans la structure morale du Grec et du Romain. Le
Romain dit : On ne s'engage pas pour autrui ; on ne peut que
promettre, pour son propre compte, la même prestation. Et le
Grec : On peut promettre le fait d'autrui ; on conçoit, qui
l'autorise, une solidarité assez intime entre les individus.
Mais râyyuïi est-elle seulement la promesse qui fonde une
obligation ex delicto ? Il y a aussi une eyyuri dans le mariage :
l'accord est naturellement bilatérale : et c'est ce que traduit l'emploi du verbe
aï6ea8ai, qui peut avoir pour sujet aussi bien l'ofïenseur et son yévoc; que la partie
offensée (voir là-dessus les conclusions, définitives, de Glotz, o. ^.,p. 102, n. 4).
(1) Individualisme très relatif encore, bien entendu, même à Rome où les
bénéfices de division et de discussion n'appartiennent pas au droit ancien.
268 LOUIS GERNET
entre les deux emplois du mot, n'y a-t-il pas quelque rapport?
Partsch en a vu un, et il en tire argument.
A l'époque classique, nous savons que le mariage est pré-
cédé d'un acte par lequel celui qui a autorité sur la jeune fille,
son xupioç, déclare la donner en mariage : le xùpwç dit syvuw, le
mari ou futur mari dit lyruiù^cci (Hérod., VI, 130). Mais le
xupwç dit aussi, dit même plus souvent SiSwuii. L'syyuT, est
synonyme de rsxooo-if; et paraît signifier le fait de mettre la
jeune fille à la disposition du mari. Sur quoi Partsch raisonne
ainsi (i) : à Torigine, cautionner, c'est se mettre entre les
mains du créancier; le verbe actif syyjàv signifie « mettre
entre les mains », et c'est ainsi que les anciens déjà expli-
quaient le mot (les anciens, en l'espèce, c'est Eustathe, Hésy-
chius, Suidas, c'est VEtt/mologicon Magîium et le Lexicoîi
Seguerianîim)] et ce verbe actif s'applique tout spécialement à
l'acte unilatéral de qui remet une jeune fille aux mains de son
mari : sans doute, cet âyyuw a pour corrélatif, dans nos textes,
un £yyu(ojji.a5., mais c'est là « une formation secondaire » [eine
sekimdàre Bildimg)^ en vertu de laquelle l'idée de prestation a
entraîné celle de contrat, et l'idée de contrat celle d'un co-con-
tractant.
Qu'il entre dans cette déduction une part d'hypothèse, on le
voit bien. Cependant, pour écarter d'emblée une hypothèse,^
c'est insuffisant qu'on n'en puisse faire la vérification directe :
ce qui est grave, c'est que les notions qu'on prête à une société
ne soient pas fondées sur une réalité assez résistante; ce qui
est dangereux, c'est d'opérer sur ces notions tout idéales par
une dialectique qui ne saurait être prêtée à la conscience col-
lective sans « artificialisme ». Or admettre pour syyuri le sens
propre qu'on a prétendu, c'est admettre, antérieur au caution-
nement qu'on croit reconnaître chez Homère, la réalité d'une
(1) Nous ne croyons pas que ce soit trahir la pensée de Partsch d'en faire
saillir les articulations logiques : nous n'entendons pas réduire sa thèse à
l'absurde; elle est fort cohérente, et il s'agit seulement de dégager les hypo-
thèses qu'elle implique.
HYPOTHÈSES SUR LE CONTRAT PRIMITIF EN GRÈCE 269
traditio sut dont nous n'apercevons, chez Homère ou avant
lui, ni Texistence, ni la raison d'être. — Accordons le sens
propre : il faudra passer au verbe syyuàv et accepter que l'idée
de cet syyuàv, dont l'expression ne trouvait pas sa place dans le
cautionnement, dans la re'alité juridique qu'on dit la première,
en ait cependant été dégagée, puis transposée. Entendon,s
bien : ce n'est pas du contact avec le droit vivant qu'aura
surgi dans les esprits la notion nouvelle ; ce n'est pas la sen-
sation immédiate et incontestable d'un acte solennel qui se
sera traduite dans cet èyyuâv : de rsyyuri-caution, on ne pour-
rait guère tirer qu'un eyyuàv-contraindre (1) ; il s'agit d'une
réflexion toute raisonnable sur le nom : désintéressement spé-
culatif dont la sémantique, en fait de droit, n'otîre pas d'ana-
logue. Et nous ne connaissons aucun exemple de syyuâv au
sens de tradere en dehors du mariage (2) : car le témoignage
des grammairiens ne nous suffit pas. — Et puis, qu'est-ce
que cet £yyuw[jia(. qui n'aurait d'autre titre que d'être le moyen
de son actif ? Qu'est-ce que ce co-contractant qui n'aurait
d'autre raison d'être que le besoin tout intellectuel d'un corré-
latif ? 'Eyyuâo-8at, dans le cautionnement ou dans le pré-cau-
tionnement comme on voudra — toujours primitif par hypo-
thèse — aurait une valeur très forte : se tradere in potestatem
alicujus ; dans le contrat par lequel on remet une jeune fille à
sjn mari, il exprimerait, sans plus, le fait de la recevoir (3).
Arguer d'une espèce de dialectique grammaticale, la justifica-
tion serait un peu pauvre.
(1) On l'en a tiré d'ailleurs, dans les composés. Voir plus haut, p. 265, n. 1.
(2) Nous ne nions pas d'ailleurs que la pensée sociale n'ait pu travailler sur le
mot syyoâv employé en matière de mariage, et qu'à l'époque classique, la syno-
nymie de lYyjâv et StSovat, le souvenir obscur de l'étymologie du mot n'aient pu
y insinuer l'idée de tradere (on remarquera, à ce point de vue, la composition
même du mot éyyûr.atî, avec le suffixe -tis des noms d'action ; ou les formes
évôyÔTiai, èYYsyj-r^xa, etc., que donnent parfois les mss. d'Isée et de Démosthène).
En tout cas, rien n'est décidé par là quant à la valeur primitive du terme.
(3) Si le contrat était devenu synallagmatique, on comprendrait, à la grande
rigueur, un èyyuwjiai. de développement réoent. Mais à l'époque classique, il ne
l'est guère. Nous verrons qu'il a dû l'être pleinement, au contraire, aux origines :
juste l'inverse du postulat.
270 LOUIS GERNET
Ainsi nous ne saurions accepter la déduction tout abstraite
par quoi l'on voudrait passer de reyyuïi-caution à Vè^vù-ri matri-
moniale. Opposons hypothèse à hypothèse, et demandons-
nous si le sens que nous avons été amené à donner à eyyuTi
dans le passage homérique ne sera pas, là encore, satisfaisant;
demandons-nous si l'on ne peut pas expliquer riyyuri du
mariage par reyyÙTi-contrat.
Et ici je remarque d'abord que des analogies certaines auto-
risent le passage de celle-ci h celle-là : la plus nette, la plus
probante est celle que fournit le latin sponsalia. Seulement
ceci n'a qu'une valeur de suggestion. La question grave est
celle-ci : si eyyuYi signifie contrat, il implique l'existence de
deux parties; or l'eyy'jri du mariage, à l'époque classique,
c'est-à-dire au seul moment oii qous la connaissons directe-
ment, n'est guère qu'unilatérale.
Mais nous soulèverons un problème. On a beaucoup discuté
sur riyyuYi en droit classique. Et il semble bien que l'impor-
tance de la chose ne soit pas en rapport avec la gravité du
mot. L'£yyLiYia-',ç se confond avec la o6a-i.ç et paraît être l'acte
constitutif du mariage : pourquoi deux termes? — Il arrive
qu'une £yy'jYiT(.ç ne soit pas suivie du mariage, et alors le futur
ne doit que la dot, s'il a reçu une dot, avec les intérêts
(Dém., XXVII, 17) : elle ne serait donc plus qu'une formalité
sans grande conséquence? Or il est visible que le mot n'a pu
avoir — quelles que soient la signification et la portée de
l'institution à l'âge des orateurs — qu'une valeur considé-
rable, une valeur quasi-rituelle. Il en est ainsi dans les plus
anciens textes, par exemple dans la formule législative qu'on lit
dans le second Contre Stéphanos (1) : 7\^ av èyyuYia-yi IttI Stxaio»,;
8à[xapTa slva'. vî TiaTTip xtX. A la thèse de Partsch (2) qu'il s'agit
(1) [Dém.], XLVI, 18. L'antiquité relative de la loi est garantie par l'emploi
du mot Sajxap, vieux mot qui a cessé d'être en usage dans Tattique (Euripide en
présente encore quelques exemples) et qui reparaît dans un passage fameux
(Dém., XXlll, o3) de la loi de Dracon (cf. Beauchet, o. l., I, p. 38).
(2) 0. L, p. 51, n. 5.
HYPOTHÈSES SUR LE CONTRAT PRIMITIF EN GRÈCE 271
d'une espèce de prestation réelle, l'expression stcI owaiow oppose
une difficulté plus grave : £7tl 8!.xa'lo!.ç, c'est suivant les formes
coutumières (1) ; et il est même difficile de penser que l'expres-
sion ne rappelle pas des actes religieux (2), des rites définis.
En tout cas, c'est bien sur l'idée du formel que le mot kyyù'/] fixe
encore la pensée. Il ne faut pas l'expliquer par le terme prati-
quement synonyme de o!.ô6va!., sxo'.ôovat. auquel on prêterait la
valeur qu'on voudrait, celle de tradition brute : quand on cons-
tate que syyuàv est beaucoup moins employé, à l'époque clas-
sique, que ces synonymes qui ont en soi une signification plus
matérielle (3), on est amené à penser que c'est un mot déchu.
Et si c'est un mot déchu, c'est qu'il a dû désigner, dans le
principe, ou un acte qui a disparu, ou un acte qui a perdu sa
valeur, et qui tirait son prestige de l'accord solennel qu'il
fondait. Nous n'aurions pas besoin d'aller plus loin pour dire :
ce n'est pas d'une main- mise matérielle, d'une espèce de
brutalité consentie, que l'institution dérive; Tessentiel est
ailleurs : il est dans une notion d'ordre religieux, sinon de
nature religieuse.
Mais nous ne nous en tiendrons pas là : la question de
l'sYyuYi matrimoniale est assez grave en elle-même, elle peut
(1) C'est du reste ainsi que le comprend Beauchet, o. /., I, p. 139. L'cyyuficni;
i^X Stxaîot; fait songer à la signification primitive des justae nuptiae. Nous
traitons ailleurs de cet emploi du mot. Contentons-nous d'observer que
Sixaioiç, après s'être appliqué aux formes coutumières, qualifie, en vertu d'un
développement attendu, la validité des opérations juridiques (dans la loi de
Gortyne: cf. Zitelmann, Das Recht von Gortyn, p. 58), la régularité ([Dém.], XLII, 4)
ou la légalité (Hyper., Pour Eux. ^1^) des procédures. Pour les formes coutu-
mières du mariage primitif, cf. [xvàaOai Sixaîwç {% 90). — Quant aux syYÛai ]^\
8txa(oi dont parle Hyper, (iô., 16), elles se rapportent à autre chose, et l'expres-
sion résulte d'un travail de pensée récent — et plus ou moins personnel à
l'orateur.
(2) L'adjectif ou l'adverbe s'appliquent d'ailleurs volontiers à l'idée de pureté
ou de convenance religieuse (Esch., Eumen., 56; Lys., XXVI, 9; Michel, n» 82 A,
1. 8 sqq., etc). — Sur le mariage considéré comme téXoç, les indications de
Fustel {Cilé a?it., II, 2) conservent toute leur valeur.
(3) Si nous comparons avec les seuls emplois de èvcSiSovai, plus technique,
ceux de èyyuav et de syyuàa6at, nous voyons qu'ils sont dans les discours
démosthéniques au nombre de 32 contre 14.
272 LOUIS GERNET
nous ouvrir assez dé jour sur les origines du contrat en géné-
ral pour mériter de nous retenir.
II
h'èyyÙ-/] CONTRAT DE FIANÇAILLES.
D'un mot, nous dirons d'abord que ïlyyù-ri de l'époque
classique est inintelligible par elle seule, et qu'elle ne se peut
entendre que dans son passé.
Certainement, aux v^ et iv^ siècles, c'est encore un acte qui
paraît considérable. C'est un acte nécessaire : les justae nuptiae
l'exigent, et la filiation légitime le suppose ; le père de famille,
en introduisant un enfant dans la phratrie, doit jurer yi [jiriv
£^ ào-Triç xal èyyuriTTiç Y'Jvat.xoç elo-àvELV (1). C'est un contrat, dont
les textes législatifs indiquent nominativement quelles sont les
personnes qui ont droit de le passer (2). Du contrat, il a les
caractères essentiels. Il comporte objet, cause, capacité. Ce
n'est pas le consentement pur et simple qu'il implique^ mais
la rencontre des volontés, avec les mêmes exigences rigou-
reuses que le droit romain le plus ancien : des formules,
comme dans la sponsio, s'y font écho, elles s'y manifestent
comme un élément capital (3) ; et quand l'èyyùyi est repré-
sentée par la oô'7'.c,^ que nous avons vu qui lui équivaut, le
contrat n'est parfait que par l'acceptation de l'époux (4). Par
autre chose encore, il se distingue du niidum pactum : il
admet des formes solennelles auxquelles fait allusion, nous
(1) Isée,VIII, 19; cf. 8 sq. ; ITl,6. — Dém., LVII, 41 ; XLVI, 18;LIX, 60; XLIV,
49. Cf. Platon, Rép., V, 461 B.
(2) Loi citée dans [Dém.], XLVI, 18; Platon, Lois, VI, 774 E ; cf. Pollux, III,
34, 35.
(3) Hérodote, VI, 130 : « tw Se 'AXxaswvoç MsyaxXÉV èyyutù TcatSot x^y è\).Ty
'AyapiîTTiv vofxoiai xoTai 'Aôr^vaiiov. » 4>a{j.évou ôè lyyuâaSai MeyaxXéo;...
(4) Ténos, décret de la tribu des Eleithyéens (H. Demoulin, Musée Belge, VIII,
p. 90), 1. 6 sq. : MT|6e'.0î [xèv è(x) ô iSô [jx] s voç autwi tV OuyaTÉpa, SojvtaÔTiç Se
Xa[j.6âva)v. ..
HYPOTHÈSES SUR LE CONTRAT PRIMITIF EN GRÈCE 273
Tavons vu, l'expression du législateur stzI oua-loiç iyyuâv; il
est passé normalement devant témoins (1).
Mais déjà tout cela ne va pas sans difficultés ou obscurités.
Pour commencer par la fin, la présence des témoins est-elle
exigée ad solemnitatem? Avons-nous ici quelque chose d'ana-
logue, par exemple, aux dix témoins de la confarreatio romaine?
Evidemment non. Rien n'indique que le nombre ou la qualité
des témoins soit fixé, que leur présence soit requise à peine
de nullité. Les textes qui en parlent n'en parlent très expres-
sément, que comme d'une sûreté que l'on se donne (2). Sûreté
qui n'est même pas obligatoire : le témoignage n'est pas plus
exigible ad probandum que ad solemnitatem ; les mêmes textes
le laissent bien voir, et à l'occasion un plaideur discutera, sur
des indices et rien que sur des indices, la question de fait si
une eyyuYi a eu lieu ou non (3). Du même coup, c'est l'exigence
juridique des formes ou solennités qui se trouve atteinte : elle
ne saurait plus exister pratiquement. x\ussi bien, quiconque y
a regardé de près ne discutera pas là-dessus; et tels auteurs,
Hruza notamment, qui font de reyyuYi une Ehebegrûndting,
sont les premiers à insister sur le caractère essentiel du for-
malisme, qui est de n'être pas obligatoire (4). Mais voilà, sem-
ble-t-il, qui est grave ; voilà qui devait arrêter. Que peut-être
un pareil formalisme? Un souvenir. Il n'a pas pu se plaquer,
à un certain moment, sur un contrat qui ne le comportait pas
dans le principe : il est rare, dans l'histoire du droit, que des
(1) Isée, III, 29; Dém., XXX, 21; XLI, 6; LVII, 41.
(2) Isée, m, 29 : xal [xapxupàç yô ttoXXw -jtXsîouç tôv iyyuwvTa (àv) irapaxaXsîv
i\ t6v syyuw[xevov tV TOiatJTT;v • oûSslç yàp uixwv àyvoer oTt ôXtya Siajiévsiv stwôc twv
ToioÛTtov. Cf. Dém., XXX, 21, où il s'agit d'abord, à vrai dire, d'une constitution
de dot (mais cf. infra) : oùô' àv elç... toioûtov (TuvaXXay[xa Ttoio'jjxevo; àiiapTupax;
àv lirpa^ev * àXK% xîùy toioôtojv ëvsxa xal yajxouç Tioioûjxev xal xoù; àvayvtaiOTâxouç
TiapaxaXoûjxev, ôxi... aSsX'fwv xal Ouyaxépwv pîouç £yj(etp{!Jo[JLev, urckp wv xàç àd'faXsta;
|JiaXi(Txa ax.OTTOUfxev.
(3) Isée, III, 35-38.
(4) Hruza, die Ehebegrtlndung nacfi attischen Re.chle, p. 77, nie, contre Meier,
jusqu'à l'exigence des formules solennelles. Pour ce qui est des témoins, voir
Beauctiet, Hist. du droit privé de la républ. athén., l, pp. 120 sq. ; 278 sq. ;
323. Cf. E. Leisi, der Zeuge im attischen Recht, p. 144.
274 LOUIS GERNET
contrats deviennent solennels qui ne l'avaient pas toujours
été; quand ils le deviennent, comme il est arrivé dans notre
droit, c'est l'etTet de besoins spéciaux, et alors on n'a pas
entendu faire du formalisme une « formalité », mais une con-
dition exigible. — Les solennités sont donc anciennes, comme
d'ailleurs on peut s'y attendre en pareille matière. Mais
si elles sont anciennes, elles ont dû être indispensables dans le
passé. Car le contrat formel est antérieur, d'une manière
générale, au contrat consensuel ; et surtout, on ne compren-
drait pas un formalisme qui, dès les origines, n'aurait servi à
rien, n'aurait pas été de l'essence même du contrat (1). En
revanche, qu'il se soit maintenu sans que l'obligation comporte
de sanction dans un régime de justice organisée, la chose, de
soi, est très concevable (2). Un résultat se trouve donc acquis,
et une question posée, par l'examen des modalités du contrat.
Considérons-nous le contrat en tant que tel? Môme indica-
tion. — La convention a eu lieu. La jeune fille a été accordée à
l'époux. L'époux acquiert-il un droit? C'est selon : quand Vey-
yÙTja-iç n'est pas accompagnée de la consommation du mariage,
on ne voit pas que l'époux puisse contraindre le y^ùpioq à lui
livrer la femme (3). Là-dessus aussi, accord rare : et c'est
encore les auteurs qui tiennent Vèyyùi]7iq pour Ehebe g ?H'mdung,
qui insistent (4). Mais alors, qu'est-ce qui reste du contrat?
(1) Quant aux témoins, se rappeler, par exemple, les douze fastars de Tancien
droit suédois qui assistent notamment à la remise des arrhes pour une fiancée,
et que Kovalewsky [Loi anc. et coût, cont.., p. 107) croit avoir été d'abord des
parents (cf. Auiira, Nordgerman. Ohligaf.-rechl, p. 270).
(2) Il va sans dire que cela n'a pu se produire qu'en vertu de l'indifférence
grecque pour le formalisme. A Rome — et ceci reste d'accord avec ce que nous
avons indiqué ^- les faits sont différents : les modes d'acquisition de la manus —
sauf Vusus, naturellement — sont, et sont restés, des modes solennels.
(3) On dira : si le xûpioî ne transmet pas de droit, c'est que le mariage grec
n'est pas du tout une conventio in manum ; et on ne manquera pas de citer ce
passage du Contre Spoudias (Dém., XLT, 4) oti a l'on cru voir que le père avait le
droit, tout comme dans le mariage romain sans manus, de reprendre sa fille
une fois mariée. Mais d'abord, ce dernier point est douteux (cf. Dareste, Nouv.
Et., p. 63). Et puis, la question reste entière.
(4) Hruza, o. L, p. 43; Beauchet, o. l., I, p. 120; cf. Meier-Schômann, der
Att. Proz., éd. Lipsius, p. 308.
HYPOTHÈSES SUR LE CONTRAT PBIMITIF EN GRÈCE 275
Au vrai, on sent bien que c'est sa signification môme, et sa
portée, qui sont en cause. Et sur ce point, c'est l'incertitude :
incertitude qui s'est traduite dans la divergence des thèses, dans
une antinomie dont on ne voit pas qu'on puisse sortir.
La ttièse la plus développée, c'est celle de Hruza, qu'en
France, M. Beauchet a reprise (1) : V kyyùr^Œ^.q est l'acte consti-
tutif du mariage. Certes, pareille théorie se réclamera des
textes et des faits; on peut même avancer qu'elle est d'accord
avec la doctrine qu'aurait produite un « prudent » d'x4thènes,
si d'ailleui's il y avait eu des « prudents » à Athènes. En fait,
qu'est-ce qu'une femme mariée? C'est une femme eyYUYiT'/j.
On dira (2) qu'à V èyyùr\(Ti<; il faut que le yàtjLoç s'ajoute pour que
le mariage soit parfait : mais on ne voit pas que le yàf^oç ou
l'union physique (3) soit défini autre chose qu'un fait brut,
qu'il lui soit attribué un sens ou un effet juridique (4); nuptias
non concuhitus facit. En revanche, la loi citée dans le second
Contre Stéphanos, et que nous avons déjà rappelée, implique
que r £YYuri^?.ç, par elle-même, confère la qualité d'épouse :
viv av eryurjO-TT]... SàjjiaoTa slvau Nous savons aussi que ^yy^av a
pour synonyme avéré — au iv^ siècle — sxSiSovat,, lequel indique
(1) C'est la thèse essentielle de l'ouvrage de Hruza (voir notamment p. 36) ;
cf. Beauchet, o. L, I, p. 124. Elle est adoptée purement et simplement par
G. Gilbert, Handhuch, I^, p. 209 et n. 1. Voir aussi Thumser, cité infj^a.
(2) C'est la théorie de Bûrmann, in Jahvb. f. class. PhiloL, IX. Suppl.-Bd., qui
a greffe là-dessus l'hypothèse d'un concubinat légitiuie conclu par simple £YyÛT,ais
et distinct du mariage régulier fondé sur iyyÛTiaiç plus yi\xo<;. Destinée à donner
tout de même un sens à 1' èyyjïiatî, elle n'a guère eu de succès. Gilbert, qui l'avait
d'abord adoptée, avoue ses doutes dans la seconde édition du Handbuch, p. 210.
(3) Voir la définition de Clément d'Alexandrie, Strom., II, 23 : ya[ioç [xàv ouv
lorxi aûvoSoç àvSpàç xal yuvaixài; r\ irpwTT, xarà vd,aov...; cf. Arist., 'A0. IloX., III,
5 : è'xt yàp xal vuv Tf,<; xoû paat>.éw(; yuvaixôç i\ <7Û [jljjl s i^ iç èvxauOa (au Boukolion,
le second jour des Anthestéries) y^yvsxai xw AtovuTw xal ô yâ[xoî. Il est vrai que
ya[j.o<;, chez Homère, signifie le banquet nuptial : mais bien qu'il reste des traces
de ce sens à l'époque classique (Dém., XXX, 21), il ne paraît plus y être fonda-
mental.
(4) Sauf le cas spécial du mariage avec une fille épiclère : une loi de Solon
permet de rompre ce mariage en cas d'impuissance de l'époux (Plut., Solon, XX,
qui a été interprété par Dareste, Nouv. Et., pp. 31 et s.), et comporte même une
définition de l'impuissance légale. Mais c'est un cas spécial. Et il n'y a pas eu
lyyÛTiaiç.
276 LOUIS GERNET
la tradition de la jeune fille à l'époux : les textes législatifs
emploient l'un ou l'autre mot, arbitrairement (1). On pourra
invoquer aussi la description la plus nette que nous ayons d'une
syYUYia-',;, le récit du mariage d'Agaristè dans Hérodote (VI,
130) : nous y voyons qu'après l'échange des paroles sacramen-
telles, le mariage est définitif, exs/upto-o 6 yà[jLoç — Hérodote
emploie même le plus-que-parfait, dont on sait la valeur. —
La théorie se présente bien (2).
Oui, mais cette syyuTia-iç qui doit conclure ne conclut rien.
En une note brève et tout à fait pertinente (3), Dareste a fait
justice de la thèse de Hruza. Il n'y a rien à répliquer à ce fait
que la mère et la sœur de Démosthène, données en mariage
par eyyuTiT^ (Dém., XXVIII, 15, 16), n'ont été épousées ni
l'une ni l'autre par 1' syyuwpievo; iicl.^ XXVII, 17). L' syyuwp-svoç
a pourtant dû ester, répondre ; il n'y a pas eu mariage. Mais
qu'est-ce que l' syyuri ? Elle ne sert plus à rien. Il est dit, expres-
sément, qu'elle fonde l'union conjugale : elle ne la fonde pas.
C'est bien le sentiment de ces difficultés qui a suscité cer-
taines interprétations destinées à sauver, pour ainsi dire,
r eyyuYio-!.;. On a parlé de contrat de fiançailles : c'était comme
qui dirait la doctrine classique avant l'ouvrage de Hruza (4);
c'est celle à laquelle parait encore adhérer, un moment,
Dareste (5). Nous y reviendrons; mais observons, après ce que
(1) A l'êyyuâv de la loi ap. [Dém.], XLVI, 18, correspond rèxSiSovai de la loi
ap. [Dém.], LIX, 52; cf. loi citée [Dém.], XLIII, 18 ; Beauchet, o. L, I, p. 141.
(2) Il est bon d'observer que ladite théorie, qui serait pourtaat le meilleur fon-
dement logique de la dérivation sémantique admise par Partsch, ne s'en accom-'
mode point. Thumser qui la reprend ('Eyyu-riatç, yaiir.Xia, è-TriSt^aata in SeiHa Harte-
liana, Vienne, 1896, pp. 189-192) insiste sur ce que l'IyyuTiaiî est un contrat de
mariage au sens moderne : il ne faut pas penser à lyyuav = einhàndigen.
(3) Quest. de droit grec, IT. Le mariage et la famille à Athènes, dans les
Nouvelles Études d'histoire du droit, p. 61. Aux cas des Contre Aphobos on
pourrait ajouter celui d'Isée, VI, 22.
(4) Voir la bibliographie — elle est assez abondante — dans Beauchet, art.
Matrimonkjm du Dict. des Antiq., p. 1640, n. 11.
(5) L. c. Dareste invoque la formule de Platon, Lois, XI, 924 D, -fi jxèv 5v lyye-
yuT,}X£vO(; wç œ/r,p èaotxsvoî t, qui flgure incidemment dans un autre chapitre que
celui de rèyyûri, et qu'on peut retenir à titre de souvenir, mais non pas de docu-
ment (cet emploi de èyyuàv au passif, et parlant du fiancé, est d'ailleurs isolé).
HYPOTHÈSES SUR LE CONTRAT PRIMITIF EN GRÈCE 277
nous avons dit, que ce n'est pas là la repre'sentalion qu'on se
fait de F sYyuïj à l'époque classique, pas plus au v*' siècle chez
Hérodote qu'au iv« chez les orateurs. — Dans Ilermann-
Bllimmer (1), suivi par les éditeurs des Inscriptions juridi-
ques (2), — dont Dareste, qui ne devait pas être hien sûr (3) —
nous rencontrons une hypothèse un peu désespérée : l'èyyuyi
serait l'acte par lequel est attestée la filiation légitime de la
jeune fille donnée en mariage. Cette opinion spéciale reste une
opinion isolée. Nous ne voyons pas qu'il soit question de pareille
chose dans la formule même de V lyyù-ri^nq : si on l'y a vue ou
si on l'y a mise, c'est parce qu'Isée parle quelque part (III,
52 ; 55) de syyuâv w^ e^ l-caipaç otjo-av ; d'où Ton conclut que
eyyuàv employé seul garantit la filiation légitime. Mais le texte
du Contre Léocharès ([Dém.J, XLIV, 49) auquel on renvoie ne
suggère pas, pour le mot lui-même, un pareil sens ; et le texte
d'Isée est précisément la preuve qu'il peut y avoir, à la rigueur,
£yyuYl(n<; sans filiation légitime (4) ; or la déclaration que serait
l'âyyÛYlo-^ ne rentrerait plus dans le cadre d'un acte juridique
défini si, dans l'hypothèse oii l'on se place, elle ne servait pas
à garantir le fonctionnement d'un régime de connuhium.
iNous sommes toujours rejetés dans la même direction. Et
positivement, il y a des indices que l' syyùri du iv® siècle est
une survivance — une survivance que l'on a d'ailleurs adap-
(1) Griech. Privalaltert, pp. 261-262.
(2) 1, pp. 52-53. Cf. Beauchet, o. L, I, p. 123, n. 6.
(3) C'était du reste une opinion qu'il avait déjà indiquée in Plaid, civ. de Dém.,
II, p. 109, n. 25 : ce sens paraît dériver, pour lui, de celui de caution (cf. ib., I,
p. XXIV et II, p. 361). Je sais bien que les deux interprétations ne sont pas logi-
quement contradictoires : mais elles sont avancées par le même auteur à part
l'une de l'autre. Et elles compliquent.
(4) Toute l'argumentation d'isée, dans ce passage du discours Sui' la succession
de Pyrrhos., vise à prouver l'impossibilité morale de la chose : on n'épouse pas
ces femmes-là. Mais une impossibilité morale seulement. — Dans le même sens
que le texte du Contre Léocharès., on aurait pu invoquer, comme plus significatif,
Hyper., Pour Euxénippe, 16 : mais il ne s'y agit pas précisément de garantir la
filiation légitime, mais la filiation tout court; c'est là une affirmation que toute
iyyû-r^ implique. — Quant à [Dém.], LIX, 52 et 54, l'argument qu'on en tirerait se
trouve indirectement écarté par une saine théorie des dispositions de droit public
qui y sont visées (cf. Beauchet, o. L, I, p. 203 sqq.).
278 LOUIS GERNET
tée à des fins que l'institution ne comportait pas de prime
abord. A l'époque classique, les deux parties ne sont pas vrai-
ment obligées, et il n'a pu en être ainsi de tout temps. On n'a
pas la ressource de prétendre que le contrat d'ly^ùr\ est un
contrat synallagmatique qui, ne faisant naître d'obligations à
la charge d'une des parties que sous condition suspensive,
pourrait finalement ne pas réaliser son objet. Synallagmatique
parfait, il devrait obliger l'syyuwv, de par Tacceptation de
r eyYucoasvo; : on ne le voit pas. Synallagmatique imparfait, il
devrait obliger r£Yy!jw[ji.£voç, de par la « tradition » dont V ey^ùi]-
(Tiç est synonyme : on ne le voit pas. De plus, les rapports
entre les parties ne sont pas définis comme on s'y attendrait.
Cet EYYuwjjiaî., dont nous avons vu que, dans une théorie
comme celle de Partsch, il restait en quelque sorte en l'air,
cet eyyuîoiioLi signifie l'acceptation. Or le moyen^ dans la termi-
nologie du cautionnement, se rapporte à la partie qui cau-
tionne. Et pour quiconque sait la valeur des « voix » dans le
droit parlé, il ne fait guère doute qu'il indique un sujet origi-
nellement passif : ce n'est pas ce qu'est 1' £yy^^I^s^o? de
l'époque classique ; il fait bien plutôt penser à un créancier.
Doublement créancier : Y l-^^({jr\(7\q est à l'ordinaire accompa-
gnée de la constitution de dot. Les registres des constitutions
de dot, à Myconos et à Ténos, l'attestent (1); les textes des
orateurs le confirment (2) ; une k-^^^ûr^dic, sans dot est chose sus-
pecte, presque contradictoire dans les termes (3). Les deux
sont si intimement associées que le vocabulaire les confond, et
que même le mot exSiSovat s'applique, lui tout seul, à la cons-
titution (4); il le désignera, aussi bien, de la part d'un tiers,
(1) Inscr. Juricl. Gr., n» VI (t. I, p. 48 sq.) ; C. I. G., n» 2338 b.
(2) [Dém.], XLI, 26 : f,Yyua [xot noX-jsuxTOs tt,v ôuyaTep' kizl T£TTapi>covca [xvaîi;
(remarquer le ird qui, avec le datif, marque proprement la condition). Même
expression XXVIII, 15. Cf. Isée, 111, 8, etc.
(3) Isée, III, 38-39.
(4) Platon, Lois, VI, 774 C, où èxStôdvai tout court est opposé à )va[x6avovTi, tout
court; cf. Plut., Arist., XXVII, où i% tou TipuTaveiou.... ixSoôf.vai se rapporte
spécialement à la dot. Très net est l'emploi du mot dans la loi citée chez
[Dém.], XLIII, 54, où le verbe a pour sujet Tayant droit qui ne veut pas épouser
HYPOTHÈSES SUR LE CONTRAT PRIMITIF EN GRÈCE 279
dans le cas de ce que les Komains appellent la dot adventice,
constituée par un individu qui n'a ni hahilelé ni vocation à
rsyyuTl (1). On se rend très bien compte que la forme de
r^YY^ïi, qui représenle en soi tout autre chose, a été exploitée
en faveur d'une pratique spéciale, d'une pratique qui ne
remonte pas, tant s'en faut, aux origines du mariage grec.
C'est pourtant ces origines qui sont en cause. A l'époque
classique, F syyjri subsiste en fait, nous devons admettre
qu'elle précède normalement le mariage : mais ce n'est pas par
elle qu'on prouve le mariage. Nous dirons, en fin de compte,
qu'il y a une certaine analogie, sur ce point, entre la Grèce et
Rome. Plus que le mariage romain sans manus, le mariage
grec continue d'admettre — d'exigei', en un sens — des formes
coutumières : mais l'exist^mce de ces formes, dont la validité
du mariage a fini par devenir indépendante (2), on l'induira.
Quand Isée la discute sur des indices, il fait penser à ce sys-
tème de présomptions par lesquelles, en droit romain récent,
on tranchait la question s'il y avait eu ou non mariage (3). —
Le seul moyen de comprendre, et pour ainsi dire de résoudre
l'incertitude qui plane sur l'IyyuYi classique et qui en dissimu-
lait le sens précis aux yeux mêmes des Athéniens du iv' siècle,
c'est de ressaisir l'syyjri, si possible, dans son premier état.
Procédure légitime et nécessaire que celle qui « remonte aux
origines ^) d'une institution panhellénique (4), et d'une institu-
une épiclère, et où l'idée essentielle est celle de la dot, légalement fixée, qu'il
doit fournir en la mariant.
(1) Dém., XXVII, 69 : ... xal cthXùnc, (xév Ttvaç t,5ti xwv ttoXit^v où {xdvov (juyyevwv,
àXXà xal cpiXwv dvSpwv aTiopouvTwv ô'jyaTepaç irapà a'^wv aôxwv ÈxSovTaç....
(2) Beauchet, o. Z., I, p. 141, parle même nettement de contrat consensuel.
(3) Cf. P. -F. Girard. Manuel de droit romain^^ pp. 150-151. — 11 est instructif
de noter que les fiançailles subsistent {ibid.), et qu'elles différencient le mariage
et le concubinat : c'est un trait commun — un trait d'union — entre le mariage
romain et le mariage germanique, et qu'on a pu retenir dans l'histoire des ori-
gines de notre droit matrimonial (Ed. Meynial, Le mariage après les invasions^
dans la Nouv. Rev. hist. du dr., 1896, n" 4).
(4) Sur la généralité de l'institution, cf. Beauchet, art. Matrimonium, p. 1641,
n. 6 à 9. — C'est une institution nationale : s'il est question de « Barbares », on
emploie le verbe simple SiSôvat, par ex. Thucyd., II, 101, 5, 6; Xén., Anab., VII,
2, 38.
280 LOUIS GERNET
tion qui nous apparaît peu intelligible en soi : il semble qu'on
l'oublie Irop quand, pour interpréter V lyvù'i] matrimoniale, on
donne tête baissée dans les contradictions qui s'y étalent.
Ces contradictions mêmes, nous voulons en faire état. 11
faut que le nom de la chose ait eu une signification définie
comme il a un prestige certain. L'acte primitif qui a survécu
avait assez de portée morale pour que l'on persistât à en déri-
ver l'état régulier de mariage; et il avait une portée juridique
assez particulière pour qu'il n'en fût pas nécessairement suivi.
Enfin, si le sens de l'institution s'est quelque peu oblitéré,
c'est apparemment qu'elle avait été solidaire de pratiques et de
croyances qui ont cessé de fonctionner. Parmi les actes conce-
vables du drame matrimonial, il en est un qui satisfait à ces
trois conditions, et c'est la promesse de mariage.
La promesse de mariage fut d'abord étroitement associée à
deux usages dont le caractère « primitif » se dénonce à pre-
mière vue : celui du mariage par achat, et celui de l'état de
fiançailles préliminaire à l'union conjugale. Chez Homère,
nous voyons que les £Ova ou prix de la femme font l'objet d'un
contrat spécial où le père promet la jeune fille et où le mon-
tant du prix est stipulé (1). D'autre part, l'expression homé-
rique li-ni^yzio xal xaT£V£ua-£V o(oa-£|j.£vaf., usitée en pareil cas (2),
ne permet pas de douter qu'il s'agisse d'un accord préalable
qui ouvre une période plus ou moins longue où les futurs con-
joints sont proprement fiancés. Cet état intermédiaire apparaît
(1) N 377-382; A 242-245; cf. A 288-292; N 365-369; 8 53-54; 8 5-7. Sur ce
contrat, cf. Ouvré, Observât, sur le rég. matr. au temps d'Homère (Annales de
la Fac. des L. de Bordeaux, nouv. série, III, 1896), p. 291 ; Beauchet, o. Z., I,
p. 115.
(2) N 368-9 ; 5 6-7. L'expression SwjspLsvav xaTÉveuue se retrouve K 393 à pro-
pos d'une promesse d'Hector qui a été faite suivant des gestes consacrés et con-
firmée par serments (cf. 328 et 333). Cf. l'emploi de auvwjjieôa N 381.
HYPOTHÈSKS SUR LE CONTRAT PRIMITIF EN GRÈCE 281
d'ailleurs h plusieurs reprises dans les poèmes homériques (1).
Mais on sait ce qu'est \d. période, dans le principe : le terme de
fiançailles doit s'entendre ici d'un moment obligatoire qui
comporte, au moins pour la future épouse, un status religieux,
des rites et des abstentions ; M. Roussel en retrouvait récem-
ment des traces incontestables dans le cas de Tlphigénie d'Euri-
pide, qui est exactement une syyuyjv/, (2). — Avec l'idée fixe
qu'il professait de reconstituer le « droit des Indo-Européens »,
Leist (3) a eu du moins le mérite de définir un schéma du
mariage qui se discerne en effet dans l'Inde, en Grèce et à
Rome. Question oiseuse et en l'air que de savoir si ce parallé-
lisme dénonce une origine commune et « indo-germanique » ;
c'est le parallélisme lui-même qui nous intéresse, en ce qu'il
nous permet d'apercevoir trois moments originellement essen-
tiels et dont l'évolution a altéré les contours, et comme déplacé
l'importance relative : sponsio, traditio et deductio in dommn
mariti. Or le premier et le second sont naturellement séparés
par la période que nous disions. — Dans une de ces sociétés
doriennes qui ont développé, comme bien d'autres (4), une
organisation militaire à partir et au-dessus de l'organisation
familiale primitive qu'elle a effacée en partie, nous voyons que
l'union conjugale ne commence pas immédiatement après
l'acte qui la fonde, mais que, mariés en même temps (5),
(1) Il est plus ou moins impliqué dans l'expression que nous venons de voir,
notamment dans le premier exemple (cf. Ouvré, p. 293). De fait, Iphidamas meurt
en perdant l'épouse r.ç ou x: yà^^^ 'iSs (N 243), et pour laquelle il avait donné et
promis des sSva considérables.
(2) P. Roussel, Le rôle iV Achille dans /'« Iphigénie à Aulis » in R. E. G., XXVIÏI
(1915), pp. 240-241.
(3) B. W. Leist, Altarisches Jus genlium, p. 134 et s.; sur les transformations
du système, Allar. Jus civ., II, pp. 106-136. Pour le droit hindou, cf. Dareste,
Études, ^."dl.
(4) Cf. II. Jeanmaire, La cryptie lacédémonienne, in R. E. G., XXVI (1913),.
pp. 121-150, avec les indications ethnographiques que le sujet comporte. Sur la
dualité des organisations, le cas des Masai est spécialement instructif (M. Mer-
ker, Die Masai, 1904).
(5) Ce système de mariage par groupe apparaît précisément dans les condi-
tions et au stade que nous disons.
REG, XXX, 1917, n» 139. 20
282 LOUIS GERNET
tous les jeunes gens d'une même « classe » vivent à part pen-
dant une certaine période, cependant que la future épouse
reste sous la garde de ses parents (1).
Mais Texception confirme la règle. Les Grecs de l'époque
classique ne connaissent plus la signification primitive et reli-
gieuse des fiançailles (2). Quant au mariage par achat, on sait
que, s'il est mentionné bien des fois par Homère, il est déjà
chez lui en voie de régression (3) et qu'il n'en est plus question
dans la suite (4). L'acte préliminaire du contrat de fiançailles
a perdu sa valeur et, plus ou moins, sa raison d'être.
Or c'est bien cet acte préliminaire qu'a dû être, à l'origine,
rsyyuri. Il est vrai qu'il ne reçoit pas, dans Homère, cette appel-
lation ; mais, outre que l'expression £yyua>iÇ£iv leSva (5) sug-
gère, dans la langue même, un étroit rapport entre la pratique
de l'Èvyîjyi et celle du mariage par achat (6), le raisonnement
ici supplée le témoignage direct. Nous avons déjà posé que le
mot eyyuTi, très vieux mot, ne pouvait se rapporter dans le
principe qu'à un acte juridico-religieux dont le sens s'était
(1) C'est le cas des jeunes Cretois : Éphore ap. Strabon, X, p. 135 (F. H. G., I,
p. 251, fr. 64) : yafxsTv [xèv a[xa -jiavTsç dvayxâî;ovxa'.... oî xaxà tôv aûxôv ypôvov H
TT^î Ttôv TCaiSwv àys^T,; éxxpiÔévTeç, oûx £Ô6'jç S' àyovtai Ta; yaixTjôe^aaç T:a(5a;...
(2) C'est ainsi que rengagement « par paroles de futur » est devenu rengage-
ment « par paroles de présent » qu'est TsyyuTi historique. On sait qu'une évolu-
tion analogue a eu lieu dans notre ancien droit.
(3) Il n'y a pas .à retenir le cas, évidemment exceptionnel, d'Agamemnon pro-
mettant de marier sa fille àvâsSvov (I 146) : c'est un mariage par composition
(Glotz, Solidarité, p. 130), Mais la dot apparaît dans VOdyssée, et nous rappelons
tout de suite qu'elle prend le nom même des l'Sva. Au reste, on ne peut guère
douter qu'Homère, là encore, archaïse : le mot èeSvwxat (N 382) doit signifier,
comme l'avait vu Aristarque, « ceux qui reçoivent les s'Sva », comrtie beaux-
parents ; or c'est un mot que sa composition (suffixe -tt,ç des noms d'agent)
dénonce comme appartenant au fonds récent de la langue homérique.
(4) En tout cas, sa généralité préhistorique n'est pas en cause : cf. Arist.,
Polit., II, 8, 1268 b, s. f. Reste à savoir s'il faut y reconnaître avec Aristote une
pratique <* barbare », c'est-à-dire un pur achat, comme le veut encore Tamassin,
Le Nozze in Omero, p. 12 sq.
(5) Hèphaistos se dispose à réclamer les s'eSva au père de sa femme adultère :
Odaa ol eyyuâXt^a xuvw:ttôoç sYvexa xoupTi; (6 319).
(6) L'expression d'Hèphaistos se comprend d'autant mieux qu'une partie des
eSva peut être livrée au moment de l'accord préliminaire, l'autre partie étant
promise (A 244-5).
HYPOTHÈSES SUR LE CONTHAT PRIMITIF EN GRÈCE 283
perdu : il a dû s'appliquer à celle des cérémonies matrimo-
niales qui supposent un état de pensée et de société périmé à
l'époque classique. Il importe, aussi bien, d'éviter les confu-
sions qu'on commet trop souvent et qui, par exemple, semblent
avoir égaré Partsch. De par l'étymologie qu'on lui reconnaît à
première vue, le mot pourrait évoquer plusieurs formalités
matrimoniales, bien distinctes les unes des autres, mais qui
comportent également le geste du serrement de mains : 1° la
conclusion de l'accord entre le tiancé et la famille de la fiancée ;
2** la ti^aditio qu'on opère en mettant la main de l'épouse dans
celle de l'époux (1); 3° la dextrarum conjimctio qui s'accomplit
entre les deux époux seuls et désormais unis, par devant le
foyer domestique (2). Or rsyruy^ matrimoniale proprement dite
ne concerne pas le troisième moment, et si elle suppose obscu-
rément la traditio^ c'est à la faveur d'une confusion entre les
deux premiers actes : confusion certaine, nous l'avons vu, à
l'époque classique (3), et qui dénonce une altération de la
pensée originelle puisqu'il manque à cette Iraditio le caractère
essentiel d'être définitive. Reste que rsyvuTi soit le contrat de
fiançailles au sens que nous avons dit (4) .
Dans un passage curieux de Vlphigenie à Aulis (697 et
s.) (5), cette eyyt^ïi apparaît bien distincte de l'IxSoo-tç : non
(1) Cf. Sittl, die Gebàrden der Griechen und RÔmer, p. 131, et n. 4; Tamassin,
0. L, p. 25.
(2) Cf. Oldenberg, La religion du Véda, traduct. franc., p. 393.
(3) Dans le « monde romantique des poètes », comme dit Sittl (o. Z., pp. 135-6),
une autre confusion s'aperçoit : ce sont les époux eux-mêmes qui concluent leur
propre union par Ss^iai : Eurip,, Médée^ 21.
(4) Cette construction s'atl'ermit par l'analogie qu'offrent ici les faits romains :
à Rome aussi, il existe des fiançailles [sponsalia : sponsio, à tous les titres, est
parallèle à è^yôr{) qui n'ont plus d'eiiet juridique en droit classique (qui en
admettent en droit récent), mais qui en ont eu certainement, et bien caractérisé,
à l'époque primitive — qui même, à l'époque historique, continuent d'en avoir
endroit latin (Esmein, Mél. d'hist. du dr., pp. 15-16; cf. P. F. Girard, o. L,
p. 147); dans ce dernier, il y a deux stipulations qui se correspondent, du père
de la femme [eam in ynatrimoniian datum iri) et du futur mari (eam in malrimo-
nium duclum 17^1) : Servius Sulpicius ap. Aulu-Gelle, N. A., IV, 4.
(5) Passage d'un caractère très particulier. 11 interrompt bizarrement l'action à
un moment critique par l'exposé d'une généalogie intempestive. On dirait qu'Eu-
284 LOUIS GERNET
seulement, il y a là deux moments sépares, mais reyyuwv est
un personnage différent de r£xû',oo'jc;. Comment Pelée, demande
Glytemnestre, épousa-t-il la fille de Nérée ? Et Agamemnon
répond (v. 703) : Zeùç TiyyuTia-s xal SiScoo-' 6 y.ùpwç. — '0 xupioç,
remarque H. Weil, c'est le père de Thétis : ce ne peut être
que lui, en effet, et nous retiendrons de ce texte la notion
d'une eyyuïi opérée par celui qui représente la grande famille
— mettons, si l'on veut, le yivo; — par opposition à la « dation »
de la jeune fille opérée par le chef de la famille stricto sensu.
On aperçoit môme — fait notable en soi et qui, en confirmant
la séparation des deux moments, précise le sens du premier —
que la Soa-i; ou sxooariç peut avoir lieu, elle, par le ministère de la
mère. Dans un autre passage delà même pièce, Achille reproche
à Agamemnon non point sa ruse, mais de l'avoir trompé, lui
Achille : mis au courant, il aurait volontiers prêté les mains
à la pieuse fraude qu'autorisait la raison d'Etat, et ainsi Gly-
temnestre aurait été persuadée de lui « livrer )> sa fille (1) ;
alors le mariage était consommé, et Achille, devenu xupLOç
d'Iphigénie, la remettait aux Grecs (2). D'lx8oa-t.ç par la mère,
ce n'est pas là un exemple isolé (3). Et nous risquerions
volontiers l'hypothèse qu'elle fut de règle à l'époque préhis-
torique et dans une société qui, sous l'influence probable du
ripide a voulu se réserver cet épisode pour y glisser des archaïsmes qui piquaient
sa curiosité; au même endroit (v. 702), nous trouvons une allusion au mariage
par rapt; et un peu plus loin (v. 833 et s.), dans la scène entre Glytemnestre et
Achille, le souvenir du tabou de la belle-mère, avec l'emploi caractéristique et
répété des termes religieux alSeïaôai, U\i,i^. Dans cette œuvre de ses dernières
années, Euripide paraît avoir été sollicité par tout un passé qui lui était resté
assez étranger, comme, dans le drame contemporain des Bacchantes, il se pen-
chait avec une émotion nouvelle et trouble vers les réalités religieuses.
(1) V. 963-4 : r^ K>vUTai[j.T,aTpa 6' è[xol [xàT^iax' èiretaÔTi ô'jyaxsp' éxSoûvat Tcdaei.
(2) P. Roussel, o. l., p. 246-7, interprète comme il faut le è'Swxa xàv "EWr^tsw
du V. 963. Mais je ne vois pas la contradiction qu'il veut qui subsiste : V è'xSodiç
de Glytemnestre aurait conféré à Achille la qualité de xûpioç. Aux v. 963-4, je
rapporterais volontiers iioast. (avec valeur proleptique) à èaot.
(3) Eurip., Hél., 933; Dém., XXVIII, 21 ; Ménandre, Périkeir., 10-11 ; cette IxSo^iç
n'est pas, naturellement, ce qui est nommé tel dans le droit — équivalent de
rèyyuT] pour laquelle les femmes ne sont pas capables (sinon chez Platon, Lois,
VI, 774 E). — Pour les origines, cf. Sittl, o. L, p. 131 et n. 6.
HYPOTHÈSES SUR LE CONTRAT PRIMITIF EN GRÈCE 28o
système de la filiation utérine, a dû faire à la femme une place
que les textes ne permettent plus que d'entrevoir.
Quoi qu'il en soit de la valeur de cette parenthèse, Vhrù-ri
est bien l'affaire d'un groupe familial conçu comme unité col-
lective. Il en reste une trace à l'époque classique oii l'on voit
que l'syvjwv ne tient pas son pouvoir d'une fonction protec-
trice de tutelle, mais d'une espèce de délégation : si le père est
mort, et qu'il y ait des frères, ce sont ces frères en corps —
réduction visible, mais manifestation sensible de la commu-
nauté domestique — qui « engagent » leur sœur (1) ; et ces
frères-là, est-il bien spécifié, ce sont les frères de même
père (2), autrement dit : par famille, il ne faut pas entendre
ici l'ensemble amorphe des individus que rapprochent les liens
du sang, mais l'unité sociale constituée suivant le principe très
défini qu'implique la transmission de la parenté ex masculis et
per masculos (3). Au reste, on peut dire que le souvenir de la
grande famille se survit dans l'idée de la cité qui la remplace
pour les filles d'Aristide mariées comme on sait (4) : Plutarque
dit expressément èyYuwTT,^; tT^;, ttôasw; ; et on ne peut guère
admettre, d'autre part, que le frère de ces jeunes filles, car il
yen avait un, n'ait joué aucun rôle dans leur « tradition ».
L'histoire est parallèle à la légende.
Mais pour mesurer la portée de rsyyjr, matrimoniale et
pour comprendre le rapport qu'elle soutient avec les autres
(1) Platon, Lois, VI, 774 E. Dans [Dém.], XL, 7, il est parlé du mariage d'une
femme conclu par deux de ses frères, et pour expliquer l'absence du troisième,
l'orateur précise qu'il n'était pas majeur. Cf. [Dém.], XLIV, 9.
(2) [Dém.], XLVl, 18 (loi) : ... t, aSeX-^ôç ô.aoTrixwp.. .; Platon, l. c. : ... xpÎTf.v 8è
dSeX^ôiv ôjxoiraTpCojv.
(3) On aperçoit du reste comme des couches successives dans l'organisation
familiale : on sait que la prohibition de l'inceste fonctionne selon le type de
filiation opposé ; mais selon un type également défini.
(4) Plutarque, Aristide, XXVII, avec référence à des historiens antérieurs.
286 LOUIS GERNET
eYvua!., ce n'est pas assez de dire que la famille, que le ylvoç
de la fiancée, y joue un rôle capital. Il faut d'abord ajouter que
la fiancée elle-même n'y joue aucun rôle. Elle en joue forcé-
ment un dans r£x8oT(.ç — 1' £x8ocrt.c; primitive — qui nous la
montre remise à l'époux, et qui, faussement confondue avec
rèyyuYl, a permis de donner à celle-ci un sens quasi matériel :
mais dans la première cérémonie, elle ne paraît même pas.
C'est ce que vérifie le fait que, chez Homère, il ne soit jamais
question à ce moment que du père, qui promet de donner.
C'est ce qui explique que, dans la légende d'Iphigénie, arran-
gée ou non par Euripide, Agamemnon puisse tromper les
siens par l'invention de fiançailles qu'il aurait décidées de son
chef (1). C'est ce qui se comprend, aussi bien, dans cette orga-
nisation matrimoniale primitive par laquelle ont passé les
Romains, oii sont restés les Grecs, et qui n'exigeait pas le con-
sentement de la jeune fille au mariage, spécialement à l'accord
préliminaire (2). C'est ce qui s'accorde, enfin, avec la concep-
tion religieuse des fiançailles, laquelle postule l'exclusion, la
séparation de la jeune fille jusqu'au moment même du
mariage (3).
D'autre part, de môme que l'eyyuwv représente et pour ainsi
dire signifie tout un groupe familial, reyyutojiisvoç, le futur
époux, ne laisse pas de représenter, bien que d'une manière
moins sensible, sa famille à lui. On ne s'en doute plus à l'é-
poque classique, où la notion d'un pareil contrat, comme des
autres contrats, se pénètre d'esprit individualiste : encore cet
(1) D'ailleurs, on voit assez que, chez Euripide, la mère non plus n'est pas
consultée. Il n'est pas sûr que ce soit là l'état primitif (cf. T 291 : ifvSpa [xiv, &
ISoaav T£ Ttat-^p xal irÔTvia [j.t,ttip).
(2) A Rome, il paraît certain que, quand les conjoints étaient alieni juris, le
seul consentement légal a d'abord été celui des patres familias (P.-F. Girard,
0. Z., p. 132, n. 2). On peut l'induire particulièrement pour le cas des fiançailles
{ib., p. 147, n. 3).
(3) Dans le droit anglo-saxon, la jeune fille ne se montrait point pendant la
formation de l'accord; observons aussi que son consentement au mariage n'était
pas exigé en principe et que le père pouvait contraindre la fille mineure de
quinze ans (F. Roeder, Die Famille bei den Angelsachsen^ I, p. 24).
I
HYPOTHÈSES SUR LE CONTRAT PRIMITIF EN GRÈCE 287
individualisme laisse-t-il entrevoir comme un fonds social et
familial, ne serait-ce que dans la formule par laquelle le xupw;
de la jeune tille la livre à son époux (1). En tout cas, il ne
régnait pas, il ne pouvait pas régner à l'âge préhistorique où
nous reporte la pratique sérieuse de rsyyuyi. Et cela pour deux
raisons : de par l'institution des sSva, et de par la conception
du mariage qui s'y rattache.
D'abord, qui dit sSva dit une somme considérable. Sans
doute, c'est l'affaire de l'épopée de grandir les choses comme
les hommes : il n'en est pas moins vrai qu'elle représente une
certaine tradition, que ses chiffres, quand elle donne des
chiffres, sont conformes à certaines données objectives, et
qu'au total elle permet des inductions plausibles sur les rap-
ports entre le prix de l'épouse et le régime de propriété. Iphi-
damas a donné tout de suite pour sa fiancée cent bœufs, il
promet en outre mille brebis et chèvres (A 244-5) ; et il est
d'ailleurs bon de savoir que le même chiffre de cent têtes de
gros bétail est attesté dans d'autres sociétés « indo-européen-
nes », — Hindous, Ossètes, Saxons (2). Ailleurs, il est parlé
d'une somme très grande, d'une somme immense : {xupia sSva
(n 190, X 472, X 282), h-Tzepeliia eSya (H 178, cr 529). — Eh
bien, un individu ne possède pas cent bœufs : c'est le clan
qui les possède ; le gros bétail est, dirions-nous, propriété
■ (1) Cette formule sacramentelle nous a été transmise par Clément d'Alexandrie,
Strom., II, 23, d'après Ménandre (F. C. G., Kock, III, 205 : cf. Hruza, o. l.,
p. 121) : TraCSwv èiz' àpÔTW yvriafwv 5{6w[jl{ ^ol ye x-^v è|xauToG ôuyatepa (On notera
en passant que cette formule, manifestement archaïque, est différente de celle,
également consacrée, de l'èyyûr\ ; preuve nouvelle de la dualité des deux pra-
tiques). Le lit' àpoTo) yvTjjîtov indique la cause du contrat, qui intéresse au pre-
mier chef la famille de l'époux.
(2) E. Hermann, Zur Gesch. des Brautkaufs bei den indo-german. VÔlkern
(1904), a montré que ni l'étymologie, ni les traditions relatives au montant du
prix de l'épouse, ne permettent de croire à une <(. origine indo-européenne » de
l'institution du mariage par achat. En quoi il a raison. Mais lui-même signale
(p. 39 et s.) les analogies que nous mentionnons, et il en faut bien retenir
quelque chose : que ce soit une tradition constante d' « arrondir » les nombres,
c'est possible; mais que le nombre soit arrondi à 100 plutôt qu'à tel autre chiffre,
il y a là une indication sur le rapport avec le régime de propriété.
288 LOUIS GEKNET
immobilière, ou, plus exactement, il fait partie des biens fami-
liaux, non des acquêts individuels. Quant aux expressions indé-
terminées, on peut dire, que, stéréotypées, elles n'en sont pas
moins parlantes ; elles sont môme bien plus instructives qu'il
ne paraîtrait, si l'on se rappelle qu'elles s'appliquent également
au prix du sang (Z 46, A J31, etc.). Que conclure, sinon que la
a solidarité passive » de la famille règne dans l'un comme dans
l'autre domaine? que la proposition établie par Seebohm sur
la participation nécessaire du clan au paiement de la rançon
du meurtrier, vaut également pour le prix de l'épousée ? et fina-
lement, et en dernière analyse, que dans un contrat à fin d'é-
pousailles, dans une eyyuri, les deux parties sont non point
deux individus, mais deux groupes?
En second lieu, ce serait encore se méprendre sur la vraie
portée de Vi^yù-ri que de méconnaître la signification juridique
et morale des £ôva. On en sait assez aujourd'hui sur la socio-
logie du mariage pour pouvoir poser en principe que l'achat de
la fiancée apparaît là oii la filiation masculine se substitue à
la filiation utérine (1), là où l'époux est obligé d'acquérir à ti4;re
onéreux l'autorité sur la femme, ou, plus précisément, la pos-
session des enfants qui, jusqu'alors, appartenaient à la famille
de leur mère (2). Que la raison d'être des sSva ait été la même
en Grèce qu'ailleurs, il n'y a guère à en douter quand on sait
les traces qu'y a laissées le plus ancien système de filiation (3).
-— Maintenant, devons-nous croire que l' « achat » ne signifie
(1) Il apparaît notamment chez les Hébreux et chez les Germains qui ont
certainement connu la filiation utérine. Voir d'autre part le schéma de l'évo-
lution du formalisme matrimonial que Durkheim [Année Social.^ II, p. 331 et s.)
a pu tirer des documents réunis — mais non classés — par H.-N. Hutchinson,
Marriage customs in many Lands (1897).
,- (2) Cette fonction apparaît à l'évidence dans Trois documents sur le mariage
pa?' yen/e (Esraein, Nouv. Rev. hist. du d?'., 1899, pp. 613-21).
(3) II n'est pas question de ressusciter la théorie de Bachofen. Il s'agit
seulement de reconnaître que la Grèce présente des survivances du régime de
filiation utérine. Le problème mériterait d'être repris d'ensemble; récemment, il
a été posé de nouveau par le travail de 0. Brautstein, Die polit. Wirksamk. der
griech. Fr«î/, 1911 (voir p. 69 et s.).
HYPOTHÈSES SUR Li: CONTHAT PRIMITIF EN GRÈCE 289
rien de plus ici qu'une brutale translation de propriété? (1).
— Mais d'abord, il est visible que le régime antérieur a suf-
fisamment pi'olongé ses représentations et son genre de moralité
pour que le mariage implique, à la plus ancienne époque, une
espèce d'intégration de l'époux à la famille de l'épouse. On
entrevoit même un état de transition dans les témoignages qui
nous montrent la jeune fille acbetée par certains services, par
de véritables operae (2) (M 366 et s., a 288 et s.) dont on trou-
verait l'équivalent ailleurs à un pareil stade (3), et il y a comme
un souvenir dans la notion d'une ordalie préliminaire qui trans-
paraît dans certaines légendes (4) et dont l'objet doit être,
comme il l'est ailleurs, une décision sur le mérite d'un indi-
vidu, autrement dit sur ses titres à entrer, ou à rester, dans un
groupe (5). En tout cas, Vadfinitas crée des liens, c'est évident,
— des liens très sérieux : entre l'époux et ses beaux-parents
ou ses beaux-frères, il y a un devoir réciproque de ven-
(1) Concevable à la rigueur dans les sociétés primitives qui ne connaissent pas
de cérémonies matrimoniales, et pour qui l'achat ou le troc sont des solutions
empiriques, si Ton peut dire, le moyen de régulariser une situation de fait. Il
y a là le principe d'une confusion qu'on commet volontiers et qu'on trouve
encore dans le tableau que donne en dernier lieu Westermarck [The Origin and
Development of the Moral Ideas, II, pp. 382 et s.) de l'évolution du mariage.
(2) Qui font penser, par là même, à la. tradition hébraïque {Genèse, XXIX,
XXXI, 15). — Sur le contrat auquel donnent lieu les êova-prestation, cf. Ouvré,
0. t., p. 291; Beauchet, o. L, I, p. 117.
(3) Kohler [A us dem malayischen Recht, in Zlscltr. f. vergl. Rechtswiss., XVII,
p. 231 et s.) observe dans les tribus malaises la coexistence de trois types de
sociétés : à côté de celles qui sont définies soit par la filiation masculine, soit
par la filiation utérine, il y a un type intermédiaire, où, quand le prix de la
femme n'a pas été versé, le mari vient servir chez la femme. Voir, sur le
mariage ambilien, les travaux de G. Mazzarella.
(4) L'une des operae (jue nous signalions chez Homère (X 288 et s.) offre cet
aspect quelque peu. La conception des sSva proprement dits se ressent d'une
pareille idée; elle se précise volontiers dans celle d'un concours entre les préten-
dants (t 528-9; 'C, 159). Mais on se rappellera surtout l' oîcôXov imposé par Pénélope
aux prétendants (t 572 sqq. ; <ï> 68 sqq.). On complétera avec les observations de
R. Hirzel [Themis, Dike u. Verw., p. 323, n.) qui interprète finement le récit du
mariage d'Agaristè dans Hérodote, VI, 128 et s., et parle à ce propos de SoxLixocjîa
des prétendants.
(5) Glotz, L'ordalie dans la Grèce primitive, 1904. La notion de Soxtjxsta^a
représente précisément la « laïcisation » de celle d'ordalie (cf., du même, Etudes
soc. etjurid. sur Vant. gr., p. 95 et s.).
290 LOUIS GERNET
geance (1) que sanctionne encore, de son point de vue, la loi de
Dracon (2). Par le fait, le ylvoç du fiancé est intéressé dans sa
vie même à la conclusion de l'accord, et d'une certaine manière
est encore partie au contrat qui le fonde.
Et voilà de quoi éclairer la signification de ces sSva que la
famille, disions-nous, doit payer collectivement. Il est remar-
quable que, dans les sociétés qui pratiquent le « mariage par
achat )), on répugne souvent à qualifier ainsi l'acte par lequel
l'époux obtient la renonciation des parents à leur droit sur la
fille. Il y a un prix versé : il n'y a pas vente. On s'en défend ;
et non seulement la conscience populaire proteste (3), mais les
Codes à l'occasion (4). Dans la « société homérique », il n'en va
pas autrement : l'opposition sans doute n'est pas expresse,
mais le langage même la sous-entend ; il affirme une différence
du tout au tout entre la Y-^rr^iir^ aXo-^oç, qui pourtant est achetée,
et laTraXXaxy], qui est covy^tyi (5) : maintes fois l'observation en
a été faite (6). — Qu'est-ce à dire? Que la « vente », ici, ne
saurait être du même ordre que l'opération économique qui se
qualifie vulgairement ainsi (7). Certes, nous ne songeons pas à
(1) 6 577-583; N 460 et s. Cf. Glotz, Solidarité, p. 80 : « La femme mariée
procure donc à sa famille d'origine l'appui de sa nouvelle famille et récipro-
quement ».
(2) L. 20 sq. : [Dém.], XLIII, 57. Cf. Inscr. jurid. gr., II, p. 12 : « Il faut noter
que la parenté par les femmes produit ici les mêmes effets que la parenté par
les mâles » — mais le fait est inexactement décrit.
(3) Westermarck, The History of Human Marriage, p. 405 sq.
(4) Les lois de Manu permettent le mariage par achat ou mode des Asuras,
avec certaines restrictions et certaines contradictions (III, 23, 25, 31, etc.). Le fait
même de recevoir une gratification pour une fille mariée est patent et admis
(III, 29). On en indique même la raison d'être, que nous avons vue et qui est
pour l'époux d'acquérir l'autorité sur la fille (IX, 93). Seulement, on a soin de dire
que ce n'est pas là une vente (lll, 29). Que les brahmanes aient passé par là, et
qu'ils y aient apporté le même esprit que dans la question du lévirat oil Manu
est compliqué de contradictions, c'est possible.. Mais on verra là encore l'expres-
sion d'une tendance générale, et les observations de Dareste {Et. d'hist. du dr.,
p. 75, à propos du livre d'Apastamba) sont à côté de la question.
(5) t 202-3; cf. F 409, et H es., Tr. et /., 405-6 : yuvatxa . . . xtt.tV où Ya[xeTTiv.
(6) Hruza, o. Z., I, p. 12 ; cf. Beauchct, o. Z. , 1, p. 114 ; Hirzel, o. /., p. 322, n. 2.
(7) On ne songe plus à soutenir que le mariage romain par coemptio soit une
pure vente; pourtant, c'en est une quant aux formes juridiques, et qui a lieu
par mancipation.
HYPOTHÈSES SUR LE CONTRAT PRIMITIF EN GRÈCE 291
mettre sur le môme plan Tachât de la femme et les dons que
les parents font aux époux (ou que les époux se font entre eux
à l'occasion du mariage) (1) : celui-là est un acte juridique,
ceux-ci sont un rite religieux. Mais à tout le moins, il n'y a pas
une séparation essentielle entre les deux. Et il n'y a pas non
plus solution de continuité quand on voit que, dans la langue
homérique, le même terme sBva, qui désigne le prix d'achat
de la femme, en est venu à désigner quelque chose comme
la dot (a 277 =: 3 196) (2), ou plus exactement les dons
de bon augure (3) que font à l'époux les parents de la femme
et que signifie par ailleurs le mot ^dliv. (I 147 = 289) (4).
Ce transfert de sens nous suggère d'admetlre, commun aux
deux choses, un élément psychologique qui ne peut être que
la notion religieuse d'une certaine communion, ou, si l'on
préfère, d'une alliance. Car, si l'étymologie apparente le
mot é'Sva à la désignation du mariage (S) — et il vaut la
peine de noter en passant que l'idée même de l'achat en est
donc absente dans le principe — le terme jAsTÀia, lui, rentre
d'une part dans le cercle de la pensée religieuse (6), et
(1) C'est pourquoi on ne saurait faire dériver la pratique de la Morgengahe du
mariage par achat avec lequel elle coexiste fort bien, en vertu de Thypothèse,
trop souvent reproduite, d'une rétrocession des é'Sva à la fille par les parents.
D'ailleurs, s'ils coexistent, c'est qu'ils n'ont rien de contradictoire.
(2) Nous n'ajouterons pas à cet exemple, comme on le fait d'ordinaire, celui de
P 53-4, où le verbe èe Svtôîja t xo, au moyen, pourrait très bien indiquer, de la
part du père, la réception des l'5va (cf. hZ-^'ùxoii N 382): on sait que les contradic-»
tions ne manquent pas dans le tableau homérique de la société. — Quant à l'em-
ploi de a 277, on remarquera que ce sont les gens de la maison, les parents de la
fiancée, qui « préparent » les é'Sva (c'est à tort qu'Ameis donne à 5pTuvéouaiv un
sens factitif, par référence d'ailleurs à p 53).
(3) Au singulier, le mot signifie « charme « ([xefXiov (xtiXo^î) chez Callimaque,
H, à Art., 230. Cf. les emplois religieux.
(4) Ce n'est pas le nom technique de la dot : il n'y en a pas chez Homère
(Ouvré, 0. L, p. 292). Mais on peut y voir l'origine de la dot (Beauchet, o. L, I,
p. 117), et le terme s'applique à une prestation coutumière : le -pluriel est à rap-
procher, à cet égard, de è'Sva, à'^roiva, [io'.;(aYpta, etc.
(5) Boisacq, Dict. étym., s. v. Cf. Hermann, o. Z., p. 33 et s., et Schrader,
Sprachvergl. u. Urgesch, p. 554.
(6) Boisacq, o. L, p. 620 (rapport avec (xs^Xi^oç, etc.). Chez Apoll. de Rhodes,
IV, 1449, [xef/via signifie « offrande expiatoire ».
292 LOUIS GERNET
d'autre part évoque la notion fondamentale du contrat ou de
l'union (1).
En somme, c'est une conception trop simpliste, c'est une vue
unilatérale, celle qui nous représente les clans, même à l'occa-
sion du mariage, comme plus ou moins étrangers entre eux,
comme enfermés par des cloisons étanches. Il faut bien qu'à ce
moment comme à d'autres, ils communient ou communiquent.
Il le faut parce qu'avec l'avènement de la filiation masculine,
le mariage met en jeu des solidarités diverses; il le faut en
tout cas parce que, contractant des liens définis et gros de con-
séquences avec la famille de sa femme, le mari intéresse sa
famille propre à la conclusion d'un accord comme rèryur,. Et
cette notion, devenue banale et terne, de Valliance, qui n'est
pas seulement entre deux époux (2), mais en quelque manière
entre deux familles (3), nous en voyons l'origine et le fon-
dement dans la pensée primitive qui inspire le « contrat de
fiançailles », dans la notion du supplément de force, de pres-
tige, d'influence familiales qu'un pareil contrat garantit : qu'on
y mette le prix — un prix fixé plus ou moins par la coutume
(1) On entrevoit un rapport avec les mots du groupe mitra « contrat,
amitié », sur lequel l'article de M. Meillet dans le Journal asiatique de 1907
est si suggestif. — Ebeling, Lex. Homer., I, p. 1035, reprenant et développant
les indications de G. Curtius, Grundz. cl. gr. Etym. s, 329, retrouve dans la
racine l'idée de se consociare (et note que Milde, en moyen-allemand, désignait
une libéralité, spécialement des princes). Ce genre de rapprochements n'est
pas contradictoire, tant s'en faut, avec la notion religieuse que le mot évoque
également.
(2) Chez Homère, àysaOai ne signifie pas seulement « prendre pour femme »,
mais se dit de la famille tout entière (s 28) ou d'un proche parent : de pareils
emplois sont encore au nombre de 6 (contre 15 autres). — En bien des cas,
l'évolution du mariage a consisté à le concevoir de plus en plus pour lui-même,
et à l'émanciper en quelque sorte de la famille. Mais l'idée de l'union entre
deux individus ne laisse pas d'avoir son point de départ dans celle d'un accord
entre des groupes. Le rite des sept pas que font ensemble les époux dans le
mariage indien paraît être en principe le rite de conclusion d'un pacte d'amitié,
d'un contrat, où apparaîtrait justement l'image de Mitra (Oldenberg, o. L, p. 156,
n. 1 ; p. 395, n. 3) : or le « pacte d'amitié », selon nous, est à l'origine entre
groupes.
(3) C'est là une idée qui, chez nous en particulier, a eu la vie dure : cf. P.
Viollet, Hist du droit civil franc. "^j p. 463, n. 1.
HYPOTHÈSES SUH LE CONTRAT PRIMITIF EN GHÈCE 293
et la tradition — la chose n'a rien que de moral. Si certain est
ce besoin que, dans telle société (1), les familles recourront au
mariage d'enfants défunts pour créer, de l'une à l'autre, le lien
d'une affinité a artificielle ».
(A suivre) Louis Gernet.
(1) Cf. Dareste, Noiiv. EL, p. 292 (Chine). — Rapprocher, d'une façon générale,
les mariages conclus par les parents entre des enfants mineurs (par exemple,
Kovalewsky, o. L, p. 119).
SUR LES METROPOLES EGYPTIENNES
A LA FIN DU ir SIÈCLE APRÈS J.-C.
D'APRÈS LES PAPYRUS RYLANDS
Plus de sept mille manuscrits anciens et de langues diver-
ses ont été réunis dans la Bibliothèque John Rylands à Man-
chester. D'abord constituée par la Bibliothèque Althorp qui fut
acquise du dernier comte Spencer par Mrs. Rylands en 1892,
cette précieuse collection s'est considérablement accrue en
1901 de celle de Lord Grawford ; elle s'est continuellement
enrichie depuis de pièces nouvelles. Gomme l'Egypte est une
des sources les plus abondantes de textes anciens, il était
naturel que la « librairie » John Rylands contînt de belles
séries de papyrus. Les conservateurs de ces richesses ont eu
le louable souci de les faire connaître sans tarder. C'est ainsi
qu'ils ont confié à M. W. Crum la publication des textes
coptes, parus en 1909 (1), et à M. Griffith le catalogue des
papyrus démotiques : les trois volumes, que le savant profes-
seur d'Oxford a donnés la même année, constituent certaine-
ment un des travaux les plus importants et les plus féconds
en résultats qui aient été accomplis dans ce domaine (2). En
(1) w. E. Crum, Catalogue of the Coptic manuscripts in the collection of ihe
John Rylands Lihrary Manchester. Manchester and London, 1909.
(2) F. L. GriBith, Catalogue of the démolie papyri in the John Rylands Lihrary
Manchester, with facsimiles and complète translations. 3 vol. Manchester and
London, 1909.
I
SUR LES MÉTROPOLES ÉGYPTIENNES A LA FIN DU II* SIÈCLE 295
J911 M. A. S. Hunt publiait, en un premier volume, les papyrus
grecs littéraires, parmi lesquels on remarquait un beau manus-
crit de rOdyssée (1), et, au début de 1915, en pleine guerre,
voici que le môme M. A. Hunt, avec la collaboration de
MM. Johnson, d'Oxford, et Victor Martin, de Genève, fait
paraître les documents ptolémaïques et romains (2). Ce superbe
volume, orné de vingt-trois planches, est un des plus remar-
quables de ce genre, tant pour Timportance des textes que
pour la savante exactitude des commentaires.
Les textes proviennent, pour la plupart, des sites qui nous
en ont déjà tant fourni : Hermoupolis et le Fayoum; mais les
papyrus carbonisés de Thmouis, dans le nome de Mendès, se
trouvent dans la collection Rylands en assez grand nombre et
ouvrent à notre curiosité une province presque inconnue (3).
Qu'ils viennent du Delta ou de la Moyenne-Egypte, plusieurs
de ces papyrus posent des problèmes nouveaux que les éditeurs
ont courageusement abordés, avec cette érudilion à la fois pru-
dente et pénétrante qui caractérise la manière des savants
anglais ; sur l'administration financière, notamment sur les
taxes afférentes aux jardins et vergers, on lira, par exemple,
telles notes (4) qui sont de véritables mémoires. Mais il serait
oiseux d'allonger l'éloge de ce qui, en papyrologie, nous arrive
d'Oxford, et il ne s'agit pas de^ donner ici une analyse com-
plète de ce second volume ; c'est sur un groupe plus restreint
de documents que nous porterons notre attention : les ques-
tions qu'ils éclairent ne sont pas des moins graves; car elles
concernent ces institutions éfui sont le cadre nécessaire de la
vie hellénique, je veux diie les institutions municipales.
(1) A. S. Hunt, Catalogue of tfie Greek Papyri in Ihe John Rylands lihrary
Manchester, vol. I. Literary Texts {Nos 1-61), with ten plates. Manchester a. Lon-
don, 1911.
(2) J. de M. Johnson, Victor Martin, and A. S. Hunt, Catalogue of the Greek
Papyri in the John Rylands Lihrary Manchester, vol. II. Manchester, London,
New-York, 1915 (cité en abrégé V. Ryl.).
(3) Ce ne sont pas les seuls textes connus et publiés, de cette provenance cf.
P. Ryl., II, p. 291.
(4) P. Ryl, II, p. 243-253.
296 PIERHE JOUGUET
On sait que la vie municipale a présenté dans le pays du Nil,
surtout dans les Métropoles des nomes, des traits fortement
originaux. Or c'est précisément sur les Métropoles que les
Papyrus Rylands nous apportent les renseignements les plus
précieux. On a tenté plusieurs fois de déciire ces villes semi-
grecques de la vallée; assez précise pour le ni^ siècle ap. J.-C,
au début duquel (202) les métropoles ont reçu de Septime
Sévère des curies, à limitation des autres communes de l'Em-
pire, celte description, pour les périodes antérieures, restait
pleine d'incertitudes. Aujourd'hui, grâce aux Papyrus Rylands,
plusieurs de nos doutes sont levés, et certains faits sont éta-
blis, qui permettent d'entrevoir plus clairement la nature juri-
dique des magistratures, partant celle des villes elles-mêmes.
C'est ce que nous allons tenter de montrer, après les éditeurs,
en groupant dans un aperçu d'ensemble les renseignements
épars dans les textes mêmes et dans les commentaires.
On peut assez rapidement résumer les principaux traits de
l'organisation municipale dans l'Egypte Romaine (1). 11 paraît
prouvé que la population, au point de vue du statut politique,
était divisée en quatre classes : les citoyens romains, d'ailleurs
peu nombreux; les citoyens des cités grecques ; la population
hellénique du pays égyptien (ytopa), privilégiée, comme les
classes précédentes à Tégard de la capitation ; et la population
indigène dont la sujétion est marquée précisément parce
qu'elle est frappée de ce tributum capitis (2).
Si l'on met à part les citoyens romains qui ne se rattachent
(1) J'ai essayé de décrire celte organisation dans un livre intitulé La Vie Muni-
cipale dans VÉgyple Romaine, Paris, 1911. Pour les questions qui nous occupe-
ront plus spécialement ici, on peut voir particulièrement les chapitres I et IV.
On trouvera dans cet ouvrage les renvois aux travaux antérieurs.
(2) Les sujets indigènes soumis à la capitation sont les SeSsiTÎxioi, dediticii, ée
rÉdit de Caracalla, qui les exclut du beneftcium^ par lequel il accorde la civitas
romana aux habitants de TEmpire. Die griechische Papyri... zu Giessen, heraus-
gegeben und erklart von E. Kornemann, Otto Eger, P. M. Meyer. Heft. II, n" 40,
et le commentaire de P. M. Meyer, p. 29-33; cf. Mitteis et Wilcken, Grundzûge
und Chrestomathie der Papyruskunde, 1. Band, Historischer Teil p. U. Wilcken,
Grundzllge, p. 55. (Cité en abrégé Mitteis ou Wilcken, Grundziige ou Chresto-
mathie).
SUR LES MÉTROPOLES ÉG YFTIKiNiNKS A LA FIN DU II" SIÈCLE 297
à aucune commune romaine en F.gypte, à chaque catégorie de
personnes répond un centre dinereiit de vie municipale. Les
citoyens des cités grecques ont leurs quatre ttoXe».;, qui s'oppo-
sent nettement au reste du pays et qui échappent à l'autoi'ité
des fonctionnaires du nome : ce sont Alexandrie, Naucratis,
Ptolémaïs et, depuis 130, Antinooupolis. Elles s'administrent
elles-mêmes, sous la surveillance du préfet et des procurateurs
romains aux trois épistratégies de Haute, Basse et Moyenne
Egypte. Les Grecs de la vallée ont leur centre dans les Métro-
poles des nomes. La commune proprement indigène, c'est le
bourg (xwuLTi) (1).
Les Métropoles ne sont pas des -6â£',;, les "E)vA7,v£; de la
'^o)pa ne sont pas des -oX'.Tat. et rien de plus dilfîciie que de
définir le statut original des Métropoles et de leurs « bour-
geois ». Ce qui est incontestable, c'est le caractère hellénique
de ces communes. Là s'agite un peuple aux allures tout à fait
grecques, un 8/Ï[aoç, dit un papyrus d'Oxyrhynchos (2). On est
assez embarrassé quand on veut déterminer les éléments de ce
SfjpLoç. Les indigènes en sont exclus. L'élite en est constituée
par les personnes que nos textes appellent « les gens du gymna-
se », ol £x (ou àîTo) ToCÎ Y'j!jt.vaT'lo'j (3), c'est-à-dire ceux qui, appar-
tenant aux familles de culture hellénique et élevés au gymnase,
sont en état d'aspirer aux honneurs (4). Tous (ou peut-être
(1) C'est Vorigo, la naissance, qui attache le citoyen à sa TtdXiç. J'ai pensé que
c'était aussi Vorigo qui attachait l'Hellène de la /wpa à la métropole, l'indigène
à son bourg : Vie Municipale, p, 89-97. Lesquier [Revue des Études grecques,
t. XXV (1912), p. 224) pense que la naissance ne lie l'Hellène et l'indigène qu'à
sa classe, et que, pour le lier à une commune particulière, il faut un autre fac-
teur (lieu de naissance, domicile ?). D'ailleurs, pour l'Egypte, on ne voit pas très
bien lequel.
(2) B. P. Grenfell et A. S. Hunt, Oxyrhrjnchus Papyri, III, n» 473 (cité en
abrégé P. Oxy,) = Wilcken, Chreslomathie, n" 33. Af^jj-o; à 'ETTTaxwu.{a, Métro-
pole de YApollinopolites parvus (v. P. Giessen, 3, 1. 2 et la note de Kornemann
ad loc, p. 21).
(3) P. Oxy., 1202, 1. 18, dit : svt xou xayixaTOç xou izap' t^jjlsïv yufjLvaTÎou. C'est
donc une classe bien définie, un ordre, Tay[xa.
(4) Ce sens est généralement admis (v. P. Ryl., 192, n. 8 (p. 77} ; P. Oxy., XII,
introd. au n» 1452). Grenfell et Hunt ont certainement raison d'entendre par
cette expression, non pas seulement ceux qui participent actuellement aux exer-
REG, XXX, 1917, n» 130. 21
298 PIERRE JOUGUET
presque tous) achèvent leur éducation dans TEphébie, où Ton
entre régulièrement à 14 ans, âge de la majorité légale, et
dont la durée normale est inconnue, mais qui se prolonge par-
fois jusqu'à 28 et 30 ans (1). Au dessous de celte aristocratie
il y a d'autres privilégiés au titre d'Hellènes. Tels sont, par
exemple les xà-roixoi. ou possesseurs des anciens lots de terre
octroyés par les Ptolémées aux soldats de leur armée régu-
lière : selon l'hypothèse courante, le caractère hellénique de
l'ancien possesseur est passé à la terre, qui l'aurait transmis
au nouvel occupant (2). Tels sont peut-être aussi certains
IKTi'zpoTzoW'zciLi '. d'abord ceux dont la qualité est indiquée par une
épithète qui semble faire allusion au taux réduit de leur con-
tribution par tète : slxoo-'lSpay^jjiot,, ScooexàSpa-^jAQi, ôxTaSpa-^fjiot. (3);
ensuite ceux qui demandent l'examen de leurs titres à être
inscrits dans la classe privilégiée, sans invoquer d'autre raison
que d'être nés de deux parents originaires de la métropole (4).
Tandis que le statut hellénique des xaTO'.xot. a sa source, en
dernière analyse, dans le statut des Grecs de l'armée ptolé-
maïque (o-TpaTsuopievo!. "EAXr.vsç), nos métropolites tiendraient
leur qualité de Grecs du caractère même de la commune à
cices du gymnase, mais ceux qui appartiennent à des familles dont les mem-
bres ont reçu cette éducation depuis plusieurs générations. On trouve, en effet,
dans cette classe de personnes, non seulement des femmes (P. Amh. 75), mais
aussi des enfants en bas âge (1 an P. Oxy., 1552; P.RyL, 102,1. 34 : i'KoypoL{<£^)
(X'fTi>v(ixwv) xi^(£a><;) ditô y(u[xvaa(ou) cppo(upiou) lië{6ç). Cf. Wilcken, Grundzûge,
p. 144.
(1) Sur l'éphébie, Jouguet, Vie Municipale, p. 150 et suivantes ; Wilcken,
Grundzilge, p. 138 et suivantes ; l\ Ryl, 101 et plus bas p. 301 et n. 1.
(2) Jean Lesquier, Les Institutions militaires de VÉgypte sous les Lagides,
p. 275-282.
(3) Les £Îxoa{Spa;)(;jLoi sont connus à Arsinoé, où les indigènes auraient payé
40 drachmes (v. Wilcken, GvundzUge, p. 199); les SwSsxaSoaxfxot, à Oxyrhynchos
(cf. P. Oxy., 1452 et les textes cités dans Tintroduction) et peut-être à Hermou-
polis (cf. P. Ryl., 278); les ôxxaSpa/jjLoi, à Hermoupolis (cf. P. Brit. Mus., inv.
1897; Archiv, VI, p. 107 et suivantes, cité à propos de P. Ryl., 193, t. II, p. 258,
n. 3). 11 faut jusqu'à nouvel ordre rayer les TexTapaxaieixoatSpa/jiot, que Wil-
cken {Archiv, IV, p. 545-546) avait cru découvrir dans un papyrus d'Hermoupo-
lis {P. Lond., 955, t. III, p. 127) ; voir Wilcken, Grundzuge, p. 189, et la n. 26 à
P. Ryl., 102 (II, p. 78).
(4) Voir P. Ryl., 103, 104.
SLR LES MÉTROPOLES ÉGYPT1EN^ES A LA FIN DU II'' SIÈCLE 299
laquelle ils se rattachent (1). Mais quelle est au juste la place
de ces xaTouo». et de ces métropolites dans le oriji-oc; des métro-
poles? On ne peut guère la déterminer. Il est seulement cer-
tain aujourd'hui qu'un dodécadracJime ou un octadrachme
peuvent être inscrits dans la classe du gymnase (2). Ces appel-
lations tirées du montant de la taxe ont donc un caractère
plus fiscal que municipal, et l'examen (ÈTiîxpia-'.ç) des droits à
cet allégement d'impôt n'a pas tout à fait le même but que
celui des titres à faire partie de la classe du gymnase (3). Mais
celle-ci est évidemment moins nombreuse, et il n'est pas sûr
qu'à elle seule, elle ait constitué tout le Sv^tjioç : on est tenté
de croire qu'il comprenait tous les Hellènes ; en tout cas, il ne
comprenait que des Hellènes. On n'oubliera d'ailleurs pas que,
si l'idée de race est au fond de cette notion d'Hellène, il est
manifeste que le sang avait moins d'importance que la culture,
et la plupart des familles, même celles de l'aristocratie, sont
de sang mêlé (4).
On doit donc renoncer pour le moment à rechercher plus
exactement quelle était la composition du Q'7\\koq, dans les
Métropoles; mais on aimerait pouvoir définir ses droits poli-
tiques. Tâche délicate, car nous n'avons aucun des textes légis-
latifs qui, sans doute, les avaient fixés; aussi ces droits nous
paraissent-ils fort vagues. Le 8t|jjioç n'est pas un Corps de
citoyens. On le voit pourtant s'assembler à Oxyrhynchos (5),
pour voter un décret en l'honneur d'un gymnasiarque. Mais
n'assistons-nous pas, dès le i^"" siècle, à une réunion des gens
(1) Vie Municipale, p. 78.
(2) Contrairement à ce que j'avais soutenu dans ma Vie Municipale, p. 83-85.
La preuve en est donnée par le P . Oxy., 1452 (dans le t. XII qui vient de
paraître) pour les SwSexiSpa/jxoi, et, pour les 6xxa6pa)^|xoi, par le papyrus inédit
P. Brit. Mus. 1600 (Bell, Archiv, VI, p. 107-109), cité par Grenfell et Hunt, Oxy-
rhynchus Papy ri, XII, p. 161.
(3) Grenfell et Hunt, loc. cit., p. 162.
(4) Pour les àitô yu[ivaa{ou, cf., par exemple, les noms égyptiens dans P. RyL,
102; pour les métropolites, P. Ryl. 103, nous montre même un esclave dans
leur ascendance.
(5) P. Oxy. 473 = Wilcken, Chrest. n» 33. Le 6f,[xoî s'assemble avec les
archontes.
300 PIERKE JOLGUET
du bourg de Bousiris, voisin des Pyramides, qui, "avec leurs
topogrammates et coraogram mates, votent un décret semblable
en rhonneur de Tiberius Claudius Balbillus, préfet d'Egypte
sous Néron (56 ap. J.-G.) (1)? Personne ne pensera que ces
scribes et ces villageois aient formé une assemblée régulière
ou un Corps de citoyens. D'ailleurs les termes techniques dési-
gnant l'assemblée du peuple, tels que s/x^TiO-ia, employé dans
les décrets de Ptolémaïs à Fépoque des premiers Lagides, sont
tout à fait inconnus aux Métropoles des i" et u*" siècles après
J.-G. Il n'y a donc pas d'assemblées analogues à celles des
cités grecques, et, quand nous verrons le peuple des Métropoles
régulièrement réuni, son rôle sera plutôt celui d'une foule qui
manifeste que d'un Conseil qui délibère.
Au point de vue politique, le privilège le plus apparent de
ce Sfijjio»; est d'être administré par des « magistrats », apy^ov-re;.
A la fin du n*' siècle, les magistratures des Métropoles étaient
au nombre de sept ou de six. On ne peut pas toujours définir
leur compétence. On ne sait rien, par exemple, ou à peu près
rien de Thypomnématographe (2), qui d'ailleurs n'a peut-être
paru dans les Métropoles qu'au début du m'' siècle. Les agora-
nomes cumulent le soin de la police sur les marchés avec des
fonctions de notaires. Les grands-prêtres président probable-
ment aux cultes impériaux. L'euthéniarque doit s'occuper des
approvisionnements. Avant l'introduction de l'hypomnémato-
graphe dans les Métropoles, les plus élevés en dignité (3) sont
(1) C. /. Gr. 4699 = Gagnât, Inscripliones grsecœ ad res romanas perlinentes,
Aegyptus, 1110; Dittenberger, Ovientis gnsci inscripliones selectas, II, n» 666,
1. 6 et n. 3 (p, 382). Balbilla, la poétesse de la Cour d'Hadrien, qui fit graver les
épigrammes bien connues sur la jambe de .Memnon, est peut-êtie de la même
famille. Balbillus est aussi mentionné dans ledit de Tibère Alexandre. (C. 1. Gr.
4957 = Dittenberger, Orienlis grœci ijiscripliones selectœ, 11, n" 669, 1. 28,
p. 397).
(2) Cette magistrature existait à Alexandrie, mais dans les deux premiers
siècles, au moins, elle ne paraît pas y avoir été une fonction municipale. V.
Vie Municipale, p. 171-173, et Grenfell et Hunt, Oxyrhynchus Papyri, t. Xlï, p. 29.
(3) Un classement de ces magistratures par ordre hiérarchique a été proposé
par F. Preisigke, Slcidlisches Beanilenwesen in rômischen Aegyplen, Halle, 1903,
p. 31 et suivantes; un autre, un peu ditierent, par Jouguet, Vie Municipale,
SUH LES MÉTHOPOLES ÉGYPTIEiNNES A LA FIN DU 11^ SIÈCLE 301
le cosmcle, l'exégcMe, le gymnasiarque. Celui-ci, le plus haut
magistrat de la ville, au moins depuis l'époque romaine, est
le directeur du gymnase; il veille à son entretien auquel il con-
tribue de ses deniers; il a autorité sur les éphèbes qui lui
fournissent une gaide d'honneur, peut-être môme sur les kizo
YujAvao-ioL». Le cosipète a certainement des rapports avec le
gymnase etl'éphébie; quant à Texégète, véritable directeur de
la municipalité, il semble qu'il soit spécialement chargé du
contrôle des conditions de droit qui assurent à chaque membre
de la commune son statut personnel; en conséquence il est
activement mêlé au choix des jeunes gens qui doivent être
reçus dans l'éphébie; il exerce la juridiction gracieuse, donnant
des tuteurs aux femmes et aux mineurs, dont les intérêts sont
sous sa garde (1).
p. 292 et suivantes. Dans le t. XII des Oxyrhynchus Papyri, Grenfell et Hunt
sont arrivés à des résultats plus précis. L'ordre régulier serait selon eux (p. 29) :
1. hypomnématogiaphe; 2. gynmasiarque; 3. exégète; 4. cosmète; 5. grand-
prêtre; 6. euthéniarque ; 7. agoranome. Un doute subsiste encore sur le rang de
Teuthéniarque.
(1) Vie Municipale, p. 315-342, La question du choix des éphèbes est assez
obscure et doit être reprise. Le choix définitif des éphèbes s'appelle el'axp'.cjtc;.
Une fois cet examen passé, le jeune homme est un \i.ùCKoi'jif\^jo:, (P. Oxy. 1202,
1, 17). Il pourra prendre part aux exercices des éphèbes et nous voyons qu'à
Oxyrhynchos, depuis la fondation d'un .àycôv par Septime Sévère et Caracalla,
l'amphodogrammate doit dresser et afficher une liste de ces futurs éphèbes,
donnant la date ovl ils devront prendre une part active à l'éphébie, tt,v tcôv
i-orfjzûiiv \xzXk6'n(ùv ypa'ffiV |ai| irpèe; t6 svtaaTOv à-f' ou itpoar.xs'. xaipoij [tJtjÇ saT.êt'aî
àvxiXxêsaôai, Mais l'sTa-iCp'.Ttç est précédée d'une è-iîtxpiTiç, Or, dans nos demandes
pour rsTiupiTiç, ce n'est jamais la qualité d'éphèbe qui est visée, et l'èiitxpiatt; qui
précède l'sl'axpiaK; des éphèbes ne doit pas être différente de l'eTC^xptaiç des àizo
YU[xvaa{ou, C'est ce que semble prouver le papyrus d'Oxyrhynchos cité : le père
d'un jeune homme oublié sur la liste des futurs éphèbes affirme que son fils est
[xeXXoécpfiêof;, qu'il appartient à la promotion du gymnase qui a couru sur ses
14 ans la 25« année : ôvxa ex xoij Txyfiaxo; xou -^ap' fijjLsiv yuixvaaio'j xpotjêâvxoç £•<;
xôTCTîpaxaiSexacxeïç xou xe' (exou;), et qu'il a été admis, après e-nUpiaiç, la même
année, vu son âge et sa naissance, dans la catégorie de^ gens du gymnase : xal
£7tixpi8svxa xax' àxoXou6c(av xwv sxwv xal xou yévouç s?; xoùç sx xou yu[xvaa{ou
xw a-jxw xe' (è'xei). L' sTiixptaiç, en province, est confiée à une commission où
figurent des fonctionnaires du pouvoir central : le stratège, le scribe royal, et
d'anciens archontes municipaux ayant le titre d'êirixptxat. A Alexandrie, et de
même, peut-être, dans les autres cités grecques, il semble que ce soit un fonc-
tionnaire municipal, l'exégète, qui préside à ces opérations dans chaque quartier
(ypàjxtxa). C'est du moins ce que suggère le papyrus de Florence 382 {Papiri
302 PIERRE JOUGUET
A côté de ces archontes, il n'y a pas de Conseil; Septime
Sévère donna le premier des curies aux Métropoles (1). Les
Papyrus Rylands prouvent qu'Hermoupolis elle-même, qu'on
aurait pu croire plutôt favorisée que les autres villes, n'avait
pas encore de Conseil dans les dernières années du n® siècle (2).
greco-egizi piibblicali délia reale Accademia dei Lincei, vol. III, Papiri Fiorentini...
per cura de G. Vitelli, n" 382 (ancien 57) : ôvtoç Tcpôç x?, e-jiixpicrsi tou jâ' ypâix-
[xaxo; Tiêspto'J [Aiojvuaio'j 'Airo'Xivapîou, vswxdpou xoO [xsyaXo'j SapaiTiSoi;, xwv xsvcgit-
{jLTjXÔxwv, [xo'j] sut xfiç suÔTivlaç, lepscot; xal I^T,Yr,xoG. L'si'axpiaiç pour les éphèbes
alexandrins est incontestablement présidée par le préfet, comme Wilcken Ta
conclu du même papyrus, 1. 73 : e'.a^cpivoia-svwv utto Tixou «tXauîou TixiavoO xoû Xi[x-
Tcpoxaxou TiysfjLÔvoç (erreur dans F?e Municipale, p. 156-lo7 et n. 1, corrigée, d'après
Wilcken, dans ma note 'ETrtxpiaiç, Bulletin de la Société Archéologique d'Alexan-
drie, NS, t. III, no 14, p. 203 n. 2). x\ous ne savons pas qui procédait à retaxpiai;
des éphèbes dans les métropoles, sans doute un fonctionnaire du pouvoir cen-
tral, peut-être le préfet, ou Tépistratège. Mais les opérations de reïaxpKTiç sont
préparées par un exégète. A Alexandrie, on adresse les demandes pour rela^ptat;
à rispsùç sçïiyT^xTi;, en même temps d'ailleurs aux Kaiaapsîoi (affranchis impériaux)
et aux autres prytanes (v. P. Oxy., 477). Dans les métropoles, c'est aussi à un
exégète, et P. Ryl. 101 a prouvé que j'avais eu raison de restituer [s^TiyqxfiJt
'Ol'jp'.yx(^'cou) à la 1. 1 du P. Fior. 79. Sur ce titre v. plus bas, p. 308 ss. Le cosmète
et le gy.mnasiarque doivent aussi intervenir, ainsi que le secrétaire du gymnase,
P. Fior. 382 (ancien 57) mentionne un scribe de la 5iaXoyf, du xaxa>voyetov ; on
sait que ce sont-là les bureaux de Tarchidicaste, qui devait donc avoir un rôle.
Dans Vie Municipale, p. 159-160, j'ai proposé à ce sujet des hypothèses qui sont
à reviser. Mais les textes nouveaux n'ont pas apporté beaucoup de lumière sur
ce côté du problème. — Jean Lesquier me fait remarquer que l'exégète de
P. Fior., 382 (ancien 57) a dû être chargé de riTir-cpiaiç dans le second gramma
d'Alexandrie comme délégué du préfet. C'est une conclusion à laquelle on est
rigoureusement conduit par les considérations suivantes. Si l'on admet, comme
nous, qu'il n'y a pas pour les éphèbes des Métropoles d'iirîxpiaiç spéciale, diffé-
rente de l'sTiîxpiTi; des aTio yuixvajtou, il est vraisemblable que, pour les éphèbes
alexandrins, il n'y a pas d's-utxpicrK; spéciale, différente de celle des cives alexan-
drini. Or l'sTiîxpiJiç des cives alexandrini, comme celle des Romains, n'est autre
que riTTÎxp'.Tiç que l'on appelait faussement autrefois l's-rrîxpiaK; militaire et qui,
en réalité, n'a pas d'autre but que rsitîxptjiç (dite fiscale) des habitants de la
ywpa. C'est ce qu'ont démontré indépendamment les uns des autres, Lesquier,
d'une part, dans son Armée Romaine d'Egypte, Grenfell et Hunt, d'autre part,
dans le commentaire de P. Oxy., XII, 1451, texte décisif. Or cette sirUputî (dite
militaire) est de la compétence du préfet. Il faut donc que l'exégète de P. Fior.,
382 (ancien 57), tout comme dans d'autres cas le préfet de la flotte alexandrine,
ait agi par délégation du préfet. Pour les citoyens des autres cités grecques leur
éirr/cptat; relève probablement aussi du préfet. Toutefois, pour eux, l'hypothèse
d'une commission épicritique n'est pas exclue. Sur toutes ces questions, on
verra le beau livre de Lesquier, actuellement sous presse.
(1) Vie Municipale, p. 345 et suivantes.
(2) Le mot (âouX-f, se lit dans P. Amherst, II, 79, provenant d'Hermoupolis. Voir
SUR LES MÉTROPOLES ÉGYPTIENNES A LA FIN DU II" SIÈCLE 303
En revanche, les archontes forment, au moins à la fin du
n^ siècle, ce que nos textes appellent le y.oiv&j des archontes.
Mais que faut-il entendre par ce terme? Est-ce une assemblée
qui délibère et rend des décrets? Est-ce seulement une société
de magistrats, unis, non pour partager des profits, selon le sens
juridique du mot société, mais poui' garantir la ville et TEtat
et peut-être se garantir eux-mêmes mutuellement des risques
de déficit dans l'exercice de l'administration et des charges? Le
xoivov des archontes tenait sans doute de l'une et de l'autre (1).
Le papyrus Rylands 86 nous confirme qu'il devait se subdi-
viser en autant d'autres xoivà qu'il y avait d'ordres (TàyjjiaTa)
de magistratures; car il nous fait connaître le xot-vov des cos-
mètes, tandis que celui des exégètes était déjà mentionné dans
le n« 891 d'Oxyrhynchos (2).
Les membres de ces xot-và devaient être assez nombreux :
chaque magistrature avait plusieurs titulaires dont le nombre
variait sans doute avec les lieux, l'époque, les circonstances (3).
On voit en outre, maintenant, que d'anciens magistrats pou-
vaient en faire partie. C'est ainsi que dans le papyrus
Rylands 86, le xo(.v6v des cosmètes est représenté par deux
anciens cosmètes, xoTjxriTsua-avTsç. Il serait désirable, il est vrai,
de préciser le sens de ces aoristes.
Les textes nous offrent, en effet, deux manières de désigner
les anciens magistrats. Ils emploient tantôt des participes
parfaits (twv Y£vu|jLvaa-!.ap'^T,x6T0)v, etc.), tantôt des participes
aoristes. La langue officielle est trop exacte pour qu'il n'y ait
Vie Municipale, p. 346-347. Le P. Ryl. 77, qui est de 192 et qui sera étudié plus
bas, aurait certainemeut mentionné la '^oukf^ si elle eût existé à cette date. Celle
qui est nommée dans P. Amh. 79 et peut-être celle d'Antinooupoiis.
(1) Vie Municipale, p. 299-300.
(2) P. Ryl. 86 (de 195), 1. 3 : tw xoivw rôiv xojtxT.xôiv. P. Oxy., 1413 : (de 270-5), 1. 34
xb xo'.vàv xwv xoîaT^Twv. P. Oxy., 891 (de 294) : dira tou vtoivoù xwv àiro to'j TatYfxaxoi; : le
contexte montre qu'il s'agit du xoivôv des exégètes. Le mot xiy]}.x, ne s'applique
pas seulement à un ordre de magistrat. Dans P. Oxy. 1202 : xiyixa xou irap' f,[xtv
YUfxvaaîou, désigne les dirô yujxvajïou, non les gymnasiarques; v. aussi le papyrus
inédit de Strasbourg, cité par Wilcken, Grundzilge, p. 200.
(3) Voir par exemple sur le nombre des gymnasiarques, Vie Municipale, p. 320.
304 PIERRE JOLGUET
pas eu de diirérence de sens dans ces expressions, et le papyrus
Hylands 86, qui montre des xoo-ij.YiTS'jTavTeç faisant encore partie
du y.oivôv^ suggère l'idée que, tandis que les participes parfaits
s'appliquent aux magistrats complètement libérés, les parti-
cipes aoristes signifient ceux qui, ayant déjà rempli leur
charge, restent néanmoins dans le y-o^yô^^^ soit parce qu'ils
peuvent encore être rappelés en fonction, soit, comme le con-
jecture M. Homolle, parce qu'ils n'ont pas encore rendu leurs
comptes (1).
Si notre hypothèse est juste, elle a des conséquences assez
importantes; car il nous faut admettre que, comme anciens
magistrats, des fonctionnaires d'Etat, môme des stratèges,
peuvent figurer dans le y.oivôv des archontes et dans les divers
xot.và qui le composent ; de même, plus tard, nous verrons
des bouleutes remplir des fonctions qui n'ont rien de municipal.
D'autre part, on a dit que les [^ouXal de Septime Sévère n'étaient
qu'une extension du v.o'.vb^j des archontes (2); mais il ne fau-
drait pas prendre l'expression tout à fait à la lettre. La
Boulé n'est pas composée de magistrats, ni même uniquement
d'anciens magistrats, et beaucoup d'anciens magistrats ne sont
pas bouleutes. La réforme de Sévère a donc une portée plus
grande qu'un simple changement d'étiquette, destiné à assimiler
l'aspect extérieur des institutions municipales d'Egypte à
celui des autres villes de l'Empire.
Le xo'.vov des archontes tout entier, dans certaines affaires oii
sa responsabilité collective est engagée, est représenté par
l'exégète et le gymnasiarque. C'est ainsi que ces magistrats
signent seuls une lettre adressée par les ap-^ovTsç d'Hermoupolis
au stratège, dans le papyrus Rylands 77. Il n'est pas sûr qu'à
la date de ce texte (192) les archontes aient été déjà groupés en
xot.v6v; mais, en le comparant au n° 54 d'Oxyrhynchos, oij l'on
(1) Dans un bilingue d'Oxyrhynchos, P. Oxy., 1114, yupLvajiap/r.aa*; est traduit
par faclus gymnasiarchus et s'jÔT.v'.ap/TiUavxeç par facti eutheniarchi. Je ne
connais pas de traduction latine pour ces verbes au parfait.
(2) Vie Municipale, p. 305.
SUR LES MÉTHOPOLKS ÉGYPTIENNES A LA FIN DU 11^ SIÈCLE 30o
voit, en 201, un épiinélèlc, chargé de la restauration des tliermes
d'Hadrien, demander l'ordonnancement dune somme au
gymnasiarque et à l'cxégète seuls, on est amené à conclure que
ces deux magistrats représentent ici le xo'.vôv, de même qu'ils
signaient seuls, à Uermoupolis, pour tous les archontes (I).
Ainsi l'administration tinancière de la ville semhle avoir été
placée sous la surveillance du y.ù'.-'^rjv'^ mais c'est un TauL'laç
7ro).5.Tuwv xal UpaT'.xwv yp7]iÀàTG)v qui, en 19G, à liei'moupolis, est
préposé à la caisse où les magistrats municipaux peuvent pui-
ser. Est-ce une caisse municipale et les villes ont-elles à celle
époque le droit de posséder? Question pour le moment inso-
luble ; le trésorier qui administre à la fois les TroXiTLxà et les
UpaTixà -y(^p-/]tjLaTa ne fait pas figure de magistrat uniquement
municipal (2). Notons, en passant, que c'est un grand person-
nage, un ancien gymnasiarque, y'juLvaa-»,ap'^ria-aç. Notons aussi
que dans ce texte — un avis de débours — il s'adresse au
xoivov des cosmèles seuls, qui avait donc dans certains cas le
droit d'ordonnancer des dépenses. Il s'agit ici de frais relatifs
à des courses de chevaux.
Le y.ovjôy des archontes agit encore collectivement dans la
procédure de désignation aux curatelles municipales [liz\^k\z\(i\) ^
auxquelles présentent les secrétaires de la ville (ypa[jLua':£^; tyîç
TtoAswç), qui, avec les scribes de quartiers (amphodogrammates),
sont, dans les Métropoles, ce que les comogram mates sont dans
les bourgs, et qui dépendent peut-être autant des fonction-
naires agents du pouvoir central (stratège et basilicogrammate)
que des archontes municipaux; cette désignation (sItôoct^)
se fait avec l'avis préalable du xo'.vôv, yv(0|j,ri toG y,o^.vo\j twv
àp-^OVTWV.
Il est assez frappant que cette expression de v-oivo^^ tc5v apyov-
Twv, tout comme la mention des xoivà particuliers de cosmètes ou
(1) Voir la note o2 au P. RyL, 77 fp. 36).
(2) B. G. U. 362 a montré qu'au me siècle les curies sont chargées d'admi-
nistrer les biens de certains temples ; v. Vie Municipale, p. 402-404, l'association
des îepaT'.xà aux TroTvixtxà /prifjLaTa n'a donc rien de bien surprenant.
306 PIERRE JOUCtUET
d'exégètes, ne se roncontro qu'à partir des dernières années du
n' siècle, à la veille dn jour où les Métropoles vont recevoir des
curies (202). Le document le plus ancien qui mentionne un
v.oivh'^ de magistrats (celui des cosmètes) est le papyrus Rylands
86, déjà cité (196). Le plus récent est le papyrus d'Oxyrhyn-
chos 891, oii il est question du y,o'.vQ^^ des exégètes (294) (1), et
il est certain que le v,oi'jr,v des archontes, aussi bien que les
divers xoivà qui en formaient les sections, a subsisté au temps
où la j^ouX/j avait pourtant hérité une partie de ses attributions
collectives. Mais il est un papyrus où l'absence de ce terme est
vraiment bien inattendue : c'est le papyrus Rylands 77, de
l'année 192. Dans leur commentaire les éditeurs n'en tiennent
aucun compte et parlent du xov^o^ des archontes et du xowov des
cosmètes, là où il n'est question que de xoT^iTiTal et d'ap;)(ovT£ç.
Peut-être ont-ils raison. Et pourtant ce silence du texte,
contrastant avec cette tendance du commentaire à trouver
mention du y.ovjq^ là où il n'est pas explicitement nommé, reste
bien impressionnant. On est tenté de placer la création du
xoivov entre les années 192 et 195. Le groupement des magis-
trats et, dans une certaine mesure, des anciens magistrats en
un y.Qi-^hv serait une première ébauche de l'institution des Con-
seils. On la rapporterait aux mêmes tendances politiques, peut-
être au même empereur, ou encore à celui dont il se considé-
rait comme le successeur, Pertinax, malgré le règne éphémère
de ce prince. La garantie que pouvait offrir au fisc ce groupe-
ment d'archontes ayant paru insuffisante, on l'a renforcée par
la création des [iio'jXa'l où siège, peut-être, une majorité de
membres qui n'étaient pas et n'avaient pas encore été magis-
trats. Il faut reconnaître pourtant que ce n'est là qu'une hypo-
thèse incertaine. On peut objecter que les magistratures, étant
beaucoup plus anciennes, beaucoup plus ancien aussi le prin-
cipe de la responsabilité des archontes, l'idée a dû venir plus
tôt, tant au gouvernement qu'aux magistrats eux-mêmes, d'une
(t) P. Oxy., 1413 mentionne le xoivdv des cosmètes, en 270-275.
SUR LES MÉTROPOLES ÉGYPTIENNES A LA FIN DU 11^ SIÈCLE 307
sorte de soci(^té. On pensera peut-^lre que les années 192-195,
époque de la lutte contre Didius Julianus d'abord et Pescennius
Niger ensuite, étaient peu favorables à une réforme administra-
tive dans les Métropoles égyptiennes. Mais ni l'une ni l'autre
de ces objections n'est décisive, et la possibilité de notre hypo-
thèse, dans un domaine où il y en a tant, méritait d'ôtre
signalée (1).
L'autorité des archontes s'étend-elle au-delà des limites de
la ville? C'est une question délicate, et qui se rattache à un
problème plus général, celui des rapports du nome et de la
Métropole. Celle-ci nous apparaît comme le chef-lieu du nome,
parce qu'elle est la résidence du gouverneur ou stratège et le
centre de tous les grands services administratifs; mais le nome
n'est certainement pas le territoire [regio] de la commune
grecque, qui a son siège dans la ville, et l'administration des
bourgs ne dépend en rien des archontes (2). Cependant on
pourrait croire que l'activité notarielle des agoranomes s'est
étendue au-delà des limites de la ville (3) ; d'autre part, dans un
texte de Thmouis, on parle d'un gymnasiarque de l'Oxyrhyn-
chite (4); enfin, à Hermoupolis, des pères d'éphèbes ou des
orphelins s'adressent à l'exégètede l'Hermopolite. Pour les
deux premiers cas, un moyen aisé de lever la difficulté se pré-
sente à première vue : on peut dire par exemple que, comme
notaire, l'agoranome remplit une fonction d'Etat, non une
fonction municipale, et qu'appeler le gymnasiarque d'Oxyrhyn-
chos gymnasiarque de l'Oxyrhynchite est une imprécision de
langage explicable à Thmouis ; mais aucun argument analogue
(1) Cependant au iii« siècle, au sein même de la Curie, et au cours d'une pro-
cédure de désignation aux àoy^xi, interviennent oî è;T;yriTa{, et non pas xo xoivôv
Tôiv s^TiyTiTwv, lequel est d'ailleurs mentionné plus bas, à une autre occasion, dans
le même texte, P. Oxy., 1413, 1. 5 et 1. 34. Cette constatation affaiblit singu-
lièrement la force de l'argument a silentio sur lequel s'appuie une. hypothèse
qui paraît décidément très fragile. Je me permets de renvoyer le lecteur à une
étude sur les curies au iii^ siècle qui sera publiée, j'espère, prochainement.
(2) Vie Mu7iicipale, p. 385.
(3) Ihid., p. 330-337.
(4) P. Ryl., 427, 1. 5 (ne ou iii« s.).
308 PIERHE JOUGUET
ne peut être invoqué dans le cas de Texégète; il faut donc
renoncer à ces échappatoires. Les éditeurs remarquent que,
contrairement l\ Thabitude, cet exégèle ne porte pas le titre
de prêtre, Upsùç, et ils supposent qu'à côté du prètre-exégète,
[epebq xal s^Tjy^Tviç, il y a d'autres exégètes dans le nome, qui
ne sont ni prêtres ni sans doute magistrats municipaux.
On voit ailleurs des exégètes dont les fonctions semblent
n'avoir rien de municipal. Tel est cet exégète-stratège men-
tionné par le papyrus Rylands 149.
Pourtant il semble bien difficile de ne pas considérer comme
un magistrat de la commune grecque cet exégète à qui l'on
s'adresse pour l'admission des jeunes métropolites dans l'éphé-
bie (1). C'est autrement que je tenterais d'expliquer la mention
du nome dans son titre. Si sa compétence s'étend sur le nome,
c'est que tous les Hellènes n'habitent pas la ville (2); plusieurs
ont leur résidence dans les villages : qu'on songe, par exem-
ple, à certains xàTOLxo!., dont le champ (xV?ipoç) était situé sur
le terroir d'un bourg; ces Hellènes, répandus dans le nome,
devaient bien se rattacher à la commune grecque; ils ont pu
être traités comme originaires de cette commune, et non rési-
dants ou comme originaires des bourgs; ils seraient alors unis
au peuple grec de la Métropole par un lion plus lâche que les
originaires, mais qui leur eût tout de même laissé certains
droits, peut-être celui de prendre part aux décisions du o^p.oç,
tout comme les citoyens romains et les Alexandrins de pas-
sage (3). Ainsi l'on est amené, soit à confondre les exégètes
du nome et les prètres-exégètes de la ville, soit plutôt à dis-
tinguer dans tout collège de magistrats municipaux ceux qui
s'occupent particulièrement de la ville et ceux qui s'occupent
aussi des membres de la commune épars dans le nome. Ces
Hellènes du nome sont peut-être désignés par l'ethnique seul.
Nous voyons, en effet, 'Epit-oizoll-zon employé comme syno-
(1) p. Fior., 79.
(2) P. Amh., 85.
(3) P. Oxy., 473. Wilcken, Chrest., 33.
SUR LES MÉTROPOLES ÉG YPTIE.NNES A LA FIN DU U'^ SIÈCLE 309
nyme de ol r/ toj urâo MÉa-psw; 'Ep;j.07:oA'lTOj dans le |)apyrus
Rylands 119; mais il faul noler que cet ethnique désigne
aussi habituellement des originaires et habitant hi ville, inscrits
dans les quartiers ou à[j.cpooa.
Ce dernier document, qui nous montre des Hellènes de Fller-
mopolite justiciables de l'exégète d'Alexandrie dans une aiïaire
où leur adversaire est un gyamasiarque, attire l'attention sur
les rapports de la capitale et des Métropoles. Mais c'est une
question encore obscure. On sait que les Alexandrins, môme de
passage (TiapsTci.S'/iii.oCivTeç), votent avec le oTi|j.o;, au moins à
Oxyrhynchos, et souvent les mômes personnages ont revêtu
des honneurs municipaux à Alexandrie et dans les Métropoles.
Les jeunes Alexandrins de la /topa ont recours à l'exégète du
nome pour se faire inscrire sur la liste des éphôbes. C'est à peu
près tout ce que l'on peut dire de précis, en attendant les
découvertes futures.
Malgré tant de lacunes, on peut pourtant se former une
image assez nette de ces étranges communes grecques, qui ne
sont pas des ttoXsiç et dont les membres ne sont pas des citoyens.
Un peuple d'allure hellénique, mais à peu près dépourvu de
droits politiques, qui s'assemble môme quelquefois et va jus-
qu'à voter des décrets, mais seulement, semble-t-il, des décrets
honoriliques ; pour radministrei', des archontes, pris dans son
sein, et qui le représentent en face du pouvoir central : voilà ce
que nous trouvons dans ces communes grecques de la vallée.
Différentes des cités qui, elles, ont un Corps de citoyens
(TroX'.Tuov o-uo'TTi'j.a), et peut-ôtre (à l'exception probablement
d'Alexandrie) une assemblée régulière, un Sénat, le sont-elles
beaucoup des bourgs indigènes, où nous voyons la commune
représentée par un groupe d'Anciens en face du comogrammate,
agent du diœcète, et des autres fonctionnaires du pouvoir cen-
tral ? Comme les archontes, les Anciens sont choisis parmi les
membres de la commune, d'après des règles fixes et avec
l'assentiment des habitants du bourg; comme eux, ils rem-
plissent une charge annuelle, ou, comme disent nos textes,
310 PIEKKE JOLGUET
une liturgie. Quelle différence essentielle entre les archontes
et les Anciens? Tout juste celle que l'on peut constater entre le
sens du mot ).£t.TO'jpY'la et celui du mot apyy],
M. Wilcken (1) essaie de marquer cette différence. II faut
d'abord noter que la magistrature comporte un honneur; la
liturgie n'est qu'un devoir et une charge ; enfin, tandis que la
liturgie est imposée, la magistrature, en principe, est librement
acceptée. Il faut ajouter, il est vrai, qu'elle est bien vite devenue
obligatoire, parce qu'elle est devenue bien vite trop lourde.
M. Wilcken en donne les preuves, qui sont abondantes.
Si aucun autre caractère ne les distingue, le contraste est
bien faible entre les àoya»! des métropoles et les XsLToupyUi. des
bourgs. 'Apyv] aurait beaucoup perdu de son sens ancien; ce
mot supposait autrefois dans les cités grecques une délégation
de la puissance souveraine, celle du Corps des citoyens. Au
ni^ siècle, dans les Métropoles, il retrouvera quelque chose de
ce sens, puisque les archontes sont nommés par la Boulé seule,
sans l'intervention, du moins ordinaire, du pouvoir central.
N'en avait-il rien retenu dans les dernières années du u^ siècle?
Pour répondre à cette question si importante, puisque, réso-
lue, elle nous ferait mieux saisir le caractère juridique de ces
communes hybrides, il faudrait que nous fussions renseignés
sur la désignation et la nomination aux àpyaL
Jusqu'ici on ignorait tout de cette procédure (2). On admet-
tait, par analogie avec les curatelles municipales, une désigna-
tion, àvàôoo-^, £'^a-oo!7^, par le secrétaire de la ville, avec l'assen-
timent (yvwfjir^) du xo'.vov. Là s'arrêtaient les plus prudents qui
n'osaient imaginer le second stade ; d'autres se le figuraient,
pour les curatelles et les àpyai, à l'exemple de ce qui se passait
pour les liturgies du bourg : présentation au stratège, trans-
mission à l'épistratège, tirage au sort des titulaires définitifs (3).
Mais ce n'était qu'une hypothèse. Pour le iv® siècle, on savait
(1) Wilcken, Grundzuge, p. 341-350.
(2) Vie municipale^ p. 303 et suivantes.
(3) F. Preisigke, Stddtisches Beamlenwesen in rômischen Mgyplen, p. 9.
b
SUR LES MÉTROPOLES É(4YPTIENNES A LA FIN DU 11*" SIÈCLE 311
que le gymnasiarque était couronné par le stratège (1); à ce
moment, il revotait ses insignes, la cordelette dont il se ceignait
la tête [(Tzpô'^io^^) et les chaussures blanches. On pouvait sup-
poser que cette cérémonie datait d'une époque antéiieure.
Le papyrus Rylands 77 est venu jeter quelque lumière sur
ces ténèbres. C'est la pièce capitale de la série que nous analy-
sons; il faut la lire en entier.
Ce texte nous olTre un groupe de documents réunis dans une
intention qui nous échappe. On y distingue trois parties :
1° La colonne I, très mutilée, et dont il manque la partie
gauche, contient un document qui. se termine à la troisième
ligne de la colonne II. Il est du 29 Epiphi (23 juillet) de la
32^ année de Commode.
2° La colonne II, complète, contient d'abord une copie des
acta du stratège d'Hermouj)olis, Sarapion-Apollonios. C'est le
procès-verbal de deux séances ou audiences qu'il a présidées.
Elles ne sont pas datées, mais sont certainement antérieures à
la lettre qui suit.
3° Celle-ci est adressée par les archontes au stratège. Elle
est du 13 Pharmouthi de la 32*' année (192). Cette lettre résume
l'afTaire exposée dans la colonne II, et pour la clarté, c'est par
elle qu'il convient de commencer.
Copie d'un autre message (xal hipo^j £~iaxàXiJ.axoi; xo àvxcYpacpov).
Les archontes d'Hermoupolis la Grande à Sarapion-Apollonios,
stratège de FHermopolite, notre très cher, salut.
Achilleus, fils de l'ancien agoranome Néarchidès-Cornelios, ayant
été proposé pour la cosmétie par quelques cosmètes, s'est offert
devant toi à revêtir Texégétie. Nous l'avons exhorté à prendre la
cosmétie, parce que la ville n'a pas beaucoup de cosmètes, et qu'il
y a un plus grand nombre d'exégètes suppléants (2). Aspidas, père de
l'ancien cosmète Hermas, à ses risques et périls, a couronné
Achilleus cosmète (ïixe^t^ aoTov loutJ xivojvtf) xr^y xoafjir,x(£iav) et le fait a
(1) p. Paris, 69 = Wilcken, Chrest., no 41.
(2) Je donne ici une traduction du mot stiùôyxwv, qui sera justifiée plus loin.
312 PIEHRE JOLGLET
été consigné dans les acla (1). L'exercice de la magistrature étant
assurée à la ville par Tun des deux [Sr^^ ouv ào/-?;^ t?i tSkh àotair-coko'j
o'jx/,; È; o-oTipou aj-(ov , nous le mandons de veiller à agir conformé-
ment à ce qui s'est passé devant loi, pour que la ville puisse obtenir
cette magistrature. An 32, Pharmouti 13. Signé : Vexégèie et le
gyniuasiarque.
Ainsi Achiileus a été désigné par quelques cosmèlcs (utio
Tt.vojv xoa-uriTwv) expression vague et qui, nous l'avons noté,
ne laisse pas de surprendre. Cette désignation n'est pas,
comme celle dont sont chargés les secrétaires de la ville, une
simple proposition (sItootl;, àvàooT',;) ; Achiileus est àyoï^Evoç elç
Tr,v y.o a- tjLYi TE lav, termes qui semblent indiquer, comme le remar-
quent les éditeurs, une certaine contrainte et, ajoulons-Ie,
peut-être une nomination efTective. Enfin nous apprenons que
pour la cosmétie, comme pour la gymnasiarchie, et nous
pouvons conclure qu'il en est de même pour toutes les àpyai,
il y a une cérémonie du couronnement. Achiileus ayant été
couronné, l'affaire comporte une suite qui regarde non plus les
archontes, mais le stratège.
Remontons maintenant à la séance devant le stratège. Après
deux ou trois mots mutilés (2), qui semblent ou faire allusion
à un protocole qu'on aurait négligé de recopier ou bien indi-
quer le moment oi^i se plaçait, dans la série des occupations
quotidiennes du stratège, la séance que le texte analyse,
on lit :
32 Tipoç Tw ^[Yjjj.aT',] TîapovTwv T(I)[v svàpj^wv A'iou
33 yu(j.vaa-t.apy_ou, Aiovuor'lo-j | to[G1 ^-a'- [.]...v8£0U s^'/^y^Toù,
'OX'j|j.[7t'.o]owpou Tïpoô'lxo'j, 'A7:o).rXtov]'l[o]'j 'Hpax)va7:6XX(ovo[ç
yuiJLjvaa-'.apy^f'/ja-avTOi;) xal 'Ay'.A[X£w;;] Kopv^Xiou,
34 Ttôv 7T[ap]£7':WTG)V a.T^h TtÎç ToXstOÇ £7î(.CptOVTj|[(j]àv':(i)V •
a-T£cp£0-9ci) AyiXXzb^ xoa-p.7jT£'lav • ptiuioG xov 7ta[T]£pa tov
(1) On sait que les acta du stratège étaient affictiés par les soins de son
appariteur; v. P. Paris, 69 et Wilcken, ClireaiomaLlde, à propos du même n» 41.
(2) Le texte donne \xz[ 6f,]îJL03:a. V. la note 32 des éditeurs.
SUR LES MÉTKOPOLES ÉGYPTIENNES A LA FIN DU 11" SIÈCLE 313
Devant le tribunal : Présents : Dios gymnasiarque, Dionysios...
exégète, tous deux en charge ; Olympiodore, defensor, ApoUonios
fils d'Hèraklapollon (ou Apollon et Hèraklapollon), ancien gymna-
siarque, et Achille f. de Cornélius.
Les gens (?) de la ville (?), présents à l'audience ayant crié :
« Qu'Achille reçoive la couronne de la cosmétie ; imite ton père,
l'honorable vieillard. »
Il n'y a donc pas de doute; comme les éditeurs le font
remarquer, la procédure a suivi jusqu'ici sa marche régulière
et nous sommes arrivés au moment du couronnement.
Mais est-ce bien pour cette cérémonie que le stratège siège
sur son tribunal (stcI t^ fiyî i^aTi) ? Quoique presque entière-
ment restitué, le mot paraît sûr. Au iv'' siècle, à Ombos (1), le
couronnement a lieu, non au tribunal, mais dans le gymnase,
et au début de l'année (an 1 Thoth) ; le texte d'Ombos ne dit
pas que la cérémonie fût publique. Pourtant les éditeurs ont eu
raison de penser qu'il ne s'agit pas ici d'une enquête judi-
ciaire : le stratège ne rendra pas de sentence ; il se borne à
enregistrer les faits qui portent d'eux-mêmes leurs consé-
quences. Mais il semble bien que la séance résumée ici ne se
serait pas tenue, si Achilleus avait consenti à prendre la cos-
métie. On eût alors, tout de suite, procédé au couronnement.
C'est sans doute le refus d'Achilleus, connu à l'avance, qui
provoque cette réunion, où, après explications contradictoires,
ce refus doit être officiellement enregistré.
Pour la ponctuation et l'interprétation du préambule, j'ai
suivi celles que les éditeurs proposent. Je crois qu'ils ont
raison de voir dans 7Tpo8uou un nom commun. Olympiodore
occupe la charge de defensor, non pas cette haute fonction per-
manente qui apparaîtra au iv® siècle; c'est un de ces defensores
dont parle Arcadius Gharisius dans le passage bien connu sur
les munera^ au Digeste L, 4 : quos Graeci syndicos appellant,
et qui ad cerlam causam agendam vel defendendam eligiintur.
(1) P. Paris, 69; Wilcken, Chrest., 41.
REG, XXX, 1917, n» 139. 22
314 PIEHRE JOUGUET
L'exégète, le gymnasiarque, peut-être aussi les anciens exé-
gètes qui les accompagnent, représentent tous les archontes,
nous dirions le xoivov des archontes, s'il était sûr que celui-ci
fût déjà constitué. Cette incertitude renforce les doutes qu'ins-
pirent les suppléments dans la formule ol 7r[ap]£a"TwT£ç kno T-rjç
u6).£wç(l). Ainsi restitués, ces mois ne peuvent guère désigner
que les gens de la ville, présents à la séance, c'est-à-dire le
8fi|jioç, du moins une partie du ôtÎ[^oç. Mais les éditeurs ont
eux-mêmes hésité à restituer 7r[po]£o-TWT£ç qui désignerait
plutôt les archontes, peut-être les archontes et les épimé-
lètes et les autres fonctionnaires municipaux (ceux de la ville
qui sont à la tête de l'administration), et il n'y aurait pas lieu
de s'étonner de l'absence du terme xolvov, si le xoivov n'exis-
tait pas. Le choix des lettres à suppléer a donc une grande
importance.
Or il semble bien que les éditeurs aient eu raison de rejeter
7:[po]£o-':wT£ç; avec ce verbe l'expression naturelle eût été, je
crois, 7t[po]£a-TWT£(; Triç TzôXeiùç. Nous en conclurons que les
archontes n'agissent que par ceux d'entre eux qui les repré-
sentent ; les autres, s'ils sont présents, sont confondus dans les
rangs du public.
Les 7rap£(rTWT£ç assistent, en effet, à la séance comme un
public, non comme des parties. Ils ne figuraient pas parmi les
personnes qui se présentent au tribunal (Trapovxwv). C'est une
foule qui environne le prétoire, foule dont la présence et les
manifestations sont prévues et légales, puisqu'elles sont ins-
crites au procès-verbal, mais qui ne prend pas autrement part
à la discussion (2).
Celle-ci se poursuit entre Olympiodoros et Achilleus en ces
termes :
(1) N. 33.
(2) Ainsi il y a une différence de sens entre Tcap(5vTwv et TrapsaxwTwv. Les
TcapdvTs; désignent les personnes entre lesquelles l'affaire va être débattue. Les
TrapeuTWTec; ne sont qu'un public. Pour marquer plus nettement ce contraste,
j'avais pensé à écrire T:[ep!,]s(TTa)Twv. Mais une telle conjecture serait certaine-
ment venue à la pensée des éditeurs si l'étendue de la lacune l'avait autorisée.
SUR LES MÉTROPOLES ÉGYPTIENNES A LA FIN DU 11^ SIÈCLE 315
Achilleus dit : « Pour obéir à ma patrie j'accepte Vexégptie porte-
couronne, avec Tobligation de verser par an deux talents et à con-
dition d'être dispensé de l'inspection de la terre affermée (1) ».
Olympiodoros dit : « La Fortune de notre maître l'Empereur mul-
tiplie les magistratures et fait prospérer les affaires de la cité. Et
comment serait-ce possible autrement sous la gracieuse autorité
du préfet Larcins Memor (2)? Si donc Achilleus veut être couronné
exégète, qu'il verse le droit d'entrée en charge (xo lar.xrjpiov); sinon,
il ne s'en est pas moins désigné lui-même pour la charge urgente de
cosmète ».
Achilleus dit : « J'accepte l'exégétie, à condition de verser deux
talents par an; car je ne puis pas accepter la cosmétie ».
Olympiodoros dit : a Puisqu'il a accepté la charge supérieure, il ne
saurait échapper à l'inférieure ».
Ammoniôn, fils de Dioskoros, interrompant, dit : « Tout aujour-
d'hui Achilleus m'a frappé et je confirmerai ces faits au moyen de
vos acta; car j'ai adressé une requête à son Excellence le Préfet à
propos de cette insulte ».
Achilleus dit : « Je ne l'ai pas frappé et ne lui ai fait aucune vio-
lence ».
Sarapion Apollonios stratège dit : « Ce que vous avez dit est inscrit.
On mandera les cosmètes, pour qu'en leur présence vous disiez les
mêmes choses ».
L'ensemble est clair. Le texte soulève bien quelques questions
de détail : qu'est-ce, par exemple, que l'exégétie o-xscpavacpopoç?
Y a-t-il plusieurs sortes d'exégètes, comme le suggère une
hypothèse des éditeurs, signalée plus haut? Ou bien i'exégète
couronné est-il celui qui est effectivement en charge et qui se
distingue par là, à la fois, des exégèles désignés (àTco8£8£t.Y[jL£vot.)
et des ÊiYiYyiTeua-avTeç qui font peut-être encore partie du xolvov?
Quel est aussi ce droit d'entrée en charge, lo-Yi-uTipt-ov, que Ton
peut comparer avec les eTTio-ia TaXavTa qu' Achilleus s'engage à
(1) A propos de l'èTtit-i^pT,(îiî xf,; 8ta[xicr6ou(xiv7]ç yfiî les éditeurs renvoient à
P. Flor., 6 (Wilcken, Archiv, IV, p. 427); Rostovzew, RÔyn. KoL, p. 189, n. 1.
(2) Préfet inconnu.
316 PIERRE JOUGUET
verser pour l'exégétie (1)? Les éditeurs proposent d'y recon-
naître une sorte de dépôt préalable d'une partie de la contri-
bution annuelle. Le plus surprenant est la protestation d'Am-
moniôn, qu'Achilleus est accusé d'avoir battu. Mais c'est
certainement là une atfaire secondaire qui vient se greffer sur
la principale. Elle a fait l'objet d'un libelle au préfet, enre-
gistré aux acta du stratège, peut-être une citation au conven-
tus. Gomme Ammoniôn est le fils de Dioscoros, représentant
des cosmètes (on le verra plus bas), il n'est pas étrange qu'une
querelle ait éclaté entre Achilleus et lui. Mais il faut noter que
de cette querelle, le stratège ne tient aucun compte : « Ce que
vous avez dit », conclut-il, « est inscrit.... ». Gomme la suite
le montrera, ce n'est pas ce qu'a dit Ammoniôn, qui sans
doute est indûment sorti de la foule pour se plaindre, c'est
ce qu'ont dit Olympiodoros et Achilleus.
On interrompt la séance pour faire venir les cosmètes. Elle
reprend peu après, [j^st' oXiyov, cette fois au Caesareum.
Peu après, au Csesareum, Diogénès et Dioscoros, ainsi que les
cosmètes, leurs collègues (oi aùv aoxro xoff|jLrjTat), se sont avancés en
présence d'Achilleus, représentés par un seul d'entre eux. Diogénès
a dit :
Si Diogénès parle seul, c'est sans doute qu'il a seul le droit de
parler. Mais on croirait volontiers qu'avec les cosmètes, assis-
tent à l'audience les mêmes personnes précédemment présentes
au tribunal. En tout cas, Olympiodoros parlera. La séance est
peut être encore publique. Aspidas qui va tout à l'heure inter-
venir doit sortir des rangs des rcapso-TWTsç ; car, bien que père
d'un cosmète, il n'est pas donné comme faisant partie des
xoo-jxoTaL Voici maintenant les termes mêmes que le texte met
dans la bouche de Diogénès :
£p.àGo{JL£v Tov 'AyùXioL 7TpoêaX6p.£vov lauTOV elç £$riy(Y)Teiav) aTcov-
w'wv YjjJLWv • TOJTO 8a oùx B^î\w ' 6 yàp OeiOTaToç 'AvTWvîvoç 8ià
1) Dans P. Oxy.^ 1413 il est question de axe-KTixa qui fait peut-être allusion à la
Lironne des archontes et est peut-être un droit payé aussi à l'entrée en charge.
(
couronne
SUR LES MÉTROPOLES ÉGYPTIENNES A LA FIN DU II'' SIÈCLE 317
eIç l^r^ yriT£Lav * iroXXwv ouv èniXô^/^iùv << ovtwv >> o'^S'Iâe». elç ty^v
xaT£7r£tvo[u7a]v àpyriv TiapaêaivE'.v, (oç àvayvwo-ojjiafl o-o'. to 8t.àTay|jia'
L'interprétation du passage dépendra en grande partie du
sens que l'on attribuera au mot tuCkôyyùiy . L'adjectif suiXoyyoç
existe dans la langue classique : il est apparenté à Xôyyr\^
lance (1). Mais les ioniens emploient le mot Xoyyri au sens de
tirage au sort, lot, part. On le trouve par exemple, avec la der-
nière acception, à la fin du iv® siècle avant J. -G., dans une ins-
cription (2). Or l'influence persistante du dialecte ionien sur la
xoivT] et, en particulier, sur la langue des papyrus est connue (3).
Les éditeurs ont donc raison de rattacher EuiXoyywv à £7tt.Xay-
yàv£iv. Mais leur interprétation est hésitante. Ils ont pensé à
exégète désigné et comparé le [ji.£A*Aoyuavao-'lapyoç du papyrus 1116
de Londres; au contraire du o-TEcpavricpopo;, l'exégète Emloyyo^
n'ayant pas encore reçu la couronne, ne serait pas en exercice.
Mais la langue administrative est précise, et liriXoyyoç ne saurait
être synonyme d'à7ro8£8£ty[jL£voç. iVussi ai-je proposé de faire
de ï BTziloyyoq un magistrat définitivement nommé et investi,
probablement donc couronné, mais attendant le tirage au sort
destiné à répartir les attributions et les tours de service.
Enfin les éditeurs ont aussi pensé à traduire par exégète en
surnombre,
M. Homolle me fait remarquer qu'il y a une raison très forte
de choisir ce dernier sens : c'est l'usage que fait la langue du
droit attique de ce terme ETriXaywv. Les gloses citées en note (4)
(1) Euripide, Hippolyle, v. 221.
(2) Dittenberger, Sylloge, 2^ éd., n° 599, 1. 12. làv 8[è ô] îspeôç [ir\ TZ<xpr\:, irpoVe-
pTf)[Teu]6T0) Tiç d)v a'w 'kôyy^oLi £ta[{v, xi] 8è ytv[6][JLeva à';ro5'.ôôv[at xô]v ôûovxa tw IspeT.
V. le commentaire de Dittenberger.
(3) Meillet, Aperçu d'une histoire de la langue grecque, Paris, 1913, p. 328 et
suivantes, p. 334 et suivantes.
(4) El. M. s. V. STTiXaj^wv : AlayivT,<; sv tw xarà KxT.atçpwvTOi; ' ouxs Xaj^wv oux'
6T:iXa)((î)v, àW èx Tcapauxeuf,!; Tcptajxevoç. ToioGtov 8é èczi tô Xcydixevov • £xXT,poCvxo
ot pouXsûstv f, àpyziv scpiéfjLEvot • è'ireixa l'xajxov xwv Xaj^ôvxwv ï-zz^o^ STteXdtyj^avev 'îva,
làv ô i:poXï5(oiv àitoSoxt.u.aa'ôî^r} f, xsXîUXT[ar\, àvx' sKStvou yivrjxai ^ouXeux')',!; t, àpj^wv
ô èirtXaxwv. Cf. Harpocration, s. v. è-riXa/wv : même glose; il ajoute seulement
6iïO'f a(vexai 5è xaOxa sv xw nXaxwvoç TTrepêdXio. Le passage visé est conservé dans
318 PIERRE JOUGUET
montrent qu'à côté du bouleute ou de l'archonte désignés par
le sort (sxAripouvTo), on tirait en outre au sort un surnuméraire,
destiné à remplacer le titulaire en cas d'incapacité constatée à la
ooxLjjLao-ia ou de mort.
Quel serait alors le sens et la portée de l'édit de Marc-Aurèle?
Les éditeurs traduisent ainsi la phrase qui le résume : « Le
très divin Antonin a disposé que trois exégètes désignés (?)
sont nécessaires pour l'office d'exégète ». Remplaçons dési-
gnés ["î) par surnuméraires et précisons davantage le mot-à-mot.
Ce que l'empereur a décidé c'est de ne pas permettre (jjlyi o-uy-
y^opIo-Ôai) une certaine procédure qui n'est pas indiquée par
la phrase même, car les mots si; k^-r\'^'r\id'xv de la fin semblent
bien dépendre de E-O.oyywv, et d'ailleurs ne suffiraient pas
seuls à désigner cette procédure. Mais de la phrase précédente
il est facile de tirer le sujet du passif \kr^ a-jy/^wp'îo-Oa', qui est
To TTpoêàXXsa-Oat. sauTov, c'est-à-dire toute candidature volontaire
en général, ou toute candidature volontaire à l'exégétie, de la
part d'une personne appelée à une autre charge. Cette défense
n'est pas absolue, elle est bornée au cas défini par les termes
av£u Tp',wv STtOvoyywv sic e^YiyriTsUv qui feraient allusion à l'obli-
gation entraînée par la candidature volontaire à l'exégétie de
désigner trois surnuméraires, désignation qui incomberait soit
au candidat volontaire soit aux archontes en charge. Or, comme
pour l'exégétie il y a surabondance de ces exégètes en sur-
nombre, Diogénèsjuge non recevablela candidature d'Achilleus
qui entraînerait encore la nomination de trois nouveaux sup-
pléants, alors que la cosmélie est désertée par les candidats (1).
Nous pouvons donc traduire ainsi les paroles de Diogénès et la
suite du texte :
« Nous avons appris qu'Achilleus s'est proposé lui-même pour
l'exégétie en notre absence. Or ce n'était pas possible ; car le très
les scholies du Ravennas (Aristoph. Thesm., v. 808). Anekdota de Bekker, AéÇetç
^•flToptxa(, p. 256, 3. Hésychius, s. v. ^àyyjxi et Xoyx"'!-
(1) Il faut retirer la conjecture <'n:>v>,v > aveu xpiwv è7it>»ÔY/wv, que j'avais pro-
posée.
SUR LES MÉTROPOLES ÉGYPTIENNES A LA FIN DU II* SIÈCLE 319
divin Antonin^a décidé par un édit de ne pas autoriser ces candi-
datures volontaires, sans que soient désignés en même temps trois
suppléants éventuels. Or il y a de ces suppléants en grand nombre
et Achilleus doit passer à la magistrature pressante, selon l'édit que
je lirai. »
Après lecture de l'édit, Aspidas, père d'Hermas, l'ancien cosmète
dit : « A mes risques et périls, je couronne Achilleus cosmète ». Olym-
piodoros dit : « Nous avons la déclaration d'Aspidas qu'il couronne
Achilleus à ses risques et périls, et Achilleus doit être couronné, car
maintenant l'exercice de la magistrature est assuré pour la ville ».
Le stratège dit : <( Tout ce qui a été dit sera enregistré aux acta ».
Lu et approuvé.
Ainsi, comme plus haut, le stratège ne rend pas de sentence ;
il se borne à enregistrer des faits dont les conséquences se
dégageront plus tard : ce sera d'ailleurs à lui de les réaliser,
en partie au moins, comme le prouve la lettre des archontes. Le
texte ne dit pas clairement quelles elles étaient? Nous savons
seulement que l'exercice de la magistrature est assurée, sans
doute soit par Aspidas, soit par Achilleus. Mais qui décidera
entre les deux?
Les éditeurs ont songé à une procédure, connue pour le
\if siècle : l'âxo-Tao-',? où cessio honorum. Celui qui veut décliner
la magistrature offre à celui qui l'a nommé de lui abandonner
ses biens ou une part de ses biens, à condition que celui-ci
remplisse les obligations de la charge (1).
Trouvons-nous traces ici de cette procédure ? Il faudrait la
chercher dans un document postérieur à la lettre des archontes.
(1) La cessio honorum ou exaTaaiç a été mentionnée la première fois dans C.
P. fi. 20 (WilcJien, Chrestomathie, 402) et Mitteis a donné une théorie de cette
procédure dans son commentaire au texte. B. G. U. 473 (voir Mitteis, Chrestoma-
thie, 375), nous donne, avec une requête au stratège, un fragment de rescrit de
Septime Sévère relatif au même sujet : mais le texte est très mutilé. La doctrine
de Mitteis est exposée dans Vie Municipale^ p. 412-415, où j'adopte son interpréta-
tion de la clause âvri vsvo[xia[X£vou xp^Tou : un tiers de ses biens serait resté à celui
qui proposait la cessio. De nouveaux textes inspirent des doutes sur cette inter-
prétation : ce sont P. Ryl., 75 (il s'agit ici de la cessio honorum du droit privé)
P. Oxy., 1416 et 1642 (ce dernier encore inédit) et surtout 1405. Voyez l'introduc-
tion de Grenfell et Hunt à ce dernier texte.
320 PIERRE JOUGUET
Or ce document, nous l'avons peut-être de la 1. 1 (col. I) à la 1. 32
(col. II) (1). Malheureusement, sauf les trois dernières lignes,
cette partie du texte est irrémédiablement mutilée; il manque
plus de la moitié gauche de la colonne I, et il est difficile de
déterminer les pièces dont nous avons les débris. Il faut pour-
tant tenter de les définir avant de les étudier.
Les éditeurs pensent que c'est une lettre du stratège aux
archontes. Mais cette hypothèse s'accorde-t-elle très bien avec
les premières lignes du papyrus, où nous voyons le nom du
stratège au datif, et, au génitif, comme s'ils dépendaient d'un
Trapà perdu dans la lacune, ceux de personnages qui ont des
titres de magistratures municipales dans leurs cursus'l Rien
n'indique d'ailleurs que ce soient des magistrats d'Hermou-
polis; l'un d'eux a certainement rempli une fonction à Alexan-
drie. Nous chercherons donc au début les restes d'une lettre ou
d'un uîtop'/iijLa adressé au stratège. Ce document ne va sûre-
ment pas jusqu'à la ligne 32, car celui qui finit là est une lettre
à une collectivité, comme le prouve la formule de salutation
finale : eppwo-Qat. u|jiâç £j'/^o([jia',), (pOwaroi, qui rappelle celle dont
usent entre eux les bouleules, les archontes et le stratège. Est-
ce la lettre du stratège aux archontes, à laquelle ont songé les
éditeurs? Mais cette hypothèse n'a rien d'assuré : le premier
document pourrait bien être le billet d'envoi de cette lettre
adressée aux ©iXTaTot.; dès lors on ne voit pas pourquoi on com-
muniquerait au stratège une lettre du stratège. Je proposerai
une autre explication, qui d'ailleurs n'aura, elle aussi, rien
de certain.
Dans la lettre aux cpiATaTot. est intercalé, semble-t-il, le pro-
cès-verbal d'une audience devant les 5t.£7rovT£ç ttiv twv o-TsjjiiJLàTwv
Sio'lxïio-iv. On ne sait pas au juste qui sont ces fonctionnaires, et
leur titre est difficile à expliquer. M. Wilcken a cru que le mot
çrT£|jLtjLa désignait une division du Corps éphébique. Autrefois, il
y voyait une allusion aux couronnes distribuées dans les jeux ;
(1) Voir le texte de cette partie du document ici mêjne, Appendice, p. 327.
SUR LES MÉTROPOLES ÉGYPTIENNES A LA FIN DU II* SIÈCLE 321
on peut aussi songer aux couronnes des archontes (1). Il est seu-
lement certain que ces fonctionnaires avaient à s'occuper des
biens confisqués par la ville, et les éditeurs pensent qu'ils ont
pu être chargés d'une surveillance sur les fonds appartenant
aux divers xoivà de magistrats (2). Nous allons les voir juger
une affaire relative à un gage saisi à l'occasion d'une désigna-
tion à une charge. Les mots ly.TziiK^0Lzt irpo; riaâç de la I. 12
suggèrent l'idée que c'est eux qui écrivent aux olliy.-zoï et que
l'affaire leur a été déférée par leurs correspondants, probable-
ment les archontes : on écrira à la ligne 32 £Ù'^(6|jL£Ôa) au lieu
de £u^(oaa'.) ; et cette lettre des SUTiovTeç aux archontes (e-Trio--
ToÀY) ToTç apyouTt.) est le premier sTuUTaXtjLa auquel font allusion
les termes hkpou sTc.a-TàAjjiaToç de la 1. 47 (3).
Quelles sont maintenant les personnes qui envoient au stra-
tège la lettre des 8t.£TT:ovT£ç... aux archontes? On serait tenté de
croire que ce sont encore les SUttovte;..., s'il y avait place pour
ce long titre dans la lacune, et ceux-ci nous apparaîtraient
comme de grands personnages, puisqu'on trouve parmi eux un
ancien stratège et un ancien cosmète d'Alexandrie; mais, dans
l'état actuel du texte, on ne peut rien dire de certain ni même
de vraisemblable (4).
On ne voit pas nettement si la sentence des S!.£7tovt£<; a
quelque rapport avec l'affaire d'Achilleus. A leur audience, il
s'agit bien d'une désignation à une charge ; mais il semble que
cette charge soit traitée de liturgie (X£',TOL»pvUv), non pas d'àp-^^vi
(l. 17), et le nom d'Achilleus ne paraît pas. Est-il perdu dans la
lacune? Hiérax, qui prend la parole 1. 18, est certainement un
avocat; Harpalos, qui réclame son gage (l. 30), est peut-être la
(1) Les (TTSTCTixà mentionnés dans P. Oxy., 1413, 1. 4 et 6, donnent quelque
force à cette hypothèse de Grenfell et de Hunt et font comprendre comment
ces fonctionnaires ont pu avoir des attributions financières.
(2) V. la note 31 des éditeurs.
(3) Voir plus haut, p. 311.
(4) Ainsi les documents contenus dans la colonne I seraient : 1° Lettre des
ÔieitovTSî... au stratège lui annonçant l'envoi de leur lettre aux archontes;
2° Lettre des Stéirovrei;... aux archontes, dans laquelle est intercalée un procès-
verbal de l'affaire que les Sisttovxsî. . . ont jugée.
322 PIERRE JOUGUET
personne désignée pour la liturgie, mais peut-être aussi la
caution d'Achilleus. Il y a une déclaration d'aTropia, ce qui ne
laisse pas d'étonner un peu, s'il s'agit d'Achilleus, lequel refuse
bien la cosmétie, mais se propose pour l'exégétie. Cependant,
à la rigueur, on peut imaginer que la notion d'amopU est relative
et varie avec les circonstances et les magistratures.
Si nous admettons, ce qui est, on le voit, bien douteux, une
connexion entre l'affaire d'Achilleus et celle que jugent les
8i£7tovT£;..., il serait assez vraisemblable que la sentence des
8'i7:ovT£ç, certainement antérieure au 29 Épiphi de Tan 32
(23 juillet 192; cf. 1. 32) fût postérieure au 13 Pharmouti de la
même année (8 Avril 192), puisqu'il n'en est question ni dans
les séances devant le stratège, ni dans la lettre que les archontes
adressent au stratège à cette date. Il suit de là que la date
mutilée de la l. 10 (4 Hathyr) ne saurait être celle de l'audience
des SiéTTovTs;... Ce serait soit celle de la désignation d'Achilleus
à la cosmétie (4 Hathyr de l'an 32 =r 2 Novembre 191) soit la
date du premier document (billet d'envoi au stratège ?) (4 Hathyr
de l'an 33 == 1 novembre 192).
En supposant fondées ces déductions assez fragiles, puis-
qu'elles ont leur point de départ dans une hypothèse mal assu-
rée, cette colonne I devrait nous éclairer sur la suite donnée à
l'affaire d'Achilleus. A vrai dire, telle qu'elle est, elle ne nous
apprend pas grand chose. Rien n'autorise à supposer ou à nier
qu'il y ait eu une proposition de cessio bononim. Achilleus
aurait fait une déclaration d'àîropia. Pareille démarche peut
très bien se concilier avec la procédure de la cessio bono-
riim (1); mais il semble bien que ce ne soit pas là le point jugé
par les âiÉTrov-sç... Cette déclaration entraîne seulement pour le
personnage désigné la possibilité d'être libéré de la charge (wo-ts
Suvao-QaL auToç p-àv àTca)Jà'y^Qat.. . .) et cette possibilité entraîne à
son tour la restitution d'un gage réclamé par un certain Har-
palos. Rappelons à ce propos que les récalcitrants étaient con-
(1) Comme le prouve P. Oxy., 1405.
SUR LES MÉTROPOLES ÉGYPTIENNES A LA FIN DU II" SIÈCLE 323
traints aux charges municipales par les mêmes procédés de
droit qu'à la tutelle. La cessio bonorum elle-même a passé du
domaine de la tutelle dans celui du droit public, tout naturelle-
ment, puisque les municipalités étaient considérées comme des
mineurs. De même que le tuteur devait fournir une caiitio rem
pupilli saham fore^ de même le magistrat devait fournir une
cautio rem communem .salvam fore. A partir d'Antonin le Pieux
il pouvait y avoir une prise de gage (1).
Donc, même si notre colonne I se rapportait à l'alTaire
d'Achilleus, nous n'y verrions pas comment s'est réglé le conflit
entre Aspidas et lui. 11 est probable qu'en couronnant Achil-
leus, Aspidas l'oblige à revêtir la magistrature, à moins
qu'Achilleus n'ait recours à une procédure d'appel comportant
ou ne comportant pas la cessio bonorum^ analogue cependant à
celle qui est décrite dans le papyrus Rainer n° 20. Cette procé-
dure nous ferait certainement sortir des limites de la Métro-
pole. 11 nous faut y demeurer et résumer ce que notre texte
nous a appris sur la désignation aux '^^yj^^.
Nous constatons que, sauf en cas de conflit, personne n'y
intervient que les magistrats municipaux eux-mêmes. Ce sont
les archontes du même ordre que la magistrature à pourvoir
qui nomment, et, normalement, il n'y a pas de proposition
transmise aux fonctionnaires romains. L'un des éditeurs des
Papyrus Rylands, M. Victor Martin, avait déjà montré dans
son étude sur les Epistratèges, que ceux-ci ne tirent pas au
sort les titulaires des àpyai municipales, comme ceux des litur-
gies des bourgs. Le préfet lui-même ne devait intervenir qu'en
cas de réclamation ; l'investiture donnée par le stratège et symr
bolisée par le couronnement n'est qu'une formalité destinée,
sans doute, entres autres choses, à rappeler la surveillance
lointaine du pouvoir central, lequel au contraire est immédia-
tement saisi, par l'intermédiaire du stratège, s'il y a refus ou
conflit.
(1) Ulpien, Dig. 50, 4, 1. 9 ; Justinien, Inst. I, 24, 3, d'après Declareuil, iVoi/-
velle Revue historique de Droit, 1902, p. 564-565.
324 PIERHE JOUGUET
Ainsi c'était à bon droit que nous pouvions nous demander
si, dans les Métropoles égyptiennes, le mot k^y^f^ n'avait pas
conservé quelque chose de son sens plein. Cette autonomie
laissée aux communes grecques dans le choix de ceux qui les
administrent nous paraît un des traits qui les distinguent
essentiellement des bourgs égyptiens. Ici le choix des fonction-
naires ne va pas, sans doute, sans une approbation tacite, et,
à partir du in^ siècle, sans une garantie des habitants du bourg;
mais il est confié au moins normalement au comogrammate,
sous la haute surveillance des hauts fonctionnaires d'État
auxquels les propositions des comogrammates sont finalement
transmises. Sans doute le pouvoir central ne se désintéresse
pas tout à fait du choix des archontes : ceux-ci ne peuvent être
pris que dans la liste des àuo yupao-wtj, liste établie, sur
examen des titres (£ULxpt.(7(.;), par les fonctionnaires du pouvoir
central : stratège, scribe-royal, archivistes, réviseurs (sTrLxpaai),
secrétaires de la ville. Toutefois les droits à être inscrit sur
cette liste semblent être rigoureusement fixés par la naissance,
et les fonctionnaires n'ont qu'à les constater.
On doit enfin tirer une autre conclusion de nos textes. Il s'en
dégage l'impression très nette que, dès la fin du ii^ siècle, les
honneurs municipaux pesaient sur la population d'un poids
très lourd. Il en était de même de toutes les charges.
M. Wilcken, qui attribue aux Romains l'introduction en Egypte
du système des liturgies, en a fortement marqué les déplo-
rables conséquences (1). Elles se font sentir dans le nome comme
dans les Métropoles et probablement aussi dans les cités. Il faut
y insister, car, dans des articles qui ne sont pas très anciens,
M. Declareuil a manifesté une tendance à nier cette décadence
rapide des municipalités (2). Il y a certainement une grande part
de vérité dans la thèse du savant juriste : et, par certains côtés,
(1) Voir aussi II. I. Bell, The Byzantine servile stale in Egypt, dans Journal of
Egyptian Archaeology, vol. IV, part. 11-111, April-July, 1917.
(2) Declareuil, Nouvelle Revue historique de Droit, 1902, p. 233-267, 437-468 et
554-607.
SUR LES MÉTROPOLES ÉGYPTIENNES A LA FIN DU II" SIÈCLE 325
au lii" et môme au iv'' siècle, la vie municipale est encore très
active. En Egypte, même on peut dire que c'est surtout à partir
du ui® siècle qu'elle est pleinement développée. Mais activité
n'est pas synonyme de prospérité, et, si les villes ont à celte
date une vie administrative plus indépendante, il n'en est pas
moins vrai qu'en Egypte, comme probablement dans tout l'Em-
pire, elles s'appauvrirent vite par l'épuisement des fortunes
particulières. Il faudrait reprendre la question province par
province, avec les documents locaux, si c'est possible : ceux
dont disposait M. Declareuil sont surtout les textes des codes.
Pour ce qui est de l'Egypte, on peut dire que dès le ii*" siècle,
en un temps qui passe pour une ère de prospérité générale, la
plainte des contribuables et assujettis commence à se faire
entendre, et naturellement elle ne cesse pas pendant le m' siècle.
A l'égard des àpyai municipales, nous ne tiyerons pas argument
du refus d'Achilleus, auquel répond d'ailleurs, au ui' siècle,
celui d'Aurelios Hermophilos, du papyrus Rainer n° 20, et tant
d'autres. On aurait trop beau jeu de nous répondre que si,
comme Hermopbilos, Acbilleus se dérobe à la cosmétie, il est
prêt à accepter la charge d'exégète. Mais l'édit de Març-Aurèle,
cité et résumé par les cosmètes, nous paraît significatif, qui dis-
pose que toute candidature volontaire à l'exégétie entraînait la
désignation de trois candidats en surnombre : si c'était le can-
didat lui-même qui désignait les suppléants, cette mesure
montre qu'on devait craindre de sa part insuffisance ou déser-
tion ; si ce n'était pas aux candidats à fournir leurs suppléants,
on avait le double avantage d'avoir quatre exégètes possibles
au lieu d'un, et d'encourager les candidats volontaires, car les
charges, au moins les charges financières de la magistrature,
devaient se répartir entre tous les magistrats du même ordre,
et être d'autant plus légères qu'ils étaient plus nombreux.
L'édit de Marc-Aurèle s'appliquait-il à d'autres magistratures
qu'à l'exégétie? Ce n'est pas probable, d'après le contexte;
mais il est vraisemblable qu'il y avait aussi des suppléants
aux autres magistratures. Moins toutefois, en 192 à Hermou-
326 PIERRE JOUGUET
polis, que pour l'exégétie, et le grand nombre d'exégètes
eirlXo^XO!. qui est un argument contre Achilleus, était peut-
être, pour lui, la secrète raison qui le portait à préférer cette
charge.
C'est en grande partie au môme souci du pouvoir central et
des villes, qui voulaient assurer l'exercice des magistratures et
parer aux dangers de déficit, que l'on peut attribuer des institu-
tions comme celle du xolvôv des archontes, et, plus tard, celle des
^ouXaL Mais il n'en est pas moins vrai que ces nécessités fiscales
ont agi dans le sens des tendances profondes de l'Hellénisme.
Nous avons noté au début de cette étude l'originalité singulière
et presque paradoxale de ces Hellènes, qui ne sont pas des
citoyens, dans ces communes grecques, qui ne sont pas des
Tzoks.iç. On y trouvait pourtant une image de la vie et des
institutions des cités, et les termes même de la langue officielle
montrent l'inévitable et vivace souvenir de l'ancienne liberté
politique. La réforme de Septime Sévère, qui donna aux Métro-
poles des assemblées régulières, dut être considérée comme
un bienfait, de même que le célèbre édit de Caracalla qui
de tous les Grecs des Métropoles fit des citoyens, et même des
citoyens au titre le plus envié, des citoyens de Rome. Non que
nos Hellènes du nome aient été mis tout d'un coup au même
rang que ceux des cités; sous l'apparente uniformité de la civi-
tas romana^ les différences subsistèrent et tous les privilégiés
ne le furent pas également. Mais Ja distance sera tout de même
moins grande maintenant entre les Métropoles et les cités
grecques : elle ira, sans doute, s'affaiblissant. Cette transfor-
mation devait répondre aux vœux des populations comme aux
idées des juristes du temps qui, à l'égard des municipalités,
montrent, dans leurs écrits, des tendances de plus en plus
libérales.
Pierre Jouguet.
SUR LES MÉTROPOLES ÉGYPTIENNES A LA FIN DU II" SIÈCLE 327
APPENDICE
Avec les traductions et les citations données, le lecteur n'aura
pas de peine à suivre les discussions relatives à la colonne II du
papyrus Rylands 77. Il n'en est pas de même pour la première
colonne mutilée de ce texte, et l'on nous saura peut-être gré de la
reproduire ici :
Sapairtcovi Tt]) xac 'A7ro]X[X](ov((.jj uxp'xi^zr^yi^'j xo'j auxou vo[jio'j
]. [JLO'J YSvo{JL(évou) (Txpa(Tr(YO'j) oioù Nsaôuta-
voù 'Ep][jLa(ou Toù xal AtS'j[j.ou ^(zvoix^é'jo^j'j xoa|jir;x(o'j)
xrj<; Xa(JiTcpo]xâxY](; 7r6X(stoi;) xwv 'AX£^3cvo(piwv] cpavspov
5 ]Xa[[jL]6àvôiv è[iTjt [a] xoXr, xoT; apj^ouat
xou x(ï)]v àp^ovxcov XoYttTxr^ptou
xo]Tç x[o]a{xy)xaTi; [ji.r,S' e^ aùxo-j
].VXO.[.]. [6]TCr]p£XWV XO £X£-
pov ]£x.[.].ou Tipa^ôivxa xat
10 Kat](japo(; [x]où xupîou 'A6ùp 8
JxaXï)!; Tzpo'sot.^ci.-^ôv'zeç
]£va £T:£[JL<|;ax£ Tipoç t^^ol<;
]^(jat Ttepî xTjV 'Ap{j,£viav
]xa Ypà{Jt.[Ji.axoç 7rpoéYpa«]>a
15 ].£xat... otà xoùxo £v xf, cpuXa-
y.r^ ]rj(jo) ...atxat ôX^you àuexap-
]6fjvat XT]V XEtxoupYtav oià xouxo
x]"if)v [àjTraXXayr^v. 'lépa^ pr^xtop £T'jr(£v] *
Jxai (jliqSe xpocptov (jL£xaXaê£Tv
20 , à]8txo'j[i.£v Etç xTrjXtxa'jXTjV uêpiv
Jev TTEpiouaia: lxavr,v sxuyX'î'-
vev ]xr)a£v xt^j xa[ji£iqj xal 8tà xoùxo
].a£iv o7ov x' èax'.v xo iravxe-
Xa)<; ]iou<; aùx(ï) ôirap^tv £t(; xtjv
25 ].; (iiffX£ OUX OTÔV x' £<TXÎV
] uxtxi^v uêpiv à^toT
]....v àpyj^<; xal Aùpy^Xioc
ol StETTOvxeç XTJV xtï)]v ax[£] [jt.[JLàxa)v Sioixrjatv
eTitov • T:poaTC£7roi]"ifixat aTzopo^ eTvat, oioxe
328 PIERRE JOUGUET
Col. II
30 §'jva<T[6at ajo-ô;; [Ji£v à7raXXa)(_6at s[x£po'j]^ Ss àvx' auxoù 8o6'^v[at.]
"ApTuxXoç sTufev) * làv 6|i.s[Tv] Soxri, xeXs'juaire o sSwxa Ixavov
àv£6f;vat xat Tà(; xXeTSaç toù otxyjfia-
31 xtou à7r[o]§[o]6^vat * ot 8t£iT0v[T£(; ttjv tJwv ax£(Ji|jLaT:a>v [Siotxirjîtjv
eTtcov • xai To txa[vov àv£0]r^a£xai xat xà; x[X£"i8ai; à7r]oXrj(x<|;£f
£^7iX[6£ ...]ac OTrr^pÉxY,*;, [ew]; xouxou xo àvxtYpa(cpov).
32 (à'xou;) X6 jJL['rj(voc) 'Ejirelcp xO. EppwaGat ujjL(5t;) £u^(o|jiai), cpJtTvxaxot.
Les éditeurs proposent I. 13. ExSYHJijYJaat. — L. 16. à7r£xap|[7:a)aaxo
ou à7r£X£p|[8av£ et 1. 22. u7r/]pé]xT((T£v. Ils notent 1. 21, au dessus de
iv, des traces dans l'interligne.
Ajoutons que 1. 32 nous avons supposé £Ù/(o{jL£6a). En conséquence
1. 14 7rpo£Ypa4'ai[[J.£v est possible. — L. 24 iropou; £7riXTf]8£](o'j; aùxt}) 6iiâp-
leiv? — L. 27 on pourrait lire ^^àpit]^ en supposant un nom propre ou
un titre. Mais toute tentative de restitution paraît oiseuse.
P. J.
BULLETIN ARCHÉOLOGIQUE
PUBLICATIONS DEPOUILLEES PAR M. W. DEONNA
Jahrbuch, XXX, 1915, n" 4; XXXI, 1916, nos i_2.
Arch. Aîizeiger, ibid.
Neiie Jahrhilcher fur das Idassische Aller lum, XXXVII-XXXVIII, 1916.
Glolta, VII, 1916, nos 2, 3, 4; VIll, 1916, nO'* 1, 2.
Sitzungsber. d. k. Preuss. Akad. d. Wiss., 1916.
Hermès, LI, 1916, n°^ 1-4.
Philolof/us, LXXVJl, 1916, no^ 1, 4.
Hheinisches Muséum f. Philologie, LXXl, 1916, n"'^l,2.
Wochenschrift f. klass. Philologie, 1916.
Berliner Philologische Wochenschrift, 1916.
/iCZio, Beitràge zur Allen Geschichte, XIV, 1915, n» 4.
Jahreshefle d. k. k. Oesterreich. Inslituls in Wien, XVII, 1914, no 1, 2.
Romisch-germanisches Korrespondenzblall, 1914, 1915, 1916.
Travaux de la section numismatique et archéologique du Musée national de
Transylvanie à Kolozsvar, Hongrie, VI, 1915, n"» 1-2; VII, 1916, n» 1.
Gbttingische Gelehrte Anzeigen, 1916.
Etc.
On trouvera une copieuse bibliographie des récents travaux concernant l'anti-
quité dans :
Bursian-Kôrte, Jahresbericht iiber die Fortschritle d. klass. Altertums, Biblio-
theca Philologica classica, XLII, 1915, Antiquitales, p. 133, 233; Archaeologia,
p. 156, 243.
Jahrbuch d. k. deulschen arch. Instituts, XXXI, 1916, Bibliographie fur das Jahr
1915 (paraît en un fascicule indépendant).
Signalons aussi les dépouillements, accessibles au public français, de VAme-
rican Journal of archaeology, 1916, I, p. 95 sq. (pour 1915), où sont analysés
les principaux travaux allemands. La Revue des Revues {Revue de Philologie),
1915, n» 4, mentionne les publications allemandes jusqu'au début de la guerre,
en 1914.
REG, XXX, 1917, n» 139. 23
330 W. DEON N A
I. Fouilles, topographie, musées.
Grèce. — Fidèle à son habitude, VArch. Anzeiger, donne un
exposé très complet des découvertes en Grèce pendant l'année
1914, dû à la plume de M. G. Karo (1). Ce sont principale-
ment, pour la Grèce continentale, les recherches faites à l'Odéon
de Périclès, à Athènes (2); au temple d'Athèna Nikè (3); à
ceux du Sounion et du Ptoion (3) ; au sanctuaire d'Artémis de
Salamine (4); à Erétrie, où l'on a découvert un petit temple
consacré aux dieux égyptiens (5); à Dèmètrias, avec le temple
de Pasikrata (6) ; à Dimini, qui a livré une tombe mycénienne
à coupole (7) ; à Pella; à SaJonique ; à Pylos (8), dont un frag-
ment de vase montre un navire orné d'un poisson à la proue,
comme ceux des vases de Syra (9 ; à Céphalonie (10); à Ther-
mon, oiiTon a déblayé le sanctuaire et la ville préhistorique (11);
àCythère (12).
En Crète, ce sont les découvertes de Platmos, près de Gor-
tyne (tombe à coupole); de Gurnès, près de Cnossos (13), avec
sa nécropole. Dans les îles, des travaux ont été effectués à
Paros, dont l'acropole a livré des documents préhistoriques (14).
Dans l'île de Chios, on a déblayé un temple des vi^-v* siècles ; à
(1) Arch. Anzeiger, XXX, 1915, p. 177-270.
(2) Fouilles de Kastriotis, Eph. arch., 1914, p. 143 sq.; Praktika, 1914, p. 81;
cf. Rev. Et. grecques, 1916, p. 73.
(3) Ibid., p. 81, travaux d'Orlandos.
(4) Ibid., p. 182; Orlandos a reconstitué le plan et Télévation du temple.
(5) Ibid., p. 181.
(6) Ibid., p. 177, Arvanitopoulos.
(7) Ibid., p. 188.
(8) Cf. Rev. Et. grecques, 1916, p. 69.
(9) Ibid., p. 199, tombe à coupole (Kourouniotis).
(10) Ibid., p. 191.
(H) Ibid., p. 192, Rhomaios; cf. Rev. Et. grecques, 1916, p. 86.
(12) Ibid., p. 196, Stais, tombes mycéniennes.
(13) Ibid., p. 197.
(14) Arch. Anzeiger, XXXI, 1916, p. 84-6, Rubensohn, communication à la Soc.
archéol. de Berlin, février 1916 (en particulier, céramique égéenne et mycé-
nienne).
BULLETIN ARCHÉOLOGIQUE 331
Phanai, un sanctuaire d'Apollon, dont l'origine est fort
ancienne ; à Pyrgi, des fragments d'un petit édifice archaïque
qui rappellent le style des trésors de Delphes et promettent
une fouille fructueuse. Sur la côte lycienne, Gastellorizo a
livré divers objets, entre autre une belle couronne en or (1).
Des travaux de restauration ont été entrepris aux Propylées,
au Parthénon, au monument d'Agrippa, par Balanos (2) ; à la
tombe à coupole d'Orchomène, par Orlandos (3). On a réorga-
nisé plusieurs musées, entre autres ceux de l'Acropole (4) et
d'Olympie, ainsi que le champ de fouilles de cette dernière
localité (5).
M. Karo passe ensuite en revue l'activité des Instituts étran-
gers établis à Athènes. Les Allemands ont travaillé à Tirynthe,
où l'on a trouvé divers objets d'or, des restes de maisons mycé-
niennes, de la céramique, et un temple des vii'-vi^ siècles (6);
à Corfou, au Dipylon, à Olympie (7). Les Américains ont pour-
suivi leurs recherches à Gorinthe (8), et les Autrichiens les
leurs à Élis (9). Ce sont les fouilles françaises de Delphes (10),
de Délos, de ïhasos (11), de Philippe, de Dion; les fouilles
anglaises en Crète, dans la vallée de Psychro (12), et celles des
Italiens, à Gortyne et Haghia Triada (13).
Topographie athénienne. — M. Fr. Groh (14) cherche à élu-
cider quelques points de la topographie athénienne : I, to [xéya-
(1) Ibid., XXX, 191S, p. 202.
(2) Ibid., p. 203.
(3) Ihid., p. 204.
(4) Ibid., p. 206-9.
(5) Ibid., p. 209 ; Berliner philol. Wochenschrift, 1916, n» 22, p. 704.
(6) Ibid., p. 209; Berlin. Philol. Wochenschrift, 1916, n» 7, p. 224 ; n» 8, p. 258.
(7) Ci-dessus, note 7. -
(8) Ibid., p. 211.
(9) Ibid., p. 211.
(10) Cf. Rev. Et. grecques, 1916, p. 71.
(11) iôirf., p. 214-5.
(12)/6irf., p. 216.
(13) Ibid., p. 216-7.
(14) Groh, Listy Filologické, XXXI, 1914, p. 1-16.
332 W. DEONNA
poy To T.poç, £T7:£pY)v TîTpa!j.u£vov (llérodote, V, 77), qui est Tan-
cien Kreclitheion ; II, TÉÔpiTi-ov -/Jf-lxtov, le quadrige consacré
en souvenir de la victoire remportée sur les Chalcidiens et les
Béotiens, après les guerres médiques, qui s'élevait devant les
Propylées, sans doute à la place qu'occupe actuellement le
monument d'Agrippa (1).
Aihéna Skyras. — L'Athéna Skyras possédait un temple au
Phalère (Athènes) et à Salamine. M. A. Putgers van der Loeff
lui consacre une courte étude (2).
Bulgarie. — M. B. Filow (3) résume les découvertes faites en
1914, en Bulgarie. On notera les fouilles néolithiques de Kod-
jadermen, qui, entre autres objets, ont donné le modèle en
terre d'une maison néolithique, de plan rectangulaire et avec
toit à double rampant (4); une statuette en bronze d'Aphrodite
Anadyomène provenant de Ratiaria (5), etc. Le Bulletin de la
Société archéologique bulgare publie, lui aussi, un exposé des
travaux récents (6).
Roumanie, — Le compte rendu des travaux roumains est dû
à M. V. Pârvan (7), qui décrit les fouilles d'Ulmetum (camp
romain) (8) et d'Histria (Istriopolis) (9).
Autriche-Hongrie. — Le rapport de M. Egger est consacré
aux découvertes faites en Norique (10), à Virunum (Zollfeld), où
(1) Sur ce monument, ci-dessus, p. 331.
(2) De Athena Scirade, Mnemosyne, XLIV, 2, p. 10M12.
(3) Arch. Anzeirjer, XXX, 1915, p. 218-236.
(4) Ihid., p. 218.
(5) Ibid., p. 231, fig. H.
(6) IV, 1914; cf. Berlin, philol. Wochenschrift, 1916, n^ 52, p. 1623 sq.
(7) Arch. Anzeiger, XXX, 1916, p. 236-270.
(8) P. 235 sq.
(9) P. 253 sq.
(10) Jahreshefle d. k. k. oesterr. arch. Inslituls in Wien, XVII, 1914, n» 2, Bei-
blatt, p. 5 sq.
BULLETIN ARCHÉOLOGIQUE 333
l'on a déblayé entre autres un temple de Dolichenus (1);
celui de M. Michael Abramic, aux fouilles de Pettau (2), et à
divers reliefs des Cabires (3) ; celui de M. A. Gnirs, aux fouilles
de Pola et des environs (4), et l'on doit au môme auteur un
guide des monuments et des collections antiques de Pola (o);
celui de M. A. Schober, au cimetière romain d'Au, au Leitha-
berg (6). Le Musée national bongrois de Koloszvar publie dans
son organe les trouvailles romaines de Transylvanie (7).
On mentionne encore les publications d'antiquités con-
servées dans divers Musées, ceux de Budapest (8), Debreczen (9),
Gyôr (10), Komàron (11), etc., et le récent fascicule de l'ou-
vrage consacré au Limes autrichien (12).
Allemagne. — Les découvertes et publications d'objets rela-
tifs à l'antiquité romaine sont consignées dans le Rômlsch-ger-
manisches Korrespondenzblatl, VII-IX, 1914-1916 (13), et dans
l'ouvrage du Limes allemand : Der obergermanisch-raetische
(1) Ibid., p. 45, no 4.
(2) Ibid., p. 87 sq.
(3) Ihid., p. 95, 144.
(4) Ibid., p. 161 sq.
(5) Gnirs, Pola, Ein Fiihrer durcli die anliken Bauderikmaler und Sammlungen,
Vienne, 1915.
(6) Ibid., p. 203 sq.
(7) Travaux de la section numismatique et archéologique du Musée national de
Transylvanie à Koloszvar, Hongrie, VI, 1915 ; VII, 1916,
(8) Acquisitions du Musée de Budapest en 1914, Arch. Anzeiger, XXXI, 1916,
p. 71-2; Hekler, Antike Terrakotten im Kunsthistorischen Muséum zu Budapest,
Mûvészet, 1915, p. 83-7. Sur des sculptures de Budapest, ci-dessous, p. 341, 343.
(9) Zoltai, Das Muséum der Stadt Debreczen, Arch. Ertesitô, 1915, p. 115 sq.
(10) Das Muséum d. Gymnasiums zu GyÔr und die Schmuckfunde aus der Umge-
bung, Numizmat. KozlÔny, 1915, p. 97 sq.
(11) Alapi, Die rômischen Altertumer des Muséums in Komàron, Arch. Ertesitô,
1915, p. 336 sq.
(12) Der rômische Limes in Oesterreich, Xll, 1914, Vienne et Leipzig; cf. Woch.
klass. Philol., 1916, n» 40, p. 946.
(13) Pour l'année 1914, VII, n» 1-3, cf. Rev. des Revues (Rev. de Philologie),
XXXIX, 1915, p. 48 sq. Signalons entre autres : Lehner, Der Legatenpalast von
Vetera, VIII, 1915, p. 38 sq. ; lleinecke, sur une métairie romaine à Burgweiting,
près de Ratisbonne, IX, 1916, 4; et quelques adjonctions apportées par Forrer,
IX, 1916, n''4, à son ouvrage sur le mithraeum de Kônigshofen (cf. l'analyse de ce
volume dans la Rev. de l'Hist. des rel., 1916, lxxiv, p. 88 sq.).
334 W. DEONNA
Limes des Rômerreiches (1). Plusieurs travaux concernent les
acquisitions récentes des Musées et la description de leurs tré-
sors (2).
France. — Mentionnons sur l'histoire de Marseille, qui a
donné lieu à divers travaux français (3), le mémoire de M. Ra-
dermacher (4).
Suisse. — Les publications suisses intéressant l'antiquité
sont citées dans le rapport très complet de la Société suisse de
préhistoire (5), et dans la bibliographie de V Indicateur d'histoire
suisse. M. 0. Waser décrit les principaux monuments que
possède la collection archéologique de Zurich (6), parmi les-
quels on remarque surtout le fronton d'un édicule funéraire
grec, déjà publié antérieurement (7).
(1) Cf. n» XL, Fabricius, Der Lhnes vom Rhein bis zur Lahn, 1915 ; cf. Berliner
philoL Woch., 1916, n» 39, p. 1211; n" XLH, 27, Kastell iind Erdlager von Hed-
derîiheim{G. Wolff) ; 27 a, Kastell Frankfurt a. M. (id.), 1915; cf. Berlin, phil.
Woch., 1916, n» 49, p. 1531 ; n» XLI, Fabricius, Das Kastell Seligensladt, etc.
(2) Acquisitions du Musée de Munich, A7xh. Anzeiqei\ XXXI, 1916, p. 58-71 ;
Winnefeld, Aus der Sammlung antiker Bildvjerke, Amtl. Mitt. kgl. Kunstsamml.,
37, p. 40-1, Berlin; Mitt. d. stiidtl. Kunstgewerhesmuseam zu Leipzig, 1915, n" 6,
p. 60 ; Bericht ilber die Vermehrung d. Samml. d. AUertumsmUseums d. Stadt
Mainz, 1914-5, Mainz. Zeitschrift, 10, p. 74 sq. ; Die in den Jahren i91i und 1915
gefundenen rdmischen Inschriften und Bildwerke im Aller tumsmuseum d. Stadt
Mainz, ibid., 10, p. 112 sq. ; Einige rômische Grabdenkmàler die aus Mainz stam-
men oder im Allertumsmuseum dass elhst aufbewahrt iverden, ibid., p. 108 sq. ;
Jahresbericht d.romisch-germanisches Central-Muséum zu Mainz, f. 1914-5, ibid.,
p. 69 sq. ; Bericht ilber die Tâtigkeit d. Landesmuseums nassauischer AlterlUmer
in 1903-4, Nass. ^;m. 43, p. 374 sq.; B. Schrôder, Griechische Originale im
Allen Muséum zu Berlin, Kunst und Kûnstler, 13, p. 77-82.
(3) Vasseur, L'origine de Marseille, Annales du Musée d'Hisl. nat. de Marseille,
XIIÏ, 1914; Blanchet, le commerce de Marseille dans la Gaule et le sud de l'Italie,
Revue belge de numismatique, 1913, 3; Héron de Villefosse, Comptes rendus Acad.
Inscr. et Belles-Lettres, 1916, p. 132 sq. (relations commerciales de Marseille avec
la Sicile) ; S. Reinach, Gaz. d. Beaux-Arts, 1914, XI (Courrier de l'art antique).
(4) Radermacher, Die Grûndung von Marseille, Rheinisches Muséum, 71, 1,
1916, p. 1-16.
{^) Achter Jahresbericht der schweiz. Gesellschaft fur Urgeschichte, 1915.
Zurich, 1916.
(6) 0. Waser, Von der archaeologischen Sammlung, Neue ZUrcher Zeitung,
19-20 mai 1916. ' . '
(7) Cf. Blûmner, Fûhrer durch die archeolog. Sammlung d. Universitât Zurich,
1914; CoUignon, Les Statues funéraires, p. 108-9, fig. 56.
BULLETIN ARCHÉOLOGIQUE 335
Amérique. — h'Ai^ch. Anzeiger énumère les dernières acqui-
sitions du musée de Boston (1).
II. Architecture.
On trouvera, dans la section précédente (I, Fouilles^ etc.)
divers renseignements sur les constructions grecques, publi-
ques ou privées.
Maisons. — On a déjà signalé le modèle en terre cuite d'une
maison néolithique de Kodjadermen (2). M. Mielke étudie les
habitations circulaires représentées sur la colonne de Marc-
Aurèle à Rome (3); M. R. Forrer, les huttes primitives des
Vosges, des temps les plus anciens jusqu'à l'époque romaine (4).
Constructions rupestres. — M. Brandenburg poursuit ses
recherches sur les architectures rupestres du bassin méditer-
ranéen (5).
Parthénon. — Je signale, sans avoir pu en prendre connais-
sance, un article de M. Sitte sur une représentation oubliée du
Parthénon (6).
Mausolée d'Halicarnasse. — La reconstitution du Mausolée
d'Halicarnasse a fait l'objet d'une communication à la Société
archéologique de Berlin ; ce travail de M. Kriiger sera prochai-
nement publié dans le Jahrbuch (7).
(1) Arch. Anzeiger, XXXI, 1916, p. 72 sq.
(2) Cf. p. 332.
(3) Mielke, Die angeblich germanischen Rundbauten an der Markussâule in Rom,
Zeitschr. f. Ethn., 47, p. 75-91.
(4) Forrer, Primitive Vogesenhiltlen aus aeltester und neuerer Zeit, Zeitschr.
f. Geschichte, Sprache und Litteratur Elsass-Lothringens, XXXI, 1915, p. 1 sq.
(5) Brandenburg, Ueber Felsarchitektur im Mittelmeergebiet, Mitt. Vorderas.
GeselL, XIX, 1914, n^ 2, ' ^
(6) Sitte, Ein vergessenes Parlhenonbild, Jahrbuch Kunsthist. Sammlungen^
32, 5.
(7) Avril 1916; cf. Arch. Anzeiger, XXXI, 1916, p. 88.
336 W. DEONNA
La Thalamegos de Ptolémée IV. — Athénée, s'inspirant de
Kallixénos de Rhodes, décrit [Deipnos., V, 204 sq.) minutieu-
sement le navire d'apparat qu'avait fait construire Ptolémée
Philopator. Destiné à la navigation de plaisance sur le Nil, il
comprenait diverses constructions, des salles à manger et des
chambres d'habitation. M. F. Gaspari, à l'aide de ce texte, et
par la comparaison avec les monuments figurés, s'efforce de
reconstituer l'aspect de cette villa flottante, et ses dispositions
architecturales. La largeur du navire était de 80 m. environ, et
la hauteur des deux étages de pièces, de 16 m. Partout,
c'étaient des colonnades, comme on les voit sur les architec-
tures peintes de Pompéi. Toutefois, les éléments égyptiens s'al-
liaient aux éléments grecs, et l'ensemble se rattachait directe-
ment aux vieilles barques à grandes cabines que l'on aperçoit
sur les reliefs et sur les peintures de l'Egypte antique (1).
Phares. — Hennig a prétendu (2) que les tours à signaux
ignés sont d'invention romaine, que le premier phare véritable
fut celui d'Ostie, élevé en 42 de notre ère, alors que le phare
d'Alexandrie n'était qu'une exception. M. Thiersch, auquel est
dû le bel ouvrage sur le phare d'Alexandrie (3), s'inscrit en
faux contre cette assertion; il montre, en s'aidant des textes
et des monuments, que l'usage des tours à signaux de feu
était connu des Grecs, nécessité par les navigations noctur-
nes (4).
Mithraeum de Kônigshofen. — M. R. Forrer apporte quel-
(1) F. Gaspari, Bas Nilschi/f Ptolemaios IV, Jahrbuch, XXXI, 1916, p. 1-74.
(2) Hennig, Beitràge zur aelteren Geschichte der Leuchttuvmer, Verein deulscher
lîigeniewe, Jahrbuch (Berlin). Sur le même sujet, cf. aussi Buchwald,
Leuchtfeuer im Altertum, Weltverkehr und Weltwirtftchaft, 1912, p. 78-84.
(3) Pharos, 1909 ; cf. Lemuens, Phares, minarets, clochers de mosquées, Rev.
des quest. historiques, 1911-2, p. 5 sq. ; cf. Rev. hist. des rel., 1911, 66, p. 357,
référ. ; sur le phare d'Ostie, Cagnat-Chapot, Manuel d'archéol. romaine, t. I, 1917,
p. S4, fig. 25.
(4) Thiersch, Griechische Leuchtfeuer, Jahrbuch, 1915, XXX, p. 213-237 ; sur les
navigations de nuit, p. 231 sq.
BULLETIN ARCHÉOLOGIQUE 337
ques adjonctions à son ouvrage sur le nouveau milhraeum
découvert à Konigshofen près de Strasbourg (1).
Ciment. — Quelques notes philologiques et archéologiques
de M. Hcsselmayer sur le ciment (2).
III. Sculpture.
Art Cretois et mycénien. — C'est un petit Corpus des reliefs
Cretois et mycéniens que dresse M. K. Millier; il en étudie les
sujets, en détermine le style et la chronologie. On voit repa-
raître des monuments bien connus; en Crète, les vases
d'Haghia ïriada, ornés de guerriers, de lutteurs et de scènes
de tauromachie (p. 244, n° 1, p. 247, n° 2), le vase aux mois-
sonneurs (p. 251, n° 3), dont l'auteur discute à nouveau le
sens incertain, divers fragments (p. 259, n° 5), les reliefs de
stuc et de faïence (p. 266, n° 6) ; dans la Grèce continentale,
(p. 284), les stèles de Mycènes (p. 286 sq.), les reliefs et vases
en or et en argent (p. 294 sq.), et les gobelets de Yaphio
(p. 325, n° 14), reproduits en de bonnes planches (3).
M. Schuchhardt discerne des influences seplentrionales sur
l'ornementation mycénienne (4), et M. Fischer se demande
quelle est l'origine des Cretois (5).
« Apollons f) archaïques. — L'ouvrage que j'ai consacré
en 1909 au type masculin de la statuaire archaïque au
(1) Ci-dessus, p. 333, note 13.
(2) Hesselmayer, Caementum^ cementiim, zement, Korrespondenzblatt d. hôhe-
ren Schulen Wurtembergs, 23, 5-6, p. 175-80.
(3) Millier, FrUhmykenische Reliefs ans Kreta und vom griechisclien Festland,
Jafirbuch, 1915, XXX, p. 242-336.
(4) Schuchhardt, Nordischer Einfluss im Mykenischen. Die Geschichte eines
Ornamentsmolivs, Jahrb. preuss. Kunstsamml., 37, p. 155-173.
(5) Fischer, Wer waren die minoischen Kreter, Anthropos, IX, 5-6, p. 774-80;
Korrbl. Ges. Anthr. 1916, n» 5-9.
338 W. DEONNA
vi^ siècle (1), nécessiterait déjà de sérieuses adjonctions (2).
Les fouilles françaises de Thasos ont mis au jour une statue
(1) Les Apollons archaïques. Étude su?' le type masculin de la statuaire grecque
au vi^ siècle avant notre ère., Genève, 1909.
(2) J'en ai déjà donné quelques-unes dans la Rev. archéol.i 1911, II, p. 42 sq.
Citons encore les monuments suivants :
Thasos, fragment de tête, provenant du temple de TAcropole, Comptes rendus
Acad. Inscr. et Belles Lettres, 1912, p. 207-8, fig.
Thasos, tête de Kouros, collection Ghristidès, Monuments Piot, 1913, p. 41,
fig. 7, p. 66.
Chypre, tête du Musée de Nicosia, début du V siècle, Markidès, A marhle
head from Cypriis, Journal of hellenic Studies, 1913, pi. I, p. 48 sq. ; Rev. Et.
grecques, 1914, p. 292-3.
Munich, Kouros de la fin du vi^ siècle, Athenaeum, 1910, 8 oct. ; n» 4328,
p. 428 ; Woch. klass. Philol., 1910, p. r323 ; Wolters, dans Brunn-Bruckmann,
pi. 661-2, fig. 1-3 ; Rev. Et. grecques, 1914, p. 2S9 ;' Arch. Anzeiger, 1912,
p. 114, no 1, fig. 1.
Céphalonie, torse du Musée de Neuchàtel, Rev. arch., 1911, II, p. 39 sq.
Figurines de bronze, Macchioro, Contributo alla storia délia religione paleoita-
lica, Ausonia, IV, 1900, I, p. 3 sq. ; Hoernes, Urgeschichte, p. 437, etc.
Divers détails dans : Praschniker, Dronzene Spiegelstiltze im Wiener ho fmuseiim,
Jahreshefte d. k. k. oeslerr. Instituts in Wien, 1913, p. 219 ; Picard, Une Giganto-
machie antique de Corcyre, Rev. arch., 1911, II, p. 87 sq. ; Loewy, Typenwande-
rung, Jahreshefte, 1910, XIl, p. 271 sq. ; Deonna, Origine égyptienne du type
masculin dans la statuaire grecque au vi^ siècle avant notre ère, Festgabe f. 0.
Blilmner, 1914, etc.
Voici encore quelques références complémentaires pour lesKouroi déjà publiés
(les nos sont ceux de mon catalogue) : Rev. arch., 1911, II, p. 43-4.
Athènes n° 3. Deonna, Comment les procédés d'expression inconscients se
sont transformés en procédés conscients dans Vart grec, 1910, p. .^8, fig. 12.
Volomandra, n» 3. Ibid., p. 12, fig. i-2 ; Journal des Savants, 1910, p. 17, pi. II.
Sunium, n" 7. Journal of hellenic Studies, 1908, p. 320; Journal des Savants,
1910, p. 17, pi. I; Comment... p. 42, fig. 3-4; Deonna, La représentation du corps
masculin dans la statuaire archaïque de la Grèce au vi° siècle avant notre ère,
Bulletin de Vbistitut national genevois, 1909, p. 297, fig. 11, p. 299, fig. 12. Sur
les récentes fouilles au temple de Sunion, cf. ci-dessus, I. Fouilles.
Dionyso, n" 18. Rev. Et. grecques, 1909, p. 283, note 1 ; Ausonia, Varielà,
1909, p. 19 ; Saglio-Pottier, s. v. Sculptura, p. 1139, note 6.
Orchomène, n° 26. La représentation... p. 300, fig. 13.
Ptoion, no 28 sq. Sur les récentes fouilles du Ptoion, cf. ci-dessus. Fouilles.
Ptoion, no 28. La représentation... p. 291» fig. 6 ; p. 296, fig. 10.
Ptoion no 30. Ibid., p. 302, fig. 15, p. 306, fig. 17; Comment les procédés, p. 54,
fig. 8-9; Journal des Savants, 1910, p. 17, pi. II.
Ptoion, no 31. La représentation... p. 304, fig. 16.
Ptoion, n» 31. Comment les procédés, p. 56, fig. 10.
Delphes, n^ 63-6. Pottier, Le problème de l'art dorien, p. 37, fig. 24 ; Rev.
arch., 1911, II, p 43 ; Bourguet, Les ruines de Delphes, 1914, p. 94-5, fig. 29, 30,
p. 342; Fouilles de Delphes, IV, p. 3 sq. ; La représentation, p. 301, fig. 14.
BULLETIN ARCHÉOLOGIQUE 339
colossale, ébauchée, dont les bras repliés sur la poitrine tien-
nent un bélier (1) ; le Musée de Boston vient d'acquérir une
statuette de kouros, de 0,75 de haut, qui sera publiée dans les
Monuments Piot (2) ; au Dipylon, les archéologues allemands
ont découvert une tête en marbre de Naxos, de style attique,
provenant sans doute d'une statue funéraire de ce type (3) ;
dans sa dissertation sur les sculptures archaïques de Paros (4),
Delphes, n» 67. Fouilles de Delphes, IV, p. 56, n» 24.
Delphes, n» 69. Ibid., p. 54, n° 23.
Delphes, n» 70. Ibid., p. 58. n» 25.
Delphes, divers (n« 65-72). Ibid., p. 57, 60, no 27-9.
Périnthe, n» 78. La représentation, p. 292, flg. 7.
Phigalie, n" 79. Le torse, vu par Frazer en 1890 à Pavlitza, a été retrouvé ; il
porte une inscription (cf. la liste des Kouroi avec inscriptions, mon volume,
p. 13, note l). Ce serait la statue d'Arrachion, mentionnée par Pausanias [ibid.,
p. 13, note 4). Frazer, Pausanias, HT, 40, IV, 391 ; Wochensehrift f. klass. PhiL,
1909, p. 653 ; Walter Woodburn Hyde, The oldest dated victor statue, American
Journal of arch., 1914, p. 156 sq.
Tenea, n» 80. Pottier, op. L, p. 27, fig. 12 ;
De7o5,no83. Mon. Piot, XIX, 1913, p. 18, fig. 11.
Milo,no 114. Rev. arch., 1908, I, p. 168; La représentation, p. 293, fig. 8.
Paros, n» 122. Actuellement au Louvre. Rev. arch., 1911, II, p. 44, référ. ;
Mon. Piot. XIX, 1911, p. 179, et note 4.
Thasos, no 127. Rev. arch., 1911, II, p. 44, référ.; Monuments Piot, XIX, 1913,
p. 62, ^^'yComples rendus Acad. Inscr., 1912, p. 207, note 4.
Thasos, n» 128. Rev. arch., 1911, II, p. 44 référ. ; Journal des Savants, 1910,
p. 7, note l ; Amer. Journal of arch., 1909, p. 99 ; Rev. Et. grecques, 1909, p. 283,
note 1; Monuments Piot, 1913, p. 41, 62, 65.
Théra, n<» 129. La représentation., p. 295, fig. 9; Saglio-Pottier, 5. v. Sculptura,
p. 1142, fig. 6237.
Milet, n» 134. Pottier, op. L, p. 43, fig. 19.
Rhodes, n» 135. La représentation, p. 287, fig. 2-3.
Chypre, n» 140. Comment les procédés.., p. 52, fig. 7; La représentation...
p.285, fig. 1.
Naucratis, n» 144 sq. American Journal of arch., 1893, p. 184; Rev. arch.,
1894, II, p. 96; La représentation, .. p. 289, fig. 4-5.
Rerlin, n" 159. Ath. Mitt., XIII, p. 404, note 3, Graef.
Bronze d'Amyclées, p. 269, n» 78. Praschniker, Wiener jahreshef te, 1913, p. 219 ;
Rev. Et. grecques, 1914, p. 317.
Bronze de Delphes, p. 271, n^ 87. Bourguet, Les ruines de Delphes, 1914, p. 34,
fig. 7.
(1) Arch. Anzeiger, 1915, p. 214-5.
(2) Ibid., XXVI, 1916, p. 76.
(3) Dragendorfif, Arch. Anzeiger, XXXI, 1916, p, 88.
(4) Sur l'école de Paros, cf. le précédent Bulletin, 1916, p. 336.
340 W. DEONNA
M. G. Rosch étudie à nouveau les kouroi de cette prove-
nance (1).
Déesse trônant. — M. S. Reinach a brièvement raconté, dans
la Revue archéologique (2), la curieuse odyssée d'une statue
archaïque qui, connue de quelques savants dès 1912, exposée
à Paris chez un antiquaire munichois, séquestrée au début de
la guerre comme propriété d'un Autrichien, réclamée par un
antiquaire italien, est parvenue par la Suisse à Berlin, où elle
a été acquise en 1915 par souscription pour le Musée de cette
ville. M. Wiegand publie cette œuvre en marbre de Paros,
destinée à reprendre une place importante dans Thistoire de
la statuaire grecque. La déesse, quel que soit le nom qu'on
lui donne (Aphrodite, Perséphoné ?), est assise sur un trône,
les pieds reposant sur un tabouret ; la main gauche tenait
une coupe; la droite, une tige de pavot, un épi, ou une
grenade ; elle est coiffée et vêtue à la mode du vi' siècle,
qu'ont popularisée les korés de l'Acropole, aux plus récentes
desquelles elle est étroitement apparentée. Trouvée sans doute,
mais ce n'est pas certain, dans l'Italie méridionale, elle est
l'œuvre d'un artiste originaire d'une des colonies grecques de
cette contrée, ou bien d'un artiste de l'Ionie dont elle porte le
style (Wiegand), ou encore, suivant M. S. Reinach, d'un sculp-
teur athénien émigré. Les caractères du style permettent de
la dater de 480 environ (3).
M. Bode (4) ajoute quelques détails sur le voyage de cette
statue d'un pays belligérant à l'autre. Son acquisition, dit-il,
était négociée par le Louvre de compte à demi avec le British
Muséum ; les deux Musées auraient dû l'exposer successive-
(1) Rôsch, Altertumliche Marmorwerke von Paros, Diss. Kiel, 1914 ; cf. l'ana-
lyse de M. 0. Waser, Deutsche LUeraturzeitung, 1916, n» 51, p. 2014 sq.
(2) Rev. arch., 1916, II, p. 180-3, fig. 1.
(3) Wiegand, Archàische thronende GÔttin, Amtliche Berichte ans den kgl.
Kunstsammlungen, XXXVII, n» 8, 1916, p. 153-16, fig. 75 ; id., Archàische thro-
nende GÔtlin im Allen Muséum zu Berlin, Antike Denkmàler, 1916-7, pi. 34-44,
p. 45-52, fig. 1-7.
(4) Bode, ILluslrierle leilung, 1918, n° 3897, 7 mars, fig.
BULLETIN AHCUÉOLOfllQUE 341
ment! Son possesseur munichois ne serait parvenu qu'aux prix
des plus grandes peines à la retirer du Louvre.
Quelles que soient les tractations qui aient eu lieu, il faut
regretter que Ton ait manqué Toccasion d'enrichir le Louvre
d'un chef d'œuvre de Tart grec archaï(|ue, et ([ue la ruse alle-
mande ait triomphé de Texcès de scrupule français.
Torse de Daphni. — Le torse masculin trouvé à Daphni et
conservé au Musée national d'Athènes a été publié, il y a déjà
longtemps, par M. Richardson (1). Dans une communication
présentée à la Société archéologique de Berlin, M. Neugebauer
insiste sur l'importance de cette sculpture, qu'il croit de style
éginétique, alors que M. Lechat l'attribue au courant attico-
ionien (2), et il cherche à en déterminer le sujet : affaissé sur
le genou gauclie, le combattant se tournait vers son adver-
saire (3).
Torse de Budapest. — Le Musée de Budapest possède un torse
masculin qui a été acquis à Paris, et qui provient de Sainte-
Golombe-lès-Vienne, en France. C'est celui d'un athlète se
livrant à une action violente, le corps légèrement courbé en
avant, les deux bras tendus et abaissés vers le sol ; divers
athlètes ont même attitude, sur des peintures de vases, et dans
des monuments de la statuaire, par exemple dans une sta-
tuette du Metropolitan Muséum à New-York. Cette sculpture
date de la première moitié du v^ siècle, et se rattache à la ten-
dance éprise de vie et de mouvement qu'ont illustrée Myron et
Pythagoras. Toutefois son style ne permet pas de l'attribuer à
l'un de ces deux maîtres. Elle est plutôt apparentée aux
œuvres qui se réclament de l'école de Critias et de Nèsiotès,
entre autres à l'éphèbe de l'Acropole, au bronze de Tubingue
avec qui elle présente de notables analogies non seulement de
(1) American Journal of archaeology, 1894, IX, p. 53 sq. pi. XL
(2) Lechat, Sculpture attique, p. 407, note 3.
(3) Arch. Anzeiger, XXX, 1915, p. 274.
342 W. DEONNA
style mais aussi d'altitude, et au torse récemment publié par
M. Amelung (1). Ce serait une copie d'après un bronze grec des
environs de 460 (2).
Un artiste oublié. — Vitruve et Pline mentionnent un artiste
du nom de Pollis, dont le souvenir nous serait aussi conservé,
sous la forme Fol lias, par des inscriptions trouvées sur l'Acro-
pole (3), dans les décombres de Finvasion perse. Il faut sans
doute l'identifier au père d'Euthymédès, le maître de la pein-
ture à figures rouges (EùS-juIôtiç 6 IIoÀXiou) (4). Ce n'était pas
un artiste sans importance, puisque, bien des siècles plus
tard, Yitruve cite encore son traité irepl cru|ji[ji£Tpiaç. Pourrait-on
retrouver ses œuvres parmi les Gorés anonymes de l'Acro-
pole et parmi les bases signées? 11 n'y a rien d'impossible à
cela. Peut-être est-ce à lui qu'Euthymédès est redevable du
style caractéristique de ses draperies ; si cette supposition est
exacte, on posséderait un indice qui permettrait de discerner
parmi les sculptures anonymes celles que l'on serait en droit
d'attribuer à cet artiste. Il y a là une recherche qui tentera cer-
tainement quelque archéologue : étant donné un artiste dont
on ne connaît que le nom, reconstituer son œuvre à l'aide de
celle de son fils supposé, discerner les caractères de son style,
l'influence qu'il a subie et celle que lui-même a exercée. La
science procède en général du connu à l'inconnu ; l'archéolo-
gie trop souvent part de l'inconnu pour parvenir à l'incon-
naissable (5) !
Parthénon. — Le jeune homme couché qui occupe l'angle
du fronton 0, est-il, selon l'opinion courante, une personnifi-
(1) Cf. le précédent Bullelin, 1916, p. 337.
(2) A. Hekier, Marmortorso einer Athletenstatue in Budapest^ Jahrbuch, XXXI,
1916, p. 95-104, pi. 5.
(3) Cf. Lechat, Au Musée de l'Acropole, p. 294, note 1.
(4) Sur Euthymédés, J. Clark Hoppin, Amer. Journal of arch., 1916, I, p. 75;
Gaz. des Beaux-Arts, juin 1916, p. 286 ; Journal ofhellenic Studies, 1915, p. 187.
(5) C. Robert, Ein Vergessener, Jahrbuch, XXX, 1915, p. 241-2; cf. Rev. des Et.
grecques, 1916, p. 439.
BULLETIN ARCHÉOLOGIQUE 343
cation du fleuve Céphise ? M. C. Robert en trouve la preuve
dans une statue d'Autun, qui est malheureusement perdue,
mais dont on possède un dessin reproduit dans le précieux
recueil de M. Espérandieu (1). L'attitude est identique à celle
du dit Céphise, et les attributs désignent sans doute possible
le personnage comme un dieu de fleuve. Le copiste de l'époque
impériale s'est inspiré de la statue du Parthénon, alors qu'un
de ses confrères transformait un éphèbe de la frise des Pana-
thénées en un cavalier romain, sur l'autel de Cn. Domitius
Ahenobarbus (2).
Niké à la sandale et Niké de Paeonios (3). — M. Geisel examine
comment l'artiste a rendu les gestes et la pose de ces Nikés (4).
Sardanapale (5). — A propos d'une statue de ce type décou-
verte en Crète, dans la villa de M. A. Evans, M. Amelung étudie
à nouveau ce thème statuaire. Comme on le sait, l'original,
connu par diverses répliques, représentait Dionysos et était
sans doute l'œuvre de Praxitèle (6).
Statue funéraire du iv^ siècle. — Le Musée de Budapest pos-
sède un torse masculin en marbre, à demi-drapé, qui provient
d'une tombe de Vélanidezza, et qui est un original grec des
environs de 340-330 avant J.-C. 11 apporte de nouveaux ren-
seignements sur le rendu de la draperie antique. L'étude de
cette œuvre paraîtra dans le premier volume du Jahrbuch de
ce musée, qui est annoncé (7).
(1) Recueil des reliefs de la Gaule romaine, III, p. 122, n° 1993.
(2) G. Robert, Der Kephisos im Parthenon-Giehel, Jahrbuch^ 1915, XXX,
p. 237-241.
(3) Sur la Niké de Paeonios, cf. le précédent Bulletin, 1916, p. 339 sq.
(4) Geisel, der Bevoegungsausdruck der Sandalenhindenden Nike und der Nike
des Paeonios, Neue Jahrhûcher, 1915.
(5) Cf. entre autres Mac Dowall, The so-called Sardanapalus , Journal of
hellenic Studies, 1904, p. 255 sq.
(6) Communication faite à la Société arch. de Berlin, 1915; cf. Arch. Anzeiger,
1916, p. 279-82.
(7) Arch. Anzeiger, 1916, XXXI, p. 71, n» 1.
344 W. DEONNA
Aphrodite Anadijomhne (1). — On signale plus haut une sta-
tuette de ce type, provenant de Ratiaria en Bulgarie (2).
Niobé d Oxford et tête antique. — Je n'ai pu avoir connais-
sance du travail de M. Buschor sur la Niobé d'Oxford (3), pas
plus que de celui de M. Hermann sur une tête antique (4).
Laocoon. — M. 0. Waser donne un bon compte rendu des
récents travaux qui ont paru sur le Laocoon (5), et qui ont été
signalés dans le précédent Bulletin (6).
Relief archaïsant de l' Acropole. — On a découvert en 1910,
sur l'Acropole d'Athènes, un relief en marbre pentélique qui,
jadis rectangulaire, est orné d'un relief sur chacune de ses deux
faces. D'un côté, le relief très plat montre une Athéna ailée :
elle marche à gauche ; vêtue du péplos dorien, elle lève le bras
droit et tient dans la main gauche son casque attique, dont le
cimier se recourbe en volute. De l'autre côté, la même déesse
est sculptée en haut relief, de face, relevant de la main gauche
son vêtement. Le type de l'Athéna ailée, qui est connu dès
l'archaïsme (7), orne divers reliefs néo-attiques ; mais l'autel
des quatre dieux, de l'Acropole, qui d'après le style de sa
cymaise lesbique doit être contemporain du temple d'Athéna
Aléa à Tégée, soit des environs de 365, est le véritable proto-
type de notre relief, puisqu'il montre la déesse ailée, dans la
(1) Cf. Bulleli7i, Rev. des Et. grecques, 1916, p. 96.
(2) Ci-dessus, p. 332.
(3) Buschor, Die Oxforder Niobe, Miinchener Jahrb. d. bildenden Kunst,
3e année, 1914/5, p. 191-207.
(4) P. Hermann, Ein anliker Kopf und ein angebliches Werk der Re?iaissnnce,
Milt. a. d. sachs. Kunslsamml., 5, Dresde.
(5) Waser, Neuere Laokoonsludien, Neue Ziircher Zeilung, 1916.
(6) 1916, p. 350 sq.
(7) Savignoni, Ausonia, V, 1910, p. 76 sq., p. 101 sq. ; Putorti, Alhetia Nike
in un inlaglio di anello reggino, Neapolis, I, 1913, p. 128 sq. ; W. Keyes, Miner-
va Victrix, note on the vnnged goddess of Ostia, American Journal of arch.,
1912, p. 490 sq. ; Jahrbuch, 1908, p. \12\Rev. des Et. anc, 1900, p. 129 ;
Comptes rendus Acad. Inscr. et Belles Lettres, 1906, p. 222.
BULLETIN ARCHÉOLOGIQUE 345
même attitude, vêtue de môme, et tenant le même casque.
L'Athéna de face imite quelque Palladion, et trouve aussi de
proches parentes dans l'art néo-attique et gréco-romain. C'est
donc une œuvre archaïsante. La provenance lui donne un
intérêt tout spécial. M. Ilauser pensait d'abord que l'école
néo-attique est d'origine romaine, puis, changeant d'avis, il en
a cherché le centre en Grèce. Le relief de l'Acropole confirme
cette hypothèse, et c'est en Attique même qu'il faut situer le
point de départ de la vogue néo-attique (1).
Sarcophage d'Éphèse (2). — Un caveau funéraire déblayé
en 1907 à Éphèse renfermait deux sarcophages. L'un, fort
abîmé, montre à ses angles des Nikès, et sur ses faces des Eros
qui, debout sur des socles, tiennent des guirlandes. Le second,
beaucoup plus important, répète sur son socle le thème des
Eros aux guirlandes, mais, de plus, couvre la face antérieure
et les deux petits côtés de scènes mythologiques. Le couple
défunt, aux traits individuels, est représenté au milieu de la
grande face, près d'Hadès et de Perséphonè qui trônent, et
qui sont accostés par Hermès et par d'autres personnages. Sur
l'un des petits côtés, une barque porte trois jeunes gens nus,
et, sur l'autre, un homme barbu, à l'aspect hirsute, sort d'une
porte, devant laquelle s'enfuit une jeune fille. Toutes ces scènes
sont relatives aux mythes infernaux (3).
La mort dans Vart grec. — Ce sujet, qui a été déjà souvent
traité (4), inspire divers travaux de circonstance, dont quel-
(1) Ada von Notoliczka, Ein doppelseitiges Relief von der Akropolis, Jahrbuch
d. k. k. oesterr. arch. Instituts in Wien, XVII, 1, 1914, p. 121 sq., pi. I.
(2) Signalons ici le travail de M. Seunig, Ephesos, Progr. Triest, 1914.
(3) J. Keil, Grahbau mit Unteriveltsarkophag aus Ephesos, Jahrbuch d. k. k.
oesterr. arch. Instituts in Wien, XVII, 1914, p. 133 sq. pi. II.
(4) Lessing, De mortis apud veleres figura, 1866; Wessely, Die Gestalten des
Todes und des Teufels in d. darstellenden Kunst, 1875 ; Lohr, Die Darstellung
des Todes in d. griechischen Kunst, Wienerabendpost, 1903, n^ 21 ; Chudzinski, Tod
und Todenkultus bel den alten Griechen, cf. Woch. klass. Phil., 1908, p. 494; et
Berlin phii. Wochenschr., 1908, p. 403; Kiefer, KÔrperlicher Schmerz und Tod auf
der atlischen Buhne, 1909; Heinemann, Thanatos in Poésie und Kunst der Griechen,
REG, XXX, 1917, n» 139. • 24
346 W. DEONNA
ques-uns ont été signalés ici même (1). M. Simmel l'aborde de
nouveau dans une conférence (2). M. Brûckner décrit les tom-
beaux athéniens (3). M. H. Blûmner montre comment Far-
grec a représenté l'être humain au moment où la vie va l'aban-
donner, surtout les guerriers mortellement blessés (4) ; com-
ment, ignorant tout d'abord l'expression des visages, il a petit
à petit peint sur eux les angoisses et les douleurs de ce moment
fatal (5). M. Draheim cherche ce que Sophocle a dit de l'enseve-
lissement des ennemis (6); M. 0. Kern examine l'influence de
la guerre sur l'art grec (7), et M. Winter spécialement celle des
guerres médiques (8).
Chronique d'Olympie et de Lindos. — M. Brûckmann ap-
porte sa contribution à l'étude de la chronique d'Olympie (9),
et M. B. Keil à celle de la chronique de Lindos (10), due à
Timarchidas, poète rhodien dont il scrute la langue (11).
Munich, 1913 ; Parkes Weber, Aspects of Death in art and epigramm, Londres,
1914 ; Ubell, Vier Kapitell von Thanalos, Ueber die Darslellung d. Todes in d.
griech. Kunst, Abhandl. d. arch. epigr. Seminârs d. k.k. Franzens Universital in
Graz, Vienne.
(1) Bulletin, 1916, p. 336.
(2) Simmel, Von Tod in der Kunst, Vorirag in der Kantgesellschat't in Berlin,
1915, n° 21.
(3) A. Brûckner, Alhenische Graher und Grabmâler, Deutsche Litteraturzeitung ,
1916, p. 941-3. Sur les travaux de Brûckner ati cimetière athénien du Céramique,
cf. le précédent Bulletin, 1916, p. 326.
(4) H. Blûmner, Die Darstellung d. Sterbens in d. griech. Kunst, Neue Jahr bû-
cher, 1916, 36, n» 1, p. 1-20.
(5) Sur l'expression dans l'art grec, cf. mon volume L'expression des senti-
ments dans Vart grec, Paris, Laurens, 1914.
(6) Draheim, Die Bestattung des Landes feindes bei Sophokles, Woch. klass.
Phil., 1916, p. 447 sq. ^
(7) 0. Kern, Kt^ieg und Kunst bei den Hellenen, Rektoratsrede, Halle a. S., 1915.
(8) Winter, Die Wirkung der Perserkriege auf die griechische Kunst, Oster-
gruss d. Rhein. Fried. Wilh. Univ. zu Bonn an ihre Angehôr. im Felde, 1916,
p. 73 sq.
(9) Brûckmann, Die Olympische Chronik, Rheinisches Muséum, LXX, 4, p. 622 sq.
(10) Gh. Biinkenberg, Die lindische Tempelchronik, nouvelle éd. 1915, Bonn;
cf. Woch. klass. Phil., 1915, 29 ; Berlin, phil. Woch., 1915, 29 ; cf. Rev. Et.
grecques, 1913, p. 40 sq.
(11) B. Keil, Zur Tempelkronik von Lindos, Hermès, 51, 4, 1916, p. 491-8.
BULLETIN ARCHÉOLOGIQUE 347
Arc de Titus. — La question de la date de ce monument est
controversée. M. Ficchter donne son avis (1), à propos du
travail de Donald Mac Fayden (2).
Divers monuments romains. — M. Kazarow commente un
autel rectangulaire du musée de Sofia, trouvé en 1906 à Kara
Orman, dans la Bulgarie du S. : on y voit le cavalier thrace,
trois nymphes, la triple Hécate, une déesse au calathos, près
d'un arbre dans les branches duquel se tient un petit person-
nage sans doute dionysiaque (3).
Un groupe du Musée d'Autun (4) associe le Genius et Juno,
union qui jusqu'à présent n'était connue que par la tradition
littéraire (5).
Sur un relief de Feldbergkastell, le petit personnage nu,
barbu, accroupi aux côtés de Mars, n'est pas, comme on le croit,
un dieu de fleuve, mais un Germain prisonnier (6).
M. de Semetkowski publie divers reliefs romains de Styrie,
dont les plus notables représentent Persée et Andromède
(p. 199, fig. 162), un lion dévorant un cerf (p. 190, fig. 156),
des Centaures luttant contre des lions (p. 190, n° 6), des vases
avec pampres dionysiaques (p. 193, n° 5) (7).
M. Arpad Buday décrit ceux qui proviennent de Transylva-
nie (8) ; on notera entre autres les représentations suivantes :
(1) Fiechter, Zur Datierung des Titusbogens, Woch. f. klass. Phil. 1916, n» 44,
p. 1045-7.
(2) ClassicalJournal, XI, 3, 1915; cf. Frothingham, A lost section of the frieze
of the arch of Titus, American Journal of arch., 1916, XVIII.
(3) Kazarow, Ein neues Denkmal aus Thrakien, Arch. Anzeiger, 1915, XXX,
p. 166-m.
(4) Espérandieu, op. L, III, p. 136, n» 2623.
(5) Wigand, RÔmisch-germanisches Korrespondenzblatt, IX, 1916, n" 4.
(6) Quilling, Zum Marsrelief von Feldbergkastell, RÔmisch-germanisches Korres-
pondenzblatt, IX, 1916, I, janvier-février.
(7) RÔmische Reliefs in St Johann bei Herbestein in Steiermark, Jahrbuch d. k. k.
oesterr. arch. Instituts in Wien, XVII, 1914, Beiblatt, p. 185 sq.
(8) Arpad Buday, Travaux de la section numismatique et archéologique du Musée
national de Transylvanie à Kolozsvar, Hongrie, VII, 1916, I, p. 27 sq., résumé en
français^ p. 92 sq.
348 VV. DEONNA
Hécate (p. 28, 92), oreilles votives (p. 32, 95) (1), groupes dio-
nysiaques (p. 38,97) ; lions adossés, ayant entre eux une tête
humaine (p. 43, 99) (2) ; statues de Cybèle (p. 68, 118) ; reliefs
avec Silvain (p. 71, 121); Apollon lycien (p. 80, 126) (3),
Mithra tauroctone (p. 87, 131), Némésis (p. 88, 131), etc.
Mentionnons encore quelques travaux sur la colonne de
Jupiter de Mayence (4) ; sur une autre colonne analogue de la
collection de Dyck entre Rheydt et Neuss, qui supportait une
statuette de Jupiter trônant et qui est ornée de divinités celti-
ques et romaines (5); sur une représentation de Silvain (6);
sur un diptyque consulaire d'Halberstadt (7).
Moulages. — M. Daun traite la question de la peinture à
donner aux moulages des œuvres antiques (8).
Photographies composites et art grec. — On connaît le curieux
procédé de Gallon, qui, superposant plusieurs photographies
de diverses personnes appartenant à une même famille, ou
d'une même personne à des âges différents, obtient une image
moyenne montrant les caractères spécifiques de la famille ou
de l'individu. Ce procédé a été employé par d'autres savants,
en particulier par Bowdicht de l'Université d'Harvard, et par
M. G. Treu. Ce dernier en expose l'intérêt dans une confé-
(1) Cf. Weinreich, Ath. Mith., 1912, p. 1 sq.; mon article, Un châtiment domes-
tique : tirer Voreille. Nos anciens et leurs œuvres, Genève, 1914, p, 129 sq.
(2) M. Buday souligne avec raison le sens solaire de ce groupement. Cf. mon
article, De quelques gestes d'Aphrodite et d' Apollon, pour paraître dans Rev.Hist.
des Religions.
(3) J'étudie le sens du geste de l'Apollon lycien dans le mémoire cité à la note
précédente,
(4) Drexel, Zur Mainzer Jupitersdule, Romisch-germanisches Korrespondenzhlatl,
8, p. 65 sq.
(5) Rosmerta et Vulcain, Vénus et Hercule, Minerve et une figure restaurée,
Cérès et une figure restaurée. Jupiter und thronender Jupiter, ibid., VII, 1914,
n» 2.
(6) bas Silvanus-Denkmal von Eisenberg, Pfalz. Mus., 33, p. 3-4.
(7) Motefindt, Dus Diptychon consulare im Domschatz zu Halberstadt, Ab. a. d.
Mus. fur Nat. u. Heimatk. Magdeburg, 3, 1.
(8) Daun, Die Bemalung antiker GipsabgUsse, Museumskunde, II, p. 193 sq.
I
BULLETIN ARCHÉOLOGIQUE 349
rence faite au Congrès d'Esthétique de Berlin, en 1913 (1).
Que l'on prenne par exemple six vues d'une tôte d'enfant
animée d'expressions diverses : la vue qui résultera de la
superposition n'aura pas une expression déterminée, mais frap-
pera le spectateur par son aspect intelligent. D'autres exemples
montrent que l'image unique obtenue est toujours belle, et
que les laideurs particulières ou ethniques disparaissent dans
l'ensemble. On peut déduire de cette constatation, que ce que
nous appelons beauté n'est qu'un moyen terme, analogue à
celui de la photographie composite; les anciens eux-mêmes ne
voyaient-ils pas la beauté dans la {jlso-ottiç, le juste milieu ?
L'étude de l'art antique peut tirer profit de ces remarques.
Ne pourrait-on fixer le type moyen de la statuaire grecque à
ses diverses périodes, celui du v% du iv% du m' siècles ; le
type moyen d'un artiste, Myron, Polyclète, Praxitèle, obtenir
ainsi des canons de la beauté humaine telle que l'ont conçue
des individus ou des époques d'art déterminés, canons qui ser-
viraient de bases à nos études? Galton avait déjà entrevu cette
possibilité, en cherchant le portrait moyen d'Alexandre à l'aide
de six images différentes de la numismatique.
IV. Peinture.
Fresques étrusques. — La peinture funéraire des Etrusques a
attiré l'attention de M. Ducati, qui en distingue les différentes
périodes (2). M. Weege se propose d'entreprendre une étude
systématique de ces fresques, qui jusqu'à présent ont été mal
reproduites, et n'ont point été publiées d'une façon satisfaisante,
malgré l'immense intérêt qu'elles offrent pour l'histoire de la
peinture antique depuis le vii^ siècle jusqu'aux époques hellé-
(1) G. Treu, Durchschnitlshild und Schônheit, Zeitschr. f, Aesthetik iind allge-
meine KunstwissenschaftylX, 1914; cf. Bulle, Berlin, philol. Wochenschrift, 1917,
n» 1, p. 14 sq.
(2) Ducati, Atene e Roma, 1914, vol. 17, 185-6.
350 W. DEONNA
nistique et romaine. Deux tombes de Gorneto-Tarquinies lui
fournissent la matière de son premier mémoire (1).
Le tombeau découvert en 1827 par Stackelberg est orné de
deux frises superposées, la frise inférieure étant de proportions
plus grandes. Dans la première, devant une nombreuse assis-
tance groupée sur des tribunes, sous lesquelles sont accroupis
les esclaves, ce sont les jeux funèbres : luttes, lancement du
disque, courses de chars ; dans la seconde, c'est le banquet
funèbre avec danses. Le grand intérêt de ces fresques réside
dans la parenté que présentent leurs motifs avec ceux de Tart
grec archaïque (p. 138 sq.). Les attitudes du discobole, du ver-
seur d'huile, du coureur armé, trouvent de frappants paral-
lèles dans la ronde-bosse ; le petit esclave accroupi sous une
tribune, tenant son genou droit dans ses mains, semble copié
sur un des frontons d'Olympie. Un jeune homme est en équi-
libre sur une jambe ; le même motif orne un vase du
Louvre (2), oii M. Pottier l'interprète comme un joueur de balle,
le peintre ayant par négligence fait disparaître la balle que l'on
voit posée sur la jambe de l'athlète sur un relief publié dans le
Bulletin de Correspondance hellénique (3). Ce serait plutôt une
attitude de gymnastique, destinée à fortifier les muscles, que
l'on retrouve sur divers autres monuments. On peut se deman-
der si ce n'est pas celle que Polyclète a introduite dans la sta-
tuaire et dont les anciens lui faisaient honneur : « uno crure
insistere ». Déjà M. Hauser a émis une supposition analogue,
en reconnaissant l'attitude polyclétéenne dans le bronze d'un
pancratiaste qui donne un croc en jambe à son adversaire (4),
« nudus talo incessens ». M. Weege n'admet qu'une partie de
cette hypothèse; l'attitude polyclétéenne n'est pas nécessaire-
ment celle d'un pancratiaste, mais c'est celle d'un exercice de
(1) Weege, Etruskische Graher mit Gemalden in Corneto, Jahrbuch, XXXT, 1916,
p. 105-168, pi. 6-16.
(2) Pottier, Vases, II, pi. 92.
(3) 1883, pi. 19.
(4) Hauser, Jalireshefle d. k. k. oesterr. Instituts in Wien, 1909, p. 100 sq. ; cf.
Léchai, Rev. des Et. anciennes, 1910, p. 143 sq.
BULLETIN ARCHÉOLOGIQUE 351
la palestre, tel qu'elle apparaît sur les fresques de Corneto.
Les anciens auraient-ils attribué à Polyclète le mérite d'un
motif que la statuaire connaissait depuis longtemps déjà, si son
invention n'avait consisté, comme on le croit d'ordinaire, qu'a
faire porter le poids du corps sur une jambe, l'autre étant
fléchie?
Les fresques de Corneto ont aussi de nombreux rapports
avec les peintures de vases grecs (p. 141 sq.), où Ton retrouve
par exemple les hardis symplegmata des esclaves étendus sous
les tribunes (pi. 8 et p. 149, fig.). Leur style est celui de la
peinture ionienne ; elles dénotent le même esprit que les
monuments ioniens (p. 147 sq.), et l'assemblée qui assiste aux
jeux du haut des tribunes rappelle de très près l'assemblée
des dieux sur la frise du trésor des Siphniens à Delphes. On
notera encore que les personnages de la frise inférieure
s'enlèvent en clair sur le fond foncé, alors que ceux de la frise
supérieure, sauf les assistants des tribunes, s'enlèvent en
foncé sur le fond clair, autrement dit qu'on rencontre la même
union des deux procédés picturaux que sur certains vases
grecs de technique mixte; association qui se voit entre autres
chez Amasis, artiste d'origine ionienne, et sur les sarcophages
de Clazomènes; elle ramène elle aussi à l'Ionie. On peut dater
ces fresques de Corneto du dernier quart du vi® siècle. L'artiste,
tout en tenant compte de certains détails indigènes, n'est pas
étrusque, c'est un Grec originaire des colonies ioniennes de
l'Italie du Sud ou de la Sicile.
La seconde tombe étudiée par M. Weege est celle qui a été
découverte en 1875, dite « tombe des léopards ». On y voit
aussi des banquets funèbres avec danses, et, dans le fronton,
les animaux qui ont donné leur nom à ce caveau, des léopards,
ou plus exactement, des guépards de chasse, sans doute les
animaux favoris du défunt. L'étude leur est presque entiè-
rement consacrée. Le style de ces peintures rappelle celui des
vases à figures rouges sévères. Un peu plus récentes que celles
de la tombe Stackelberg, mais dénotant aussi une forte
352 W. DEONNA
influence grecque, elles peuvent dater du début du v*" siècle
(p. 153 sq.).
Doiiris (1). — M. Buschor étudie divers vases que l'on peut
attribuer à Douris, et détermine les qualités de son style (2).
Lécythes blancs, — M. ïïauser fera paraître prochainement
un mémoire sur deux beaux lécythes blancs de Munich (3).
Perspective. — Dans deux communications faites à la Société
archéologique et à TAcadémie des Sciences de Berlin,
M. A. Goldschmidt s'occupe de la perspective antique et de son
influence sur l'art du moyen âge et des temps modernes (4) ;
ce mémoire sera bientôt publié (5).
Fresques. — Mentionnons sur l'histoire de la fresque, le
travail de M. Weese (6).
Mosaïques romaines. — A Trêves, dans les ruines d'une
importante construction romaine, qui fut sans doute une
demeure patricienne (7), on a trouvé de nombreux restes de
mosaïques et de peintures murales (8). C'est encore, à Kreuz-
nach, une mosaïque représentant des gladiateurs (9).
(1) Cf. parmi les travaux récents, Waldhauer, Kev. arch., 1913, I, p. 31 sq.;
Rev. des Et. grecques, 1915, p. 205-6; Rhomaioos, 'Ecp. 'Ao/., 1901; Frucht, Die
signierten Gefusse des Douris; Berlin, phil. Woch., 46, p. 1445.
(2) E. Buschor, Neue Duris-Gefàsse, Jahrbuch, XXXI, 1916, p. 74-95, pi. 2-4.
(3) Mûnchener Jahrbuch, 1914/5, p. 251 ; Arch. Anzeiger, XXXI, 1916, p. 70, n" 28.
(4) Goldschmidt, Bas Nachleben der antiken Prospektmalerei im Mitlelalter,
Sitzungsber. d. kgl. Akad. d. Wiss., 1916, XXIX, p. 611; Bedeutung der antiken
Prospektmalerei fur die neuere Kunst, Soc. arch. de Berlin, juin 1916; cf. Arch.
Anzeiger, XXXI, 1916, p. 96.
(5) Dans les Schriften d. Akad. d. Wiss. zu Berlin.
(6) Weese, Geschichte und Stilistik d. Wandmalerei, Jahrbuch Fr. D. Rochstifts,
1914/5, p. 21 sq.
(7) Cf. le précédent BuZZe/in, 1916, p. 334.
(8) Steiner, Neue rômische Mosaiken und Fresken, Bomisch-germanisches Kor-
respondenzblatt, VIII, 1914, 3.
(9) Kohi, Gladiatorenmosaik von Kreuznach, BÔm. german. Korrespondenzblatty
VIII, p. 44 sq.
I
BULLETIN ARCHÉOLOGIQUE 353
V. Bronze et fer.
T^jro et Flere. — Un miroir étrusque illustre le mythe de
Tyro (1). Deux jeunes gens qui tiennent la lance, Nélée et
Pélias, entourent une femme drapée, leur mère Turia. Un
quatrième personnage porte l'inscription « flere ». C'est le
sens de ce terme que précisent MM. Ilerbig (2) et Sigwart (3) ;
il signifie, dit ce dernier, « statue, image ».
Miroir grec à reliefs. — On ajoutera à la liste déjà nom-
breuse des miroirs grecs à reliefs l'exemplaire qui a été
trouvé en 1915 à Thèbes, dans une tombe féminine, et qui,
publié par M. Pappadakis, a été déjà signalé dans ce Bulle-
tin (4). Un satyre tenant une massue et une jeune femme
sont assis l'un en face de l'autre, séparés par un tronc
d'arbre (5).
Figurines de bronze. — Le Musée de Mayence possède une
statuette de prisonnier (6) ; de Lugano provient un enfant,
Bacchus ou Amour, assis sur un anneau et tenant une grappe
de raisin (7). M. Roger publie une tête de cheval en bronze (8),
d'Augsburg.
Couronnes (9). — A propos de la découverte d'une couronne
(1) Gerhard, pi. CXXX.
(2) Herbig, Tyro und Flere, Hermès LI, 1916, III, p. 465-474.
(3) G. Sigwart, Zur etruskischen Sprache, 3, Flere, ein etriiskisc/ies Appella-
tivum, Glotta, 1916, VIII, n» 1-2, p. 159 sq. .
(4) 1916, p. 93-5.
(5) Arch. Anzeiger, XXX, 1915, p. 183.
(6) Behrens, RÔmisc h- germanise fies Korrespondenzhlatt, IX, 1916, n» 4.
(7) Tschumi, ihid., IX, 1916, n" 4; Aciiter Jahresbericht der Schweiz. Gesellsch. f.
Urgeschichte, 1915, p. 63-5, fig. H. Au musée de Berne,
(8) 0. Roger, Der bronzene Pfei'dekopf unserer Sammliing, Zeitschr. hist. Ver.
Schwaben, 41, p. 143-4.
(9) Voici quelques travaux récents sur les couronnes : J. Klein, Der Kranz
hei den allen Griechen, eine religionsgeschichtliche Studie auf Grund d. Denk-
3S4 W. DEONNA
mortuaire en bronze, trouvée dans une tombe près de Hanau,
M. Buckmann étudie les procédés de fabrication d« ces orne-
ments (1).
Fer. -r- On consultera sur le fer dans l'antiquité, et spécia-
lement sur la fonte du fer en Grèce, l'étude de M. Olshausen,
qui cite plusieurs figurines grecques travaillées suivant cette
technique (2).
Réparations. — M. Môtefmdt s'intéresse aux réparations
antiques d'objets en métal (3).
VI. Orfèvrerie.
Trésor de Tirynthe (4). — La Revue des études grecques a déjà
mentionné (5) la découverte récente, faite à Tirynthe, d'un
vase de bronze contenant plusieurs objets précieux, en parti-
culier deux anneaux d'or. Ce trésor est aussi signalé dans
diverses revues allemandes (6), et sera prochainement publié
par M. Karo.
Couronne d!or. — La découverte d'une couronne d'or à
Casteilorizzo a été signalée plus haut (7).
maler, Gunzburg a. D., 1912; Kfichling, De coronarum apud aniiquos vi atque
usu, Giessen, 1914; Maxwell Woolley, Coronation rites, Cambridge, 1915.
(1) Buckmann, Ueber die Herstellung der Wendelringe, RÔmisch-germanisches
Ko7^respondezblatl, \\1, 1914, n» 3.
(2) Olshausen, Ueber Eisen im Altertum, Praehistor. Zeitschr.,YU,n° 1-2, p. 1-44.
(3) Môteftndt, Flieckungen an vorgeschichtlichen Fibelui Zeitsch. f. Ethn., 47,
IV-V, p. 309-19.
(4) Die Ergebnisse d. Ausgrabungen d. k. arch. Inst. in Athen, I. Frickenhaus,
Die Hera von Tiryns ; II, Millier et Olmann, Die geometrische Nekropole, 1912;
Rodenwaldt, Tiryns, I-II, Die Fresken des Palastes, 1912-3 ; Aller tumsfunde auf
der Burg von Tiryns in Griechenland, Kunslchronik, 27, 19 ; Rev. des Et.
grecques, 1912, p. 383; 1914, p. 281; 1915, p. 184.
(5) 1915, p. 440; 1916, p. lxi.
(6) Arch. Anzeiger, XXXI, 1916, p. 87; Berliner phil. Wochenschr., 1916, n*7,
p. 224.
(7) Cf. 1. Fouilles.
BULLETIN ARCHÉOLOGIQUE ^^^
Trésor de VettersfeJd. — On a retrouvé un petit fragment
appartenant à un bijou de ce fameux trésor (i).
Trésor d'Eber'sivald. — M. Schuchtiardt compare les objets
du trésor d'Eberswald (2) à ceux qui ont été trouvés à Troie,
avec lesquels ils présentent d'étroites ressemblances (3).
Ganymède, Nimrod et Nagi. — Un vase d'or du trésor de
Nagyszentmiklos, actuellement à Vienne (4), est orné d'un per-
sonnage enlevé par un oiseau. S'agit-il, comme on le croit
communément, du rapt de Ganymède par l'aigle de Zeus? ou
bien de Nimrod enlevé au ciel? ou encore de la Nagi enlevée
par l'oiseau Garouda? C'est cette dernière hypothèse qui paraît
à M. Draheim la plus plausible, pour diverses raisons, entre
autres à cause de la forme caractéristique des oreilles de l'oi-
seau. Le monument appartient donc à l'art gréco-bouddhique.
A cette occasion, l'auteur émet quelques considérations sur le
thème de Ganymède enlevé par l'aigle, tel que l'a traité l'art
antique (5).
Vil. Terres cuites, verres, gemmes.
Tyro. — Un moule en terre cuite de Rosarno en Calabre, et
divers fragments découverts en 1914 par Orsi dans la nécro-
pole de cette ville, qui sont sortis de cette matrice, ont permis
(1) Jeatsch, Zum Goldsfund von Vettersfelde, Zeitschr. f. EthnoL, 47, n» IV- V,
p. 306-8.
(2) Kossinna, Der Goldfund vom Messingvjerk bei Eberswalde und die goldenen
Kultgeftisse der Germanen, Wurzburg, 1913 ; Schuchhardt, Der Goldfund vom
Messingwerk bei Eberswalde, Berlin, 1914. Cf. la découverte d'un trésor d'orfè-
vrerie en Thuringe, MôUer, Der Goldschatz einer thuringischen FUrstin aus
dem4o Jahrh., Jahresber. ThUr. Sachs. Ver., 1914-1915, p. 99 sq.
(3) Schuchhardt, Trojanische Kleinigkeiten, communication faite à la société
archéologique de Berlin, mai 1916; cf. Arch. Anzeiger, XXXI, 1916, p. 90 sq.
(4) Reinach, Répert. des reliefs, I, p. 188 sq. ; vase en question, p. 190, 1-2.
(5) Draheim, Ganymedes, Nimrod und Nagi, Woch. Klass. PhHol,, 1916,
no 30/1, p. 734-8,
356 W. DEONNA
la reconstitution d'un relief en terre cuite, illustrant, comme
le miroir étrusque cité plus haut, le mythe de Tyro, et plus
spécialement la Tyro de Sophocle. M. Robert publie ce monu-
ment, note les rapports qui l'unissent au drame, et énumère
les autres documents de l'art antique qui conservent le souve-
nir du mythe de Tyro (1).
Moules à pâtisserie. — Ajoutons aux travaux concernant les
moules à gâteaux mentionnés dans le précédent Bulletin (2), le
mémoire de M. Drexel sur les gâteaux et sur la boisson qu'on
distribuait dans les fêtes publiques, « crustulum et mul-
sum » (3).
Céramique romaine à reliefs. — L'immense littérature sur
les vases sigillés romains s'accroît de jour en jour, et nom-
breux sont les articles qui lui sont consacrés dans les revues
allemandes (4).
Verre. — Un vase en verre au Landesmuseum de Darms-
tadt, trouvé à Cobern, sur la Moselle, est orné d'une proces-
sion bacchique (5).
Gemmes. — M. Hartmann étudie deux monuments célèbres
de la glyptique romaine, de Paris et de Vienne (6).
(1) C. Robert, Tyro, Hermès, LI, 1916, p. 273-302.
(2) 1916, p. 370.
(3) Drexel, Crustulum et Mulsum, Rômisch-germanisches Korrespondenzblatt,
IX, 2, 1916, mars-avril.
(4) Mentionnons les travaux suivants : 0. Roger, Bildertypen von Ausburger
Sigillaten, Zeilschr. d. hist. Ver. f. Schwaben und Neuburg, 41, 1915, p. 1-26
(no III); R. Forrer, SpcitrÔmische Ràdchen-Sigillata ans Strassburg, Rômisch-
germanisches Korrespondenzblatt, VIII, 1915, no6; id., sur la fabrication des
vases sigillés à Alterstadt, ibid., IX, 1916, no 4; Wolff, Zur Chronologie der Zie-
gelstempel der VIU Légion, ibid., IX, 5, 1916 ; Anthes, Sigillata mit Innenverzie-
rung, ibid., VII, 1914, n" 2 ; Behrens, Beitràge zur romischen Keramik, Mainz.
Zeitschr., 10, p. 90 sq.
(5) Anthos, RÔmisches Glasbecher mit Darstellungen, Rômisch-germanisches
Korrespondenzblatt, VII, 1914, 1.
(6) Hartmann, Zwet FamiZienôiider des julisch-claudischen Hauses [Tiberius-
Kameo in Paris, Gemma Augustea in Wien), Progr. lîeilbronn, 1914.
BULLETIN AKCUÉOLOGKJUE 357
YIII. Mythologie, Religion, Rites (1).
Signalons rapidement les travaux parus sur les sujets sui-
vants :
Athéna x\ethyia de Me'gare, conçue sous sa forme thériomor-
phique, comme déesse-oiseau (2); Aphrodite Daitis(3); Ado-
nis, son nom (4) et son rôle infernal (o) ; Dionysos-Sabazios (6),
et le vaisseau de la procession dionysiaque (7) ; Sérapis (8) ; la
mort du grand Pan (9); Gybèle (10); le nom d'Héraclès (11); le
mythe de Kronos et des Titans (12); la Gorgone apotropaïque
et les relations entre Gorgo, Mormo, Baubo (13); le mythe
d'Eros et de Psyché (14); la légende des oiseaux du lac Stym-
(1) Cf. Rev. Et. grecques, 1915, p. 442.
(2) A. Kiock, Arch. ReL, XVIII, 1915, p. 127 sq.; cf. Ayner. Journal of arch.,
1916, p. 230.
(3) J. Keil, Aphrodite Daitis, Jahreshefte d. k. k. oesterr. Instituts in Wien,
XVII, 1914, p. 145-7.
(4) Kretschmer, Mythische Namen, 4, Adonis, Glotta, 7, p. 29 sq.
(5) V. Baudissin, Zeitschr. d. morgenliindisch. Gesc/i., 70, 1916, q» 3/4, p. 423 sq.;
id., Adonis in der Unterwelt, Neutestam. Studien, VI, 1914. Sur son culte en
Afrique à l'époque romaine, cf. Toutain, Bull. Soc. nat. des anl. de France, 1915,
p. 296 sq.
(6) Fischer, Dionysos-Sabazios, Korr. Ges. Anth., 46, p. 31-3.
(7) Eisler, Fischei^ und Schifferbriiuche an alter und neuer Zeit, Bayer. Hefte f.
Volkskunde, I, p. 209 sq. ; 2, p. 73 sq.
(8) Roger, Der Serapiskult in Augsburg, Zeitschr. d. hist. Ver. Schwaben, 41,
p. 141 sq.; Legge, Der griechische Kult des Serapis und der Isis, Theol. Littera-
turzeitung (Leipzig), 1914, 13.
(9) Gerhard, Der Tod des grossen Pan, Sitzmigsber. Heid. Akad., 1915, p. i sq.;
id,, Zwn Tod des grossen Pan, Wie)i. Stud., 37, p. 323 sq.; cf. Berlin, phil.
Woch., 1916, no 47, p. 1468.
(10) V. Skorpii, Der Kultus der Kybele im Bosporanischen Reich, Festchr. f.
Prof. Jos. Kral, Prague, 1913, p. 190 sq.
(11) Kretschmer, Mythennamen, 5, Herakles, Glotta, VIII, 1916, p. 121 sq.
(12) M. Pohlenz, Kronos und die Titanen, Neue Jahrbucher, XXXVII-XXXVIU,
1916, no 9, p. 549.
(13) Wiener, Mopfxw, Romanische Forschungen, XXXV, 3, p. 954-85; sur Baubo,
Rev. hist.desrel., in^, Tp. Mi, LXX.
(14) Helm, Das Màrchen von Amor und Psyché, Neue Jahrbucher, 1915, 3;
Schroeder, De Amoris et Psychés fabella apuleiana nova quadam ratione expli-
cata, Diss. Amsterdam, 1916 ; cf. Berlin, phil. Wochenschr., 1916, no 48, p. 1485;
358 W. DEONNA
phale et les monuments qui l'illustrent (1), forme locale et
péloponésienne, adaptée au mythe d'Héraklès, de la croyance
aux âmes-oiseaux (2) ; les sacrifices humains, en Grèce et à
Rome (3) ; le sacrifice mensuel d'Olympie (4); un rite des mys-
tères d'Eleusis, symbolisant la renaissance de Finitié (5) ; le
miel, au point de vue grammatical et rituel (6) ; le rire sàrdo-
nique (7) ; le sens du mot AKOAI, dans un passage de Mari-
nos, Vita Procli (8), en rapport avec les oreilles divines;
l'expression soxo; oSôvtwv, la barrière des dents qui empêche
Tâme de s'échapper (9); Tomphalos (10), la croyance à ce nom-
bril du monde chez les Sémites (11), comme aussi dans l'âge
préhistorique, et les représentations cosmiques de la montagne
du ciel et des fleuves du monde (12).
Haight, The slory of Cupid and Psyché, /, In ancient art, H In Renaissance art,
Art and Arch., 3, p. 43 sq., 87 sq.; van Wageningen, Psyché Ancilla, Mnemosyne,
XLIV, 2, p. 177, 180; cf. antérieurement, Pagenstecher, Eros uud Psyché^ Sit-
zungsber. d. Heidelh. Akad. d. Wiss., 1911 ; Reitzenstein, Eros und Psyché in
der aegyptisch-griech. Kleikunst; cL Berlin, phil. Woch., 41, p. 1283 sq.; sur le
papillon, symbole de Tâme (cf. Rev. des Et. grecques, 1915, p. 442), Immisch,
Sprachliches zum Seelenschmetterling , Glotta, 1914.
(1) Blinkenberg, Sxu [xcp a X iSeç, Nordisk. Tidskr. f. filol., \, 2, ^. 65; cf.
Woch. klass. PhiloL, 1916, n» 39, p. 926.
(2) Cf. les âmes-oiseaux sur les coupes béotiennes, dans le Bulletin précédent, •
1916, p. 357.
(3) Schwenn, Griechische Menschenopfer, Diss. Rostock, 1915 ; Die Menschenop-
fer bel den Griechen und Romern, Relig. Versuche, 15, p. 1 sq.
(4) L. Weniger, Die monatliche Opferung in Olympia, Klio, 1915, XIV, p. 398 sq.
11; cf. Eitrem, Opferritus und Voropfer d. Griechen und RÔmer, Christiana, 1915.
(5) Kôrte, Arch. Rel., XVIII, 1915, p. 116 sq.
(6) Schmidt, MEAISi:) A, Berlin. Phil., Woch., 1916, n" 45, p. 1414-6.
(7) Pohlenz, Sapôavio? yéXw;, BetHin. phil. Woch., 1916, n" 30, p. 949-52; cf. Pet-
tazoni, La religione primitiva m Sardagna, 1912; Rev. Hist. des rel., 1913, 67,
p. 232; Reinach, Cultes, IV, p. 123.
(8) Weinreich, Noch einmal AKOAI, Hermès, 1916, Ll, n" 4, p. 624-9; sur les
oreilles divines, cf. ci-dessus, 111, Sculpture, p. 348.
(9) Hesseling, "Epxoî ôôôvxwv, Verslagen en Mededeelingen der koninglijke Aka-
demie von Wetenschappen, IV, 2, 2, 1916, mars, p. 243-9 ; id., Rev. des Et. grec-
ques, 1916, p. 275.
(10) Cf. dans le précédent Bulletin, 1915, p. 444 ; Meringer, Zur Roschers Om-
phalos, W or ter und Sachen, 1914, 1.
(11) Wonsinck, Verslagen en Mededeelingen der koninklijke Akademie von
Wetenschappen^ IV, 2, 2, mars 1916.
(12) Gaerte, Kosmische Vorstellung im Bilde pràhistorischer Zeit, Himmelsberg,
Erdnabel und Wellenstrôme, Anthropos^ IX, 5, 6, p. 956-79.
BULLETIN AKCHÉOLOGIQUE 359
IX. Divers.
L'Horloge de Platon. — M. Diels reconstruit l'horloge
hydraulique et pneumatique dont Athénée attribue sans raison
l'invention à Platon, et qui fut employée par Archimède et par
les Arabes (1).
Lanternes (2). — Une lanterne en forme de tour ronde (3)
provient des ruines romaines de Hurgweiting, près de Ratis-
bonne (4). M. Zahn s'occupe du « Lanternarius » (5).
Char. — M. Prausnitz étudie le rôle religieux du char, et son
emploi dans l'art (6).
Charrue. — M. Loewenthal apporte sa contribution aux
origines de la charrue (7).
Stf/lis^ aplmtre. — Ajoutez à la bibliographie sur la stylis,
l'aplustrCjdu précédent Bulletin {S)y le mémoire de M. Svoronos
sur le même sujet (9).
(1) Diels, Ueber Platons Nachtuhi\ Preuss. Akad., 18 nov. 1915; cf. Wochensch7\
/". klass. PhiloL, 1916, n« 5, p. 114.
(2) Cf. Loeschke, Antike Laternen und Lichthiiuschen, Bonner Jahrbuch, 1909,
p. 370 sq. ; id., 1910; Steinmetz, Lichthâuschen in Turmform^ RÔm.-german. Kor-
respond., 14, 1911, n° 6, p. 88-9 ; Héron de Villefosse, Btill. Soc. nat. des ant. de
France, 1910, p. 238 sq.; Amer. Journal of arch., 1912, p. 136, 138, référ.
(3) Cf. II, Architecture, Phares.
(4) Ci-dessus, I, Fouilles, Allemagne.
(5) Zahn, Lanternarius, Jahrh. preuss. Kunstsamml., 37, p. 14 sq.
(6) Prausnitz, Der Wayen in den Religion ; seine Wûrdiyung in der Kunsi,
Slud. z. deutsch. Kunstgesch., 187, p. 1 sq.
(7) Loewenthal, Zur Erfindungsgesch. d. Pftuges, Zeitschr. f. EthnoL, 48, 1,
p. 11-7; cf. Harrison, The crooked Plow, The classical Journal, XI, 6, p. 323;
Gow, The ancient plough, Journal of hellenic Studies, 1914, XXXIV.
(8) 1916, p. 379.
(9) Svoronos, Stylides, stoloi, akrostolia, embola, proembola, et totems marins,
Journal, internat, d'archéol. numismatique, 1914, 16.
360 W. DEONNA
Serrures et clefs. — On trouvera quelques détails sur des
serrures et sur des clefs romaines dans le mémoire de
M. R. Forrer relatif aux constructions primitives des Vosges (1).
Armes. — M. Schwietering passe en revue les différents cas oîi
le stylet à écrire a été employé comme arme dans l'antiquité (2).
Pourpre. — M. Badermann examine le rôle de la pourpre
chez les anciens (3), et M. Cori la faune marine qu'ils ont
connue (4).
Vin. — Quelques détails sur le vin romain (5).
Clou magique (6). — Au Musée de Trêves, une statuette d'ani-
mal, sans doute une belette, est percée d'un clou (7), et servait
de figurine magique d'envoûtement (8).
Technique dnticiue. — Le travail de M. Diels sur la technique
anlique (9) inspire quelques observations à M. Ziehen (10).
L'antiquité et l'art moderne. — On a signalé dans le précé-
dent Bulletin l'interprétation que M. Foerster donne du fameux
tableau de Titien, dit « l'Amour sacré et l'Amour profane »,
(1) Forrer, Primilive VoqesenhULten aus aeltester und neuerer Zeit, Jahrbuch
f. Gesch., Sprache und Literalur Elsass-Lotliringens^ XXXI, 1915.
(2) Schwietering, Griffel und Dolch, Zeitschr. f. historisch. Wa/fenkunde, VU,
6/7, p. 185-191.
(3) Badermann, Wertsehdtzung der Purpurs bei den Alten, Deutsche Farben-
zeilung, 1914.
(4) Cori, Kenntniss der marinen Tierwelt in der Antike^ Oeslerr. Fischereizeitung ^
XI, 1914.
(5) Der « Rômerwein » im Weinmuseum des historischen Muséum der Pfalz,
Vfcilz. Mus., 33, p. 43-7.
(6) Cr. Bulletin, 1916, p. 883.
(7) S. Wenz, Zu einem Trierer Zaubernagel, Romisch-german. Korrespon-
denzblatt, VU, 1914, n» 2.
(8) Sur le clou magique, cf. L'Anthropologie, 1916, p. 243 sq.
(9) Diels, Anlike Technik.
(10) Ziehen, Diels Antike Technik, Deutsche Litteraturzeitung, 1915, p. 1373 sq.
BULLETIN ARCHÉOLOGIQUE 361
qui serait inspiré, dit-il, d'un texte de Valerius Flaccus (1).
M. A. Riese, qui n'est pas de cet avis, soutient avec Fauteur
une controverse à ce sujet (2). Quant à M. Maass, il exécute
quelques variations sur le thème connu des rapports de Goethe
avec l'antique (3).
Art et cimlisation grecs. — Quelques pages de M. Geppert sur
ce sujet (4).
Genève, janvier-février, 1917.
W. Deonna.
(1) Neue Jahrbûcher, 1913, p. 573 sq. ; Rev. des Et. grecques, 1916, p. 362.
(2) A. Riese, Zur Titians sogennanter * Himmlischer und irdischer Liebe », Neue
Jahrbucher, 1916, 1, XXXVn-XXXVIII, p. 77-9; réponse de Foerster, ibid.,
p. 79-80.
(3) E. Maass, Neues ilber Goethe und die antike, Das Humanistisch Gymnasium,
XXVII, 3-4, 1916, p. 94-107.
(4) E. Geppert, Griechische Kunst und Kultur, Zeit. f. Lilt., Kunst und Wiss.,
Beil. d. Hamburg. Corr., 39, 5-8.
Boa à tirer donné le 24 mai 1918.
Le rédacteur en chef, Gustave Glotz.
Le Puy-en-Vclay. — Inij). Peyriller, Rouclioa et Gamon, boulevard Garnot, 23.
mmûm m le gomat primitif m grècë
(2'"'^ Article) (Ij
I
m
Société et contrat.
Pour la théorie du contrat primitif, V lyyùr\ matrimoniale a
ceci d'intéressant qu'elle p^'rmet de préciser cerlaines données
que nous avions jusqu'ici atteintes ou pressenties. Nous pou-
vons retenir tout de suite à ce point de vue : sa signification
sociale; le concept d'obligation qui y joue; les formes du con-
trat qu'elle permet de restituer.
Entre l' eYyùïi matrimoniale et cette eyruY) qui est devenue
caution, le rapport sémantique se définit comme il faut :
si le même nom apparaît dans les deux cas, ce n'est pas
que l'élément commun soit une remise, un abandon de per-
sonne ; c'est que dans les deux cas, il y a un arrangement inter-
familial en vue de celte union ou de cet accord que parait
signifier essentiellement le contrat primitif : pacification dans
le cas d'un arrangement à cause délictuelle; « alliance » dans
le cas d'un arrangement à fin d'épousailles. Le caractère fonda-
mental — interfamilial — de ce dernier survit si bien dans
l'inconscient qu'à fépoque historique on reconnaît deux ma-
nières de contracter mariage (2) : l'syyuv], quand le mariage a
lieu entre extranei\ 1' £7:t.8ua<jia, quand le mariage a lieu à
(1) Voir p. 249 et suiv.
(2) Hruza les met avec raison sur le même pied : o. L, I, p. 36.
REG, XXX, 1917, n» 140. ÎS
364 LOUIS GERNET
l'intérieur de la famille, quand la fille épiclère est « adjugée »
au plus proche parent. Quant au lien intime entre les deux
syYuai que nous avons vues, il apparaît sous forme concrète
dans le « fait ostensif » du mariage par composition qui pou-
vait clore une vendetta, et dont on connaît des survivances
jusqu'en pleine époque historique (d) : ici les deux sortes d'è^yuri
se montrent associées et fondues. Pour ce qui est des cas ordi-
naires, on peut noter un certain parallélisme entre les deux
moments que sont l'a-^eo-iç et la cpiT^oTTiç (2) et les deux moments
que sont la promesse de payer les eSva et le yà|jioç (3).
En second lieu, on observera que la pratique de T èy^uri
matrimoniale a donné tout son contenu à l'idée du contrat. On
peut même dire que cette EyyuYi là est privilégiée à cet égard.
Sans doute, reyyjTi à cause délictuelle comporte des obligations.
Mais la notion, le sentiment de l'accord et de la pacification —
qui, pour nous, est d'ailleurs fondamental — y prédomine : le
concept de l'obligation ne s'est pas encore dégagé pour lui-
même (4). Il s'annonce au contraire dans l'autre eyyuri, et ici
nous retiendrons le point de départ d'une théorie que nous
avons mentionnée sans pouvoir Fadmettre : quand on a avancé
que l'syyuYi sert à garantir la filiation légitime de l'épouse, il
y avait à la base de l'hypothèse l'intuition ou le souvenir confus
que r eyyuï] retient l'idée d'une assurance : de fait, il y en a
comme des témoignages à l'époque classique (5). Seulement,
(1) Pour les cas légendaires, et pour le rapprochement que suggère une loi
dllion du me siècle (/. J. G., no XXII, m, l. 19-21), cf. Glotz, Solidarité, p. 130.
(2) Dans les obligations à cause délictuelle ; sur la distinction entre les deux
moments, cf. Glotz, Solidarité, p. 136 et s, : le premier marque un rapport de
dépendance ; le second, un rapport d'égalité, et une communion.
(3) Le yaixoç, correspondant à la cp-.TvdtTjç, est essentiellement, chez Homère, un
banquet : cf. Ouvré, o. Z., p. 293.
(4) Il est possible que, dans ce domaine, ce soit la pratique de l'arbitrage qui ait
d'abord dégagé les notions du debituin et de Vobligatio (les arbitres osaétiens
commencent par exiger la remise d'une partie du wergeld : Kovalewsky, o. t.,
p. 111). Du reste, l'une et l'autre s'affirment déjà pleinement dans la scène
homérique.
(5) Déra., XXII, o3 : TiV wç èXsôbtpo^ Tjyyui^aaTo ; cf. Mén., Périk., 10-11 : SîSwdi
T>,v xôpT.v w; ôuyatépa. . . Dans notre sens, cf. Dém., XLI, 6, et surtout Plut.,
Arist., 27, l'expression tôv yifxov lyy'jwa-riç.
HYPOTHÈSES SUR LE CONTRAT PRIMITIF EN GRÈCE 365
nous dirons, pour employer une torminologie usitée ailleurs,
que l'assurance primilivcment n'est pas ici affîrmaloire, mais
promissoire : dans le principe, elle garantissait la dation de
la jeune fille. — D'autre part, F syT"^"^ "Contrat de fiançailles
afïirme déjà quelque chose, à sa manière, de la convention
moderne. Elle comporte des obligations corrélatives. Elle est
déjà synallagmatique (1) : elle oblige 1' £yyuw|jL£voç à verser le
prix de la femme, elle oblige l'syyutov à livrer la femme ; car
il est évident qu'une promesse solennelle lie ce dernier (2),
sous la condition que l'autre partie se soit acquittée.
Nous avons réservé la question des formes. Mais l'étymo-
logie de eyyuri est claire, et nous avons maintenant de quoi
l'interpréter. Il est visible, et universellement admis, que le
mol s'apparente à yuTov, yjaXov. Et le sens de « paumée » a
déjà été donné. C'est par la paumée que, dans d'autres sociétés
aussi, nous voyons se conclure l'arrangement à fin de ma-
riage (3). C'est la paumée qui, chez bien des peuples, sert à
conclure un arrangement en général (4) : nous nous limiterons
à l'analyse des faits grecs. — Comprenons bien d'abord que
ridée de « dans la main » n'implique pas du tout une remise
purement (5) matérielle. Pour ce qui est de l'eyyuvi matrimo-
(1) Dans la terminologie moderne, il faudrait la dire synallagmatique impar-
faite : le fiancé est immédiatement obligé; il Test en particulier par le verse-
ment d'une partie des è'Sva (A 244), ce qui fait songer à ce contrat réel qui est
attesté, contrairement à la doctrine classique, au iv* siècle (P. L. Claudel in
R. E. G., XXVT, p. 221 et s.).
(2) Ceci particulièrement marqué S 5-7.
(3) Germains : Sohm, das Recht der Eheschliess., p. 48: Islandais : Dareste,
Études, p. 847 et s ; Anglo-Saxons : F. Rôder, o. L, p. 34. Etc.
(4) Dareste, Études, p. 104; Amira, Nordgerman. Ohligationsrecht, p. 291 et s.;
Esuiein, Éludes sur les contrats dans le très anc. dr. fr., in Souv. Rev. hist. du
dr., 1880, p. 680; Pollock et Maitland, The Hist. of Engl. Law, I, p. 188; Kova-
lewsky, o. Z., p. 114; Huvelm, Magie et dr. ind., p. 37. Sur la paumée à Rome,
cf. P. F. Girard, o. /., p. 481, n. 3 : promittere [dextram).
(5) Le geste peut être le « symbole de la dation d'un gage » comme l'indique
Huvelin (Z. c.) et comuie nous le marquerons : mais la signification du gage
n'est nullement matérielle. 11 faut ajouter que la paumée ne fonctionne pas, à
proprement parler, comme syméole, car nous verrons que, dans le principe
tout au moins, elle a son plein sens en elle-même (Dareste, Études, p. 140, en
donne une traduction banale, tout à fait insuffisante).
366 LOUIS GERNET
niale qui doit continuer à nous éclairer, nous ne voyons pas
que la jeune fille y soit remise puisqu'elle n'a môme pas besoin
d'y figurer (1). La paumée est un coutiat lormel. — Mais avant
de marquer la signification du fait, il nous faut observer que
la forme de la paumée est ou peut êlre associée à tout un
ensemble de pratiques. Ou le voit tout de suite encore par
reyyu"^ matrimoniale, telle que nous avons cru la restituer.
Elle se conclut normalement par le prononcé de certaines for-
mules que la tradition retient et perpétue. Nous l'avons cons-
taté dans les expressions stéréotypées d'Hornère; nous l'avons
constaté dans le dialogue solennel qu'est encore ï l^yù-/] de
l'époque historique; non moins net est le témoignage d'un
Euripide dont les expressions ne peuvent s'entendre que d'une
sponsio caractérisée (2). Nous savons d'autre part que le pri-
mitif contrat de fiançailles peut admettre dès sa conclusion le
versement d'une pnrtie des eôva; et nous allons voir que le
geste de la main peut signifier la remise d'un objet symbolique
et pénétré d'une vertu spéciale. En somme, l' eyyjTi est un
contrat formel qui vaut par Tcfficacilé du grste; mais c'est
aussi un contrat re et un contrat verbù. — Ce n'est pas tout.
— Derrière, l'uTroTyso-iç homérique en matière de mariage, il
est permis d'entrevoir cette forme du serment (3) d'oii le con-
trat vei'bal romain pourrait être dérivé -^4). Kt il ) a d'autres
éléments que les conditions mômes oii se conclut le traité asso-
(1) Il est douteux que sa prépence soit requise même à l'époque classique
(cf. Hérod., VI, 129 l;^0 ; si le père de Déu.osllièiie « rniiet » sa femme et sa
fille à ses neveux c esi coinme un dc'pôt sacié, et en même teii'ps qu'il leur
confie son fils (Dém., XXVllI, 15).
(2) Eurip., /. A., 130 : xê(vtj) TraîS' iTt'fr^\i.\.rsx ; 133 ; 5)^oyov cpaTisa; ; 904 : xr, te
XeyÔeiaTj Sijiapti. 936 : êfit, a,aTta6eî(Ta ; Or . 10*9 : f,v ijoi xatTiyyuT.aa ; 1672 : xal
>kéxTp' i7:-/,vecj' t,v{x", àv 5i.5w Tzixr^p ; l«i75 : aol 5à iraîS" ey^j xaTsyyoû (ce qui est la
marque de la réconciliation, de la z\K6ft\<i voir v. KSO; et. p 2x4.
(3) A quoi pruvent faite penser, pour ré,yûr, même, des expr» ssions comme
Zf.va irapéxîiv èyyoov (Tliéognis, 2N5-6, 11 est viaij-eniMable que In fameuse for-
mule dt lphi(^ue Èyyua irâpa 6" i'xa, quel que soit le sens qu'on lui ait donné pos-
térieurement (cf. Epich., fr. 23 : Dit his, Vorsohrat., 1^, p. 94^. était d'abord un
avertissement de ne pas proniettie ^ la légère ^ous l'mvocalion des Dieux.
(4) C'est la théorie de P. F. Girard, o. l., p. 481-2.
" HYPOTHÈSES SUR LE CONTRAT PRIMITIF EN GRÈCE 367
cicnt natiirellemont à la paiimoe : un trait^^ entre familles
comporte libation (1), compoito sacrifie" et han(|u<'t en même
t'Mups qu'une espèce df sornicnl-onJalip (2). — Acte juridico-
religieux, rÈyyjYi «^sl un complf'xus au point de vue religieux
et au point de vue juridique. Qnd esl le sens de tous ces élé-
ments qii"(dl(^ piml admettre, qu'elle adm^t on quid(|ue sorte
virluellement? Et d'abord, quel est le sens de la paumée
elle-même?
Qu'elle donne son nom au contrat, c'est rin()ice qu'elle en
est le momcnit central, sinon l'élément essentiel. On sait que,
dans l'antiquité — et pas soulement dans ranti(|uilé — la main
droite lowç un rôle très important et profondi'^ment symbolique
à bien des moments d(^ la vie sociale; aux actes qu'elle signifie
ou qu'elle con lui, son gi^sle communique un caractère singu-
lier de gravité : les faits rassemblés par Pictet, Schrader, et
surtout SittI ilans ^on ouvra^^e die Gebdrden der Griechen und
Rômer, sont assez in^tru<;tifs là-dessus. Kn Grèce, nous retrou-
vons r syYUTi paumée dans cet accord qu'exprime le mot
Ss^ui (3) ; et il y a apparence que plusieurs désignations du
contrat en conservent le souvenir (i). Or la première chose à
constater du geste de la paumée, c'est qu'il a, par lui-môme,
une signification et une valeur religieuses. Nous pouvons le
conclure des représentations qui sont couramment associées à
(1) Pour l'associatioa normale entre les (n:ov5at et la paumée, cf. Sittl, o. L,
p. 137. — Le mot a-rtévSsjQat signifie « faire sa paix >> dans le passage de VOj'este
d'Euripide (v. 1680 et s.) où la « paix » est scellée par une syyùr\ matrimoniale.
(2j Sur la signification symbolique et imprécatoire du sacrifice qui accompagne
l'accord juré, cf. Glotz, El. soc. et jur , p, 113.
(3) B 339-341 ; A 155-159 ; pour l'emploi défiai du terme, cf. Ebeling, Lex. hom., I,
p. 285.
(4) C'est dans la sphère des représentations que nous analysons qu'il faut
chercher l'explication des termes qui impliquent l'idée de « jonction »>, comme
auvô^xTi (Pictet, Orig. indo-eur., Ill, p. 134) et autres composés du même genre,
comme àpfxovia (X 255; sur l'étymologie, cf. Boisacq, Dict. éiym., p. 79) — ou
l'idée d' « échange », comme 8ixXXaya{, auviXXayjxa : il faut bien se dire que la
langue juridique ne comporte guèFc de métaphores au sens littéraire du mot.
368 LOUIS GERNET
la main droile : elle est faste ; elle est douée d'une efficace
bienfaisante (1). Mais nous pouvons l'induiie aussi et des liles
mêmes qui accompagnent el qui encadrent V syrÙT,, et de loute
une catégorie d'actes symboliques où la vertu mysti(]ue delà
dextre apparaît ou transparaît, et dont l'analogie profonde se
laisse ainsi déceler.
Quelques indications là-dessus. Nous voyons que les armes
transmises de la main à la main (2) sont douées d'un pouvoir
religieux, d'une espèce de mana ou, si l'on préfère, de numen.
Au VII® chant de VIliade, Ajax et Hector échangent leurs
armes après un duel sans résultat. C'est le signe d'une trêve;
mais en principe, c'est le signe d'uue paix, et le gage, au sens
originel du mot, de l'amitié : c'est un cas probant que celui de
Diomède et de Giaukos qui ont, eux aussi, échaugé leurs
armes eti reconnaissant qu'ils étaient unis par un lieu hérédi-
taire d'hospitalité (3). Or ce n'est pas hasard si, dans la légende
post<*ri(^ure (i), le Çw^r/ip l'emis par Ajax à Hector doit servir à
lier Hector au char derrière lequel xAchille traînera son cadavre,
et si l'épée remise par Hedor à Ajax est celle même avec
laquelle Ajax se donnera la mort : Sophocle, dans sa tragédie,
fait une allusion significative au ^(ùpov "ExTopoç, don devenu
funeste (5). Or il est bien certain que les armes sont volontiers
considérées comme pénétrées d'une vertu mystérieuse dont
l'idée dépasse et déborde celle de leur puissance matérielle ;
mais la main droite aussi : et dans une pensée régie par la
(1) Voir le bel article de R. Hertz, La prééminence de la main droite, in Revue
philosophique, 1909, p. 353 et s. — Le lien entre ces représentations et le geste
de la paumée apparaît notamment chez les Ossètes où le contractant, en tendant
la main, dit : « Je te donne ma main de Dieu » (Kovalewsky, o. l., p. H4).
Cf. 5s;i5^ eûSaî(j.ovo;, Eur., Héc, 753.
(2) Pour le rapport avec les ôs^iat, cf. Glotz, Solidarité, p. 158.
(3) Z 230-233; les deux héros scellent leur accord par une poignée de mains.
(4) Cf. Ameis ad H 303.
(5) Soph., Aj ., 811-8 II n'y a pas besoin de voir dans les paroles d'Ajax l'idée
qu'Hector ait eu l'intention de nuire ; en qualifiant son ancien adversaire de
syôîJTOj, il rappelle seulement la pensée fondamentale du Timeo Danaos... :
c'est le don d'un ennemi (\m accuse le caractère sinistre d'un objet doué dç
mana^
HYPOTHÈSES SUR LE CONTRAT PRIMITIF EN GRÈCE 369
« loi (le parlicipalion », où commence, où finit l'influence des
réalités dislincles agissant dans un milieu continu? C'est la
dextre (1) qui, exprimant et prolongeant l'individu (2), fait
irradier jusqu'en son pernicieux présent une personnalité
ennemie.
Instructif aussi, le cas de la glèbe que l'hôte reçoit en
manière de symbole, et qui pourra signifier la remise de la
terre et de l'eau (3). Ce cas, nous le rencontrons, particulière-
ment explicite, dans un passage de Pindare où la représenta-
tion, pour être mythique, n'en est pas moins à retenir. La
quatrième Pythique contient, comme on le sait, une longue
prédiction de Médée qui commence par le rappel d'un épisode
fondamental : jadis^ sur les bords du lac Tritonide, un Dieu —
probablement Triton — sous la figure d'un mortel et sous le
nom d'l^]urypyle, a offert à Euphèmos, un des Argonautes, une
motte de terre en ^'à^Q d'hospitalité ; cette jâwXa^ est qualifiée
d'opvtç, terme à la fois concret et abstrait (4) où la représenta-
tion d'une puissance est étroitement associée à la représenta-
tion d'une chose : cette [StoXa^ contient « le germe de la Lybie
aux vastes champs ». Suit l'indication des rites qu'Euphèmos a
(1) C'est un seul et même moment qui est représenté Z 233, yiioi^ x' àXX-riXwv
Xa6£XT,v xal TîtaroWavco (nous verrons que rJ.axii, a un sens objectif — et religieux
— avant d'avoir un sens subjectif).
(2) La main droite désignant le moi : Hertz, o. Z., p. 569.
(3) Sur le yf.v xat G5wp StSôvat, rapproché du rite dont il va être question dans
Pindare, cf. Bôckh, Pindari Opéra, II, 2, p. 269. — G. Radet {Laprem. incorp.
de l'Egypte à Vemp. perse, in Rev. des et. anc, 1909, p. 206 et s.), propose de
dériver la « coutume féodale » des relations de clan à clan où « un des pre-
miers devoirs était celui de Thospitaiité publique ». Or Tidée de l'hospitalité joue
un grand rôle dans le système de notions que nous considérons présentement.
Et une des formes où se manifeste le lien de vassalité à l'époque historique
permettrait peut être d'accentuer l'idée d' « alliance » que nous avons cru recon-
naître dans rsyyuï^ matrimoniale primitive : « une des filles du vassal entrait
généralement dans le harem dul seigneur, en signe d'alliance et comme gage de
fidélité » ; il peut être rappelé ici que, chez les Australiens, certaine forme de
mariage seit à créer une communion entre les individus qui possèdent une
même femme.
(4) V. 19 — On sait que le mot ô'pvi? signifie par ailleurs « présage » : essen-
tiellement, il implique l'idée d'un numen (cf. J. E. Harrisson, Themis, p. 98 et s.).
On rapprochera i'épithète de 5ai}jLovCav donjiée à pw)v«xa, au v. 37, .
370 LOUIS GERNET
négligés et qui, accomplis, auraient assuré à ses descendants,
suivant le cours d'un temps au rythme mystique (l), la pos-
session du « vaste continent ». Nul doute que nous ne retrou-
vions ici les notions essensielles d'une pensée religieuse primi-
tive, et avant tout la notion de mana. — Or cette motte de
terre — Pindare y insiste à plusieurs reprises — a été reçue
par Euphèmos de la main à la main ; le terme Sé'^oaai est déjà
significatif (2), mais plus encore celui de ôs^'.Tspa (3), plus
encore le geste de la paumée par quoi la remise de la glèbe
s'effectue (v. 37) : X^t-pl ol ^^yS àvTsps'Ia-a'.; Sé^aTo jBwÂaxa oat.[jiov'lav.
La pens«'»e que nous venons de reconnaître et, plus ou moins,
d'identifier, est enc )re illu^lrée p ir les emplois d'un verbe de
la mAm<^ f^millo que notre syyjY,. 'Ey "^aAi^o) qui, chose notaMe,
ne ^urvil guèie après l'â^e tiomérique, signifie pr()f)rement
« mettre dans la main ». xMais très souvent, la notion d'un
pareil acte s'aecompagne d'une conception religieuse ; très
souvent, d'abord, c'est un Dieu qui est le sujet du verbe ; et ce
qu'il remet, c'est une puissance, particulièrement un xpaToç qui
est lui-même d'essence religieuse (4) ; et c'est aussi des objets
comme le sceptre (5) dont nous n'avons pas à rappeler qu'il
est une chose pénétrée de vertu.
(1) V. 47 et s. ; Téxpatwv TtaiSwv x' eTTiyivofxsvtiiv.
(2) V. 23 : t6v.., çe(vtx -rrpwpxôîv Eujaaoç xaraêis | Ss^ar'... ; v. 37. A Tétymologie
de Sé/ofAxt paraissent associéf^s des 'niées morales et religieuses (cf. Bc)isa<'q,
Tiicl. étym., p. 173) ; d'Hut.re part, le rapprochement avec Séçwî, que Glotz
{Solidarité, p. 158), invoque sur TautoritA de Curtius, semble devoir être maintenu
(Boisa''q, o. l., p. 177). — Au reste, nous n'accepterions pas plus, dans ce groupe,
une déduction da moral au physique (le côté droit étant « celui qui convient,
cf. la^. decHs, etc.i, qu" la d > lu<'tion inverse jnstement écartée par Hnrtz. o. Z.,
p. 564 : lid'e fon la nen^aW' reste celle de la dexl'^e av c on pouvoir religieux
et sa vertu nionle.
(3) V. 35 : 5E;tT£oî ■:zi^rixuy[h-t Hévoiv ]xi.Tzz\jzz Soôvai. — Il est bon d'observer
qu' l'ilé' dp . re''pvoir » n'e-^t pis un latérile : ici elle apparaît, par le mot
^z' '.'z-j ' -f u 3)1. -o mue ;• ip, tort 'e ii lu titre d ■ ce U'-» : et ce t le ca»* !•• plus
or i e. mai xw ers 23 -l 37 S^/stBxi i p.» ir sujet i elra \j.<^v.
i. A 192 = 207 : P 20o , 612: 7>3. Sir la valeur rtdigieus»* de cette notion, rap-
^jroch'^e de celie A*^ maan. cf J. K Hartison. Thp>nis, p. 72 ^t s ; p. 90. — Le
m^ine verbe a ausn pour r'''^ime3 des mots qui désignent des idées du même
ordre, -AXi^o^ (0 491, cf. 644), xéoSoç [^ 140), tiîjlt, (A 352).
(5) I, 98. Voir emssi un emploi notable dans ApoU. fth., JH, 1036 et s,
HYPOTHÈSES SUR LE CONTRAT PRIMITIF EN GRÈCE 374
Enfin cette noiion d'efficace immanente à la droite s'est épa-
nouie, comme on doit s'y attendre, dans la conccplion d'un
num^n mulliple et plus ou moins défini, qu'attestent les dési-
gnations divin(*s où se retrouve la racine dek[s). Celle végéta-
tion d(^ la piMisée religieuse que II. Usener a tenté de d/'crire
dans ses Gottemamen est encore reconnaissable dans la figure
d'un héros Dexion où prc^n I corps l'idée du pouvoir bienfaisant
de la main qui guérit (1); par ailleurs, la même racine entre
dans la composition du nom de certaines divinités (2); elle a
fourni aussi des noms propres à des personnages de la
légetide (.3). '
Qu'est-ce qu<» tout cela, sinon la traduidion ou l'anticipation
mythi jue d'un(» pens('M» qu'on voit jouer dans la vie -ociale, et
qui nolammenl a pr''si<lé aux origines du gayel (]ar on sait
bien qm» la valeur qui est athibuée au gage ne saurait être une
valeur intrinsè jue — celle que peut avoir un gant ou un
anneau est plulôt mince : il faut qu'elle soit d'onlre reli-
gieux v4]. Mais c'est peut-être une inlerprélation un peu étroite,
c'est du moins une interprétation secondaire, que celle qui rat-
tache ici le jugement df» valeur à la « magie sympathique » :
l'objet remis — et il est significatif qu'en droit germanique, par
exemple, le wadium. soit souvent un gant — vaut essentielle-
ment parce qu'il conmihnq'ie au contrai et confère au créan-
cier la vertu qui r'sid li' d'abord d ins l'acte 1^ la paumée, parce
qn'il prolonge, au-delà du geste pii les fondait primitivement,
l'accord et la puissance de l'accord.
(i) Sur le h<^ros Dexion rapproché d'AskIèpios, mais non identifié avec lui, cf.
B'ym. Magnum, p. 236 ; Plut , Numa. IV ; Afh. Mitteil, 1896, p. 296, p. 311 ; voir
P. Foucart, Grands myst. d'EL, p. 117 :J. E. Harrison, Prolegomena to the Study
of Gr. RpL, pp. 344-336.
(2) Dexô, Dpxaménè : voir Weiszarker m Levikon de Roscher, T, col. 999. 1001;
sur CHilaines divinités cMtiqiies dont le nom appirfient à la inêine racine, cf.
StendiniT. ih , col. 1001. — Dexios comme « désignation a ijective » de numina :
Usener, Gfittprn., p. 343.
(3) W'Mszâcker, l. c; S^oll, ib.; cf aussi Plut., Qu. gr., 54. — Sur les dériva-
tions de noms propres ordinaires, Usener, l c.
(4) Pour cette interprétation, et pour la critique 4es tl^éories de sens comwun,
cl, Huvelin, o. l,y pp. 29-3i,
372 LOUIS GERNET
Aussi bien, dans ses premiers emplois, le gage a-t-il moins
pour fonction d'as'^urer la main-mise idéale d'un créancier sur
un débiteur que d'établir entre les deux parties un lien réci-
proque : la conception n'en est pas unilatéiale, mais bila-
térale. C'est ce qui se traduit dans l'usage des tesshes dont
les deux moitiés s'adaptent exactement l'une à l'autre et qui,
possédées par chacun des contractants, leur permet de se
reconnaître et de perpétuer leur alliance. Nous avons fait allu-
sion aux souvenirs (]ue retiennent, dans leur étymologie, cer-
taines désignations du contrat : o-uaêoAov est un de ces termes;
or le a-j[jiêoÂov est originellement une tessère d'hospitalité (1).
Mais il n'y a là que le développement et comme la différencia-
tion d'une pensée que concentre la pensée môme de l'èyyuYi (2).
C'est cette dernièi-e, au fond, que désigne d'abord le mot, pure-
ment abstrait en apparence, de Tiia-Tis (3) ; outre que cette tcIttiç
s'exprime en des rites qui prolongent et reuforcent retfieace de
la d(îxtre (4), on la voit qui s'extériorise, pour ainsi dire, dans
le gage que le mot désigne couramment par l'expression toute,
faite de TiiT-Lv ôt.o6va', xal ÀapLêàv£(.v ; et comme la notion du gage
(1) Voir Eurip., Médée, 612-3, et l'explication du scholiaste, d'après Helladios.
Wecklein, éd. d'Euripide, ad. l., rapproche les auixSoXa des tesserae hospilales
des Romains, et sif^nale un usage analogue chez les Scandinaves. Le même com-
mentateur rappelle les tablettes couvertes de a\\k'xx:t. dans une anecdote fameuse
de Vlliade (Z 168) ; il y a peut-être là de quoi éclairer les origines du contrat
litteris (cf. Huvelin, o. L, p 34 sq.).
(2) L. Gautier, Langue de Xénophon, 1911, p. 39, signale l'emploi spécial et fré-
quent de Trapsyyuav au sens de « faire passer l'ordre dans les rangs ». Une con-
jecture assez tentante consisterait à dériver ce sens de l'usage de la tessère
comme indiquant le mot d'ordre fcf latin tesseram dare : Liv. Vil, 35) ; cet usage
militaire et laïque nous permettrait de retrouver le lien oiiginei entre la con-
ception religieuse de l'èvvtjT, et la conception religieuse du c7Û[xooÂov : de fait,
TrapeyYuàv a parfois une valeur analogue à celles que nous avons signalées pour
èyYua)v{^£tv (un rapprochement notable s'impose entre Soph., Œ. C, 94 et
Apollon. Rh., 111, 295).
(3) Exemples bien connus de Sophocle : èfxêâX'Xetv ysipô; irio-civ (F/iil., 813, cf.
Trach., 1181) SoGvxt -/spô? Tzizxv, (Œ. C, 1632). Cf. la fldes romaine, dont Tite Live
(I, 21) nous dit que Numa fit une divinité : institua. .. sedemque ejus eliam in
dextris sacratam esse.
(4) Cf. Hérod., iV, 172, à propos des Xasamons : Tr^axtai 6è xoif.aSs ypcwvTai '
Sx xf^; /si-pôî SiSot Tzich xal aÔTÔî èx xf^; xoû éxépou Tr(vEu.. Le caractère de corn-
muniony qui va nous apparaître essentiel, s'affirme ici.
HYPOTHÈSES SUR LE CONTRAT PKIMITIF EN GRÈCE 373
se présente volontiers à l'esprit sou^ l'image d'un « dépôt » à
forme rituelle (1) — d'où la locution tt-Io-tw ou TT'.o-Tà Tt.f)iva'. (2) —
l'expression de -rt-Béva!. ÈyyjYiv (3) m.i ni leste l'expansion natu-
relle de l'idée mèi'e de rsyyij/i. Vraiment, c'est une pensée
étendue et ramifiée, qu'on peut rattacher à celle-ci; et ses vir-
tualités juridiques s'atfirment assez.
Seulement, toutes ces obsei-vations nous laissent à la porte
du problème. Pourquoi cette représentation religieuse qui nous
apparaît fondamentale? — Ce qui revient à se demander : que
signifie et symbolise le complexus de rites dont rsyvjyj au sens
étroit est comme le point central? — Or, si nous y regardons
de près, nou< reconnaîtrons «[ue cet acte complexe se résout à
l'analyse ; il a premièrement ce qu'on pourrait appeler une
matière, et ce sont les rites de sacrifice, libation, repas reli-
gieux (4) ; mais il comporte, élément plus essentiel encore,
un engagement, sous forme sacramentelle, par quoi la religion
entre dans le droit, se fait droit.
Considérons d'abord ce dernier. La formule qui l'exprime
explicite la vertu religieuse du tout : lorsque les deux contrac-
tants disent ^yy^w et syyuw^jiat., ils traduisent, et par là même
ils localisent et définissent la puissance et relïicacité que dégage
le drame juridico-religieux (5). Et c'est de là qu'il faut partir
(1) Procédure à laquelle nous renvoient de fréquentes allusions en Grèce, et
qui joue un grand rôle dans les débuts du droit, soit pour la formation du con-
trat en général, soit, plus spécialement, pour l'arrangement à fin d'arbitrage (cf.
Huvelin, Stipulation, slips et sacramentum).
(2) Théognis, 286; Pind., iV., VllI, 44.
(3) Esch., Ëum., 898.
(4) Sans doute, tous ces moments ne sont pas contemporains, ou ne le sont pas
nécessairement; mais c'est le caractère de réyyûT,. nous a-t-il semblé, d'en repré-
senter l'unité. Sans doute, on peut reconnaître, d'un certain point de vue, une
distinction marqu^^e entre TarSsjtç et la cpiXoTT,?, par exemple [supra, p. 284); mais
les deux moments se suppost-nt l'un l'autre, et Isyyûr, ne désigne pas l'un par
préférence a l'autre.
(5) De même, dans une certaine forme de serment imprécatoire' (cf. p. 287,
p, 1), le sacrifiant établit un lien exprès entre les paroles consacrées qu'il pro-
374 LOUIS GERNET
■ — de cf rapport entre l'acte total et la formule — pour com-
prondro la valeur même de la foimul^ dans le droit commen-
çant. D'expli^juer U r •sp(»cl des p :irol(\s traditionnelU^.s par la
seule vertu tle la tnidition, ou mêtne par la conception reli-
gieuse d.'S nomina-Jiumina^ c'e<t une inlerprétation ou verbale
ou tout cxtéi'ieure ; l'homme ne commence pn*; psr être inin-
telligent. Il est remarquable que, dans l'ancien droit romain où
s'atleste si impéiicmx le formalisme de la parole, ce formalisme
s'attache en particulier aux termes mêmes par quoi l'engage-
ment se noue; et quand certains modes de contracter viennent
à s'ouvrir aux pérégrins, le terme consacré est remplacé pour
eux par un terme synonyme, tnais autre (1) : comment le com-
prendre à moins d'adfnettre que la valeur religieuse de la
formule e^t le résidu de la valeur des actes rituels que
la formule ac<-ornpa^nait, résumait, explicitait ? La par-
tager, ce serait la pr.-faner; si les néces'^ités pratiques
commandent Texteusion du contrat, on aime mieux en faire
comme une nouvelle édition, rituelle encore, mais déjà
banalisée.
'E^yuaTGat. exprime spécialement un geste, en même temps
qu'il traduit tout un ensemble. Rt de cet ensemble, oîj les par-
ties ne lais eut pas d'ê're à l'état d'implication réciproque (2),
il faut bien que le ge^te produis-» l'a^^pect proprement reli-
gieux, celui qu(i manifestent les rites -sacrificiels. Or, ces rites,
nonce et l'acte symbolique qu'il accomplit Dès ce moment, le droit apparaît,
surajouté à la religion (cf. Hubert et Mauss, Théorie génér. de la magie, in Année
SocioL. VU, p 14). Seulement, on doit dire que son autonomie est plus marquée
dans réyyjTi, dans le contrat proprement dit que dans le serment : la notion
définie de rengagement est un él ment nouveau; par là il reste vrai que l'appa-
rition du contrat marque, en un sens, les débuts de l'individualisme : cette prf^oc-
cupation de « localiser » une force religieuse se manifeste dans le serment romain
per Jooem lapidem qui se prêtait suivant les formes suivantes (Paul Diacre, s. v.
Lapidem Silicem, éd. Muller, p. 114; voir Huvelin, o. l., p. 33) : « Lapidem sili-
cein tenebant juraturi per Jovfnn, haec verba dicentes : « Si sciens fallo, tum me
« Dis pi ter, .sa/ua whe arceque bonis ejiciat. ut ego hune lapidem ».
(1) Exemples : stipulation P. F. Girard, o. L, p. 483) : cautionnement {id., ib.,
p. 744).
(2) Noter en particulier l'alliance obligatoire et consacrée ; aTrovSai x' .àxpTf)Toi
xal 5e^ia( (B 341 ; A 159 ; cf. Sittl, o. L, p. 137),
HYPOTHÈSES SUR LE CONTRAT PRIMITIF EN GRÈCE 375
ce sont des rites de communion : c'est bien l'idée de commu-
nion sacramenlelle «luiapparaîl, comme M. Glotz Ta montré (1),
dans la formo même des arrangements qui metl(Mit fin à la
guerre enlre deux familles. La paumée la produit aux cons-
ciences par le contact intime qu'elle établit et par la sympathie
religieuse qu'elle affirme.
Qu'est-ce à dire? Que, dans une société à base de clans,
c'est la pensée « genlilice » qui continue de s'attester par l'ins-
titution des aicords qui dépassent les clan?; eux-mêmes. Elle
ne saurait se transcender du premier coup : pour créer un lien
interfamilial, on commonce par créer un lien quasi-familial.
Voilà pourquoi la noiion de l'hospilalité, que nous rencon-
trions sur notre chemin, est si naturellement associée au gesie
de la main (2) qui accueille et qui reçoit : le terme Siyojjiai,
qui a toutes chances d'appartenir à la même famille que Sériai,
l'exprime avec prédilection (3); or un hôte, c'est un quasi
parent (4), un parent virtuel (o) ; on se l'unit par un acte qui
symbolise une espèce d'agrégation au groupe familial. Pareil-
lement, l'accord qui clôt une vendf^tta se traduit par le serre-
ment de mains (6) : or un pareil accord est dénommé cpiAoTriç,
et c'est à propos de la cp'.AoTT,; que M. Glotz a confirmé et illustré
(1) Solidarilé, pp. 152-164. Voir notaiiim-nt p. 159 et s., sur les rapports entre
les foi-maiit'"< «le la f iXôtt,; 1 1 l'ififW' du biuod cooeiutnt ; p. 157, sur la signifira-
tiun de la %ù\\.\ f.XotT.aîx cf. H. E G., XXIV, p 223, à propos de K. Kircher,
Die à-ak raie Bedeutuny des Weines im ALtert., 191U. p. 66 el s j.
(2) Cf. Sittl, o. /., p. 135, sur le rôl" de la pautuée dans la foriiiatiou du lien
d'ho.spilalilé.
(3; Voir Glotz, Solidarilé, p. 158, avec Its réfétences kU'/z<s^xi et Se^iTepri.
(4j «tiXeïv signifie spécialement et fréquemment « accui iilir en hôte « (a 123 ;
6 29; o2.si ; p .)6, etc.) : or tpiXoç = parent. — Il est remarquable de voir que le
mot è'-cr,;, qui exprime par lui-même lidé'" de parenté i racine iit'ej, appartient à
Une famille qui a fourni à certaines langues indu européennes la désignation du
liend ho.spitalité (cf. Prellwilz, ii/. Wô/7.=', p. 161j.
^5; Qu'on se rapp-lle le cas <le l'hénix, acfueilli comme hôte, puis agrégé à la
famille ue Pelée pai Taditption d Achille — et ces TratpôJiot ^sïvoi de l'épopée qui
•e rapprochent sensiblement <ies Tratowioi itaîpoi.
(6 Glotz. Solidanlé, p. 138 : « C'est NUrtout dans la conclusion d'une (ptXdxTiç
que la formaliié des mams jointes aune hante signitiration ». Cette « significa-
tion » se précise par le rappruch-meut de la paumée avecles rites de communion
et par la valeur môme du mot «(Xoç (Glotz, p. 159).
376 LOUIS GERNET
cette donnée capitale que le 'fi\o^ est en principe un parent,
un membre du môme groupe tamilial.
Procédé suppose ici fonction. C'est une fonclion sociale que
remplit le contrat primitif. Elle appaïaît dan^ cetle institution
de l'hospitalité dont on sait l'importance et la fécondité (1).
Elle se suivit dans les procédures qui, pénétrées du même
esprit, continuent ou renouvellent à l'époque historique l'idée
fondamentale de la parenté « artilicielle » (2). Mais elle se
déclare surtout à l'âge primitif dans les deux emplois princi-
paux que nous avons reconrius à ley^y-t], et que nous avons
déjà rapprochés l'un de l'autre. Elle y est la même, elle y est
substantiellement une : entre les familles il faut, même si ces
familles sont distinctes, même si elles s'opposent, un modus
vivendi : c'est le fonctionnement du contrat qui l'assure, en
prolongeant les idées qui sont de l'essence de la mentalité
familiale.
Et rsyruri offre ainsi une certaine vue sur les destinées ulté-
rieures du contrat. Les contrats formels qui fonctionnent
notamment dans le plus ancien droit romain, et dans une
société qui a bien dépassé la phase « gentilice », sont par
délinition des conliais qui obligent par les seules formes : ils
comportent par définition un objet, mais ils ne comportent pas
de cause. C'est là un état peu intelligible en soi, puisqu'aussi
bien ces conventions exig(uit le consentement, la volonté des
deux parties. Mais de même <]ue la religion de la formule nous
est apparue comme un souvenir du passé, ainsi cette antinomie
doit pouvoir se résoudre par l'histoire. Or si nous remontons
au-delà de cette espèce d'individualisme qui est la condition
du développement du droit contractuel, nous voyons qu'il
existe, dans la société à base de clans, des contrats — et, sin-
(1) Cf. Huvelin, Uhist. du dr. commerc. in Rev. de Synth, histor., VII, p. 71,
p. 340.
(2) En particulier dans l'adoption et le tostanient qui, à l'époque classique,
gardent le souvenir d'un acte contractuel ^ponr le testament, cf. Beauchet, o. Z.,
III, p. 671, etsurtont E. F. Bruck, Die Schenk. auf dea Todesf., 1 (1909), p. 119;
sur la généralité du fait, Lambert, Fond, dudr.civ. comp., p. 4H et s.).
HYPOTHÈSES SUR LE CONTRAT PRIMITIF EN GRÈCE 377
gulièroment, le contrat de paix et le contrai de fiançailles —
qui, eux, comportent une cause. Seulement, cette cause ne se
confond pas avec un besoin individuel : cette cause réside
dans la nécessité (1) de tel ou tel ordre de relations coutu-
mières entre les groupes familiaux. Le mai'iage répond nette-
ment à un de ces types de relations — car il n'y a pas exoga-
mie sans une certaine endogamie, la « société » n'est pas chro-
nologiquement postérieure à la « famille » — et rÈyyjri à fin
de pacifi<îation y répond aussi — car le besoin collectif d'un
régime plus ou moins stable s'y manifeste : la notion de « paix
sociale » n'est pas d'hier, et nous voyons qu'elle a un sens
profond.
Peut-être la portée de cette analyse dépasse-t-elle son objet
strict. Peut-être la théorie sociologicjue du contrat s'y trouvé-t-
elle intéressée dans la mesure modeste que comporte une
indication ou une suggestion de méthode.
Ecartons d'abord — nous le pouvons sans phrase — la con-
ception « matérialiste » qui dériverait le contrat d'un procédé
qui ne serait pas déjà procédure, de la mainmise brutale qui
se réalise soit par la saisie immédiate du débiteur, soit par
l'emprisonnement d'une caution : pareille théorie ne fera
jamais sortir le spirituel du matéiiel ; à partir du moment où
le créancier se voit privé de cette primitive sûreté réelle qu'est
la Iraditio sui, comment comprendre la force obligatoire du
contrat ? C'est de celle-ci qu'il faut rendre compte.
Elle se présente sous deux aspects, l'un objectif et social,
l'autre subjectif et individuel : d'une part, le contrat vaut parce
que la garantie en est assurée par une puissance supérieure
aux contractants ; d'autre part il implique comme condition
(1) D'où dérive restimation collective de la -oivr, qui sert ensuite de base,
comme nous l'indiquions au début de ce travail, à la fixation des tarifs : il
n'est pas sans intérêt de retrouver ainsi aux origines, dans le « prix du sang »^
le jugement social qui fonde également l'institution économique de la valeur.
378 LOUIS GERNET
nécessaire la foi du cre'ancier dans la promesse du débiteur.
Ces deux aspects répondent à deux moments psychologiques (i) :
et l'originalilé du contiat est dans le primai qu'il faut recon-
naître au second. Lorsqu'il n'existe pas encore de sociélé orga-
nisée qui s'impose aux contractants, les moyens auxquels on
recourt pour contracter sont considérés comme ayant une
efficace mystique ; la puissance supérieure que nous disions est
une puissance religieuse que le créancier met de son côté et
qui fonde sa croyance : mais à cette croyance, c'est la promesse
du débiteur qui donne lieu de se proJuire. Lorsque la société
organisée apparaît, le contrat lie les contractants — ce qui veut
dire : 1 Etat en assure l'exécution — dès lors que la croyance
légitime du sujet s'est affirmée (2), par des moyens rituels ou
non. C'est toujours cette croyance qui est primordiale, en ce
sens du moins que, sans elle, le conlmt ne saurait se former.
On a essayé d'eu rendre compte en assignant une origine
magiqut* àdilférentes techniques du droit privé, et en particulier
à l'art de former des conventions obligatoires (3). Magie, qu'est-
ce à dire? Le rite magique ne ditlere pas du rite leligieux
« dans sa teneur extérieure » : il « n'est qu un rite religieux
détourné de son but social réguliei", et employé pour réaliser
une volonté ou une croyance iudi\iduelle ». Le créancier, pour
lier Sun debileui', recourt à des gestes ou paroles qui n'ont pu
être représentés comme efficaces et cuntiaignanls que parce
(1) Comme la puissance sup''rieiire — Dieu ou Etat — assure rexécution d'un
obligé, on pounait rétro iver ici quelque chose de la disiinction, si débattue il y
a quelques années, paruii les geimanisies et les ronumisles, enire uebitum et
obligatio, Schutd et Ha/tu/ig. Nous croyons que I èyyÛT, primitive suppose ces
deux éléments iudissolubles pour la bonne raison que, si la garantie est collec-
tive, le débiteur Test aussi .^dans Houièie, ce n'est pas Arèsy, et que si rèyyÛTri
n'engageait pas le yâvoç, il ny auiail pas de dette véritable. A vrai dire, la garan-
tie n'est pas un moyen purement matériel . eh<- est chose essentiellement idéale
(nous dirons quelle consiste a engager la puissan< e morale, la vertu, l'in-
fluence — ou, pour t uiployer un langage comuiode, le mana — du gi'oupe fami-
lial). Cette chos'- idéaU est la cous ■qceiice inimé<hale de l uffiimation solennelle
de la délie, t«lle qu'ille e.-t impliqu- e dans lèy^vt]
{2y Cet.e affiimaiion. que souligne Iv toimulaire de la spunnio et de rcyyur,,
reste essentielle à l'idée du lien contractuel ^théorie de l'acceptaliony.
(3) Huvelin, art. cité {Année Sociulog., X, pp. 1-47).
HYPOTHÈSES SUR LE CONTRAT PRIMITIF EN GRÈCE 379
qu'ils (lériveni de procodurcs religieuses — licites, patentes et
régulières : mais l'iitili^^atiori (ju'il se permet des forces reli-
gieuses est une utilisalim privée, voire secrète; il exploite la
pensée religieuse pour des fins individuelles. — La théorie
a le m('rite d'être une théorie : elle a une valeur expli-
cative, elle donne un fondement intelligible à l'élément spiri-
tuel du contrat ; elle permet de coordonner une quantité res-
pectable de faits historiques. Est-elle complète? Est-elle satis-
faisante?
On a déjà fait valoir (1) qu'une bonne partie des rites et
sanctions qui, selon M. Duvelin, dérivent de la magie, se rat-
tachent en fait à la religion : les imprécations, un des plus
puissants moyens de la technique primitive du « droit indivi-
duel », ne sont pas, par définition, magiques (2) ; le dhârna^ le
suicide juridique du créancier à fin d'exécution du débiteur, est
un procédé admis par les codes hindous; il dépend du culte
funéraire : il relève de la religion (3).
Nous pouvons aller plus loin. Certes, depuis l'étude de
M. Huvelin, il est impossible de nier le rôle de la magie dans
le développement du droit : elle a enhardi les initiatives, elle
a permis de nouer, pour des objets inédits, des liens que ne
pouvait garantir encore aucune société organisée. Mais les
origines que prétend la théorie ne sont pas des origines : il ne
suffit pas de dire que le magique dérive du religieux; il faut
soutenir que le « droit individuel » dérive d'un droit collectif
et religieux.
D'abord, il y a quelque chose de forcé et comme le retour
d'un romantisme intempestif dans le tableau qu'on esquisse
des débuts du « droit individuel » : l'audace délibérée de cet
(1) Hubert et Mauss, Mél. d'hist. des rel., p, xxiii sq.
(2) Il y en a, bien sûr, qui le sont — celles des defixiones avant toutes. Ce ne
sont, dans les origines du droit, ni les plus nombreuses, ni les plus importantes.
(3) Il semblerait que Huvelin ait répondu par avance à l'objection, en observant
(p. 37) que le dhârna a pu perdre son caractère magique. La réponse serait
insuffisante: l'histoire de Charila (Plut., Qu. gr., XII, cf. Glotz, Solidarité, p. ix,
p. 64 sq ) montre bien que le dhârna a pu être, à ses origines, une procédure
toute religieuse.
REG, XXX, 1917, n» 140. 26
380 LOUIS GERNET
« isolé », de cet « anarchiste » (1) qu'est le cre'ancier-magicien,
assurant sa main-mise et confirmant sa croyance parla violence
heureuse du rite — c'est une apparence qu'il faut retenir sans
doute, mais qu'il faut résoudre aussi. Un trait IVappant de cette
audace, c'est la pauvreté de ses moyens : ils se réduisent à un
petit nombre — gage, malédiction sacramentelle, usage de la
festuca, écriture — dont on a pu constater la généralité, mais
dont nous avons pu reconnaître aussi, ou entrevoir, les antécé-
dents. J'entends bien que l'arsenal de la religion ne pouvait
mettre à la disposition des contractants une très grande vaiiété
d'instruments. Mais les formes de la « magie juridique » ont
quelque chose de stéréotypé : et de les expliquer par une imi-
tation rayonnante, de prétendre que cetle rigidité de dessin
dénonce comme la pétrification des innovations individuelles,
l'interprétation serait plutôt périmée. C'est laisser échapper,
dans le formalisme, l'essentiel du formalisme, de ne pas voir
que, dès ses débuts, il affirme une tradition, une règle et, à sa
manière, une société. Celle-ci accepte, consent (2) : et aussi
bien, c'est une espèce d'anticipation, c'est le pressentiment de
la société efficace et préservatrice qu'il faut reconnaître dans
la croyance à la vertu contraignante des forces magico-reli-
gieuses. Très tôt, la Grèce laissa tomber le formalisme, dépouilla
le contrat de sa gangue : c'est au point qu'elle n'offre plus
que des traces d'une phase préliminaire. Dans cette évolution
accélérée, nous retrouvons la tendance collective, nous perce-
vons la société qui, voulant pour ses besoins propres (3) la
multiplication des contrats, assure une de ses fonctions propres
par l'affirmation du principe : oo-' av Tt.ç Ixwv £T£poç i'zk^iù ojjlo-
Xoy7]07], xtipLa elvat, (4).
(1) Huvelin risque le mot : o. /., p. 47.
(2) C'est ce que signifie l'emploi des témoins « solennels » que nous avons déjà
rencontré, et qui constitue un des traits les plus notables du droit primitif (l'ori-
ginalité de cette fonction est marquée, pour Rome, par II. Lévy-Bruhl, Le
témoignage instrumenlaire en droit romain, 1910).
(3) Cf. Huvelin, art. Obligatio dans le Dict. des Ant., p. 135.
(4) [Dém.], LVI, 2. Cf. [Dém.], XLVII, 77; Hyper., C. Athénog., 13; Plat.,
Banq., 196 C. — [Dém.],XLII, 12 ajoute à la formule : IvavTÎov [xapTÛpwv (cf. Leisi,
HYPOTHÈSES SUK Lj: CONTKAT PRIMITIF EN GRÈCE 381
Mais inversement, si le contrat a pu étendre son domaine, et
si la confiance ([ui le condi lionne a pu s'établir à un moment
intermédiaire où la famille qui se dissout n'a pas encore fait
place à la cité qui s'élabore, ce ne fut pas, le cas grec nous
l'enseigne, par la seule verlu du rite magique (1) : c'est que le
contrat qui lie deux individus avait son précurseur et son
modèle dans le contrat qui lie deux familles, ou plus générale-
ment dans l'acte qui crée un rapport quasi familial. C'est là
que la société, présente et active, apparaît comme justilication
et raison d'être de la croyance ; c'est là que la procédure reli-
gieuse, le rile, laisse enlrevoir son principe et fait saillir sa
signification primitive ; c'est là que la pratique du contrat se
manifeste, dans ses origines mêmes, comme fonction sociale.
Notre £YYUYi, c'est le point de départ et le fondement intelli-
gible de la convention obligatoire.
Conclusion nécessaire, mais l'expérience la confirme. Du
contrat qui pour nous est primitif au contrat qu'a étudié
M. Huvelin, la filiation peut s'établir. Le rite religieux dont
nous avons retrouvé l'usage et la raison d'être est naturellement
l'origine du rite magique. Le geste rituel y joue son rôle, il y
est revêtu d'efficace ; les objets auxquels la pensée d'une com-
munion religieuse communique une vertu se retrouvent dans
les objets qui servent de (jages et qui garantissent le lien entre
deux individus isolés ; les paroles qui ont une vertu contrai-
gnante dans les conventions inter-familiales ont conservé sur
le terrain du droit individuel leur sens et leur puissance ; la
malédiction qui les confirme confirme aussi les arrangements
purement privés (2). La vérité, c'est que tout cela est plus ou
Der Zeuge im att. R., p. 146) ; mais les anciens témoins ad solemnitatem sont
devenus de simples témoins ad probalionem.
(1) Même pour la Grèce, au demeurant, nous ne nions pas l'influence des repré-
sentations magiques : elles ont pu du moins servir à renforcer, dans une phase
intermédiaire, l'idée à-'exéculion (le mot aûXai qui désigne, à l'époque classique,
une procédure purement économique, retient dans certains de ses emplois le sou-
venir de notions lointaines qui ne sont rien moins que « positives »).
(2) Pour ce qui est du serment, Huvelin (o. l., p. 31) insiste sur l'antériorité du
serment affirmatoire relativement au serment promissoire : mais c'est seulement
382 LOUIS GEBNET
moins fondu dans rsyyuTi ; la pensée du rite religieux est une
pensée synthétique dont chacun des éléments, ou des moments,
tout en ayant sa valeur piopre, n'atteint sa signification par-
faite que par l'ensemble (1). Cet ensemble, le rile « magique »
le dissocie : on retiendra, à part, la verlu des paioles, celle dû
geste, etc. — et on obtiendra la sponsio^ la paumée au sens
étroit, la festucatio^ etc., toutes formes qui d'ailleurs, avec la
recomposition sociale, tendent de nouveau à 3e rejoindre (3).
La pensée religieuse, au cours de cette période où la magie
fait l'intérim, ne laisse pas de s'ossifier pour ainsi dire : le rite
magique est du rite religieux stylisé.
D'autre part, il est aisé de montrer, dans le contrat primitif,
l'annonce de l'avenir, et inversement, dans le contrat posté-
rieur, le souvenir du passé. Si, dans rsyyuri, la volonté des
individus est subordonnée au vouloir collectif de la famille,
elle n'en est pas moins au premier plan des consciences. Un
Hèphaistos est personnellement offensé, réclame pour soi une
réparation qui, en dernière analyse, comme celle de la ven-
geance du sang, est due à la famille : c'est lui qui traite. Un
Poséidon qui promet, en définitive, le fait d'une famille, n'en
risque pas moins une initiative : c'est lui qui traite (1). — En
revanche, à l'époque classique, la persistance tenace des obli-
gations familiales ne laisse pas de soutenir, dans une certaine
mesure, l'activité contractuelle. La croyance à l'honneur fami-
lial est exploitée par le créancier qui sait que, le débiteur mort,
avec celui-ci que le serment entre véritablement dans le droit. Et il ne laisse pas
d'être très ancien : la notion de Tordalie, que llnvelin retrouve dans 1 autre,
réapparaît dans celui-ci [supra, p. 289, n. 4), de telle sorte que la malédiction
conventionnelle n'en est que le développement.
(1) Nous avons suffisamment marqué ce caractère en général; voir aussi, en
particulier, p. 367, n. 1, et noter une expression synthétique comme cpiAdiTiTa
xal Spxia Ttcuxà xafiovTsç (F 256).
(2) L'étymologie des noms romains des contrats est instructive à cet égard
[sponsio : spondere) stipulatio : stipula ; cf. Bréal et Bailly, Dict. étymoL, p, 369,
malgré P.-K. Girard, Manuel, p. 480, note). Or ces deux mots désignent la même
chose : et le souvenir de formalités comme la libation ou Fusage du fétu de
paille s'y est si bien fondu dans la notion propre de contrat verbal, qu il a dis-
paru. 11 est d'ailleurs resté de Tétat primitif l'habitude de classifier les contrats.
(3) Et c'est lui qui serait soumis, le cas échéant, à la manus injeclio.
HYPOTHÈSES SUR LE CONTRAT PRIMITIF EN GRÈCE 383
la delte sera acquitlée par son fils : reviviscence de la solidarité
passive (\). La caution sera parfois, et comme nalurellement,
un parent : survivance et a<Japlalion de la pensée qui dicte,
chez Homère, la démarche de Poséidon.
Ainsi, nous ne dirons pas, comme on a tendance à le dire (2):
les forces rdigieu^e-^que le créancier s'assure sont dans le prin-
cipe comme des forces de la nature qu'exploite l'arbitraire
individuel; ce sont, dans le principe, des forces sociales. Nous
avons marqué dans ï lyvùi] le caiactère colleclif des premières
conventions; nous avons vu que la notion d'une vertu reli-
gieuse, qui les garantit, était comme la projection de la pen-
sée familiale; nous avons entrevu que leur fonctionnement
impii'juait l'idée d'une fonction sociale qui en assure la légiti-
mité. A remonter aux origines, nous gagnons de soupçonner
l'insuilisance d'une théorie in«lividualiste du contrat, si renou-
velée qu'on la suppose. Il est permis de se demander si l'ini-
tiative de l'individu, l'arbitraire apparent de ses démarches et
de ses croyHnc(*.s ne serait pas la traduction inattendue d'une
réalité moi'ale qui soutient sa pensée, d'une raison qu'il sert
malgré qu'il en ait, de la société dont il reproduit le dessin
déjà arrêté ou encore incertain. 11 ne nous appartient pas de
prolonger ou d'accuser une vue qui nous offrirait peut-être de
mieux entendre, d'abord, comment le progrès de la « liberté
des conventions » s'accompagne normalement du progrès de la
réglementation et de l'interventionnisme, ensuite comment la
société même peut reqiiérir, à proportion de sa complexité, la
multiplication des contrats, et de ces « ententes » entre groupes
qui, dans la vie moderne, font l'effet saisissant d'un retour.
Louis Gernet.
(1) Cf. E. Deniisch, Die Schiddenerhfolge im ail. R., J910. Il est certain qu'il
s'agit d'une rt^novatidn, puisque la loi de Gortyne conserve des traces de la non-
transniissihilité des dettes (col. xi, 1. 31 et s.) : le principe moderne apparaît
d'ailleurs de iort bonne heure 'pour Rome, cf. Girard, p. 881). Sur le lien avec
les idées anciennes, cf. V. Henry, Le Parsisme, p. 119, à propos de la réversibilité
du crime du mil hrodruj da-ns l'Avesta,
(2) Cf. Huvelin, o. l, p. 4.S,
LE DÉCRET DE 401/0
EN L'HONNEUR DES MÉTÈQUES REVENUS DE PHYLÈ
En 1898, M. Ziebarth publiait et commentait un décret athé-
nien conférant la izoliTeU aux métèques revenus de Phylè en
compagnie du Démos [Inschriften ans Athe)i, Mitteilungen des
deutschen archàologùchen Instituts^ XXIII, 1898, pp. 28 et suiv.).
L'inscription, fort mutilée, avait été découverte sur l'Acropole;
elle était gravée sur une stèle de marbre, brisée à gauche et en
bas; au recto, se trouvait le décret lui-même; au verso, les
noms des individus récompensés, rangés par colonnes, avec
l'indication de leurs professions respectives.
Depuis, l'inscription a été l'objet de diverses restitutions ou
analyses. Ce sont, par ordre de date, celles de MM. von Prott
[Das Psephisma des ArcJdnos, Mitteil. d. d. arcJi. Inst.^ XXV,
1900, pp. 34 et suiv.), Kôrte [7ai dem Ehrendekret fur die Phy-
lekàmpfer, Mitt, d. d. arch. Inst., XXV, pp. 392 et suiv.),
Ch. Michel [Recueil d inscriptions grecques, Supplément^ Fasc. i,
Paris, 1912, n° 1442) et E. Nachmanson {Historisc/ie attische
Inschriften, Bonn, 1913, n° 23). Nous avons été amené égale-
ment à étudier cette inscription à l'occasion d'un travail d'en-
semble sur la Restauration démocratique à Athènes en 403
avant J,-C. (pp. 459-467); ce travail touchait à sa fin ou était
terminé quand parurent les recueils de MM. Michel et Nachman-
son, et ïeditio minor des Inscriptiones Graecae, t. II et III, où
le texte figure sous le nMO; nous n'avons donc pu utiliser que
LE DÉCRET DE 401/0 EN l'hONNEUR DES MÉTÈQUES
385
les restitutions fort insuffisantes des premiers éditeurs. Nous
nous proposons ici de reprendre et d'amplifier cet examen,
en partant dos deux éditions les plus récentes.
Voici le texte, tel que l'édite M. Naclimanson; il est à peu
près identique à celui des Inscriptions Graecae ; nous signale-
rons au fur et à mesure, en note, les principales différences
qui le séparent de celui de M. Michel.
eYpa|Ji|JLàT£U£, A7i|jL6cp'Ao^ £7r[£a":àT£, 11. | . . sWv * ottw; av T'?J<;
8(0p£àç U.£T£'^(i)0-LV ol |JL£TOt.x]ot (1) 0<70{, O-UVXaT'^XQoV aTTO <I>UA£(;
i\ TOLç xaT£A[8oa-t. Ttov 7coA!.t||wv ï<ih^i\ 33 /. (2)] £'\i'f\oi<7^0Li 'AGTjva'loiç •
svat, auTOLç xal £xv6v[oiç 7roXt.T£'la|v xal cpu/.'rjç xal 8-A]pi.o xal ^paxplaç
7\(; av fJoXdJVTa',,] vojjioiç 0£ Toliç a'JTO^ 7r£pl auTwv Taç ^^yp-<^ 'y^pr'^dQa'.
olç xa|l Ttspl 'AGïiva'lwv, otl !^^ /. (3)], a"JV£|jLàyjia-av 8e t/)Jjl [J^à'^'^v
TTjpi Movr/iao-w, Tov Sfè 8 L \ 38 /. o]t£ al SiaXXayal eylvovTO xal
e^ioiov Ta 7rpoo'TaT[T6u£va. . \ 46 L £]Yyû'/)a-t.v xaQàT:£[p' 'A]Qr,vatO!.;,
àv|£U£, A'JT'.àôrii;
To; 8à /(; /. - I-
Co/. //.
Co/. //i.
Xai.p£8-/i[jL0ç
y£(op(Y6ç)
B£vô{.cpàvn,ç
a-xacp7i('KOt.6?)
(4)
AetttIvTjÇ
aàY£(Lpo;)
'E[JlTCOpî(OV
y£wp(y6;)
AïlJXTiTpiOÇ
T£X[t] (wv)
nai8[i]xoç
àpT07t(0t.6ç)
02/
Eù(popi(i)v
0p£(»)x(6{JL0ç)
Swo-iaç
Yvacp(£U(;)
Kricpio-[6]S(iif
50?
olxo(86{ji.oç)
^à[A|^iç
Y£t«>p(Toç).
'HyTio-iaç
X-ri 710 p(6ç)
"Eyspo-iç
vac.
(1) Michel : [ottw; av ol (jiéTotxJot.
(2) Michel (après i-iro *ï>u>vf,i;) : f, xoTç xaTs);[6oartv i6oTi9Tia||«v f, <Tu)[xot<Tiv -i^ XP'^l-
{lOKTlV ].
(3) Michel : [ - -], au lieu de 8ti 28 L] .
(4) Michel : <7xacp-ri(cpdpo<;).
386 PAUL CLOCHÉ
*E7ra[jL£'lv(ov ovox6([Jlo;)
. , .iùTzoç £Aat.oy (- -)
r[X]au[x](aç y£wp(y6s)
wv xa.ouo(7r(oAr,<;)
[A'.ovù]a-!.oç Y£(i)p(YÔ(;)
'Ovà-|jL*/]<; o);. ...0
Ka)vAUç àYa)vafaT07iot.6ç)
'ABrivovifTjwv.
Nous chercherons d'abord à établir sommairement la suite
des idées contenues dans ce document. Puis nous verrons
quelles observations et quelles hypothèses peut suggérer l'exa-
men des noms de métiers sur la part prise à la guerre civile
par les diverses catégories de métèques. Enfin nous étudierons
les origines et la portée du décret au point de vue des^ conflits
politiques sous la Restauration.
Les premières lignes (1-3) nous apprennent les noms du
YpapLjjiaTsûç (Lysiadès, de l'épistate (Dèmophilos) et de l'ar-
chonte (Xénainètos : 401/0; cf. 'Aô. IloÀ., 40, 4) (1). Les noms
de la tribu prytane et de fauteur du décret ont entièrement
disparu : nous verrons, à propos des motifs probables du décret,
quelles hypothèses il convient d'écarter ou de formuler touchant
le nom de son auteur {cf. infra^ p. 403-406).
Le passage qui suit (1. 4 et 1. 5 jusqu'à £tj>yicpia-Oat. 'AQ/ivaioiç)
est sensiblement plus mutilé et plus obscur. 11 contient, il est
vrai, quelques mots très heureusement Conservés et d'impor-
tance capitale, grâce auxquels nous connaissons avec certitude
l'une au moins — sinon la seule — des catégories récom-
pensées : ce sont les métèques revenus de Phylè aux côtés des
Athéniens bannis ou fugilifs ([ol jjiÉToixJot. oto?. o-jvxaTYJABov àiro
^u)vg^). Nous pen«*ons au«si, avec MM. Michel et Nachmanson,
que ce passage indiijuait l'objet général du décret et devait ôtre
(1) Nous ne reviendrons pas ici sur Irs raisons qui font pt«'férer la leçon
[Sevaivs-cjo; à la leçon [nueôSwpJoç, suggérée par von Prott (p. 38) : cf. Kôrte,
pp. 394-396 ; Restaur. démoc, pp. 463-464.
LE DÉCRET DE 401/0 EN LHONNEUR DES MÉTÈQUES 387
inlrodiiit par les mois [ottû,- av], (jue rcslifuent \os «leiix édi-
teurs. Mais quel était au jusie cet objet? Selon M. Korte, qu'a
suivi M. Nachinanson, on voulait faire pailiciper les nouveaux
citoyens à la récompense doni avaient élé gratifiés les Alhé-
niens revenus de Pliyiè : [otuw»; av Tr^ç ôwpsàç tjL£T£ycoo-!.v o». asTO'.-
x]ot. OTOt, (TUVxaTrlAQov à-rco ^'jXèç Tj lolq xaT£X[0o7'. twv ttoX'.t wv
eoôOr, 32 /.]. Le sens qu'il donne ainsi à la lettre r\ (l. 4) exclut
toute idée d'une deuxième catégorie de personnes récompen^^ées.
M. Michel ne propose aucune restitution précisant l'objet du
décret. De plus, il donne à la lettre -t] le sens de : ou, admettant
ainsi qu'il s'agit d'un second groupe de m(Hèques : ce seraient
ceux qui (sans être revenus de Phylè en compagnie du Démos)
ont aidé les gens de Phylè p(»rsonnellement ou en leur pro-
curant des ressources : [otiw; av ol {jlstouJoî. oto».
(TUVxaTTÎAOov oLTzb ^uÀ'^; 7] Tolç xaT£X[Bo(r5.v zSori^'f\(7\cfy Y] a-wjjLaTiv v]
Xpr.{^aTiv ].
La première de ces deux restitutions nous paraît très diffici-
lement acceptable. Quelle est cette « récompense » accordée
aux Athéniens revenus de Phylè et à laquelle on voudrait
faire partici[)er leurs compagnons métèques? On ne donne
aucune précision sur ce point. S'agit-il de la TroX'.Tsia elle-
même, recouvrée par les Athéniens bannis? Mais la uoX'.tsU
n'a' pas élé rendue qu'aux « revenus de Phylè » : elle est rede-
venue, en 403, la propriété commune de tous les Athéniens.
De plus, si le don du droit de cité aux métèques peut être très
normalement qualifié de « récompense », il n'en va plus de
même dès qu'il est question de citoyens bannis; en recouvrant
la TToXiTsia, ceux-ci ne reçoivent pas une récompense : ils ren-
trent en possession d'un droit tiaditionnel.
On songerait plutôt à la récompense exceptionnelle octroyée
par un décret d'Archinos aux gens qui ramenèrent le Démos
de Phylè (don dune couronne d'oliviei' et de mille drachmes
en vue d'un sacrifice colleclif : f^^schine, HT, 187; Cornélius
iNepos, Thrasyhule, IVj ; comme dans le d(''cret d'Archinos, en
effet, il est question ici de combattants de Phylè. Mais ce décret
388 PAUL CLOCHÉ
d'Arcllinos a suivi de très près le retour des exil(^s : dès lors,
on ne voit pas pourquoi on aurait laissé s'écouler un délai de
deux ans (403-401/0) avant de décerner aux métèques la ré-
compense obtenue par les citoyens. D'autre part, le décret d'Ar-
cllinos ne vise que les cent et quelques personnes qui ont
« ramené le Démos », celles qui avaient subi à Phylè le pre-
mier choc des troupes oligarchiques (Eschine, III, 190; cf.
Restaur. démoc.^ pp. 13-14), et non la totalité des Athéniens
revenus de Phylè (1). Or, la restitution Kôrte parle d'une
récompense décernée « aux (citoyens) revenus de Phylè » sans
distinction; pour que le prétendu parallélisme fût maintenu,
il devrait s'agir ici des seuls métèques qui ont pu prendre part
aux premiers combats de Phylè et être assiégés par les Trente
dans la forteresse, comme les xaTayàyovTsç tov Stjjaov (cf. Eschine,
III, 187 : oa-oi auTwv stzI <I>'jAt^ STroÀ'.opxyîOyia-av ots ol TpiàxovTa
Tipoyi^yXkoy -zolq y-y-^aXoL^ou^TL <I>uÀ'/,v) : notre décret parle de
« tous ceux qui sont revenus de Phylè avec le Démos » (1. 4)-
Enfin, était-il nécessaire, pour associer les métèques à l'hon-
neur spécial que l'on décernait aux héros de Phylè, de leur con-
férer le droit de cité ?
Nous ne pouvons donc accepter la restitution Kôrte.
Dès lors, les conséquences que l'auteur en déduit touchant la
place du mot sIttsv (non conservé) et, du même coup, le nombre
de lettres qu'il convient d'attribuer au nom de l'orateur (9 lettres
selon sa restitution) nous paraissent assez fragiles. Nous pen-
sons toutefois, nous aussi, que l'orateur n'est sans doute pas
Archinos, mais pour de tout autres raisons, tirées des motifs
probables du décret (cf. m/r^, p. 403-404).
Plus prudente et plus restreinte, la restitution Michel (/] lolç
vaT£X[Ooa-(.v £êo7]Ç)riT|av rj o-wuaTiv ri ypy][jiaa-(.v ]) nous semble
(1) Conclusion qui cadre avec les données précises de Xénophon : l'armée qui
descendit de Phylè vers le Pirée comptait un millier d'hommes {HelL, II, iv, 10):
si, sur ce total, il n'y a pas eu plus de 300 métèques (cf. infj^a, p. 392), il s'ensuit
que, sur les 700 citoyens revenus de Phylè, un septième seulement a été gra-
tifié de la récompense mentionnée par Eschine.
LE DÉCRET DE 401/0 EN l'hONNEUR DES MÉTÈQUES 389
beaucoup plus admissible ; mais elle nëcessile certaines expli-
cations et précisions. Quels sont ces métèques qui, sans ôtre
revenus de Pbylè, ont aidé, [)ersonneHoQient ou de leurs l'es-
sources, les gens de Pbylè? 11 ne peut s'agir, évidemment, de
l'ensemble des métèques qui ont rallié l'armée de Tbrasybule
au Pirée même : en ce cas, il serait bien inutile d'accoider une
mention spéciale aux métèques revenus de Pbylè, puisque
ceux-ci également ont pris part aux combats du Pirée ; il suffi-
rait de mentionner en bloc les métèques qui ont secouru le
Démos dans sa lutte contre l'aristocratie.
Mais, avant leur descente au Pirée, les gens de Pbylè n'ont-
ils pu être aidés par des métèques n'ayant pas paru dans la
forteresse et ne pouvant être rigoureusement qualifiés de « reve-
nus de Phylè » ? Un tel fait n'a rien que de vraisemblable.
Dans les campagnes voisines du Parnès, notamment dans le
riche et important dème d'Acbarnes, qui s'étendait jusqu'aux
confins de la montagne, la garnison de Pbylè a pu rencontrer
dans la population civique ou étrangère de précieux concours ;
elle a pu être ainsi renseignée et guidée, notamment contre
les quelques centaines de mercenaires et de cavaliers postés par
les Trente à environ trois kilomètres de Pbylè [Hell.^ II, iv, 4 et
suiv.); elle a pu également être ravitaillée, comme l'indique
le texte de Xénopbon sur l'introduction possible de provisions
dans Pbylè (toc; h^ô'^auq tcov lw.Tr\oz'nùv : HelL, II, iv, 3) : les
Trente avaient commencé à édifier un rempart précisément
pour empêcher un tel ravitaillement. Non seulement l'Attique
septentrionale, mais la Béotie voisine était à môme de participer
à ce genre d'opérations ; précisément, l'un des étrangers récom-
pensés, 'AG7]voy'l[T]wv (le seul nom qui nous reste de la tribu
Aigéis), paraît d'origine béotienne (cf. Nacbmanson, note III,
12).
En général, cette lutte naissante contre l'oligarchie n'exigeait
pas la présence permanente à Phylè de tous les combattants et
de leurs auxiliaires, surtout si leurs terres, leurs demeures ou
celles de leurs maîtres se trouvaient à une distance relative-
390 PAUL CLOCHÉ
ment p'^u considérable. Quand, de Pliylè, la petite bande de
Thi'asybule a gagné le Piréc, à 20 kilomètres au sud, certains
éléments ont pu la rat lier en route : Tfirasybnle disposait de
700 soldats au moment le la surprise dAcharnes ; quatr<» jours
plus tard, il arrive au Pirée avec 300 lioaimes de plus(//e//., II,
IV, 0, 10).
La garnison de Phylè a donc pu rocevnir di^s concours moins
directs, plu^ intermittents que ceux dis métèqiies ayant com-
battu à Pliylè mem"; et ces concours ont pu être estimés
assez précieux — vu l'isolement et le peu de ressources de la
poignée d'hommes dont disposait Thrasybule à Torigine — pour
mériter une récompense aussi hauto (|ue celle d<'S combattants.
La rrstilution de M. 3Ii.:hel contient d^nc de notables éléments
de vi'aiseml)lanc(', et nous croyons pouvoir en accepir le sens
général. Quant aux quelques mots préc(îdant Tindicalion sur
les métèques revenus de Pbylè, on pc^ut admettre qu'ils expri-
maient, sans plus préciser, Tintention de récompenser ces auxi-
liaires du Démos, et Ton peut proposer, en conséquence, une
restitution de ce genre (l) : [otcwç av Sojpsàv Xa[j.êàvw(Tt.v ol
^i-zQiY,]. Cette restitution (30 lettres) laisserait place pour deux
lettres de plus que celle de Kôrte (32 lettres : cf. supra,
p. .387) et permettrait d'attribuer onze lettres au nom de l'ora-
teur, placé devant sIttev : nous verrons quelle hypothèse peut
être formulée à ce sujet (cf. infra, p. 406).
La suite de l'insciiption (1. 5-6 et début de la l. 7) fait con-
naître la récompense accordée : la izq1\tbU. Puis (l. 7), à par-
tir de [otl], dont la restitution ne paraît pas souftrir de difficulté,
le décret motive la récompense. Le passage est très mutilé; un
seul des motifs allégués nous a été nettement conservé :x'est
la part prise par les métèques revenus de Phylè à la bataille de
• Munychie, aux côtés des Athéniens : o-jvspiàyYia-av 3e tt^u. p-ày^v
Tfi'j. Moviylao-'.v. Mais entre ces mots et le mot [oti] s'étend un
passage de 2i b'ttiTS, que les éditeurs n'ont pas cbcrché à resti-
(1) Bien entendu, nous ne saunons prétendre à une restitution authentique et
complète des tractions effacées du décret,
LE DÉCRET DE 401/0 EN L HONNEUR DES MÉTÈQUES 391
luer, etdnns lequel, selon loiile prnliaLililé, le décrel, siii\ant
Tor-lre chronolooique, devait faire allusion au rôle joué par les
inélè(jues à Phylè, ou à proxiniilé, avant la rnaiche sur Muny-
chic. La restitution suivante parail pouvoir êtie acceptée : [oti
£êor;QT,a-av piÈv to'^ £v (p'A^'.] (23 lettres, ot-. mis à pnrt).
Après la proposition sur le combat de Miinycliie, de nouveau
le décret (1. 7-8) apparaît fortement mulilé : tôv o[k 46 L
o]t£, etc. Il est croyable que rinscri[)tion conlinuail, dans
nue fra(;tion tout au moins du pass<ige man(|uant, à signaler
l'activité militaire des métèques en 40] (part piise aux opéra-
lions du siège d'Alhènes, etc.) (1). On arrive ainsi (1. 8) aux
mots : [oJT£ al ôiaXXayal IvévovTO xal etco'Iov Ta -poTTa-:[T6[jL£va].
C'est une allusion aux convenlions passées entre la Ville et le
Pirée (2). Quel rapport présente-t-elle avec l'ensemble du
décret? iNous formulerons à cet égard l'hypothèse suivante : il
se peut que l'orateui* ait voulu louer les métèques de leur fidé-
lité aux généreuses promesses contenues dans les conventions;
il les félicite de s'ôtie conformés aux prescriptions d'oubli
qu'elles édictaient : ItûoIov Ta 7ipoa-TaT[T6jjL£va]. Il convient de rap-
peler l'extrême importance que la majorité, sinon la totalité,
des Athéniens attachaient à la loi d'oubli, la lidélilé qu'ils lui
témoignèrent, et dont la nécessité put paraître encore plus
impérieuse en cette année 401/0 au cours de laquelle allaient
rentrer — ou venaient de rentrer — les plus compromis des
aristocrates ('AB. IIoX., 40, 4). L'auteur du décret pouvait donc
avoir intérêt à rappeler que les métèques n'avaient pas été seu-
lement de bons serviteurs de la démocratie sur les champs de
bataille, mais qu'ils avaient scrupuleusement respecté la paix
civique de 403, que leur loyauté avait égalé leur zèle et leur
vaillance (3).
(1) Le passage pouvait commencer ainsi : xov 8[è risipaca ^jeSaiw? è'a/_ov ].
(2) A une époque déjà ancienne, comme l'indique le mot syévovxo : raison de
plus pour écarter la leçon [n-j^dotoplo^ (1. 2). Cl', Reslai/r. démoc, pp. 463-464.
(3) Quant au .passage sur 1 éyyJ7i<jtç 1. 9), séparé par un intervalle de 48 lettres
du mot •n;poTTaT[TÔ;j.£va], nous avouons ne pouvoir proposer aucune explication
plausible.
392 PAUL CLOCtlÊ
En résumé, on peut se représentei' ainsi la suite des idées
contenues dans l'inscription (en-tôle mis à part) : pour récom-
penser les métèrjues de l'armée de Phylè et leurs auxiliaires
immédiats, on leur octroie la TroX'.TS'la. Motifs : ils ont aidé les
gens de Phylè, pris part s la bataille de Munychie et aux opé-
rations ultérieures, et, une fois les conventions conclues, ils
s'en sont montrés les loyaux observateurs. Bref, ce décret
paraît avoir formé un ensemble assez cohérent, qui retraçait
en raccourci Thistoire de la guerre civile et de son lendemain,
de l'occupation de Phylè à la mise en application du traité
d'amnistie ; ce qu'il récompensait chez une partie des métèques,
c'était une série de services suivis et prolongés, et non quelques
services tardifs ou intermittents.
Quelles sont les raisons et circonstances du concours prêté
par ces métèques à la garnison de Phylè? On peut s'en faire une
idée, croyons-nous, d'après les indications, d'ailleurs peu nom-
breuses, apportées par notre document sur les professions des
individus récompensés. Les conclusions auxquelles peut con-
duire cet examen ne sauraient être, malheureusement, que très
partielles et modestes, vu le caractère fort incomplet de la liste
que nous possédons. Nous n'avons ici que il ou 18 noms de
métiers; or, il est très probable qu'il y avait environ 300 mé-
tèques inscrits (1) ; en effet, à la ligne 10 de la troisième colonne,
est gravé le nom de la tribu occupant le deuxième rang dans
l'ordre officiel (Aly^iSoç) ; donc, les noms inscrits dans la pre-
mière tribu (Érechtheis) remplissaient les deux premières
colonnes et neuf lignes de la troisième. Il y avait ainsi environ
30 nouveaux citoyens par tribu, soit, au total, dans les 300.
Bref, nous ne connaissons la profession que de 17 ou 18 ins-
crits sur 300.
Cette réserve faite, la lecture du fragment qui nous est resté
(1} Cf. G\otz, nevue historique, t. CXXll, juillet-août 1916, p. 369.
LE DÉCRET DE 401/0 EN L HONNEUR DES MÉTÈQUES 393
n'en est pas moins fort instiiiclive. Nous ('onstalons, d'abord,
que ce document présente un caractère assez exceptionmd pour
une liste de métèques. l*artni les étrangers domiciliés en
Attique figuraient, en nombre très considérable, des commer-
çants (ItjLTropo'.), des ai'mat(Mirs (va'>/.)//',po'. : beaucouj) d'^x-opo'.
étaient en môme temps armateurs et avaient leur demeure au
Pirée), des marins (vaCÎTa'.), des banquiers (TpaTcsÇiTa».). Le monde
de la navigation et du négoce semble môme, d'après M. Clerc
(DicL Anti(jf., 111, [). 1883), avoir é(é plus largement représenté
chez les métèques athéniens que le monde de l'industrie. Or, le
débris de liste que nous avons sous les yeux ne contient, pour
ainsi dire, pas un seul nom de profession maritime ou commer-
ciale : il n'y a là ni armateurs, ni banquiers, ni marins, ni com-
merçants; tout au plus, pourrait-on faiie une exception pour
le « marchand de noix », xolo'jo^tuoXt^:;) (Col. 11, I. 10) dont la
profession, d'ailleurs, touche de si près aux milieux agiicoles
et dont la demeure pouvait parfaitement se trouver en plein
dème rural. L'ensemble des métèques inscrits sur nos deux
colonnes appartiennent à la pelite industrie, urbaine ou rurale,
à l'agriculture ou à des professions très voisines. Il y a là
(outre le xapuoTrwXyis) : un cuisinier, ou boucher, [AàYc(!.pOv;) ; un
charpentier ou menuisier, Téx[T](wv) ; un fabricant de vases,
o-xacpYi(7io'.6;); un foulon, Yvacp(£Û;); un sculpteur, àyaÂ;jL(aTO'7ro'.6;) ;
un maçon, o'.>co(o6uloç) ; un boulanger, àpT07r(o'.6^) ; un travailleur
à gages, [jl5.o-Ô(i)(t6ç) ; un maraîcher, xYi-op(6ç) ; un ànier, o'^oy,rj~
(uoç); un muletier, opc(i)x(6|j.o;), et cinq cultivateurs (yswpvoi) (1).
(1) iNous laissons entièrement de côté "Eyep3".ç et 'a6t,voyî[t]wv, dont le métier
n'est pas indiqué du tout (Col. lll, 1. 6 et 11). Restent 'Ova.jxT,; 6X.... o et ...w-o;
sXaiov (- -). Le nom de métier qui se rapproche le plus de la forme ôX...,o, c'est
oT^IxoTtotôî (fabricant de mortier); mais, en ce cas, sll y a vraiment quatre lettres
manquantes dans le nom gravé sur la pierre, c'est un t qui devrait se trouver à
la place d'un o.
Quant à iXaioY(- -), cette forme est très voisine du mot èXaioXôyoç (celui qui
fait la cueillette des olives). Est-il impossible que le lapicide, trompé par la pré-
sence du premier X et peut-être désireux d'aller vite, ait laissé tomber la syllabe
Xo ? Si l'on admet cette hypothèse, ce serait un nom de métier agricole à ajouter
à ceux qui remplissent une grande partie de notre liste.
394 PAUL CLOCHÉ
Plus de la moitié des nouveaux citoyens sont adonnés à ces
professions agricoles ou semi-agricoles qui complaieut en géné-
ral si peu dadeptes dans la cla-se des métèques. M. Cleic [Dict.
Aniiq., lll, p. 188-J) dil que. dans celte classe, on renconirait
en grand nombre « des arli^ans de lous les métiei's, maçons,
menuisiers...., sculpteurs » ; la petite industrie « fournit beau-
coup de noms,... boulangers, cuisiniers, Foulons... », tandis que
« ragricullure a peu d<î représentants » (1). Or, sur noire liste,
on rencontre sans doute un maçon, un sculpteur, un menui-
sier, un foulon, un cjiisiniei', un boulanger ; mais le monde
rural est au moins aussi largemenl i*e[)résenlé; un maraîcher,
un ânier, un mulelier, cinq cultivateurs figurent sur notre liste;
il est d'ailleurs très possible que le ;jLr,a-9w(T6ç) soit un salarié
agricole (2) et qu'une partie des artisans énumérés ci-dessus
(notamfnent le menuisier, le maçon, le cuisinier, ou boucher,
le boulanger) aient exercé leur industrie dans telle ou telle
bourgade de la campagne atti(|uo ; le boulanger même devait
être en relations régulières, comme le xapuoTiwX-r.ç, avec les
milieux ruraux.
En résumé, tandis qu'une liste de métèques conforme au type
habituel devrait contimir prestjue exclusivement des commer-
çants, des aimateuis, des niatelots, des industiiels et des arti-
sans (avec une certaine prépondérance peut-être pour le com-
merce et la navigation), ici, il n'y a, pour ainsi dire, pas trace
de marins, de négociants, de grands industriels (tel Lysias), et
nous voyons des représentants de la catégorie à laquelle les
métèques étaient le plus ordinairement étrangers tenir la place
d'honneur qui paraîtrait devoir revenir aux ï^x-ko^oi et aux
Or, quand on assigne aux métèques un rang éminent parmi
(1) D'après les dédicaces des phiales ofï'ertes à la déesse f/G, II, 768 a-774c;
Tod, Annual of the Bril. School al Athens, t. VIII, 1901-2, p. 211 ss.), sur
69 affranchis, par conséquent sur 69 ui<''tè<|ues, dont le métier est connu, il y a
9 cultivateurs et 2 vignerons, auxquels oji peut ajouter, si l'on veut, un mar-
chand de If'gumes et un marchaud.de s'same [G. G.].
(2) De même que llXaioy (- -) : cf. note précédente.
LE DÉCRET DE 401/0 EN l'hONNEUR DES MÉTÈQUES 395
les victimes de la tyrannie des Trenle, on s'étend volontiers
sur les dommages soiillerts par la navigation, le commerce, la
grande industrie, tous moiJes d'aclivilé auxquels les métèques
du Pirée étaient si largement adonnés ; on songe plus particu-
lièrement aux terribles etTets qu'entraîna pour une poignée de
rittlies métèques l'application du décret Pison-Théognis (liuit
furent mis à mort, avec deux métèques pauvres, selon Lysias,
Xn, 7; trcmte, selon Xénoption, HelL, 11, ui, 40; soixante,
selon Diodore, XIV, 5, 6). C'est là, en eiïet, l'un des événe-
ments les plus saillants de la domination de Critias; d'une
façon plus générale, il est très possible que l'abandon de la
grande politique extérieure et navale de la démocratie athé-
nienne, la surveillance étroite exercée sur le Pirée par les dix
délégués directs de Toligarchie ('AQ. IloX., 35, 1) aient porté à
l'activité commerciale, industrielle et maritime des métèques
des coups sensibles. En conséquence, ils ont dû désirer la
chute du régime aristocratique, et leur irritation a dû grandir
encore après les exécutions des riches industriels et négociants
frappés par la rapacité des Trente (1).
Mais ce n'est là qu'un côté des faits, et notre inscription
nous révèle précisément un aspect nouveau de l'hostilité qui
régna entre l'oligarchie et les étrangers domiciliés. La liste que
nous avons analysée plus haut nous apprend que, dans un
monde très dilférent de celui auquel appartenaient Lysias,
Polémarchos et les autres victimes de la tyrannie, dans les
milieux ouvriers et agricoles, des métèques se dressèrent avec
vigueur contrer la coterie régnante; et cela, dès les premières
heures de la guerre civile. Peut-être y avait-il déjà de ces
métèques dans les rangs du hardi peloton qui s'élança de
(1) Cette irritation n avait pas nécessairement pour cause une hostilité systé-
matique et de principe contre l'oligarchie. Xénophon fait dire à Théramène que,
si l'on exécute des métèques, « tous les métèques deviendront hostiles au
régime » {HelL, II, m, 40). Donc, du moins d'après le contemporain Xénophon,
les métèques, en principe, étaient neutres. Ajoutons que l'irritation et l'inquié-
tude qu'ont pu provoquer parmi eux les exécutions ne les portaient pas forcé-
ment à entreprendre une action immédiate ou très rapide contre le gouvernement
des Trente (cf. infra, p. 401).
REG, XXX, 1917, n» 140. 27
396 PAUL CLÔCttÉ
ïhèbes derrière Thrasybule; mais, à coup sûr, un certain
nombre se joignirent aux occupants de Phylè, ou secondèrent
puissamment leur action.
Quelles sont les raisons probables et les circonstances de
cette rapide intervention des éléments ruraux et ouvriers?
Selon nous, elles se distinguent nettement de celles qui purent
soulever contre Toligarchie (et à une époque peut-être beau-
coup plus tardive : cf. infra, p. 401) les métèques commerçants
et marins du Pirée. Les événements auxquels elles paraissent
se référer sont très différents du déclin naval et commercial
et de l'exécution des riches métèques; ils sont d'ailleurs bien
connus, mais on n'en avait pas encore déterminé les rapports
probables avec le sort et l'attitude des métèques en 403 (1).
La tyrannie des Trente ne s'est pas bornée à entraver, indi-
rectement ou non, l'essor des affaires maritimes et commer-
ciales et à dépouiller un petit nombre d'étrangers riches; elle
a eu également pour effet, par des mesures directes et systé-
matiques, de déplacer, de « bousculer » plus ou moins forte-
ment de nombreux éléments de la population ouvrière d'Athènes
ou des faubourgs, et, plus encore, de la population rurale.
Ces mesures, ce sont, d'abord, les expulsions et les interdic-
tions de séjour qui ont suivi ou précédé de peu l'occupation de
Phylè par Thrasybule. Les expulsions pioprement dites, qui
furent de très peu postérieures à la prise de Phylè (Diodore,
XIV, 32,4; Lysias, XXV, 22 et XXXI, 8 : cf. R. E. G. janv.-
mars 1911, pp. 63 et suiv.), forcèrent des milliers d'habitants
à franchir les portes d'Athènes. Il se peut même que ces
expulsions se soient étendues, par répercussion immédiate, à
la population des faubourgs (voir le paragraphe suivant). Ces
expulsés se rendirent en masse au Pirée et dans la région
(1) Nous en avons ici même étudié la chronologie : cf. Rev. Et. gr.^ janv.-mara
1911, pp. 63-76.
LE DÉCRET DE 401/0 EN L*HONNEUR DES MÉTÈQUES 39?
comprise entre les emplacements des anciens Longs-Murs
(Justin, V, 9). Il est ainsi très possible et très naturel qu'un
certain nombre de ces bannis, n'ayant plus ni domicile ni
moyens assurés d'existence et violemment irrités contre les
Trente, aient gagné Phylè même, où ils pouvaient du moins
trouver des ressources dans le pillage des champs (cf. Xén.,
Hell.^ II, IV, 4 : les Trente « v!,yva)a-xovTe; 8e ot'. xal sx twv àvptov
Xer^XaTT] 0-0 '.ev... »). Parmi ces expulsés ayant gagné Phylè ont
pu se trouver quelques-uns des métèques-artisans, maçons,
foulons, menuisiers, qui figurent sur notre liste (1) : les
métèques avaient dû être soumis à la mesure générale de
bannissement dont furent exempts (en dehors des Athéniens qui
déjà ne séjournaient plus dans la ville) les seuls Trois-Mille
privilégiés (Diod., XIV, 32,4).
Deux autres mesures des Trente, les interdictions de séjour
et les dépossessions et expulsions de « ruraux », ont pu égale-
ment conduire à Phylè un nombre considérable de métèques.
Les interdictions de séjour (ol ùï TpûxovTa iipoeiTrov [jlèv toIç
l\{ù ToG xaTaXoyo'j {jit, elo-iÉvai elç tô a^-ru : Hell.^ II, iv, 1) pouvaient
également frapper des métèques-artisans, ceux qui demeuraient
en dehors de l'enceinte, dans les faubourgs (7rpoàa-T!.a) (2), et
ceux qui étaient étroitement mêlés à la population agricole et
satisfaisaient à certains de ses besoins essentiels. Enfin, l'in-
terdiction de séjour s'appliquait à la masse des ruraux et
frappait ainsi directement cette catégorie de métèques-labou-
reurs, maraîchers, journaliers, qui est si abondamment repré-
sentée sur notre liste.
Sans doute, cette mesure, ne contraignant à aucun déplace-
ment, était, à première vue, moins propre que la précédente à
bouleverser immédiatement et profondément la vie des per-
(1) Plusieurs de ces artisans, il est vrai, pouvaient habiter des bourgades
rurales : en ce cas, ils auront été gravement atteints par d'autres mesures que
les expulsions : voir le paragraphe suivant.
(2) A moins qu'ils n'aient été expulsé* avec le TtXî^Ooç de la ville : voir le para-
graphe suivant.
398 PAUL CLOCHÉ
sonnes qu'elle atteignait ; elle ne paraissait pas devoir les
pousser aussi fortement à gagner le Pirée ou la frontièie ou
Tarmée de Thrasybule. Mais par ses efl'ets ultérieurs, el peut-
être assez rapides, rinterdiction de séjoui*, Timpossibilité d'accé-
der à l'enceinte et à l'agora (1) devait sérieusement entraver
l'activité du propriétaire rural ou du fermier. Si le métèque des
campagnes ne pouvait être propriétaire, il n'y en avait pas
moins dans la ruine ou les pertes d'argent de son maître ou
employeur une source de gêne très grave ou de misère pour lui-
même.
Du même coup, en brisant les relations entre la ville et les
dèmes ruraux, l'interdiction de séjour paralysait certains
commerces urbains ou certaines petites industries dont les
rapports avec le monde agricole étaient une nécessité perma-
nente, et dont il est précisément question dans notre docu-
ment (àcTOTToioç, xapuoTrwÀTiç) .
Mais plus grave et plus décisive encore put être la mesure
qui allait compléter l'interdiction de séjour : à savoir l'expul-
sion de nombreux propriétaires fonciers hors de leurs domaines
(y^Yov 8à £x Twv '^(opiwv, l'va auTol (les Trente) xal ol cpiÀot. toÙç tou-
T(i)v àyp^ùç r^o'.ev : HelL, II, iv, 1) (2). Ce bouleversement de la
propriété rurale n'atteignait pas que les maîtres du sol (tous
citoyens athéniens) ; il frappait du même coup leurs fermiers,
intendants et ouvriers, et les artisans qui travaillaient pour le
domaine rural, et il devait, en bien des cas, entraîner leur
exode à la suite de leurs maîtres, employeurs ou clients, soit
vers le Pirée (cpsuyovTwv ôè sic tov n£t.paLà : HelL^ II, iv, 1) soit
vers les frontières de l'Ouest et du Nord (Mégaride et Béotie :
HelL, II, IV, 1), d'oij ils pouvaient être amenés, comme les
propriétaires dépossédés, à gagner Phylè (3).
(1) Tandis que la mer n'est pas fermée aux métèques-navigateurs (cf.
infra, p. 401).
(2) Que ces dépossédés aient été nombreux, c'est ce qui résulte du texte de
Xénophon, qui, deux lignes plus bas, applique à une fraction d'entre eux l'épi-
thète de ttoUoûî {HelL, II, iv, 1).
(3) Mégare est à 28 kilomètres, Thèbes à 32 kilomètres de Phylè : une partie,
LE DÉCRET DE 401/0 EN l'hONNEUR DES MÉTÈQUES 399
Bref, loufe mesure des Trenle tendant à rendre intenables
les domiciles des citoyens ou des mélèques (domiciles souvent
communs : ainsi pour les yswpyo'l), à altérer gravement ou à
paralyser leur vie économique, devait nalurellement pousser
une partie de ces derniers, même en Tabsonce de fortes convic-
tions détnocrali(|ues (1), à cherchei' gîte et subsistance au
camp de Thrasybule, môme alors que l'armée de la révolution
n'avait encore que des chances minimes d<' triomphei' et n'occu-
pail qu'un point presque imperceptible de la frontière attico-
béotienne.
Le fait que deux des mesures brutales prises par les Trente
(interdictions de séjour et mainmise sur les domaines ruraux)
aient frappé autant ou davantage la population agricole que la
population ouvrière, permettrait donc d'expliquer pour quelle
raison Télém'^nl rural, en général si médiocrement représenté
chez les étrangers domiciliés, paraît avoir une telle importance
dans la catégorie des métèques qui rallièrent Phylè (à en juger
du m )ins par les débris de notre liste). Et c'est d'autant plus
remarquable que les éléments ruraux de la population athé-
nienne ne passent pas précisément pour avoir été les plus
« radicaux », les plus prompts à s'enthousiasmer pour un
mouvement démocratique. Ici, nous voyons une fraction d'entre
eux figurer à l'avant-garde de la poussée révolutionnaire (2).
des fugitifs ont donc pu assez rapidement partir de Mégare pour Phylè, comme
d'autres étaient venus de Thèbes.
(1) En général, elles paraissent avoir été moins ardentes dans les campagnes
qu'au Pirée (cf. Clerc, Met. ath., pp. 446, 448 ; Rest. démoc, pp. 442, 450, note 1);
mais il est des cas dans lesquels une nécessité économique, un intérêt pressant
et immédiat peuvent pousser à l'action aussi vigoureusement que la conviction
la plus forte.
(2) On peut voir, du reste, en général, par certains indices, que les cam-
pagnards athéniens, loin d'être favorables à l'aristocratie, comme on l'a dit quel-
quefois (cf. Reslaur. démoc, p. 446, note \), ont soutenu avec énergie la lutte
contre la Ville en 403 : lAcharnien Diotimos arme 1»'S gens de son dème (Lysias,
XXXI, 16); des campaiinards d'Aixonè se font massMcrer par les cavaliers de
Lysimachos en cherchant à ravitailler If Pir''e (Xén., Hell., 11. iv, 26) L'action
des n»étèq'ies-ruranx au cours de la guerre civile cesse ainsi d'être un fait isol'^ et
paraît se rt^lier 'en prenant l-s devants) à tout un mouvement d'ensemble du
monde des campagnes contre l'oligarchie spoliatrice.
400 PAUL CLOCHÉ
Peut-on pousser plus avant cette conclusion et, du fait que
sur notre document ne sont pas représentées les professions
maritimes et commerciales, inférer que seuls — ou à peu près
— les métèques paysans et artisans appuyèrent l'action démo-
cratique à sa naissance (entre l'occupation de Phylè et la des-
cente au Pirée)? Nous ne croyons pas qu'une telle conclusion,
sans être le moins du monde dénuée de vraisemblance ou
démentie par les textes, soit vraiment et pleinement autorisée.
En effet, pour que l'absence de marins et d' stjLTuopo!. sur notre
fragment de liste tendît très sérieusement à prouver que ces
éléments n'ont pas figuré à Phylè, deux conditions seraient
nécessaires : il faudrait d'abord que la tribu Erechlheis — la
seule sur laquelle notre débris de document nous renseigne —
ait possédé des dèmes assez fortement peuplés de marins et
d' £|jm:opoL ; il faudrait aussi qu'il y ait eu à coup sûr absence
totale de représentants de ces catégories sur les colonnes con-
sacrées à cette tribu.
Or, si la tribu Erechtheis a possédé des dèmes côtiers (tels
Anagyre, Lamptres, situés respectivement à 35 et à 40 kilo-
mètres de Phylè) (1), renfermant, selon toute apparence, une
certaine population de marins (2), il n'en reste pas moins que
le gros des navigateurs, métèques ou citoyens, devaient se
trouver dans les dèmes de Phalère et surtout du Pirée : or ces
dèmes appartenaient aux tribus ^Eantis et Hippothoontis, qui
occupaient les neuvième et huitième rang dans Tordre officiel
et ne figurent pas sur notre document.
Cependant, vu le caractère partiellement maritime de divers
dèmes de la tribu Erechtheis, le fait que notre inscription ne
(1) Au sud-est du Pirée : cf. Atlas pour servir à l'histoire grecque de Curtius,
Bouché-Leclercq, Paris, 1883. La tribu Erechtheis possédait d'ailleurs des dèmes
d'un caractère très différent, profondément enfoncés dans la campagne attique,
comme celui de Céphisia, à 18 kilomètres au sud-est de Phylè, qui a pu fournir
des renforts à la garnison de cette place.
(2) Pas exclusivement d'ailleurs : le dème côtier d'Aixonè, situé également sur
la côte sud-occidentale de TAttique, était peuplé, au moins en partie, de cam-
pagnards, dont les ressources servent au ravitaillement de l'armée du Pirée
\Hell., II, IV, 26).
LE DÉCHET DE 401/0 EN l'hONNEUR DES MÉTÈQUES 401
mentionne aucun marin serait un indice fort intéressant, si
nous possédions la liste complète des nouveaux citoyens de
cette tribu : or, il manque envii'on le tiers ou les deux cin-
quièmes des noms, parmi lesquels se rencontraient peut-être
des gens de mer.
Dans ces conditions, nous devons nous abstenir de toute
conclusion formelle. Nous croyons cependant avoir le droit de
formuler une hypothèse que notre fragment de liste, s'il ne la
confirme pas, rend particulièrement intéressante : il ne semble
pas qu'une fraction appréciable de métèques marins ou com-
merçants (catégorie dont notre document ne porte aucune
trace) ait pris part aux opérations de Phylè ; l'ensemble des
métèques de cette catégorie qui purent appuyer l'armée démo-
cratique n'ont dû alfluer au camp de ïhrasybule qu'après l'af-
faire de Mimychie. Nous ne connaissons aucun texte démentant
cette hypothèse, et des considérations d'une certaine valeur
paraissent militer en sa faveur.
Les marins, armateurs et epiTiopo'., qui, parmi les dèmes
côtiers, habitaient principalement le Pirée, souffrirent, sans
doute, de la domination des Trente, et ils furent dès l'origine
soumis à la surveillance gênante des dix archontes du Pirée,
créatures du gouvernement de Critias(Aristote, 'AG. IToa., 35, 1).
Mais enfin — si l'on met à part l'exécution du projet Pison-
Théognis, qui coûta la vie à trente ou soixante métèques et qui
provoqua la fuite de Lysias — , on ne voit nulle part qu'ils aient
été dépouillés, chassés de leurs foyers ou domaines et réduits
à des moyens hasardeux d'existence, comme le furent les cam-
pagnards et les citadins non inscrits sur la liste privilégiée des
Trois-Mille. Les métèques commerçants et marins du Pirée et
autres dèmes côtiers ne paraissent pas avoir été poussés par de
pressantes raisons d'ordre matériel à gagner l'étranger ou à
mener, vers la frontière attique, la vie de soldats-pillards, Ils
pouvaient parfaitement continuer à surveiller leurs affaires au
Pirée même, qui, loin d'être vidé de ses habitants, allait servir
d'asile à une partie des citadins et des ruraux expulsés
402 PAUL CLOCHÉ
{HelL, II, IV, i), et la raer leur restait ouverte, tandis que la
ville était fermée aux gens de« rampHgnes (1).
Le seul exemple certain, à notre connaissance, d»^ métèque
ayant quitté le Pirée avant Toccupaliim de Phylè et apporté à
l'œuvre du relour une collaboration empressée et féconde, c'est
celui de Lysias ; or, Lysias avait précisément souffert de la
tyrannie à titre personnel, et il n'avait dû son salut qu'à la cor-
ruption et à la fuite (cf. Lysias, XII, 8 et suiv.). Mais c'est là
— autant que les textes permettent d'en juger — un cas excep-
tionnel : dans l'ensemble, la politique suivie par l'oligarchie
vis-à-vis du Pirée semble avoir été beaucoup moins brutale
que la politique de spoliation et d'éviction pratiquée contre les
ruraux. Dès lors, il ne serait pas très surprenant que les étran-
gers domiciliés au Pirée n'aient pas voulu mener, dans l'armée
de Phylè, une vie de gêne et de périls et risquer d'être coupés
de leurs foyers par une attaque heureuse des Trenle; il paraît
plus naturel qu'ils aient attendu, pour appuyer Thrasybule, la
présence de son armée victorieuse au Pirée même.
Nous n'oublions pas, d'ailleurs, que diverses raisons étran-
gères à l'intérêt égoïste et tangible et au dommage immédiat
pouvaient pousser vers Phylè des métèques du Pirée : l'ardeur
du sentiment démocratique, le désir d'aider promptement à la
chute d'un gouvernement odieux et dangereux, ont pu susciter,
même de la part d'individus paisiblement installés dans leurs
foyers et adonnés à leurs affaires, des concours très rapides et
gros de périls ; et, de ces concours, la fraction disparue du
décret portait peut-être la trace. Seulement, nous n'en possé-
dons aucune preuve, tandis que nous avons la preuve très
claire que des mélèques ruraux ont coopéré dès la première
heure au succès de l'entreprise révolutionnaire. En l'état actuel
des textes, ce n'est pas parmi les métèques marins et com-
merçants du Pirée, généralement réputés pour la vigueur de
(1) En fait d'expulsions hors du Pir^e, on ne connaît que cpVes dont furent
victimes Ips ruraux qui s'y étaient réfugiés, et que les Trente en chassèrent :
cf. HelL, II, IV, f.
LE DÉCRET DE 401/0 EN l'hONNEUR DES MÉTÈQUES 403
leur^^ ti^ndances democrali |ue«, que l'on doit chorcher (mis à
paît le cas tiès particulier de Lysjas) les premiers ouvriers de
la reslauration démocralique : c\»st bien plutôt parmi les arti-
sans de la ville et des faubourgs, et, plus encoi'e, dans les
milieux ruraux et demi-ruraux.
Bref, rtiypothèse suivant laquelle les métèques du Pirée,
généralement adonnés aux professions navales et commerciales,
ne seraient entrés en scène qu'après Munychie, n'est pas
démontrée; mais elle n'a contre elle aucun texte positif, elle
repose sur un fond assez solide de vraisemblance, et elle reçoit,
sinon une force réelle, du moins un intérêt plus vif et renou-
velé du décret voté sousTarchontat de Xénainètos. Ce document
nous a tout au moins invités à grouper de nouveau les éléments
du problème.
Quels purent être les motifs et les origines du décret qui
récompensait ainsi, en 401/0, les métèques de l'armée de
Phylè? A première vue, on songe à le rattacher au grand
conflit qui s'était engagé en 403 autour des étrangers et SoGXot.
revenus du Pirée avec le Démos (cf. 'A9. IIoX., 40, 2). Un décret
du démocrate Thrasybule ayant conféré la tcoàitsU à tous ces
combattants sans distinction, Archinos, ancien partisan de
Théramène, fit casser le décret en intentant à son auteur une
ypacpTi TiapavopKov. On est ainsi amené à formuler l'hypothèse
suivante : Archinos, pour ne pas mécontenter à l'excès les
métèques, pour ne pas paraître systématiquement indifférent
aux services rendus, a voulu faire un geste en faveur des
plus méritants d'entre eux : ceux qui, pour une raison ou
pour une autre, avaient montré le plus de promptitude et
d'audace à appuyer l'action des bannis (1).
(l) L'absencp de toute certitude sur la tenpur authentique de la li^ne 4 du
décret (cf. supra, p. 390) n'iut^^rdil pas, en principe, de restituer ['Af«/îvo;] devant
[cIicEv], dont la place exacte n'est pas connue.
•404 PAUL CLOCHÉ
Cette hypothèse ne nous paraît pas pouvoir tenir contre la
date du décret. Comment l'auteur de cette mesure aurait-il
attendu deux ans pour atténuer, d'ailleurs médiocrement, les
effets de son initiative de 403, et pour manifester ses senti-
ments de bienveillante équité ? Son intérêt, au contraire, était
de faire procéder le plus tôt possible à l'enquête indispensable:
enquête qui, si minutieuse fût-elle (1), ne pouvait se prolonger
durant deux longues années et qu'il était très possible de faire
aboutir en quelques mois, donc au cours de l'archontat
d'Euclide. Il y a donc solution de continuité très nette entre
la victoire d'Archinos sur Thrasybule et le décret de 401/0. Dès
lors, pourquoi Archinos aurait-il brusquement repris sous l'ar-
chontat de Xénainètos une partie du projet qu'il avait fait
échouer deux ans plus tôt ? Quel intérêt aurait eu alors cet
« aristocrate modéré », si résolument hostile à l'introduction
d'éléments étrangers dans la cité (cf. Restaur. démoc.^
pp. 455-458), à réclamer l'adjonction au Démos d'un certain
nombre de métèques? Quel appui ces « petites gens » auraient-
elles apporté à la politique conservatrice d'Archinos et des
théraménisles?
Nous croirions plus volontiers à une sorte de retour offensif
de Thrasybule ; mais ce retour offensif a été très limité, tardif,
et, selon nous, beaucoup moins dicté par les motifs dont Thra-
sybule s'était inspiré en 403 (2) que par les circonstances de
la vie politique en 401/0.
Si l'échec subi en 403 avait eu vraiment pour cause, comme
l'indique le texte du Pseudo-Plutarque [Lysias, 8), l'illégalité
que Thrasybule avait commise en négligeant de consulter la
Boulé (3), le chef du parti démocratique eût pu, à la rigueur,
reprendre rapidement l'affaire, dans toute son ampleur, en
(1) La Boulé a dû mener avec le plus grand souci d'exactitude son enquête sur
les premiers combattants de Phylè : Eschine, III, 187. Cf. Restaur. démoc,
pp. 14-13.
(2) Sur ces motifs, voir Restaur. démoc, p. 450-451.
(3) Eschine, III, 195, et Aristote, 'AÔ. IloX., 40, 2, parlent aussi d'illégalité,
mais sans plus préciser et sans mentionner l'absence de itpopoùXeujia.
LE DÉCRET DE 401/0 EN l'hONNEUR DES MÉTÈQUES 405
observant la procédure régulière. Mais la question de légalité
n'avait élé qu'un prétoxle pour Archinos, qui avait fait violer
la loi et négligé d'observer telles presci'iptions des conventions
pour mieux assurer le triomphe de l'amnistie (cf. Reslaiir.
démoc.^ p. 453) ; et, au fond, la majorité des Athéniens, en
403, avaient surtout j'épugné à laisser la -oA'.TS'la aux très
nombreux étrangers, domiciliés ou non, qui avaient apporté
leur concours à l'armée du Pirée (Xén., HelL, II, iv, 25). De
toute façon, le projet primitif, d'une portée si vaste, n'avait
plus aucune chance de triompher. Quant à un décret limité, il
eût sans doute reçu un accueil moins hostile ; mais, outre
qu'il convenait de ne pas risquer l'entreprise trop tôt après le
verdict du dikasterion, un tel décret aurait otfert lelativement
peu d'intérêt ; il aurait à peine accru de quelques centaines
d'hommes la clientèle démocratique de Thrasybule et de ses
amis.
De sorte que le projet n'eût peut-être pas réapparu, même
sous une forme modeste et limitée, si en 401/0 l'histoire
d'Athènes n'avait été marquée par une circonstance capitale :
la fin de la guerre d'Eleusis et le retour de la presque totalité
des « Trois-Mille » émigrés. Ce retour avait pour conséquence
certaine de renforcer les rangs du parti conservateur athénien;
la paix avec les émigrés avait été d'ailleurs, en définitive,
l'œuvre de leurs parents et amis restés à Athènes {HelL, II, iv,
43), c'est-à-dire d'une fraction au moins de l'aristocratie, inté-
ressée à ne pas rester dispersée en face du Démos (cf. Restaur,
démoc, pp. 285-287, 292-293).
En revanche, Thrasybule et le parti démocratique n'ont
sans doute pas vu de très bon œil ce retour — accompli ou
éventuel — des ennemis les plus endurcis et les plus odieux
des institutions restaurées. Ils ont donc pu réclamer et
imposer une compensation : la création d'une fournée de
citoyens, choisis parmi les métèques les plus réputés pour
l'importance des services rendus à la démocratie. Les situations
qu'avaient respectivement occupées les partis entre 403 et 401/0
406 PAUL CLOCHÉ
pourraient être ainsi à peu près maintenues : il y aurait atBux
de ri'oforls des deux côlés. Nous n'entendons pas affirmer,
d'ailleurs, que le nombre des émigrés rentrés à Athènes, ait
égalé, ou à peu près, celui des étrangers admis à la izoIki-eIt.
(300 environ). On ignore absolument l'importance numérique
de l'émigration (cf. Restaur. démoc, pp. 279 280); tout ce
qu'on peut dire, c'est que les émigrés furent très loin d'alteindre
le chitfre de 3.000 hommes : une partie des Trois-Mille étaient
restés spontanément à Athènes après la paix de 403 ; un très
grand nombre de leurs compagnons, qui avaient remis aux
derniers jours du délai fixé leur inscriplion sur les listes de
départ, furent retenus, contraints à la confiance, par une
mesure d'Archinos ('AQ. IIoa., 40, 1); plusieurs des émigrés
désertèrent et rejoignirent les gens de la ville au cours du
siège ; enfin, quelques émigrés, dont Batrachos, suivirent
dans leur fuite les « Trente » survivants et ne reparurent pas à
Athènes (cf. Restaur. démoc, pp. 286, 290, 343). Bref, il est
très possible que le nombre des aristocrates qui regagnèrent
iVthènes en 401/0 ait été très peu supérieur à celui des nou-
veaux citoyens, ou même ne l'ait pas atteint.
Si l'on admet ainsi l'hypothèse d'un décret « de compensa-
tion », qui peut être l'auteur d'un tel décret? On incline à
supposer que ce fut Thrasybule lui-même, chef reconnu du
parti démocratique, qui devait trouver en cette circonstance
l'occasion de prendre une sorte de demi-revanche de la défaite
éprouvée en 403. En ce cas, on pourrait restituer ainsi l'inscrip-
tion à la fin de la ligne 3 et à la ligne 4 : £7r[£0'TàT£, 0paTuêo|uXo(;
elîtsv • OTtwç av ôwpeàv Xa^êàv(UTt.v o\ jjlstoixJo!. (cf. supra, p. 390).
Entre [èa-TaTs), en effet, et [ol pL£TO'.x], 38 lettres manquent.
Naturellement, pour faire accepter ce décrel, son auteur dut
rappeler avec précision les titres d'honneur des mélèques qu'il
s'agissait de récompenser, les suivre du début à la fin de la
campagne entreprise contre l'oligarehie (campagne dont le
décret marque les principales étapes : combats de Phylè,
bataille de Munychie, opérations ultérieures), peut-être aussi
LE DÉCRET DR 401/0 EN l'hONNEUR DES MÉTÈQUES 407
louer le re^p<»ct ténioigné par les mélèques à l'égard des con-
venlions d'amnistie (stto'I&v -rà 7rpoTTaT[T6[jL£vaj), afin de calmer les
inquiétudes des « modérés », principaux soiilieiis de Tamnistie.
Les démocrates obtenaient ainsi un notahie succès moral;
ils rapptdaient à ceux qui auraient pu les oublier les glorieux
souvenirs de la guerre libératrice de 403 ; ils ouvraient leurs
rangs à quelques centaines de ces « petites gens » qui, précisé-
ment, paraissent avoir formé la clientèle la plus ordinaire des
assemblées athéniennes. Xénophon {Mémor., III, vu, 6) fait
dire à Socrate : uoxcpov yàp toÙ; yva-^ps"!; auTwv r, toÙ; a-xyTE»!; r^ zoltç
TéxTOvaç Ti Toù; ^aXxsIç r\ toÙç yewpyo'j; y) toÙ; l^Tzôpou^... aloy-jv^j^, ;
ex yàp TouTwv aTràvTwv '}\ sxxÀïia-'la o-uvlo-TaTa'.. Entre ce texte et
notre inscription il y a parallélisme partiel et remarquable : trois
des professions énumérées par Socrate se retrouvent dans notre
document, oii figurent un yvacpsu;, un tsxxwv et cinq yswpyoL
Mais le gain matériel était mince pour la démocratie.
D'abord, ce n'était pas un progrès sans contre poids : cet afflux
de « revenus de Phylè » était compensé, au moins partielle-
ment, peut-être même dépassé, par l'afflux correspondant des
a revenus d'Eleusis », des meilleurs et suprêmes partisans des
Trente. Ensuite, pris en lui-même, qu'était cet appoint de
300 personnes pour la collectivité de 15 à 20,000 hommes que
formait, au début de la Restauration, le corps civique athé-
nien (1) ? Celui-ci s'accroissait d'un soixantième au maximum ;
les grandes espérances qu'avaient pu concevoir en 403 les
chefs démocrates et les nombreux étrangers arrivés au camp
du Pirée pendant le siège étaient définitivement brisées.
Or, parmi ces combattants, nombreux étaient ceux qui
avaient lutté comme hoplites (il y avait même eu parmi eux
70 cavaliers : HelL, II, iv, 25) ; ils avaient apporté à la cause
démocratique le concours d'un armement meilleur et plus coû-
teux que celui des àxovT!.aTai et yu{jLVTiTc; qui pouvaient se trou-
{]) Ci. Restau f\ démoc, pp. 467, 475-476. D'après M. Kôrte, le chiffre total
des nouveaux citoyens ne dépassait pas 200 ; nous avions admis cette évalua-
tion ; mais l'essentiel de nos conclusions subsiste, si l'on élève ce chiffre à 300.
408 PAUL CLOCHÉ
ver parmi les métèques revenus de Phylè, et ils pouvaient
escompter, malgré leur concours plus tardif, une récompense
équivalente. Mais, surtout, au nombre de ces métèques médio-
crement récompensés (1), se trouvait Lysias, qui, sans avoir
paru à Phylè, avait rendu à « ceux du Pirée » des services
exceptionnellement brillants; son concours avait, à la lettre,
valu une armée : armée de 300 ou SOO soldats (2) qui, à elle
seule, égalait ou dépassait la petite troupe des métèques revenus
de Phylè. Mais Lysias n'avait pas combattu dans la forteresse,
et il était précisément l'un des métèques que pouvaient le plus
redouter le parti théraméniste et les « revenus d'Eleusis » (3).
En résumé, la portée matérielle et effective du décret de
401/0 n'était pas très considérable; l'équilibre des partis en
présence n'était pas atteint. La politique démocratique de Thra-
sybule n'avait obtenu là qu'un succès très modeste et très limité,
qui était encore bien loin de combler les vides creusés par les
Trente dans les rangs du Démos : en 404/3, d'après les évalua-
tions les plus modérées, 1500 Athéniens avaient été exécutés
sans jugement ('A9. IIoà., 35, 2), auxquels il faut peut-être join-
dre les 30 ou 60 métèques mis à mort en vertu du décret Pison-
Théognis et les 300 Eleusiniens et Salaminiens qu'on fit périr
après la prise de Phylè; en 401/0, 300 métèques entraient dans
la cité, en même temps que reparaissaient dans Athènes, à
quelques fugitifs près, les principaux complices de Critias.
Paul Cloché.
(1) D'après la promesse faite par Tarmée du Pirée {Hell., Il, iv, 25), ils
devaient recevoir Tisotélie.
(2) r,00, selon Justin, V, 9 ; 300, selon la Vie de Lysias, 7. De plus, Lysias
envoya 200 boucliers et 2,000 drachmes, et il détermina Thrasydaeos d'Élis à
donner deux talents aux exilés (Ps. Plutarque, Lysias, 7).
(3) Cf. Bestaur. démoc, pp. 319, 454-455, 467, 476. H est vrai qu'en 401/0 l'ex-
clusion de Lysias hors de la cité athénienne a pu lui être moins sensible qu'en
403 ; depuis la paix il avait commencé à relever sa fortune ; l'ancien industriel
du Pirée était devenu logographe, et, peu de temps après la fin de la guerre
d'Eleusis, nous le voyons mettre son talent au service d'un ancien membre du
corps des Trois-Mille. Cf. Resiaur. démoc, pp. 387-392.
BULLETIN ÉPIGRAPHIQUE
Ce Bulletin, comme le précédent (1916, p. 435) a été rédigé par MM. P. Roussel
et G. Nicole. La part de M. G. Nicole, qui a dépouillé les périodiques et les
ouvrages allemands et austro-hongrois, est mise entre crochets.
[Allemagne. — Jahrb. d. deutsch. arch. Instituts et Arcli. Anzei(jei\ XXX
(1916).
Philologus, LUI (1914), 4; LIV (1915).
Rheinisches Muséum, LXXI (1916).
Wochenschrift /". klassische Philologie, 1916.
Sitzungsberic/ile d. k. Bayrischen Akademie, 1916.
(Pour Glolta, Heimes, Berliner philol. Wochenschrift,
Sitzungsberichte d. k. preuss. Akademie, Goettingische
gelehrte Anzeigen, le rapport sur 1916 a paru dans le
Bulletin précédent).
Autriche. — Jahreshefle d. œst. arch. Instituts et Beiblatt, XVill (1915),
parus en 1916.
Zeitschr. /". d. œst. Gymnasien, LXVli (1916).
Sitzungsber. d. Akad. d. Wissenchaft. in Wien, philos. -
hist. Klasse, 180 (1916), 2 Abh.]
États-Unis. — American Journal of Archaeology {AJA), XX (1916).
France. — Revue des Études Grecques {REG), XXIX (1916).
Revue des Études anciennes {REA), XVIIl (1916).
Revue archéologique, cinquième série, t. III et IV (1916).
Revue de Philologie, W16.
Revue Biblique, nouvelle série, t. XIU (1916).
Comptes rendus de V Académie des Inscriptions [CRAl), 1916,
Grande-Bretagne. — Journal of hellenic Studies {JHS), XXXV (1915).
Annual of the british School at Athens {BSA), XXI (1914-5
et 1915-6).
Hollande. — Mnemosyne, XLV (1916).
Italie. — Annuario d. r. Scuola archeologica di Atene e délie 7nission,
italiane in Oriente, I (1915) ; II (1916).
410 p. ROUSSEL, G. NICOLE
Recueils épigraphiques. — Le deuxième fascicule des Inscriptinnes atlicae
Eucluiis anno pusieriores [IG, Il et III, éd. niinor ; cf Bullelin, 1913, p. 442) a
paru en 1916. Il teruiine la première partie et contient les décrets postérieurs à
229/8 : décrets du sénat et du peuple, lettres des empereurs et magistrats romains,
décrets et lettres des cités étrangères et des Amphictions, décrets des tribus, des
dèmes, des clérouques, des gentes, des phratries, de la Tétropole, de la Mésogée,
des collèges et associations; lois sacrées. — Dans les addenda, de." corrections
de Wilhelm et de Léonardos ('Apy a:oXo yi >cô v AeXtlov, 1916) ont été enre-
gistrées,
— Au début de 1917 a été publié le second volume de la Sylloge rééditée (cf. pré-
cédent Bullelin, p. 436). 11 contient la fin des inscriptions historiques de la paix
de Naupacte (217/6) jusqu'à Justinien (565 ap. J.-C). Les deux volumes donnent
un total de 910 inscriptions. Conmie dans le premier, c'est Delphes, surtout qui a
fourni le plus fort appoint de textes nouveaux : ainsi tous les textes relatifs à la
Pythaïde du ii^ et du i'^'" siècle y sont répétés, en totalité ou en partie, de même
que, dans le premier, on trouvait un coi pus de toutes les inscriptions concernant
la reconstruction du temple de Delphes au ive siècle. Il y a disproportion mani-
feste entre les parties delpliiques et le reste de la Sylloge oii les additions sont
faites avec plus de discrétion : on reconnaît les procédés coutumiers de H. Pom-
tow ; mais les autres éditeurs de la Sylloge ont accepté avec une docilité singu-
lière son envahissante collaboration. Ils ne devront s'en prendre qu'à eux-mêmes
si, par endroits, l'ancienne Sylloge, monument d'un esprit lucide, est devenu un
fatras, où les notes et les tableaux synoptiques s'accumulent sans éclairer les
textes. — Sur la manière même dont ces textes — et quelques autres — ont été
édités, il y aura beaucoup à dire. On y reviendra ailleurs.
[Un compte-rendu sommaire et descriptif du premier volume a été donné par
W. Larfeld, Wocli. Klass. P/iil., 1916, col. 1361-1364 ; il ne trouve qu'à louer et
croit à une supériorité d'Hiller v. Gaertringen, le nouvel éditeur, épigraphiste
militant, sur Diltenberger, resté jusqu'à la fin un critique de cabinet].
— La collection des Ancienl Greek inscriptions in Ihe British. Muséum^ a été
terminée en 1916 : l^art IV, section II : Supplementary and miscellaneous ins-
criptions, par F. H. Marshall. C'est la conclusion d'une œuvre dont la première
partie a paru en 1874. On y trouvera des inscriptions de toutes provenances,
entrées au Musée Britannique depuis cette date : Attique, Égine, Péloponnèse,
Crète, lies Ioniennes, Grèce du Nord (n. 955, inédit de Dodone), îles de la mer
Aigée et Cypre (n. 963 = Syll. 2, 335, monument exhumé à Délos par Th. Ho-
molle et dérobé par un voyageur peu délicat), Thrace et Asie-Mineure, Syrie et
Orient, Egypte (n" 1065, pierre de Rosette), Italie et Sicile, Grande-Bretagne,
Gaule. — Parmi les textes d'origine incertaine, je signale : n. 1110 qui provient
certainement de Délos ; lire : éirl lr'.[xeXriTOj 6è t'^ ; vriffou) (au lieu de 8' Itt)) Aïo-
vua(ou Toû A'.ovjcrîou [laiaview;; l'inscr., gravée sur un chapiteau de marbre dorique,
se continuait sans doute sur une autre partie de l'entablement : on en a trouvé
d'analogue dans les sanctuaires égyptien et syrien de Délos. — n. 1154 a peut
provenir de Delphes ; cf. IG, V, 2, p. 5, I. 84; aux 1. 10-11, lire AîavcCSr, vtal Xape-
caavr, to[k] (et non (to[û]) [B]a6ûXou (au lieu de [NjaêûXou) àtl'-^oU. — En appen-
dice n» 481*, l'inscription de Vibitis Salutaris d'Éphèse (cf. Bulletin^ 1913, 480 et
ÈULLETlN ÉPlGRAPttTQUÊ 41 i
1914,466). — I/éditeur, dans la publication de queNiues t*'xtes in.'iiifs. inanifeste
une 9ingnlij!*re inliabilet''* à rctitiior les formult-s les plus hanahia ; n 104A, partie
inférieure d'un décret d'Alt.ileia en I tionneurde t'onolionnaires anonymes : "va 6è
xal 01 xXkoi... [éyjefpwvTat (!, àjx'.AXàcrOai -p6î 'fi).oôo;îav.... Un liro eût complété
[Tr]£ip'ÔvTai. L. 8 et sniv, :" è7:r,vf,a6a!. aùxol; èirl Tofûtloiç xal s-l to)-. azavTO; toO
Sixaiou àpTysaSiai; sans doute : sirl twi xtc'/j - avTÔî xoû 5ixa{ou àp[^ja'..
— [Ad. Wilhelni, a donné une suite à sa publication Allische Ur/cunden, Il
(voir pour la partie 1, BuUelin, 1913, p. 443), Silzun<jshet\ der. k. Akad. d. Wiss.
in Wien, phil.-hist. Klasse, t. 180. 2 (1916). On en trouvera l'analyse dans le Bul-
letin^ au chapitre de l'Attique.
Le même critique a publié Zeitschrifl. /'. d. oesl. Gymn., 1916, 274-76 un c.-r.
de l'ouvrage de Helbing, Answahl ans griech. Inschrift. 1915, collect. Goeschen,
et relève beaucoup d'erreurs dans ce petit manuel].
Collections. — A. H. Smith, ./. //. S/., 1916. 163 372 : Lord Elgin and his
collection. Quelques indications sur des inscr. du British Muséum [CIG, 839, 1732,
2012, 3595); cf. l'index, p. 370-1.
Espérandieu, RA, 1916, III, 23-73 : Monuments antiques figurés au musée archéo-
logique de Milan. — P. 27. Déd. OcOit; xaTa/Bovetotç (C/G, 2380).
Inscriptions juridiques. — B, Uaussoullier, Traité entre Delphes et Pellana
[Bibliothèque de CÈcole des Hautes Études, fasc. CGXXII, 1917). A l'occasion d'un
texte delphique dont il sera question ci-dessous, l'auteur traite de nombreuses
questions qui touchent au droit grec ^^tribunaux, requête civile et appel, procédure
d'exécution, suspension des tribunaux, vol, revendication d'esclaves fugitifs, etc.).
— P. 173-180, Remarques sur quelques termes du droit de Delphes : Trapiarx£at<; ?),
ÈTTiTtaixaTc;, xtaaaiç. Un index général et un index des inscriptions corrigées ou
complétées font de cet ouvrage un précieux appendice à la collection des Ins-
criptions jur'idiqw's grecques .
— L. Gernet, REG. 1916, 383 403 : 0/)servafions sur la loi de Gorhjne. Inter-
prétation dun passage (col II, 1 17-20) relatif au viol et à l'adultère.
Inscriptions céramiques. — G. Nicole, RA, 1916 IV, 373-412 : Corpus des
céramistes grecs. Ce catalogue, destiné à figurer dans le tome I^i" du Recueil
archéologique Paul Milliet (sorte de réédition des Antike Schriftquellen zur Gesch.
d. bildenden Kunst bei den Griechen, dOverbeck), donne les noms de 133 peintres
ou chefs d'ateliers céramiques (KU-in, Meislersignaturen, n'en connaissait que
103). Abondante bibliographie pour chaque vase avec signature.
— Mary Hamilton Swindier, AJA, 1916, 308-345. The Bryn Mawr Collection
of greek vases. — P. 315. Signature de iN4kosth(énès). —321. Frg. d'une amphore
panathénaique. — 325. Diverses inscr. avec xa)^d;.
— [P. Wolters, Rhein.Mus., LXXI, 1916, 282, propose une meilleure lecture des
lettres gravées sur le socle de deux autels figurés sous les anses du stamnos <à
tig rouges, n» 30 du Catalogue d'antiquités grecques et romaines, 18 mars 1901 (Coll.
Bourguignon), p. 10. Au lieu du nom déphèbe inconnu E'.aûXT,[?], suivi de xaXô;,
qu'avait lu Sambon (cf. Rev. Arch., 1901, I, p. 436), lire xaXôç sT CTuys. Ibid.
283. Le skyphos à fig. rouges de Berlin, Furtwângler et Reich, Griech. Vasenma-
lerei, pi. 125, représentant une jeune fille à l'escarpolette, que pousse un Silène,
doit porter, au-dessus du Silène, l'inscr. sla w ela, au lieu de si aSeia ou et "A[v]Ô£ta
REG, XXX, 1917, n» 140. 28
412 l'. HOUSSEL, r.. NICOLE
proposés par W'elokcr, Ani. I)en/nn., III. .jll, et Uauseï-, (ex le de Gr. Va.senmuL,
:î1. Cf. Aristoph., Par, 4o0, et Kretschiiier, Gr. VasenlnschrifL., 85, !I1.
[I)id.2^i. \V. étudie les dédicaces tracées sui* quatorze Igts de lasses de styJe
naucratite, trouvées dans les fouilles du temple d'Aphaia à Éj^ine. Furtwiingler,
Aïfjina, Bas HeiUglum der Aphala, 4."16, w^-" 210 et 245 : pi. 12'J, u. 1. 11 reconstitue
une formule unique, Hapavoixoç xal ' Xry.z-z'yoivf,- àv£6T,xav, qui synthétise 12 fgls sur
14 ; les n"^ 7 et 11 portent ..aov. L'ex-voto se ramènerait à deux ou trois coupes.
\V. marque des doutes sur Texportatiou de vases de Naucralis portant une
dédicace peinte].
— G. Vf. Porro, Aniiuario, 1916, 103-124 : holli d'anf'ore radie del mu.seo
nazionale romano. 602 marques d'amphores recueillies en 11)12 et 19i;j sur le ter-
ritoire de Kamiros : 10 seulement sont de villes étrangères, Thasos, Olbia, C.nide.
— Uii nom nouveau de fabricant, Diogénès; un éponyme, Magésidamos.
Prosopographie. — Les deux études (pie j'ai publiées sur Délos fournissent
une contribution à la ju'osopographie athénienne, iiarticulièrement au ii" et au
i^r s. av. ,J.-C.
P. Moussel, Délofi colonie uthéî)ienne (Paris 1916) : P. ;!7-40. Clérouques athé-
niens H Délos. — 57-64. .Vthéniens notables de Délos. — 100-118 Épimélèlcs de
Délos. — 140-144. Administrateurs des biens sacrés. — 180-184. Épimélèlcs de
l'cmporion et agoranomes. — 191. Paidotribes, — 197-198. Gymnasiarques. —
211-2212. Prêtres d'Apollon. — 216-217. Sous-prètresses et cleidouques d'Artémis.
— 219. Prêtres d'Artémis sv vf,jw.. — 226. Prêtres, zacores, cleidouques de Zeus
Kynlhios. — 232. Prêtres de Grandes Divinités. — 234. Prêtres de Dionysos. —
239. Prêtres d'Asklépios. — 240. Prêtres d'Anios. — 264. Prêtres, cleidouques,
cauéphores, zacores des divinités syriennes.
Idem, Les cultes égyptiens à Délos du iii"^ au ip"" siècle av. .I.-C. (Paris-Nancy,
1916 . — P. 272, hors-texte : prêtres cleidouques. zacores, canéphores des divi-
nités égyptiennes.
— M. Lacroix, REG, 1916, 188-237. U?ie famille de Délos. Reconnaît à Délos au
iiic s. l'existence des grandes familles enrichies par le commerce, en particulier
par le commerce de bois, et concentrant entre leurs mains la puissance politique
(le mot est ambitieux; disons municipale) et éconamique. Cette conclusion est
très vraisemblable; mais les tableaux généalogiques, qui ont nécessité des recher-
ches considérables, fournissent souvent des données bien hypothétiques.
[A. Wilhelm, Attische Urkunden, II, 33-36, a retrouvé en 1914, dans la collection
du Musée National d'Athènes, la partie gauche du décret IG II, 626, voté par les
technites en l'honneur d'Aribazos, fils de Séleucos, du Pirée. — Aribazos n'est pas
un artiste, comme l'avait supposé déjà G. Klaffenbach, Symfjolae ad historiam
collefjioriim artificum Bacchiorum,ol. — C'est le poète comique Mnasiclès, d'ail-
leurs inconnu, qui est chargé par les technites athéniens de la consécration du
moiuunent qui seivi voué à Aribazos, le bienfaiteur de la corporation.
[xjai; • vtaxaaTf^aa: ô[è too; TS/vÎTaç aùxi^a [xiXa? Tf,<; xwv £lx(5vo)v] | vtaTaax£uf,i; -/al
àvxj^ôÉaao)]; xal ivx[ypx:^r^<; xou tj'Ticpfaaaxoç èTri"||[xsA'OXT,v Mva5ix>vf<v xojjxixov r^ovr^z^c^
[■Axl àvaOsîva'.? àv X(o £-;r'.] |»av£Txâxa) xôtto) xoO rioJciS'.Tnreîou, otcojç x[f,i; xs WpioxÇou
|j.£yaAO[X£] [ociaî ù~io/r^ •j7:o[xvr^[xa xoï; £7:iy'.vo|X£vo|[iç xal xf,; ÙTzb xwv X£yvi]|xa>v
BULLETIN ÉPIGRAPHIQUE 413
Yêyoveîa; tl^ aixôv sù/ap'.c-xîa; • 'O £['.prjUsvo; izt,;j.£Ar,Tr,; ty.î] | T(T>v c'.xôv<<)v xa-atj-
vce'jf.ç xal àvaSîTSwç >c[aTi tô 'lyi'fUfjLa Mvaj'.xAfic;] -jzo'.t.tt,; -/.ojixixÔ;;. | Oî T£/vÏTxt |
'ApîêaCov I StXcOXOu | rieipaisa.J
La restitution a été admise par Kirchner IG, 11-, addenda, p. (J73. 1331.
Chronologie. — P. Roussel, Délos colonie athénienne, 341-382 : Hemarques
sur la chronologie des archontes athéniens du ii^ et du i^^ siècle. — Discussion
(les lois posées par Ferguson sur la succ('ssi(»n des secrétaires xaxà zpuxxveiav,
des prêtres de Sarapis, des prêtres des Grandes Divinités selon l'ordre oiïiciel des
tribus. — Dates nouvelles d'Achaios (166/o). de Tychandros (160/;;9), d'Andréas
(154/3?), de Métrophanès (146/5), de Démocharès (108/7). — Noms nouveaux
d'archontes : Mikion (au lieu de Méton, vers 132/1), Théodotos, Rallias (fin i'"'" s.),
Ménédémos, Kriton. — Anliontcs du ic s. av. J.-C.
Sur les listes d'archontes îithéniens, cl". P. Roussel, UEG, 1916, 16G, 170. Aucune
de ces listes n'est antérieure au i^'- s. av. J.-C, pas même /(?, ÎI, 862, datée à
tort du début du ii« s.
Questions linguistiques. — [C. Favro a publié en 1914, le Thésaurus verbonan
quae in titulis ionicis lef/untur dont il avait publié le spécimen en 1912 (voir Bul-
letin, 1915). C.-K. par R. Moister, Zeilschrift f. d. œst. Gymn., 1916, 170. L'ouvrage
de Favre intéressera, outre les épigraphistes, les philologues qui s'occupent
d'Hérodote. Remarquer l'emploi de è'pya dans les inscriptions, comme dans Héro-
dote, avec le sens d'édifice] .
ATTIQUE
Athènes. — [A. Wilhem, Attische Urkunden, H, 3-9 et pi. \, restitue d'une
manière nouvelle, IG, 11^ 713 (= IG, \\, 302 6), I. 11-12 : èTreiÔT. Ap^ltJTwv 'Eyeaxio-j
8T,[6aros auXT,Tf.(î, au lieu de iy^<èix[z]o\j. Le nom 'Ey9acTioç est attesté par /G, VH,
1710-1712, trouvé au bourg de Krekuki, au S. E. de Thèbes. Le décret attique
aurait été rendu en l'honneur d'un ïhébain, Aptaxwv 'Eyaô-ciou, oii W. incline à
voir un aulète portant un nom déjà célèbre dans cette classe de musiciens
(fragm. 148 de Simonide).
Ibid., 9-2S, Zu der Verleihnng der l'yxxri j t.:; in den Beschluessen des Athener.
W. revient sur l'idée qu'il avait émise, Wieti. Stud., XIX, 1, qu'un bourgeois
ressortissant d'une cité grecque peut acquérir dans un État voisin des terrains
situés à la frontière de sa patrie. Le décret fragm. IG, IP, 373 (II, 186) lui fait
comprendre, ainsi que le décret des Priéniens en l'honneur de Mégabyze d'Éphèse,
que des réserves juridiques empêchaient rétablissement des étrangers aux fron-
tières de la cité. Il restaure, ligne 30, o-.x^aç syxxTiaiv dtiréyovxi xwv [ôpîwv xf,; 'Axxi-
x-fiî] au lieu de elvai 6è aùxîoi xal syyôvoiç yfji; xal otxiaç £'yxxT,at,v àiréj^ovxt xôiv [xoivwv
xal xwv îepwv]. Les mots xaxà xôv vd[Aov seraient relatifs, dans ce genre de décrets,
aux réserves générales du droit d'établissement et d'acquisition immobilière, et
non aux limites fixées pour la valeur des biens fonds et des immeubles. "W. étudie
une série de décrets attiques de la deuxième moitié du la^ siècle relatifs à la
collation de l' eyxxr.at; : IG, IP, 786, que W. voudrait placer seulement après IG,
112, 831^ et où il restaure la ligne 26 : xal syxxTi[aiv olxiaç xi|jiT,;xajxo; XXX yf.î oï
TT; IG, II, 5, 451 b; IG, H^, 801 (11, 5, 513 i) ; IG, H, 380 ; IG, II, 5, 407 c ; IG,
414 p. HOUSSEL, G. NICOLE
11-i, 802 (II. 0, 407 d) ; /G, 11^ 706 (II, 369) ; 7G, 112,810(11,370); /G, 11^ 732; dans
ce dernier décret. W. lit à la ligne 10 : [è'yxrri ( aiv yf.ç xal ol]xîa; [xtî itT^TiOvoî
Tt|JL'/ifiaTO[ç].
Ibid., 23-30. W. publie un décret inédit et tort mutilé, formé par l'assemblage
de IG, 11, 356 b et de deu.K frg. inédits du Musée national. C'est un décret datant
de l'archontat de Nicosthénès, en 164/3 av. J.-C. (contre Ferguson qui fixait cette
magistrature en 167/6 ou 166/5. Mais un texte délien, communiqué par P. Roussel,
montre qu'il faut réserver Tannée 166/5 à Achaios). Les Athéniens ont choisi cinq
Juges pour servir d'arbitres, après un serment à diverses divinités, Zeus, Héra,
Poséidon et Athéna (?), entre les Ambraciotes et les Acarnaniens. Le stratège
des Acarnaniens, Chremas, est connu par Polyb., XXXIl, 21-2, qui fixe sa mort en
169/59]. Cf. /G, 112, 951 et addenda, p. 669 ; P. Roussel, Délos colonie athénienne,
354, note 4.
[Ibid., 30-33, pi. IV. W. a retrouvé au Musée national, le début de la stèle IG,
II, 549, portant un contrat entre les cités Cretoises Lyttos et Olos. datant de
l'archonte Sosistratos (111/110) ; cf. le texte délien publié, BCH, XXXI, 936 ; XXXII,
403. Voici les 10 lignes gagnées : Suvôf.xai Kpr.Twv A^utt^wv xal BoXosvtîwv] . | 'Eiri
SwjLxpâTOU apyovxoî srt xf,? [- -] | poç Kpiweij; èypafJLfxotTeusv, à.ya[6a xu/a xal èizl
awxT,p(a, A'jxxicov év [O-èv rot àvw] | icdXi èizl xwv Ai'^ûXwv xoa[xidv[xt«)v xwv aùv — xtô —
[xr,v6î riajlvajxo) xr/. sv Se xa èizl 6a}ia[!Taa toA'. è-rcl xwv — xoatxtdvxojv xwv] | arùv
SwxâSa xw SwxaSa [xt|[vô; — , £v os xa B&'Xoôvxiwv ttôXi ird xwv- -] | wv xoap,t6vxwv
xwv aùv [- -xo) - -îi-Tivôç - - -n^pstysuaâvxojv] | Bo)vO£vxt(i)v xâf? -ôXtoç [èizl Auxtîwv xiv
X£ àvw -à'kiy xal xiv ÈTti ôa/.aaîa ttôoI cp'.)v(l|aç xal îaoTroXtxetaç x[al 7U{X[xa)riaç otiwî
ÙTzipyi} xatç ttôXeœcv sç xôv iratvxa )^pôvov], | [è]6o;£ Auxxtoiç v.z'k.
La convention daterait de la même époque que SGDI, 5075 et serait en rapport
avec la guerre qui éclata entre les cités Cretoises après la mort de Ptolémée
Philopator (146 av. J.-C.) d'après Sylloge^, 929 — Sur les deux villes des Lyttiens,
voir Michel, 448. Cf. sur la date du décret, P. Deiters, De Crelensium lilulis
publicis quaestiones epiqraphicae,]^.ïi^\ sur les ditîerends entre villes Cretoises
au II» siècle, G. Cardinali, Creta nel fra?no?îlo delV ellenismo, Bicisla d'i filologia,
XXXV, 28 sq.]
C. A. Hutton, BSA, XXI, 153-165 : The greek inscriptions al Petworlh house.
H. a revu deux inscriptions conservées dans ce château du Sussex. L'une est
l'inscription des ergastines d'Athéna de l'année de Démocharès (/G, II, 5, 477 d
= IG, 11-, 1036 = Michel, 1504;. L'intitulé doit être lu : 'EttI AT,[j.oxâpo'j<; ifp/ovxo;,
«7:1 xf.î 'iTrTroQwvxfSo; Ssuxépai; -itouxaveia; xx>v..., Msxaysixvtwvoç èvSsxaxfit xxX.
Pour le reste, les suppléments de Kœhler sont à peu près tous corrects. Les
ergastines dont les noms subsistent appartiennent aux tribus 'Epey^tk, Alye^ç,
'Axajxavxiç (au lieu de Aeovxiç), nxoXsfxatç; à di'oite faibles vestiges d'une troisième
colonne avec les tribus 'iT.ir^o^bivzk] et II[av8'.ovtç] ? De nombreux noms d'ergas-
tines ont pu être déchiffrés ; ainsi la liste dé la tribu Akamantis, avec 7 noms,
est complète (le premier seul était connu). — Je signale à ce propos que Démo-
charès ne date ni de 94/3 ni de 78/7, mais bien de 108/7 (cf. Délos col. ath., 367).
L'autre inscr. est la signature d'artiste, Lœwy, 517 :'ATroX)voivio;.... iitofT.srsv) ;
elle est authentique.
P. Foucart, R. PhiL, 1916, 190-192. Correction à IG, ll^, 1. Compléter, 1. 26 :
BULLETIN ÉPIGRAPHIQUE 415
[àvaîJ-fiTTiJat, 8è Ti s^l/Ticptaasva irpÔTejpov /.tX. Képhisophon avait été chargé de
rechercher et de faire graver les décrets relatifs aux Samiens ; aussi son nom
figure-t-il en tête des documents,
A. H. Smith, ./. H. St., 1916, 6u-86 : Some recently acquired reliefs in the Bri-
tish Muséum. Stèles funéraires attiques recueillies dans Ane. Greek Inscr. Br .
Mus., IV, 2 (ci-dessus, p. 410),
— [G. Karo, Arch. Anz., 1916, 139, reproduit, d'après 'E-j. 'Ap /., 1915, lo3, une
tessère d'époque impériale, provenant des foiiilles de Kastriotis à l'Odéon de
Périclès, et portant au droit A'.a/;jXo['j], au revers le plan d'un éditicc,
— 0. Walter, .Jafiresh., Beihl., 1913, 94, sii^n île, dans l'annexe du musée de
l'Acropole, un fragment de ba^ -relief, n. 4887, qui porte les noms de Zsùî Nâ-.o;
et de Ai'ôvT,; cf IG, II, looO ; Izlx. ip/., VI, 1890, 143.
Ihid.,98. IG, II, 200 et Wilhelm, Urkund., 32 sq., se joignent à un frg. n^' 2352,
Le bénéficiaire païaît être [n]o>vûiTT]o; (= IIoX-j-ouç) et non nôXufio;, — Les
nos 2439 et 2967 ne complètt^nt pas IG, I, 38 ft 39 a, comme il avait été indiqué,
Beibl., 1911,39. — P. 92, Signale le début d'un intitulé de décrd sur deux bas-
reliefs du Musée national 'n°^ 2932 et 2961 = Svoronos, pi. CLXXXXII et
CLXXXIII)].
PÉLOPONNÈSE
Argolide. — Argos. — W. Vollgratf, Mnemosyne, 1916, 46-71. Étudie le for-
mulaire îles décrets publiés précédemment (cf. Bulletin. 1916, 441), le calendrier
argien (on connaît cinq mois : nxvaixoî 'AYur,o<;, 'Apvstoç, Kapvsîoî, 'EpixaTo;), la
fête des Néméa, l'onomastique, les phratries, les dèmes. — P. 61 . Dans l'arbi-
trage des Argiens entre Mélos et Kimolos {Syll.^, 428), W. lit ainsi la fin : ip-h,-
T£ue Aéiov • '^tàkii <ç> EÙTîpaç Ilo!r(Saov (nom de dème) • ypo'jpzic, (âwXxç népiT^Xo;
riêSiov (correction douteuse), — P, 64 et suiv,, décret en l'honneur d' 'A)vé|av5poi;
'AXe^ivSpou Sixuojvioç (l^e moitié m" s.).
P, 219-238, Important décret en l'honneur du peuple de Rhodes qui a prêté
anx Argiens 100 talents sans intérêt pour la réparation des murs et la remonte
de la cavalerie [èiié'zpt] ItâXavxa éxarôv ocTOxa è'vç ts xàv twv tsi/siov sTtaxsuàv xal
Tàv "irirov wç x[xir>.T,paje3£T,) ; comme les difficultés se prolongent et retardent le
paiement, les Rhodieus ont envoyé trois ambassadeurs, <t>tXtav 'Aykoudxpdxov,
ElpifivîSav Eô^évou, 'AôavoSwpov 6paawviSa,,pour confirmer leurs bonnes dispositions
envers Argos. On vote à Rhodes une couronne d'or à-rrô /puaéwv è'xaxov. — Par
des argument» plus ou moins démonstratifs, W, place cette inscription entre 249
et 244. époque où Rhodiens et Argiens étaient les uns et les autres du parti de
Ptolémée.
Arcadle. — Tégée. — Le relief de Zens Stralios, étudié par P. Foucarl dans
les Monuments Piol, appartient maintenant au Rn'fish Muséum; cf. J. //. S7., 191G,
65; Ane. Greek inscr., I\', 2, 930.
— I). Comparefti, Annuano, 1916. 247-239 (cf 263-266), étudie IG, V, 2, 139. Ce
n"est pas un teslauient : maii l'inscr. émane du temple d'Athéna Al^'a (| recon-
naît l'existence d in dépôt au nom de Xouthias, fil^ de PhiUchî^ias l/iu^rriptiou
est bien arcadienne.
416 p. ROUSSEL, G. NICOLE
IblcL, 1915, 1-17 : La iscrizione arcaica di Mantinea. Étudie Tinscr. publiée par
G. Fougères, BCH, XVI, 568 : [foJ'jXÉ:^?'. o'ioz Iv 'ATvéav xt)v.
Élide. — Élis. — [0. Walter, Beibl., 1915, 145, signale une inscr. archaïque
(Tune cinquantaine de lettres, gravée sur une plaque de bronze et exhumée par
la mission autrichienne dans le voisinage d'un téménos (lettre 1 du plan, fig. 38)].
Achaie. — Pellana. — B. Haussoullier, Traité entre Delphes et Pellana (ci-
ci-dessus, p. 411), 164-172, étudie les rapports des deux villes. Voir ci-dessous,
Delphes. Il donne aussi, p. 155-164, bien qu'il s'en défende p. 135, une étude com-
plète, mais non laborieuse, de rébus l*ellanensiurn avec citation des documents
littéraires ou épigraphiques.
GRÈCE DU NORD
Phocide. — Delphes. — B. Haussoulier, Traité entre Delphes et Pellana (ci-
dessus, p. 411). Étudie minutieusement, d'après les copies de É. Bourguet, des
photographies et des estampages, cinq frg. d'une inscr. enregistrant diflé-
renles clauses d'un traité entre ces deux cités : constitution du tribunal dans
les cas litigieux, garanties diverses et détails de procédure. — Dans le frg. n» 1,
face A, 1. 13-14, la restitution du mot ~ap':jx£[<jiî], bien que fortement motivée
p. 14-15, n'entraînera sans doute pas toutes les adhésions (il y a une diffé-
rence, qu'on explique mal^ entre le texte épigraphique et la transcription), —
P, 166-169. Inscriptions de Delphes où sont mentionnés des citoyens de Pellana.
Quelques textes ne sont pas connus de M. H.
Locride. — W. Leaf, BSA, XXI, 148-154, donne quelques remarques sur
l'inscr. des vierges de Locride; elle marquerait la fin d'une malédiction séculaire.
— W. A. Oldfather, AJA, 1916, 32-61 : Studies in the liistory and topography
of Locris, 1; 154-172, II. — P. 52-54, indique ce que les textes épigraphiques
nous apprennent de Larymna au iii'^ siècle, rattachée tantôt à la Locride, tantôt
à la Béotie.
Corcyre. — D. Gomparetti, Annuario, 1916, 262-266, étudie l'inscr. IG, IX, 1,
695; c'est l'extrait d'un contrat entre deux personnes.
Épire. — Dodone. — Ihid., 259-262. L'inscr. SGDI, 1365 n'est pas un testa-
ment, mais une donation à la déesse. G. complète : Bîoî • T'j/cx[ya6]ai. S-j;x|j,[a/o;J
ô'IôwT'. A['.wv]a'. xà l7r'.7rdXa['.] a za'vxa v.t'K.
Nicopolis. — [G. Karo, Arch. Anz., 1916, 149. Reproduit d'après un article de
Sotiriou paru dans 1' 'Ispô? XI'jvostjxoî, 1915, p. 223, trois dédicaces de 1' ip/upsù;
de Nicopolis. La plus importante est celle du linteau de la basilique au pave-
ment orné d'une belle mosaïque, retrouvée naguère par Philadelpheus (K. renvoie
aux npocxTtxa, sans date, sans doute à un rapport de l'année 1915). Le dédicant
est le supérieur Dumétios qui appartient au vr siècle ap. J.-G.]
THRAGE
Byzance. — G. Seure, EA, 1916, III, 359-386, poursuit ses recherches sur
Varchéologie thrace. — N. 148. Inscr. fun. d'un .MaX/o; iljpo; Xuôoupyoî (sic).
— E. Unger, Arch. Anzeig., 1916, 22. Publie quelques textes trouvés à la pointe
BULLETIN KinORAIMIIQUE 417
(lu Srrail en 191.'} ot l!)i'i. — N» 23. Fgts. d'iinn inscr. des empci'eui's Théopliile
et Michel 11 (821 ap. J.-C.) ; cT CIG, IV, 8678. — 21. iiiscr. funéraire d'un certain
Photimos, an;iloj>ue à CIG, IV, !»786. — 28 'i\g. 14 . Insci-. luuér. accentuée de
Tahbé Antonios ; cf. Eo. 'Ap/. , 1911, p. 98].
l'anion. — [N. l^ees, R/ielti. Mus., lAXI, 285. .Montre que l'inscr. funér. de
Tannée 882, publiée par Papadopoulos, 'K a a r,v vy-o^ f '. a o X oy'.x 6 ; XûX). oyo;
ô £v KwvjT., XVlll, 1883/8i, IlapiptT.aa, 9-i, n^ 28-30, reproduit textuellement la
biographie du i)atriarche Nicéphore de liyzance, Migne, lUiIroloff. (fraec. C, 41].
Chersonèse de Thrace. — C. A. Ilutton, H^A, XXI, 16G-168 : Two sepulchral
inscriptions froin Suvla Bay. L'un de ces deux textes funéraires, copiés par un
officier du corps expéditionnaire anglais, mentionne dans la formule d'interdic-
tion, le paiement d'une amende tt/. -oXei twv Ko'.Aavwv. C'était un port situé
entre Sestos et Madytos. La ville d'Alopekonnésos ligure peut-être aussi dans ce
document.
Thasos. — P. Roussel, REG, 1916, 181-183. Dans l'inscr. IG, XII, 8, 378, il
n'est pas question d'une femme-peintre ([:;oiypa]9r.<7a7a est une restitution fantai-
siste) ; de même dans CRAI, 1914, 288-290.
CYCLADES
Délos. — P. Roussel, Délos colonie athénienne (ci-dessus, p. 412), publie ou
analyse de nombreux textes inédits et corrige des inscriptions déjà publiées. Je
ne relève ici que l'essentiel. — Appendice 11, 383-409. Analyse des principaux
documents administratifs de l'époque athénienne, comprenant principalement
des inventaires de temples et d'édifices divers, mais aussi quelques textes où
sont enregistrés des locations de propriété et des contrats de prêt; cf. p. 143-178 :
Administration des biens sacrés. — N. I = BCH, XXIX, 199, n. 64, quelque
peu complété. — III. Remboursements faits sous les archontes Posidonios et
Aristolas. — X. Analyse de l'inventaire de Kallistratos. — XI. Frg. de contrats
de location. — XIII. Nouveau frg. de BCH, XXXIV, 180, n. 45. — XIV = BCli,
XXIX, 570, n. 184. — XXllI et XXIV. Frg. d'inventaires du temple d'Apollon. —
XXV. Analyse et extraits de l'inventaire de Métrophanès. — XXVII. Analyse et
extraits de l'inventaire d'Hagnothéos, attribué jusqu'ici à l'année d'Archon ;
cf. p. 25 et 133.
Appendice m, 410-432 : 63 textes inédits. — 1. Décret attique en l'honneur d'un
Athénien et de ses deux filles, —2-43. Dédicaces découvertes dans le sanctuaire
syrien avec mention de prêtres hiéropolitains et athéniens. — 7. Inscr. connue
par un ms. d'Oxford. — 14. Déd. d'une colonne en marbre ivTÎ toO -nwpîvou. —
21. Déd. d'un ôiaxpov à Hagnè Aphrodite; mention d'un 7.oy'X,i.r^'^r^^. — 26. Un
mot énigmatique de lecture certaine (TON El PAN) • — 28 (= CRAI, 1910,
302). Mention du dieu Hadran. — 35. Un mot énigmatique que l'on retrouve dans
n. 36 (= BCH, VI, 493, n. 7, corrigé): tôv NAMAPAN- — 43. Règlement
rituel (= Mélanges Holleanx, 265). — 44-48. Dédicaces découvertes dans le
sanctuaire des Grandes Divinités. — 46. Dédicaces du prêtre Hélianax; la plupart,
gravées sous des médaillons (oiiXa), sont connues depuis longtemps; on a
indiqué comment elles étaient disposées dans le petit naos, dédié par ce persou-
4] 8 p. ROUSSEL, G. NICOLE
nage, d'après des données nouvelles, ôsoT; olq îepâfxs'jtje xal jîaaiXlet Mi6pa8âTT,i
Ei-ixop'. A'.ov'jTw. — 49-63. Dédicaces diverses : magistrats athéniens, prêtres
de Dionysf)S, Hermès et Pan, prêtre d'Aitémis ; 56, signature de l'artiste
MévavSpoî MéXavoî \\0r,va'o; (permet de corriger 5C//, VIII, 465; cf. p. 223, note 3).
— 59. Oédi'^ace d'un synode à [Mr,vo1yâpT,ç Aiovu5i[ou — twv TtpwJTwv cpiXoiv]
fiajiXéw; AT,tj.i_T,Tptou xai | eTT'.jToTvoJvpa-fOv (Démétrios 1 de Syrie, 162-150). —
60. Déd. à Asklépios, Hygie, Apollon, Léto, Arténiis Agrotéra et aux dieux
aÛ!j.6a)tj.o'. xal auvvaoï. — 62. Déd. à Hélios d'un 'Apa(^, Xaudtv.
P. 434-433. Indication de quelques textes inédits trouvés dans le sanctuaire
de Cynthe, en particulier de la partie inférieure du règlement rituel, Mélanges
Holleaux, 276.
— Voir ci-dessus, p. 410, au DrilAsh Muséum une inscr.de Délos mentionnant
un nouvel épimélète.
P. Roussel, Les cultes égyptiens à Délos (ci-dessus, p. 412), a réuni tous les
documents épigraphiques de Délos relatifs à ces culles, publiés ou inédits. Tous
ceux qui sont antérieurs à 166 figurent déjà dans IG, XII. 4.
P. 71 202. Dédicaces et inscriptions pntvenant des sanctuaires égyptiens
n. 1-212). — 1-19. Iiiscr. provenant du Sarapieion A — 1 (= /G, XI, 4, 1299).
Texte capital : chronique en prose et en vers, commémorant la fondation du
sanctuaire par un prêtre dorigine égyptienne, et un miracle accompli par
Sarapis; traduction et éclaircissements — 6 (= 1247). Déd. d'un ÔTiJaupôç. —
14. Sénatiis-consulte relatif au /Sarapieion fermé par l'autorité athéni- nne
(cf Bulletin, 1914, 457-8). — 15. D d. de laTpeta aux dieux égyptiens ; mention
d'un personnage i7:i[X£Xo;j.évoj -où Ispoû xal Ti<; OspaTrefaç a'ToûvToç — 16. Déd.
08(0'. McyàXwi xal Ail Kacrf'oi xal Ta/vr,(];£t (cette divinité est l'Isis du mont
Kasios ; cf. addenda, p. 295) ; règlement rituel : yuvatxa [xt, irpoçâyeiv \i.f\Bk Iv
ipéoiç â'vopa.
N. 20-39, Inscr. provenant du Sarapieion B : mention de diverses associations,
épaviatat (n. 20), xoivôv xwv 9îpa7rôuxâjv, twv [XîXavr,cpopwv, Oi'aao; twv SapaTuaatûv
(n. 21), xo'.v5v Twv SexaS'.axwv xal SsxaSiaTpfwv (n. 25), twv évaTiaxwv (n. 26 et 27).
— 34. Déd. à Men. — 35. Déd. à "Hpw;. — 36. à Artémis Phosphoros. —
37. à Ammon.
N. 40-212. Inscr. provenant du Sarapieion C, c'est-à-dire du grand sanctuaire
exhumé par A. Hauvette en 1881. La plupart des textes sont déjà connus ; ils
sont rangés selon l'ordre chronologique. — 41. Mention d'un roi Antigonos (?).
— 43. Mention possible d'un général de Démétrios II de Macédoine, Bï6[u(;...
Ausr'-iija/tûi;. — 54. Déd. d'un KaXXax'.avôi;. — 56. Un KaXuvSio; Sapaiîi, "Icri, 'Avoû6t,
Oîoî; «vxe[jL8v(oi;. — 73. Nouvelle édition, avec photog., de la liste des prêtres de
Sarapis; quelques corrections ; à propos du 6T,|x6ato(; qui figure sans doute
aux 1. 2 et 3, R. publie une inscr, trouvée à Mykonos, mais provenant sans
doute de Délos : Aa{6aXo<; AT,{XT,xp(ou StiJjlôj'.oî, i7ri[xeXT,6elç xoG lepoO xà Seûxepov
— 74. Inscr. déd. du temple d'Isis. — 75. Un dessin de Cockerell permet de
réunir CIG, 2304, et BCH, VI, 348, n. 72. — 76. Édition plus complète de BCH,
XVÎ, 479 : -léd. d'un petit édifice aux dieux égyptiens avec signature (d'archi-
tecte?) : 'ATToXXdSojpoî 'HpoLi[ou] AÔT.vato; éiroÎTfiffev. — 82. Un Sidonien "Iffiôt
Mr.xpl Ôewv 'A.aJxapxT^. — 90. Déd. d un \i.iyxpo^ (crypte?]. — 133. Ded. de huit
BULLETIN ÉPIGRAPHIQUE 419
chapiteaux doriques. — 134. La d-xl. OGIS, 368, ne pouvait f^uère faire partie
d'une base élevée en l'honneur de Mithridate Eupator. — 137. Nouvelle édit;on
de C/G, 2306. — 142. Déd. à Isis de Taposiris. — 141. A Isis Euploia. —
152 (= Syli^., 770). D'après n. 173, le dieu est 'VSpc t)oî - 156. A Hermanoubis
Niképhoros ; signature de [Mr.volÔwpof; <l»a!,v[âv5po'j MaXTvwrr.ç], déjà connu. —
157. A Sarapis de Kanopos ; cf. n. 19'J. — 160 Nouveaux fr. de OGIS, 370 :
déd. du prêtre athénien Dikaios Jirâp toO 6-/j[j.ou toû 'AOr.vai'ojv xa: toC 5f,[xou xoû
'Pa)p.a(wv xal J^aaiXswî Mi6paoiTOU EÛTCaxopo; A'.ovJaou ; mention du même roi
dans n. 161 et 163 — 162. D-^d. "loriS-. "A-ppoÇtVr, A'.xa(a. — 164 Nouvelle édition
de Loewj', Bildhauer Inschr., 244; mention de l'archonte Rallias. — 168. Liste de
souscripteurs, — 173. Déd. d'autels, d'un pavage, de sphinx et d'une horloge. —
175. Frg. d'une liste de souscripteurs ayant versé ît; T'r.v xo'û uôlpeiou £7:i3xeu[T,v]
xal Tôv -7repix[e(îJLSvov - - jiov; 175 B. C, D, 176, 177, 178. Frgts analogues. ~
179. Déd. 'ApréfitS'. 'Ayîa-.. — 179. Oreilles votives déd. "laiS- Itct, y!.Q(si:. —
194 (= SyW^., 764). "laiSi SwTepat 'AaTapxîi 'A'fpo5cxT/. EÙTrAotai. èTz['i\-/.oon]. —
20i). A Boubastis (?) et à Zeus Ktésios — 206. Déméter Éleusinia et Koré.
En appendice, n. 213 et 214, d-'^d. relatives peut-être au culte privé. — 215
(= 10, XI, 4, 1032) décret du peuple délien instituant un néokore de Sarapis.
— 216 Nouvelle édition du d<''cret d'un synode égyptien, B'H, XIII, 239, n. 4
(I. 23 : '.epoTTOtx ovj ; cf. p. 296 ; 1. 34 corriger SoOf.vat. — 217. Décret d'une synode
(égyptien?, BCH, VIII, 121-122 (quelques inadvertances à corriger; par ex.,
i. 20 àvaOe aatwaav].
P. 207-238 : Actes administratifs. — 1° Extrait des actes hiéropps : quelques
mentions lu Sarafieion et de Tlsieion entre 200 environ et 166. — 2» Inventaires.
— A. Inventaires ant'-rieurs à 166 = /G, XI, 4, 1307, 1308, 1309. — B. Inven-
taires de l'époque athénienne; ces textes se répètent souvent : on a publié seule-
ment : p. 213-228. Inventaire de Kallistratos (156/5), partie relative aux sanc-
tuaires égyptiens {A, col. I, 1. 79-80; A, col. Il, 1. 59-165 ; B, col. I, 1. 1-88) :
vases, statues, mobilier des temples, ex-voto divers ; cf. p. 226-228. — P. 229-230.
Inventaire donnant des ofirandes entrées dans le sanctuaire entre
156/5 et 146/5. —P. 230-238. Extraits de l'inventaire de Métrophanès (146/5) :
A, 1. 35-80: offrandes nouvelles; B, 1. 57-63 : offrandes de l'année. — P. 238.
Frg. donnant encore quelques offrandes nouvelles. — Les autres textes,
non publiés, ont permis des restitutions ; les variantes notables ont été
signalées.
— G. Glotz, REG, 1916, 281-325. Lliistoire de Délos d'après les prix d'une
denrée. En étudiant les variations du prix de la poix dans les comptes des
hiéropes, substance qui provenait de Macédoine, l'auteur détermine les périodes
durant lesquelles l'île fut sous la domination des Lagides ou des Antigonides.
La chronologie des archontes déliens peut, par là même, être fixée dans une
certaine mesure.
CRÈTE
Gortyne. — Lés fouilles italiennes ont donn*^ d'intéressantes indications sur
la construction dont fait partie la grande inscription dite loi de Gortyne : --
120 p. HOUSSEL, G. NICOLE
Qiio](jiies textes, ti'ouvrs dans les constructions environnantes, sont signalés
dans V Aniiuario.
A. Maiuri, Annitario, 191,'], i:jfi. Base trouvée dans le Nympliaeum, en
l'honneur d'Al/Ao: Aapxioç K'jozIvt. Aéttioo; ilooTvTrixiavôç, • or-jyy.ATjX'.xô; Ta;j.:a:;
(h>' s. ap. J.-C.)- — l*- l'^l- Sur des colonnes trouvées au même endroit, quelques
gralïites. acclamations en l'honneur de Constantin, d'iléraclius, d'Eudoxie.
<l. Olivcrio, ibid., 191.-i, 'MiWMl : Sroperla ciel sanluario délie divinlta eç/izie
in Gortiida. O. signale une arcliitrave avec déd. d'un oixot; par Flavia Philyra et
ses (ils à Isis, Sarapis et aux dieux jûvvaoï. — ïbid., 1916, 309-:]H. Frgts de
dédicaces plus anciennes aux mêmes divinités.
Ib'uL, 1916,311-312. Base trouvée près du Létoon : [Sjax'jptoa; nsiGoivû:; àyopavo-
\i.r^<^y.c, y.a: -"jvar/.ovû;j.f<cTaî ;j.ôvo; PôpTuv àp/aysTav v.al EùsTT^pîav. C'est le héros
archénéie de Cortvne.
ILES D'ASIE ET PEREE RHODIENNE
Rhodes. — L. Pernier, Boll. Ane, 1914, 219-242. C.-r. des explorations
récentes : sur l'acropole de Camiros, frg. d'une inscr. semblable à IG, XU, 1, 695
avec partie du nom des KpT,T'.vx6a'.. — Sur un autel, mention xôjv /.a-rà t6v
<T£'.a;jLOV TcAS'jxaaàvTwv.
— Porro, ibid., 1915, 283-300. Exploration de la région de Kamiros ; décou-
verte de 35 inscr. — G. G. Porro, Annuario, 1916, 125-131. hcrizioni di Rodi.
Publie 22 funéraires recueillies en 1912 et 1913, plus un frg. architectonique
(àvijjxT.asvj et une déd. à Hadrien trouvée à Télos. Les stèles donnent des noms
d'étrangers, originaires d'Asie-Mineure ou de Phénicie ; signalons n» 17 :
'OAuaTciàç 'Axsixt;; (ethnique non expliqué). — A. Maiuri, ibid., 1916, 133-119.
Nuove iscrizione yreche dalle Sporadl meridionali. Depuis l'occupation italienne,
un musée archéologique a été établi dans l'ancien hôpital des chevaliers
(cf. p. 274). Parmi le millier d'inscr. qui y ont été recueillies et qui proviennent
de la cité et de la nécropole de Rhodes, Al. en publie 190 ; quelques-unes, à son
insu, ont déjà été publiées, — 1. Liste de souscripteurs, étrangers, [xéxor/coi,
é-jTÎoaao'.. — 2 = 'Ap/. 'Ki?., 1915, 128, n. 1. — 3. Déd. à Zeus Olympios et Héra
Olympia. — 5. A Asklépios, Hygie et 'HtxEpiôsîoiî;. — 6. A Athéna Lindia.
— 7. AYaOoô Aa{;j.ovo,- xal 'AyaGx^ Yù/jx:^. — 9, Zf,voî ilwxf.po;. — 10. Un person-
nage, dont le nom a disparu, honoré par un grand nombre d'associations reli-
gieuses, par des technites, des collègues, et des soldats qui l'ont suivi (texte
intéressant). — 11, déjà publié par II. v, Gaertringen, Jahresh., 1901, 160, en
meilleur état; le vaisseau porte le nom d'Eùav5p(a et non EûavSpfa XsSaaxâ. —
13-l(i. Frgts et déd. honorifiques. — 18. Mention du vaisseau EùavSpt'a Seêaaxâ;
cf. IG, Xll, 3, 104. — 19. Copie plus complète de /(r, XII, 1, 83; entre autres
fonctions, le personnage est dit : xi irspl xàç clxoaxaç xaxopôwaavxa. — 20. Frg.
avec mention des jeux 'Epeôeijxia. — 21. Déd. d'un xoivôv x6 SuvSuaiaaxav. —
22. 0'. a'.psôévxsi; zrd xàv .pu);axiv xal è'/ôôor'.v xoCi ÊXa[(]o'j. — 25. Un prêtre d'Athéna
Lindia, de Zeus Polieus. d'Athéna sv K£xoîa[i]. — 26. Un prêtre d'Hélios.
27-190. Funéraires, —27. Archaïque ; Xapwvîûaç £.£vox(;xoj (ire inoitié v^ s.). —
HULLiyrrN ÉJMGi'.APurouK 421
45. Un Aaootxsùî irJj fI>oivi-/r,:;. — 101. A'.OTvco'.>p{oT,: Hoa/.Xcîoo'j TJ'^'.o^. — 107.
Une 'lo'jaîa. — 113. k'xprôi^oipo^ lls'.pa'.-j^ — 16!l. HevO'Ôoo'j 'Ispo-oAi-roc.
Ibid., 267-269 : Un iscrizione f/reco-feiiicia a. liodi. Aux environs de lihodes.
en x\n lieu non fouillé où peut exister un siinctuairc suhui'hain, M. ;i remarqué
un frg. de stèle avec de f.iibles l'ostes ilune insci-. gre(%que et deux Ijt^nes en
caractèi'es phéniciens. .M. complète ainsi le texte gi-ee : [Ocoî]; .M'jA[avT{oi:; ?]...
[yapi7Tï,]G'.ov, d'après une glose (rilésychius mentionnant ;i Kamii'os les '.3pi
M'jXxvt'wv.
Périe Rhodienne. — Lon/wa. — \\ K(uissel, HEG, 1916, 184-18.-i. Ktudie
l'inscr. fan. "Apy. 'Kcp., 191'], 1, n" 82, où est mentionné un Damas, tils de f^ykatui.
dont la descendance se retrouve à Kos.
ASIK MINEURE
Mysie.*— Lampsaque. — M. Ilolleaux, REA, 1916 : fMmpsaque et les Galales
en 197/6. Étudie le célèbre décret du peuple de Lampsaque en l'honneur d'Hé-
gésias et de ses collègues, ambassadeurs à Massalia et a Rome en 196 (Michel,
529 = Stjll. 2, 276); au.K 1. 56-57, il faut compléter [sjvs-f âv.as oè aô[TÔ<; axI ~t\ol
xCiv sv£7Ttô]To)v (au lieu de TaXaTwv); ainsi disparaît l'une des prétendues allu-
sions au.K Gaulois ; l'autre allusion qui subsiste n'indique nullement que les
habitants de Lampsaque eurent à lutter contre les Gaulois, mais que les ambas-
sadeurs, de leur propre mouvement, sembie-t-il, demandèrent au sénat de Mar-
seille pour leur cité une lettre publique de recommandation aux Galates.
Pont. — Smope. — Th. Reinach, RA, 1916, III, 329-358. D'après les copies
parues dans une petite revue de Mersivan, R. publie 9 inscr. grecques dont
quelques-unes déjà connues. Je signale : 5. Statue à un gymnasiarque et xys-
tarque, qui a otî'ert au peuple un banquet. — 7. Épigratnme funéraire. — 8.
Bilingue ; un vétéran élève de son vivant un monument à lui-môme et à sa
femme Numéria Procopé. — 10. Déd. au pugiliste Marcianus Rufus avec la liste
des jeux où il triompha.
Lydie. — W. H. Buckler, 68/4, XXI, 169-183 : Some Lydian propilialory inscrip-
tions. Une stèle vue à Kala en 191 i représente deux pigeons et, au-dessus deux
yeux; l'inscr. donne : Aisl Sx^aî^îtoi xal MTjxpel E'iTtxa A'.ovcXf,; Tpo'ftîxo'j • èiztl
STreîxaa Tispiaxî'pa; xwv ôewv iy.o'Xa36T,v s; xoù; o'^fjx^^jj.o-j; -/.a: è^^éyQX'^x xr,v ipsxT.v.
Sur la déesse Hipta, cf. Bulletin, 1913, 178, n. 169 et 188. B. corrige quelques
textes analogues : /. IL St., IV, 385, n. 7, 1. 6 : xi xoÀaTÔïcrx U x6<v> v>,o'j-
(6t)ov. — REG, 1901, 301, n. 4, doit être complète comme lïnscr. propitiatoire
d'un personnage qui a blasphémé la déesse devant la néocore. — Moucrsïov de
Smyrne, 1886, 84, n. ;5o;'. — Le Bas-W., 1764 b. — Ath. Milt., 1904, 318. Il fau-
drait entendre : raXXtvtw (nom féminin) ' k^/Xr^rJ.y.:, xw;xf,; (du village consacré à
Asklépios), Fort douteux.
lonie. — Éphèse. — [E. Weiss, Jahresh., 1915, Belbiatt : Zum Slaalrecht von
Ephesos, 286-306. Commente au point de vue juridique l'inscription de Thé-
mistios publiée par Heberdey, Jahresh., 1904, Beiblntt, 44.
.1. KeW^Jahresh., 1915, 66 sq., publie quatre stèles consacrées à Cybèle, du
musée de l'Ecole de Smyrne. "A^io;; ]VlT.xp[{ (fîg. 42). |l corrige l'inscr. publiée
422 p. ROUSSEL, G. NICOLE
par Conzo, Arcli. ZeiL, 1880, pi. III, 2, et restaure 'Ava^iTÔTv-r, [MTjTpl 8ewv 'AJySî-
(jTe[L àviÔTiXEv] ou Wva^t-jiôXr,- - 'AYS(7T£[t àvéÔT.xev].
R [leberdey, Beiblaft, 86, Vorlneufiger Bericht ueher die Grahnngen in Ephesos^
1913. Public des iiiscr. trouv^'es en 1913. Sur un bloc du mur sud d'un édifice où
[leberdey reconriaît un nyiuph''e et J. K.eil. ibid:, 286, le temple de Claude, amé-
nagé en delubrum dans une partie de la cella : stiI Trp-jxavswç BTfi[8to(;] ] «txiSpsîvTfiç.
— Sur une moulure à oves Kopv/jX'.Oî; Aup. Z-i\vwv. — Dans le mur de la ville,
près de la porte nord de l'agora, deux bases de statues dédiées par le peuple et
le sénat à Tixoç nsÇjxatoç KâvaS, prytane et pi'être de la déesse Rome, et de
Publius Serviliiis Isauriciis, héroisé. Sur ce personnage», qui vainquit les pirates
ciliciens, cf. Druuiann-Groebe, Gesch. Roms, IV, 408 sq.
— J. Keil, ibid., 284 Dédicace de ïpujwja 'Hpax>>e[8ou à Artémis dÉphèse,aux
empereurs et au p<Hiple d'Éphèse. Elle avait ofl'ert, en échange de la prêtrise
d'Artémis, Vi'^zTt.oly. du stade avec cinq statues. Époque de Néron. — P. 282. Base
de statue élevée, au milieu du ii^ siècle ap. J -C, à Flavius Faustinianus, pry-
tane, gyiimasiarque, '.spT-tfip'j^ d'Art'Miiis et strati-ge, par les habitants du quartier
d'Éphèse ditKorésos; cf. Pausan., V. 24, 8].
— M. Hoileanx, REG., 1916, 29-4o : Éphèse et les Priéniens du Chamx. Étudie
et complète le décret, publié par R. Heberdey, Forschungen in Ephesos, II, 97-98,
n, 1 (cf. Bulletin, 1913. 480, et 1914. 466) et en déduit les conséquences histo-
riques. Il s'y agit de Priéniens bannis, réfugiés à Éphèse et établis dans un fort
de la frontière le Charax) ; Éphèse contracte un emprunt pour les fournir d'armes
et cherche des ressources en vendant le droit de cité. Ce*' événeuients se placent
vers 286. — i.a vente de droit de cité est mentionnée dans une autre inscr.
d'Éphèse (Michel, 495).
Érythrées. — P. Roussel, REG., 1916, 170-173 : Dans Tinscr. Johresh., BeibL,
1910, 72, n. 56, J. Keil a trouvé une formule étrange pour désigner la colonie
romaine de Téos : ol 'Pwti-aToi Tt^^wv; mais il a réuni à tort deux mentions tout à
fait distinctes, gravées dans deux couronnes. .
Carie. — Milet. — Ibid., 185-187. Correction au décret dune cité anonyme publié
par Rehm, Das Delphinion in Milet, n. 144, B. — Remarque sur Zeus Homo-
boulios.
Amyzon. — Dans le nouveau fasc. des Ane. Greek Inscr. Brlt. Mus. (ci-dessus,
p. 410) est publiée une lettre royale dont il ne reste que la moitié droite. L'éditeur
en a rapproché un texte dont Hamilton a copié quelques mots [CIG., 2899), entre
autres AMYTONEON* Ce serait une lettre d'Antiochos, sans doute Antio-
chos III, à la ville d'Amyzon. La restitution que l'éditeur n'a pas tentée est assez
malaisée (mention à lai. 5 d'un roi Ptolémée).
LYCIE, PAMPHYLIE, CILICIE
[A. Wilhelm. Jahresh. d. Arcfi. Inst., Beiblatt, XVIII, 1915, 5-60, Vorlaeufiger
Berichf ueher eine Reise in Kilikien. Publie les principaux résultats du voyage
qu'il fit en comt>agnie de W. Bauer, de fin mars au 5 juin 1914, avec Adalia
comme point de déjini't et Mcrsina comme tcinie de son excursion. — P. 7. Atta-
Icia (Adalia;. \V. corrige la dédicace pul)liée par R. Paribeni et R. Romanelli,
HULLËTIN ÉPIGhAPHlQUÈ 423
Mo)i. Antichi, XXllI, 1913, 13 {Bulletin, 1916, 4o3). 'A-rrôXAwn 'RXaieaûito, au lieu
de 'E'Xaia.ap(a). 11 y a ciuq dédicants dont le premier est 8T,|X'.o'jpyô(; et les autres
^(peo'fuXaxeç. — Perç/e. P. 7 et sq. Fixe l'eiuplacement de la A'jpêwTwv xojixt, en
revisant lesinscr. encastrées dans le nOpyoç iaûXwroî du Bazar Gediji Oerenlik
près de Dueden. Ces ruines ont été découvertes par H. A. Ormerod et E. S.
G. Robinson («. S. A., XVII, 228, n. 8-10).
Séleucie du Kalykadnos. P. 17, fig. 6. Nouveau frg. des stèles de calcaire por-
tant les décrets de diverses cités grecques eu Thonneur d'Eudémos, flis de Nikon
de Séleucie, courtisan du roi Antiochos IV Épiphane de Syrie (Michel, n» o3o).
Aux décrets d'Argos, de Rhodes, de Béotie, de Byzance, de Chalcédoine et de
Cyzique s'ajoutent ceux de Lampsaque; un premier décret confère la proxénie,
un de'uxième le droit de cité, comme le double décret de Byzance. W. n'a pas
retrouvé la première des deux stèles érigées en l'honneur d'Eudémos. La deu-
xième et le nouveau frg. ont été transportées au Konak de Selefké, — P. 22.
fig. 7. Photographie de linscr. de /("om^ion, publiée J. II. S., Xli, 238, n» 31. —
P. 22 sq. Découverte du sanctuaire d'Athéna ev Tayai;, dans nue grotte située
dans le ravin du Kalykadnos, à deux heures de Séleucie. Décret de Séleucie en
l'honneur d'un certain AiovujôSwpoî 6eay£voj<;, daté des empereurs Antonin et
Marc-Aurèle. D. a' acheté la prêtrise vacante depuis plusieurs années, non en
espèces^ mais par une contribution de 30 dénares à Toffrande d'un tympanon sur
lequel son nom doit être gravé. Il donne 11 oboles à chaque bouleute et à cha-
cun des maiiistrats ^ttô auvap/u^;, et cela en deux versements, Ôiaspoi;. Il y
avait peut-être à Séleucie, comme à Rhodes, deux sénats par an. Cf. Jahresh.,l\,
159 sq. — Au peuple, D. lemet 6,200 dénares? Chacun des membres de la
gérousie reçoit 12 oboles. Connue titulaire régulier de la prêtrise, D. a auiénagé,
de son plein gré, le sanctuaire, a fait dorer un objet de culte non spécifié, a fait
don d'une statue de Paros dorée et d'une base d'autel (uiroSwfxtî, mot nouveau).
Enfin, il a établi TavoSoç, escalier taillé dans la roche, menant au sanctuaire et
élargi l'ouverture de la grotte pour y aménager une porte, Oûpojjivjirèp tt.v s^oSov.
V^. rapproche de ce décret celui de Gylheion, /G, V, 1, 1144, Michel, n» 183. —
P. 33. Bourgade, à deux heures et demie an N.-E. de Séleucie. Sur le linteau
d'une porte encore debout, on lit le nom deTpoxovâîJa;; Oùaaew;; et ceux des mem-
bres de sa famille.
P. 33. Olba. Épigramme (fig. 12). [Nsjxopa jj-èv] nu>wta | QooX a -jîdpov ioôuxxo
/6wv I TôGxpô, [iz 5' 'OX6s'.5av yaîa 9£p£7iT6X£[xo<;, Xaàv ? ô? éx] xaixi xo:o Sopl
TiTa(ouaa aawsrxi; )%â9pa !^tj]t,toù; ? t'iyotyar sîç At;j.£vxç | Touvcxa o]t, iz, cpépiatî,
jxéy' S;o'/a xuSxtvouja ] Zï^vô; "Aêa fjL£y]otXaj jxâaev tvl itpoootjLtp
P. 41. Korasion. Environ 20 • textes funéraires qui seront publiés plus tard.
Pour les églises de K., voir Rev. Arch., 1906, II, 7 (Miss G. Louthian). — P. 45.
Élaioussa-Sebasté. Inscription gravée sur un sarcophage par 'Epiia? à sa femme
et à sa belle-mère, <t>ip[X£{va 'Epjxoyévoj; xal KuptXtvr, 'AzTtx : [\xr^zt\o aÙTî^î], avec
exorcisme à Zeus, Hélios et Séléné.
P. 49. Hiérapolis-Kastabala . Base de statue. Le monument est voué par le
peuple en l'honneur d'un évergète dont le nom est etïacé, KXéwv? — Base de sta-
tue avec dédicace des Hiéropolitains à Lucius Calpurnius Piso Frugi Pontifex,
cf. Pauly-Wissowa, III, 1396, n» 99. Suppl. I, 272.
i2i V. nOUSSEL, (1. NICOLE
p. ;i3. Miinanslra, localité dctermince [)ai' une borne trouvée au l)oi'd du
Dschihan, à une lieure du village tscherkesse de Medjhidié, entre Hiérapolis et
Aiiazarl)a.
I>. .il. Anazarba. Sur l'Acropole, petit sanctuaire d'A^poSixT, IvaaxAeÏTiî. Inscr.
oii le nom de Doniitien est martelé. Le gouverneur de la Cilicie est Q. (lellius
Longus inconnu Jusqu'ici. L. Valerius Niger et son fils. L. Valerius PoUio, prê-
tres de la déesse lionie et 6r,u.io'jpyoî (le dernier personnage est également
prêtre de lEmpereur Titus divinisé}, ont élevé un temple à l'empereur régnant,
Domitien, sous le nom de Aiovjao; KaWUrtor.h:,. — Fig. 21 et 22, Tombeau oi'né
d'un bas-i-clief d'un ennuque de la princesse Julie la jeune, fille du roi Tarkon-
dimotos, Ileberdey-Wilhehn, Denkschr. der Akad. Phil.-hisl. KL, XfJV, n Abh.,
1896, p. 1)8. \V. lait des corrections à Tépitaphe métrique, notamment au début
Tov -xvTx Too vf,v txô/_9ov eiî xôoe xaxeSsjj.îv T[éXo; • àrJj xfis] t,6t,:; c'jvoG/o:; [iaaiAÎoo^
"lo'jX'.a? vswxipa; xpo'fs'j;.
l(es/.r(xs. — P. 59 et Silzunf/^h. der Wien. Akad., l'IdL-hLsL. KL, Bd. 179, 1915,
Abh. (1, 62, W. corrige finscription publiée par \\. Paribeni et \\. Ronianelli,
Mon. Ani., XXIII, 149, n° 110, et montre (pie (m-s deux savants ont trouvé,
entre Sélinos et Antioche du Kragos, la ville de KesLroa]. J'ai de mon côté
indifpié la correction ilc \\z-y{^Mv en Keaxpr.Atov dans le précédent liullelin^
454, n. 110.
SYRIE-PIIÉNICIE
Je ne puis que signaler, d'après AJA, la publication de nouveaux fascicules
consacrés aux inscr. grecques et latines de Syrie et publiés par la Prmcelon
Univer.sily A rchaeolof/ical Expéditions lo Syria in I90'<-190o and 1909. Division
111, section A, partie 5 : 176 inscr. grecques et 2 latines trouvées dans la plaine
du llaur.in et dans le Djebel Haurân, — Partie 6 : 16 inscr. provenant de Sî qui
n'était pas une ville, mais une enceinte sacrée avec temple de Baal Shamin
(cf. Déloa coL aih., 260, n*^ 6), de Dushara etc.
Arados. — \\. Savignac. Hev. BibL, 1916, 565-592 : Une visite à l'île de Rouad. —
P, 575 : 2 estampilles d'amphores (Kaaaidtvou) — 57(), n. 1. Inscr. gréco-phéni-
cienne : mention d'un gymnasiarque ; déd. à Hermès et Uéraklès — 579, n. II.
Déd, de plantation à Zeus Kronos sur Tordre d'un dieu ([£x]é>vsujcv 6 Tiavxwv
£vapyéaxa[xoî] ; et, l'inscr. d'Abila, OGIS, 606,
EGYPTE ET GYRÉNAIQUE
[F, l'reisigke et W, Spiegelberg, Aeyyptische und griechische Inschriflen
ans d. Sieinbruechen des Gehel Silsih (Haute Egypte), avec des dessins de
Georges Legrain remis aux éditeurs en mars 1911. Strasb, 1915, 24 p., 24 pi. 40-
Les textes démotiques par Spiegelberg, les textes grecs par Preisigke. CR. de
Wessely, W. f. KL P/iil., 1916, 961],
Alexandrie. — S. de Ricci, CRAl, 1916, 165-168. L'inscr, du Musée d'Alexan-
drie, Rreccia, Calai., n, 67 (= Inscr. gr. ad. r. roni. perl., I, 372, n, 1078) est
complétée en partie par un frg. du même musée, Breccia, n" 169, — Extrait du
BULLETIN IJl'KiRAPlIlOLE 'i2i)
rc<>istro otliciel de Vidioli>;/i/e (rAlcxandrie (2i scpl. 1:^0 ap. .I.-(1.} : iiii C(;rlaiii
OuX-to; lloTx;j.f.)v et des personnages dits à[-r6 TroA'.TJsjiJ-aTo; Ajxior/ ont i^'-gligé
l;i garde des nécropoles (Xî'.-cÎvxojv ij.vr.ixaTOfjXavciav -poxr, vcoujav aJxioï;!.
Fayoum. — /6j(/., 420-424. M. reconstitue une inscr. très mutilée, acln-tée a
Medinct-el-Kayouni, où seraient mentionnés les (i47() citoyens d'une IHolémaïs
(du Fayoum ?).
Evheinena. — P. Roussel, HEC, t!)16, 17:j-lS(), étudie linscr. reialivr à
Vasf/Ua d'un sanctuaire îles dieux crocodiles, publiée jiar Aivanitakis
{Uulletiïi, 1914, 475 ; 191.'), 474), et signale les textes analogues de Mn.qdiHa et
TheadelpJiia. — Quelques indications sur les fonctions religieuses du X^îojvf,^,
exercées d'après cette inscr., par un Macédonien tojv xaxo^y.fov lr-A<')'j.
Cyrénaique. — D. Coniparetli, Anmiavio^ 191o, 161-167 : Iscrizione cris/'ume di
Cirene. Un texte mentionne une femme et son fils morts à la suite d'un tremble-
ment de terre.
ri'AIJK
Grande Grèce. — l). Comparetti, Anniturlo, 1916, 219-266 : Tahelle tesUDurn/ji-
rle délie colonie achee di Magna Grecia. Étudie quatre lames inscrites [)rovenaiit
des quatre cités achéennes fondées par Crotone : 220. Crimisa = AUi Accud.
Torino. 1914, 1027 (cf. Bulletin, 1915, 475) : lire : — oiooTi ... y.al ÎIoo? vtial 0;avôv
[t]5'. y'jy[x'.v.l xùxô] Zao[T]û-/[a'.]. — 221. Caulonia : Halbherr. Notizie Scaui, 1S90,
311. — 231. Peleliu77i, souvent éditée depuis CIG. — Terina, tin vr s., inédite.
Ces quatre textes sont des testaments, et C. en étudie les clauses générales. —
En appendice, remarques sur des textes de Tégée, Dodone, Coi'cyre (voir ci-
dessus), pris à tort pour des testaments.
Sicile. — Aidone, — Ibid., 1915, 11-118. C. étudie une lame d'argent où il
s'agit d'une Trpâcriî èttI 'Kùie'.. — Mention des à[j.-o/r)i, appareujment des garants.
Syracuse. — Héron de Villefosse, CRAI, 1916^ 132-134, d'après Nolizie
Scavi, 1915, 185, signale la découverte dans une nécropole d'une stèle :
isvdxp'.TOç Hz/x:<sxQ-A\éou [M]aaja)viwxT,(; (m'- s. av. J.-C). Elle confirme l'existence
de rapports commerciaux entre les deux cités.
AFRIQUE DU NORD
Car/liage. — Le P. Delattre, CRAf, 1916, 161, signale plusieurs inscr.
grecques (funéraires) trouvées dans la fouille d'une basilique près de Sainte-
Monique. — P. 162. Anse d'amphore rhodienne : ONASIOIKOV.
— Héi'on de Villefosse, ibid., 433-435. Étudie une épitaphe bilingue trouvée
dans ces fouilles : il s'agit d'un chrétien, le Syrien Porphyrios, citoyen de
Canatha et de Boslia.
P. Roussel, G. Nicole.
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430 OUVRAGES DÉPOSÉS AtX BLKEALX DE LA REVUE
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In-12, 133 p.
— Les Petites Hellades et Vllellénisine, Marseille, édition de La liace, 1918, in -8»,
32 p.
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Petrakis, 1917. In-8% vin et 92 p.
TABLES DÉCENNALES DE LA REVUE
TABLE GÉNÉRALE ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS
ET DES MATIÈRES PRINCIPALES
Pour les années XXI-XXX de la REVUE DES ÉTUDES GRECQUES
( isos-isi-y)
Actes de l'Association, XXI, 83, 375 ;
XXII, 32 ; XXIII, 98, 373 ; XXIV, 101,
370; XXV, XLVi; XXVI, xlvii; XXVII,
XLVi; XXVIII, XLVi; XXIX, xlvi ;
XXX, I.
/Egialé, XXII, 241.
Ali Pacha de Tébelin, XXV, 427.
ALLÈGRE (F.). — La composition du
prologue des Achai'niens, XXIII, 115.
ANDRÉADÈS (A.). — L'administration
financière de la Grèce sous la domi-
nation turque, XXII J, 131. — Ali Pa-
cha de Tébelin, économiste et finan-
cier, XXV, 427. — Les finances de
l'État homérique, XXVIII, 377.
Antiphon, Saixoepaxixoç, XXII, 33. —
Fragments nouveaux, XXX, 1.
'A9-f\ dans la Bible, XXIV, 77.
Archéologie. Bulletin, XXII, 276 ; XXIII,
184; XXIV, 168; XXV, 359; XXVI,
399; XXVII, 281; XXVIII, 184 ; XXIX,
69, 326; XXX, 282; 329.
Archers athéniens, XXVI, 131.
Aristophane, prologue des Acharnienfi ,
XXm, 113,
Armes déloyales, XXIV, 109.
Art grec, XXVI, 1. — Conventions
primitives, XXIII, 379.
Artémis chasseresse, XXV, 24.
'AGTjvaiwv no>^txeia, étude sur les sept
derniers chapitres, XXX, 20.
Athènes, Acropole. Athéna Promachos,
XXVI, 20.
Athènes, Les archers, XXVI, 151.
Attique. Expulsions avant la prise de
Phylé, XXIV, 63.
AùeivT-riç, XXII, 13.
BEHS (NTvco;). — Un manuscrit des Mé-
téores de l'an 861/862, XXVI, 33. —
Note supplémentaire sur les manus-
crits grecs datés du ix^ siècle,
XXVII, 70.
BÉNAKY (Dr N.-P.), — Des termes qui
désignent le violet dans l'antiquité et
de la signification des épithètes com-
posées de l'ov « violette », XXVIII, 16.
Bibliographie annuelle des études
grecques, XXI, 434 ; XXII, 410 ; XXIII,
408 ; XXV, 76.
32
TABLES DÉCENiNALES DE Li
REVUE »
Bibliographie scientifique de Henri
Weil (1818-1909), XXII, 383.
Bibliothèques des Météores, XXVI, 53.
BIKÉLAS (D.). — Extraits de lettre?,
XXII, 48. — Voir Sakellaropoulo?;.
Blosset, helléniste du xvr siècle, XXX.
158.
BODIN (L.). — Phanias d'Érèse, XXVIII,
251 ; XXX, in.
BOUCHER (Arthur). — La tactique
grecque à l'origine de l'histoire mili-
taire, XXV, 300. — El; et èrA termes
tactiques, XXVIl, 369.
BOUGHÉ-LECLERCQ (A.). — L'ingé-
nieur Cléon, XXI, 121.
BOURGUET (Emile). — Rapport sur une
mission à Delphes (1911). Extraits,
XXV, 12.— fet A. J. Reinach), Bulle-
tin épigraphique, XXI, 153.
Boyatzidès. — Lettres d'A.-F. DIDOT,
XXm, 402.
BRÉAL (M.)- — npÉTre-. u il convient »,
XXI, 113. — D'où vient le nom de
l'Asie, XXII, 231. — Le verbe « vou-
loir » en grec, XXIV, 1.
BRÉHIER (Emile). — Posidonius d'Apa-
raée, théoricien de la géométrie,
XXVII, 44.
BRIESS (E.-Ed.). — Le prétendu no;j.-
iraTo; aToaTTriyô;, XXVI, 47.
BRUSTON (Ch.). — Le sens de àf/i
dans la Bible, XXIV, 77.
Bulletin archéologique. — VoirDEON-
NA et DE RIDDER.
Bulletin épigraphique. — Voir BOUR-
GUET (É.), iNICOLE (G.). REINACH
(A. J.); ROUSSEL (P.).
Bulletin papyrologique. — Voir RICCI
iSeymourde).
CALLIMAQUE, Acontios et Cydippé,
XX1II,255. ~~ Aitia, XXV, 318.
Callimaque et la coupe de Bathyklès,
XXIX, 404.
Cantique de liturgie juive, XXIV, 152.
CARRA DE VAUX. — Voir TANxVERY
(P.).
GAVAIGNAC (Eugène). — L' « Histoire
grecque » de Théopompe, XXV, 129.
— Note sur 1' « Histoire grecque »
de Théopompe, XXVI, 75.
CHAPOT (Victor). — Fossés et tran-
chées dans les guerres de l'antiquité,
XXVUI, 103.
CLAUDEL (P. L.). — Le contrat réel
en droit attique, XXVI, 221 .
Cléon l'ingénieur, XXI, 121.
CLOCHÉ (P.). —Les expulsions en At-
tique avant la prise de Phylé, XXIV,
63. — Les Trois Mille et la restaura-
tion démocratique à Athènes en 403,
XXIX, 14.
COLARDEAU (Th.). — Ion à Delphes,
XXIX, 430.
COLIN (C). — Les sept derniers cha-
pitres de l"A6Tfiva(wv IIoXtTeCa, XXX,
20.
Comédie et dialogues des courtisanes,
XXI, 39.
Concours de typographie grecque,
XXIV, xxxvii.
Contrat primitif en Grèce, XXX, 24 9,
Contrat réel, XXVI, 221.
Conventions primitives de l'art grec,
XXVI, 1.
Coprée (héraut), XXVI, 214.
Correspondance, XXIV, 231, 376. ~
Voir RONZEVALLE (Louis).
Coupe antique du musée de Genève,
XXVII, 59.
Crète, manuscrit italien, XXI, 80.
CROISET (Alfred). — Discours aux
obsèques de M. Am. Hauvette, XXI,
1. — Les nouveaux fragments d'An-
tiphon, XXX, 1.
CROISET (M. .
Ménandre . VArbi-
(rage, XXI, 233. — Observations sur le
rôle d'Admète dans VAlceste d'Euri-
ripide, XXV, 1. — Les Cretois d'Eu-
ripide, XXVIII, 217.
Cryptie lacédémonienne, XXVI, 121.
DALMEYDA (G.). — Rapport sur les
travaux et concours de 1914-1915,
XXVHI, Lxxiii; XXIX, lxxx; XXX,
XVII. — Observations sur les prolo-
gues d'Ion et des Bacchantes,
XX Vin, 43.
Datif pluriel des thèmes en -5- en
Attique, XXIX, 272.
Délos (Une famille de), XXIX, 188. —
Histoire de l'île au ui« et ii^ siècle
TABLE DES ARTICLES
433
d'après le prix de la poix, XXIX,
281.
DEONNA (W.). — Conventions primi-
tives de l'art grec. XXIII, 379. —
Quelques conventions primitives de
l'art grec, XXVI, 1. — Une erreur de
dessin sur une coupe antique du
musée de Genève, XXVll, 59. —
Essai sur la genèse des monstres dans
l'art, XXVIll, 288. — De quelques
travaux réct'nts touchant la religion
grecque, XXVIll, 442. — Les /, so-
laires, XXIX, 1. — Bulletin archéo-
logique, XXIX, 326 ; XXX, 329.
DE RIDDER (A.). —Bulletin archéolo-
gique, XXI, 341; XXII, 276; XXIII,
184; XXIV, 168; XXV, 359; XXVI,
.399 : XXVII, 281 ; XXVIll, 184 ; XXIX,
69; XXX, 1G7. — Protogène, XXVIll,
282.
Dialecte paraphylien, XXI, 413.
Dialecte tsakonien, XXIII, 62.
DIDOT (A. F.). — Lettres, XXIII, 402.
DIEHL (Ch.). — Allocutions présiden-
tielles, XXIV, VI ; XXV, Liv.
Dion Ghrysostôme, XXVIll, 417. —
Critique d'art, XXX, 105.
Dioscore, poète grec d'Egypte, XXIV,
426.
Droit attique, XXVI, 221.
DUFOUR (Médéric). — Notes de syno-
nymique, XXVII, 130.
Égine (Sculptures), XXV, 158, 401.
Enseignement du grec, XXII, 257.
Éphèse et les Priéniens du Gharax,
XXIX, 29.
Épigraphie. Bulletin, XXI, 153 ; XXII,
145; 306; XXIII, 287; XXIV, 291 ;
XXV, 52 ; XXVI, 441 ; XXVII, 441 ;
XXVIll, 446; XXIX, 435; XXX, 409.
"Ep^oç 68ÔVTWV, XXIX, 275.
Ér'otokritos, XXVIll, 129.
"EffÔo), "EjOio), XXIX, 264.
ESPINAS. — L art économique dans
Platon, XXVII, 105; 236.
Eùvofib, XXV, 42.
Euripide, Alceste, XXV, 1. — Hém-
clides, XXVI, 216. — Les Cretois,
XXVIll, 217. — Iphigénie à Aulis,
XXVIII, 234.
Fauvel, XXV, 158, 401.
Finances de l'Etat homérique, XXVIll,
377.
Formules grecques de souhait (Oy^a,
!;(07^„ yxoi), XXVll, 266.
FOUCAKT (P.). — Inscription de
Gythion, XXll, 405.
Fouilles préhistoriques en Phocide,
XXV, 253.
FRANÇOIS (L.). — Julien et Dion
Ghrysostôme, XXVIll, 417. — Dion
Ghrysostôme critique d'art : le Zeus
de Phidias, XXX, 105.
rsgeXetCiî, XXVI, 225.
GERNET (L.). - AûeévTT.ç, XXII, 13. —
Observations sur la loi de Gortyne,
XXIX, 383. — Hypothèses sur le
contrat primitif en Grèce, XXX, 249.
GIRARD (P.). — Le mythe de Pandore
dans la poésie hésiodique, XXII, 217.
GIRAUDET. — 'rXoyevViç, XXIV, 287.
GLOTZ (G.). — Inscription de Délos,
XXlIi, 276. — Notes sur les comptes
de Délos, XXVI, 26; XXVll, 138. —
Discours présidentiel, XXVIll, lvi.
— Quelques découvertes récentes en
Grèce, XXVIll, 440. — Sur linter-
diction des armes déloyales, XXIX,
109. — L'histoire de Délos d'après les
prix d'une denrée, XXIX, 281.
Grecs en France du xv^ au xix'' siècle,
XXIX, 46.
GREIF (F.). — Études sur la musique
antique, XXll, 89 ; XXIII, 1 ; XXIV,
233; XXVI, 273; XXVll, 1.
HADACZEK (Charles). — L'Athéna Pro-
machos, XXVI, 20.
Hégias d'après Pline. XXI, 119.
HÉSIODE. Mythe de Pandore, XXII,
217.
Elpis, XXIII, 49.
HESSELING (D. G.). — "Eoxoç ÔSôvtwv,
XXIX, 275.
Hippolyte dans la légende antique,
XXIV, 105.
Histoire militaire, XXV, 300.
HOLLEAUX (Maurice). — Notes sur la
Chronique de Lindos, XXVI, 40. —
Éphèse et les Priéniens du Gharax,
43
WBLES DECENNALES DE LA
REVUE
XXIX, 29. — Etudes d'histoire hellé-
nistique sur la guerre Cretoise {-^pr^-
Tixôç -ôXsuLo;), XXX, 88.
IlOMOLLE (Th.). — Discours présiden-
tiel, XXII, VI.
Indolence des dieux, XXIX, 238.
Infinitif (remarques sur T), XXÎX, 259.
Ion à Delphes, XXIX, 430.
Itanos, inscriptions, XXIV, 377.
Jean Chrysostôme. Homélies sur l'Évan-
gile de Saint-Mathieu, XXVI, 53.
.lEANMAIRE (H.). — La cryptie lacé-
déraonienne. XXVI. 121.
.lohn Wallis, XXVI, 77.
JOUGUET (Pierre). — Sur les métro-
poles égyptiennes à la fin du 11"= s.
ap. J.-C, d'après les papyrus Ry-
lands, XXX, 294.
Julien. Palais à Paris, XXI, 426.
KapTtovtpdtrr,?, XXVI, 262.
KAZAROVi' (G.). — Nationalité des
anciens Macédoniens, XXIII, 243.
KUIPER (K.), — Le mariage de Cydippé.
Étude sur le rite prénuptial de Naxos,
XXV, 318. — Le récit de la coupe de
Bathyklès dans les ïambes de Calli-
maque, XXIX, 404.
LABASTE (II.). — Note sur un manus-
crit italien du xvi'^ siècle concernant
la Crète, XXI, 80.
Lacédémone. Cryptie, XXVI, 121.
LACROIX (Maurice). — Notes sur les
comptes de Délos, XXVII, 138. — Une
famille de Délos, XXIX, 188.
LEBÈGUE (H.). - Rapport financier,
XXVIII, xci; XXIX, xci; XXX, xxxiv.
LEGRAND (Ph.-E.). — Les dialogues
des courtisanes comparés avec la
comédie, XXI, 39.
LÉVY (Isidore). — KapTroxpaxT.?, XXVI,
262.
LIARD. — Rapport sur l'enseignement
du grec dans les lycées et collèges de
garçons, XXII, 237.
Lindos (Chronique de), XXVI, 40.
Loi de Gortyne, XXIX, 383.
LOURIA (S.). — Les fermiers thes-
piens, XXVIll, 51.
Louvre, histoire des collections (his-
toire), XXV, 158, 401.
Lucain et la flotte athénienne, XXVIII,
Macédoine. Trophées, XXVI, 347.
Macédoniens, XXIII, 243.
Manuscrits grecs du ix^ siècle, XXVIl.
70.
MARTHA (Jules). — Discours aux
obsèques de M. Am. Hauvette, XXI,
10.
MASPERO (Jean). — Un dernier poète
grec d'Egypte : Dioscore, fils d'Apol-
lôs, XXIV, 426.
MATHOREZ (J.). — Les éléments de
population orientale en France,
XXIX, 46.
MAURICE (J.). — Rapport financier,
XXI, XXXVIII ; XXII, XLvii; XXIII,
xxxix; XXIV, XXXI ; XXV, lxxv;
XXVI, Lxxx; XXVII, Lxxxi.
MAZON (Paul). — Rapport de la com-
mission des prix sur les travaux et
concours de l'année 1913-1914,
XXVII, Lxvi.
MEILLET (A.). — La place du pam-
phylien parmi les dialectes grecs,
XXI, 413. — De quelques faits gram-
maticaux, XXIX, 259. — Discours
présidentiel, XXX, xi.
MÉiNANDRE. Voir CROISET (M.).
MÉNANDRE. Sentences, XXIV, 5.
MÉRIDIER(L.). — Le mot ijléOoSo; chez
Platon, XXII, 234. — Le hérant
Coprée, XXVI, 214.
Météores (Bibliothèques des), XXVI, 53.
Métrique, XXVI, 273.
Métropoles égyptiennes à la fin du ii<= s.
ap. J.-C, XXX, 294.
MICHON (E.). — Torse d'une statuette
de satyre assis, XXII, 140. — Les
sculptures d'Égine et de Phigalie.
Les projets d'acquisition du Musée
Napoléon en 1811-1813, XXV, 158;
401. — Discours présidentiel, XXVII,
LVIII.
MONCEAUX (P.). —Allocution prési-
dentielle, XXVI, Lvj.
TABLE DES ARTICLES
4:i5
Monstres dans l'art, XXVIII, 288.
MORIN-JEAN. — Représentation d'ani-
maux marins sur les vases italiotes
du musée de Naples, XXVII, 144.
Musique antique, XXJII, 1 ; XXIV, 233 ;
XXVI, 273; XXVII, 1.
Musique grecque, XXVI, 71.
Mythe d'Iphigénie, XXVIII, 1 .
NAVARRE (Octave). — Théophraste el
La Bruyère, XXVII, 384.
Naxos, XXV, 318.
NICOLE (G.). — Bulletin épigraphique,
XXIX, 433; XXX, 409.
Obsèques de M. Henri Weil, XXII, 373.
OMONT(H.). — Discours présidentiel,
XXIII, VI. — Un helléniste du
xvi® siècle : Excellence de l'affinité
de la langue grecque avec la fran-
çaise, par Blasset, XXX, 158.
Orphiques (tablettes) de Corigliano,
XXIII, 38.
Paléographie grecque, XXVI, 33.
PALLIS (Alex.). — Correction à une
épigramme funéraire de Thèbes,
XXVIII, 373.
Papyrus, XXII, 1. Bulletin de 1905-
1912, XXVII, 153. Nécrologie, 153;
congrès, 134 ; périodiques, 154 ; bi-
bliographie, 154 ; mélanges, 136 ;
corpus, 156; chrestomathie, 136;
langue, 138 ; paléographie, 139; re-
ligion, 162; géographie, 164; his-
toire, 165; préfets d'Egypte, 172 ; ar-
mée, 173 ; droit, 174 ; pédagogie,
183 ; médecine, 183 ; métrologie et
numismatique, 184; calendrier, 184;
débuts du christianisme, 183 ; épi-
graphie, 186 ; papyrus littéraires,
187 ; comptes rendus, 189.
PATON (W. R.). — Quatre passages
des Troyennes d'Euripide, XXVII,
35.
PERDRIZET (P.). — Le Sa;jLoepa>cixo;
d'Antiphon et la Pérée samothra-
cienne, XXII, 33. — Tyta, Zwt„ Xapa.
XXVII, 266.
PERNOT (Hubert). — Le verbe être
dans le dialecte tsakonien, XXIII,
02. — Ia) roiuan crétois d'Érotok)-i-
tos, XXVIII, 129.
Phanias d'Érèse, XXVIII, 251; XXX,
117.
Phidias. L'Athéna Promachos, XXVI,
20.
Phigalie (Sculptures), XXV, 401.
Phocide, XXV, 233.
PICIION (R.;. — Le témoignage de
Pline sur Hégias, XXI, 119. — A
propos des tablettes orphiques de
Corigliano, XXIII, 58. — Sépulture
de Marcellus à Athènes, XXIII, 284.
— Lucain et la flotte athénienne,
XXVIII, 58.
PLASSART (A.) . — Les archers d'A-
thènes, XXVI, 131.
PLATON. MéOoooç, XXI 1, 234. — Art
économique, XXVII, 103, 236.
no[JLTtato; aTpaxT,yd;, XXVI, 47.
Porphyre. Texte astrologique, XXIV,
334.
Posidonius d'Apamée, théoricien de la
géométrie, XXVII, 44.
Préhistoire, XXV, 253.
Projet de collection d'auteurs grecs et
latins, XXIX, 357.
Prologues d'Ion et des Bacchantes,
XXVIII, 43.
Protogène, XXVIII, 282.
Psellos. Termes médicaux, XXII, 231.
PUECH (A.). — Rapport sur les con-
cours annuels, XXI, xix ; XXII, xxv ;
XXIII, XIII ; XXIV, XIII : XXV, lx :
XXVI, Lxvi.
Aconlios et Cydippé de Callimaque,
XXIII, 233. — Discours présidentiel,
XXIX, Lxvi.
RAYET (0.). — Notes détachées d'O.
R. sur les îles grecques, XXVI, 263.
REINACH (A. J.). — Bulletin épigra-
phique, XXI, 153; XXII, 143, 306;
XXIII, 287; XXIV, 291. -Inscrip-
tions d'Itanos, XXIV, 377. - Tro-
phées macédoniens, XXVI, 347.
REINACH (Salomon). — Un indice
chronologique applicable aux figures
féminines de l'art grec, XXI, 13. —
Observations sur le mythe d'Iphigé-
nie, XXVIII, 1. — Correspondance
i36
TABLES DECENNALES DE LA « REVUE »
XXVIII, 216. — Indolcncp des dieux,
XXIX, 238.
REINACH (Th). — Discours prési-
dentiel. XXI, vr. — Discours aux ob-
sèques de M. Am. Hauvette, XXI, 5.
— La loi d'Aegialé, XXII, 241. —
Correspondance, XXIV, 376. — Une
épigramme funéraire de Thèbes,
XXVI II, 55. — Le roi Skolotos,
XXIX. 11.
RENAUD (E.). — Quelques termes mé-
dicaux de Psfdlos XXII, 251.
Restauration déuiocralique à Atiiènes
en 403, XXIX, 14.
RICCI Seymour de). — BulK>tin papy-
rologique (1905-1912), XXVII, 153.
ROBIN (Léon). — Sur une hypothèse
récente relative à Socrate, XXIX, 129.
RONZEVALLE (Louis). — Lettre sur
un compte rendu de M. J. Psichari,
XXIX, 245.
ROUSSEL Pierre). — Bulletin épigra-
phiqiie, XXVI, 441; XXVII, 441;
XXVIII, 446; XXIX, 435; XXX, 409. -
Le rôle d'Achille dans VI phi génie à
Aulis, XXVIII, 234. - Notes épigra-
phiques. XXIX, 166.
RUELLE (G. É.). — Bibliographie an-
nuelle des études grecques, XXI.
434; XXII, 410; XXIII, 408; XXV, 16.
Texte astrologique de Porphyre,
XXIV, 334. - John Wallis et la mu-
sicologie grecque, XXVI, 77.
Rythmique, XXVI, 273.
SAKELLAROPOIÎLOS (S.). — Démé-
trius Bikélas, XXII, 42.
Satyre assis, XXII, 140.
SCHWAB — Un cantique de liturgie
juive en langue grecque, XXIV, 152.
SÉCHAN (Louis). — La légende d'Hip-
polyte dans Tantiquité, XXIV, 105.
SEURE (Georges). — Deux variantes
thraces du type d'Artémis chasse-
resse, XXV, 24 — Les images thra-
ces de Zeus Kéraunos : ZêsXuoûpSoç,
reSsXetÇiî, ZaXiiôSi;, XXVI, 225.
SOTIRIADIS (Georges). — Fouilles
préhistoriques en Phoeide, XXV, 253.
Skolotos (prétendu roi des Scythes),
XXIX, U.
Socrate (hypothèse récente relative à),
XXIX, 129.
Solaires (les .-.), XXIX, 1.
STÉPHANIDES (D-- Michel). — Petites
contributions à l'histoire des sciences,
XXVIII, 39.
Synonimique grecque, XXVII, 130.
Tactique grecque, XXV, 300.
TANNERY (P.) etCAKRA DE VAUX.—
L'invention de l'hydraulis, XXI, 326.
T'Ttiies désignant le violet, XXVI, 16.
Termes tactiques, XXVII, 369.
Thèbes, épigramme funéraire, XXVIII,
55, 375.
Théogonie, XXVII, 229.
Théophraste et La Bruyère, XXVII, 384.
Théo pompe. Histoire grecque, XXV,
129; XXVI, 75.
Thespie, inscriptions, XXVIII, 51.
Thrace, XXV, 24.
Thrace. Images de Zeus Kéraunos,
XXVI, 225.
Thucydide (note sur), XXVII, 39.
Tranchées dans les guerres antiques,
XXVIII, 103.
Trophées macédoniens, XXVI, 347.
Troyennes d'Euripide, XXVII, 35.
'rXoyev/iç, XXIV, 287.
Vases italiotes à représentation d'ani-
maux marins, XX VII, 144.
Verbe « vouloir », XXIV, 1.
VOS (Luc de). — Les palais de l'em-
pereur Julien à Paris, XXI, 426.
WALTZ (P.). — A propos de VElpis
hésiodique, XXIII, 49. — Sur les sen-
tences de Ménandre, XXIV, 5. —
Notes sur Thucydide, XXVII, 39. —
Note sur la Théogonie, XXVII, 229.
WEIL (Henri). — Voir Bibliographie.
— Papyrus récemment découverts,
XXII, 1.
£AN0OrAIAHS (STisavoç). — Eùvojxfa,
XXV, 42.
Z3X[j.dStç, XXVI, 225.
Z6eXaoûp5o;, XXVI, 225.
Zeus Kéraunos, XXVI, 225.
II
TABLE ALPllARÉTIQUE DES AUTEURS ET OUVRAGES
APPRÉCIÉS DANS LES COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES
Et les Rapports littéraires des années XXI-XXX de la REVUE
ABT (A.). — Apologie d'Apulée, XXII,
456.
ACHÉLIS (A.). Siège de Malte ea 1365,
XXIV, 90.
Accentuation grecque, XXVIÏ, 74.
Acropole d Athènes, XXIV, 344.
Acteurs, XXIII, 85.
Affranchissement, XXII, 151, 169, 174.
AGAR (Th. L.). — VOdyssée, correc-
tions et explications, XXIII, 237.
Albanie et Napoléon, XXIX, 112.
ALBRECHT (Fridericus. — Traité de
Galien sur les artères, XXVII, 71.
ALEMANY y BOLUFER (J .). — L'É/ec/re
de Sophocle, XXVII. 329.
Alexandrie d'Egypte, XXVIII, 330.
ALLEN (H. F.). Infinitif chez Polybe,
XXII, 196.
ALLEN (James Turney). — Jeu des
acteurs en Grèce au v^ siècle, XXX,
206.
ALLEN (Th. W.) Voir MONRO (D. B.).
ALLINE (H.1. — Histoire du texte de
Platon, XXX, 207.
ALMAS. — A». îffxop'.xal rspiTTSTsiai xfiÇ
MaxsSov^ai; â-zo twv àp)^atOTaTtov X.p6-
vtov jJLS/pl oyjfxspov, XXVII, 326.
ALY (W.). — Apollon crétois, XXII,
437. — La Théogonie d'Hésiode avec
Introduction et bref commentaire,
XXVII, 326.
Amyot. Trad. Vies parallèles, xxiii,
XX^I.
Anniversaire dans l'antiquité, XXII,
482.
ANRICH (G.). — Saint Nicolas dans
l'Église grecque, t. I, les textes,
XXVIl, 328,
Anthropologie et classiques ''par A. J.
EVANS, A. L.\NG, G. MURRAY, F.
B. JEWNS, J. L. MYRES, W. ^'.
FOWLER), XXII, 457.
Antinoé. Tapisseries, XXII, 56.
Antiphon. Traité de la Concorde,
XXIII, 79.
ANTIPHON. Apologie, éd. Nicole,
XXII, 55.
Aoriste chez les tragiques et comiques
attiques, XXV, 474.
Apollons archaïques, XXII, 564.
Apollon crétois, XXII, 457.
APOLLONIOS. Style, XXII, 198.
APOSTOLIDÈS. Mélanges, XXIII, 468.
APULÉE. Apologie, XXII, 456.
Arabie et Syrie, XXI, 100.
ARAVANTINOS. — Asklépios et les
Askiépieia, XXI, 379.
Arbitres athéniens, XXI, 380.
ARCHAMBAULT (G.). — Éd. et trad.
de Justin (Dialogue avec Tryphon),
XXIII, 80.
Archéologie préhistorique, XXVII, 72.
Architecture grecque et romaine, XXIX,
333.
ARFELLI (D.). — Songe chez Homère,
XXI, 380,
38
TABLES DÉCENNALES DE LA « REVUE ))
ARISTOPHANE.- XXll, 489; XXV, 236,
481. — Acharniens, éd. Starkie, XXIIl,
.362. - Nuées, éd. Starkie, XXV, 243.
— Paix, éd. Zacher, XXVI, 79.
ARISTOTE.— Sa Métaphysique, XXVII,
202. — Théorie économique et politi-
que sociale, XXIX, 114, — Étude sur
la Constitution d'Athènes, XXX, 230.—
Traduction anglaise (sous la direction
de J. A. Smith et W.-B. Ross), t. 1 et
II, XXn, 336. — Poétique, éd. Bywa-
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XXIV, 207. — Traité « De inundacione
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d'Athènes, éd. Sandys, XXX, 243.
ARNIM (H. von). — Supplementuni Eu-
ripideum, XXVII, 328.
Art byzantin, XXIV, xxix; 83.
Art grec funéraire, XXIX, 336.
Art hellénistique, XXII, 343.
Art paléolithique et art préhellénique,
XXIX, 334.
Artémis de Céphisodote, XXIII, 84.
ARVANITOPOULLOS (A. S.).- La pein-
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du iMusée de Volo, XXIII, 73.
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Astrologie. Voir Catalogues.
Astrologues grecs, XXVI, 81.
Athènes ancienne, XXI, 232. — A
Fépoque hellénistique, XXV, 466. —
Sous la domination turque, XXIV,
493. — Contemporaine, XXIII, 470. —
Finances au v^ siècle, XXII, 158, 200.
Athéniens et Chersonèse, XXIII, 474.
Atlas antiquus, XXII, 212.
Attique au xyii^ s., XXVIII, 45.
BAGCHYLIDE, éd. Tacco7ie, XXII, 56.
BADEN-POWELL.- Manuel du soldat,
trad. gr., XXIV, 94.
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donation de 1375, XXII, 346. — 'Avxi-
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BURY (J.-B.). — Historiens grecs,
XXII, 341.
BYWATER. Voir ARISTOTE.
Byzancc, histoire byzantine, XXVII,
217. — Archéologie et épigraphie,
XXVIl, 360. — Art byzantin, XXIV,
83. — Figures byzantines, XXI, 384.
— Papyrus grecs byzantins, XXIV,
212.
Byzantinische ZeitschrifL. Table, XXII,
342.
CAECILIUS. — Fragments, éd. Ofen-
locli, XXI, 381.
CALDERINl (A.). — Ali'ranchissemenl
et afl'ranchis en Grèce, XXII, 151, 169.
Calendrier attique, XXIII, 485.
Calendrier Spartiate, XXIV, 488.
CALHOUN (George Miller). - Clubs
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la procédure, XXVII, 335.
CAiNAT (R.). — La Renaissance de la
Grèce antique, XXIV, xxiii.
CANTARELLI. — Les préfets d'Egypte,
XXVm, 62.
CAPPS. — Quatre pièces de Ménandre,
XXIV, 211.
Catalogue de mss. XXII, 364.
Catalogue des sculptures grecques, ro-
maines et byzantines des musées impé-
riaux ottomans, éd. par G. Mendel,
XXVII, 211.
Catalogue des vaisseaux dans l'Iliade,
XXVIl, 190.
Catalogue des vases peints du musée
d'Athènes, XXV, lxiv, 477.
Catalogus codicum astrologorum grae-
corum, VII, XXII, 461. — V, 3 /. Heeg,
Vin, 2 C. ^. Ruelle, VIII. 3 P. Bou-
dreaux, XXVI, 81.
440
TABLES DÉCENNALES DE LA « REVUE »
Catharsis tragique dans Aristote,
XXVI, 96.
Caution en Grèce, XXII, 476.
CAVAIGNAG (E.). — Histoire financière
d'Athènes an v° siècle, XXII, 158,
200. — Étiid'S sur l'histoire finan-
cière d'Athènes, XXII, xxxvi et 200.
CAVALLERA (Ferdinand). Voir Patro-
logiae indices.
Cf^phisodote. Artémis,\XUl. 84.
G«^ramiqne grecque, XXIX, 33T.
Céramique hellénistique, XXVII, 344.
Céramistes grecs, XXX, 237.
CERETELLl (Gregorius) et SOBO-
LEVVSKI (Sergius). — Exempla co~
dicuni graecorum litteris niinusculis
scriptorum annorumque notis ins-
tructorum, XXVII, 72.
Chansons populaires, XXIII, 92.
Chasteté cultuelle, XXIV, 215.
Chersonèse de Thrace, XXIII, 474.
Chio (parlers de), XXII, xxvi.
CHIPIEZ (C). Voir PERROT (G.).
Chronographie de Bar-Sinaya, XXIII,
469.
Chrysippe, XXIV, 340.
CHWOSTOW (M.).— Commerce orien-
tai en Egypte gréco-romaine, XXII,
462.
Civilisation hellénistico-romaine, XXVII,
330.
Civilisations préhelléniques, XXIV, 87;
XXIX, 118; 376.
GLAPP (E. B.). — The 'OaptcT':ù; of Théo-
crite, XXV, 211.
Classical Papers of Mortimer Lamson
Earle, with a Memoir, XXVll, 191.
CLEMEN (Cari). — Influence de la re-
ligion des mystères sur le christia-
nisme naissant, XXVIl, 337.
Clément d'Alexandrie. Sources. XXI,
222.
CLÉMENT de Rome. ÉpUre aux Corin-
thiens. Éd. et trad. Hemmer, XXIII,
364.
Climat attique, XXIV, 337.
Climat de la Grèce, XXII, xxxix.
CLOCHÉ (P.). — La restauration dé-
mocratique à Athènes en 403 av.J. C,
XXX, 214. — Étude chronologique sur
la troisième guerre sacrée, XXIX, 459.
GOHOON (F. W.). — Étude sur la
scène d'arbitrage dans les Epitre-
pontes He Ménandre, XXIX, 460.
Colère divine, XXIII, 88.
COLIN (G.). — Fouilles de Delphes,
t. III, fasc. 2, XXVI, 434.
COLLIGNON [M.). — Scopas et Praxi-
tèle, XXII, 57. —Statues funéraires
dans lart grec. XXV, lxxiu. — Le
consul Jean Giraud et sa relation de
TAttique au xviie siècle, XXVIII, 65.
— Le Parthénon, XXVIII, 66.
Comédie grecque, XXVII, 361. — Comé-
die nouvelle (Daos), XXIII, 352:
XXVI, 85.
Congrès hellénique d'enseignement
(1904), XXII, 57.
Constantinople. Le grand palais, XXIV,
346.
COiNYBEARE (F. G.). V. PHILO-
STRATUS.
COPALLE (S.). — Noms des esclaves
grecs, XXIII, 292.
CORBINELLI (Caterina). — Les héros
argiens de la Béotie et la liaison des
cycles troyen et thébain. — Les
héros du cycle d'Héraclès dans le
catalogue des vaisseaux, XXVII, 190.
Correspondance de K. 0. MUller et
/.. Schorn, éd. S. Reiter, XXIV, 360.
COSMAS INDICOPLEUSTES éd. C. 0.
Winsfedt, XXVI, 82.
COURBY (F.). — Le Portique d'An-
tigone ou du Nord-Est à Délos,
XXVII, Lxx.
Cratès de Mallos, XXVIII, 70.
GRATIPPE. — Fragments, XXIII, 92.
Crémation et séjour des morts, XXIII,
85.
Crète. Apollon crétois, XXII, 457. —
Influences Cretoises dans le culte
d'Apollon, XXX, 247. — Crète et
Mycènes, XXI, 219. — Guerre de
Crète, XXII, 345.
CROISET (A.). — Démocraties anti-
ques, XXII, 464.
CROISET (M.). —Aristophane et les
partis, trad. angl., XXIII, 74.
Cuisiniers grecs, XXII, 73.
Cultes des Etats grecs, XXIII, 473.
Cultes importés, XXIV, 226.
TABLE DES COxMPTES RENDUS
441
CULTRERA (G.). — Arl helléaistique
et gi'éco-roiiiaiii, XXjI,343.
GUMONT (Fr.). — Religions orientales,
XXI. 99. — Les Mystères de Mithra,
XXVII, 338.
CUNY A).— Le nombre duel en grec,
XXI II, 229.
Cycle mystique, XXIII, 471.
Cypre. Toponymie, XXI, xxxi. — Carte,
XXVI, 87. — Mœurs et coutumes,
XXIX, 124.
DALMEYDA ^G.). — Euripide, Bac-
cfianles, XXII, xxxvm.
D'Ansse de Villoison, XXIV, xxi. 21S.
DAVID (Maxime). — Voir MEYER
(Eduard).
DAVIDSON (W.). — Stoïciens, XXI,
382.
DÉCHELETTE (J.). — Origines de la
drachme et de l'obole, XXIV, 344. —
Manuel d'archéologie préhistorique,
XXVn, 72.
DEKERRARI (Roy J.). — L'atticisme
de Lucien : la morphologie du verbe,
XXX, 216.
DEFOURNY. — Aristote. Théorie éco-
nomique et politique sociale, XXVIII.
Lxxxii. XXIX, 114.
DEISSMAxNN (A). — Études sur le Nou-
veau Testament, XXI, 383.
DELAMARRE (J). —Inscriptions dA-
morgos, XXI, xxv.
D EL \ PORTE. — Chronogmphie de
Bar-Sinaya, XXIII, 469.
DELATTE (A). — Études sur la litté-
rature pythagoricienne, XXX, 216.
Délos. Salle hypostyle, XXIV, xni. —
Inscriptions, XXIV, 323. — Maisons
sacrées, XXVIII, 350.
Delphes. Guide, XXII, 204. - Monu-
ments figurés, XXII, XXX. — Ins-
criptions, XXIV, 313. — Grammaire
des inscriptions, XXIX, 437. —
Temple, XXIX, 71.
AeXxJov de la Société d'archéolofjie
chrétienne, XXV, lxx.
DEMISCH. — Transmission des dettes
dans le droit attique, XXIV, 213.
Démocraties antiques, XXII, 464.
DÉMOSTllÈNE, Irad. par J. de Tour-
relL XXIV, 343.
DENISON. — Vocabulaire compare
iiiexii-ain-aryen, XXIII, 74.
DEONNA (\V.). — Ap(dl..i)S archaïques,
XXII, 4Ho : XXIII, xviii.
DlAKROL'Sl et ZANE, Guerre de Crète,
éditi'e par Rhoukkaki, XXII, 343.
Dialectes, XXI, 137. — Dialectes Cre-
tois, XXII, 19 i. — Dialectes grecs,
XXVI. 103.
DI liELLA Anselmo). — La comédie
de Ménan.lre, XXV1.80
Dictionnaire. XXll, 203.
Dictionnaire de Bernardakis, XXII,
xxxiv.
Dictionnaire des antiquités grecques et
romaines, XXVII, 74, 339; XXIX, 462;
XXX, 227.
Dictionnaire étymologique. Voir BOI-
SACQ.
Dictionnaire français -grec des termes
maritimes, XXIV, 223.
DIEHL (Ch.}. — Figures byzantines,
XXI, 384. — Manuel d art byzantin,
XXIV, XXIX ; 83.
DIEHL (E.). — Supplementum Sopho-
cleum, XXVII, 328.
DIELS (H.). — Caractères de Théo-
phraste, XXIII, 363.
DIEiNSTBACH E.). — De titulorum
Prienensium souis, XXV, 463.
DIÈS. — Le cycle mystique, XXIII,
471. — Être et Idées dans le Sophiste,
XXIII, 472.
DIEUDOiNNÉ (A.). — Mélanges numis-
matiques, XXIII, 73.
Dieux dans la tragédie, XXIII, 482.
Diminutifs grecs, XXV, 478.
DITTEN BERGER. — Sylloge inscrip-
tionum graecarum, 3^ éd., XXIX, 436.
D'OOGE. — L'Acropole dAthènes.
XXIV, 344.
DOSSIOS (N. G.). — Justice dans les
principautés danubieimes, XXV, 211,
Drachme et obole ^.origines), XXIV,
344.
Drame satyrique, XXVIII, 67.
DRERUP (E.). — ['How5oj] itepî itoXt-
xeb;, XXII, 347. — Le cinquième li-
vre de Ylliade, XXVII, 339. — Plan
442
TABLES DÉCENNALES DE LA « REVUE
d'une éd. des traités de rhétorique
grecs et romains, XXIV, 85,
Droit attique. Transmission des dettes,
XXIV, 213.
Droit naturel en Grèce, XXII, 4(i0.
Duel (le nombre), XXIII, 229.
DUFOUR (Méd.). — Sj^nonymes grecs,
XXIV, 8G.
DUHAIN. — Jacques de Tourreil, trad.
de Démosthène, XXIV, 345; XXV,
LXVIII.
DUSSAUD (R.). — Arabes en Syrie,
XXI, 100. — Mycènes et Crète, XXI,
219. — Troie et Gypre, XXI, 221. —
Les civilisations préhelléniques dans
ie bassin de la Mer Egée, 1'^ éd.,
XXIV, 87; —2« éd., XXIX, 118.
EARLE (Mortimer Lanson). Voir Clas-
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Églises byzantines, XXIII, 359.
Egypte. Commerce oriental, XX1J,462.
— Egypte byzantine, XXVIl, 207 ;
XXVIII, 75. — Egypte romaine (vie
municipale), XXV, lxi, 223. —
Registre des propriétés, XXVI, 83.
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nature de Taccentuation grecque,
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Empédocle, XXII, 3o3.
Énée le tacticien, XXVIII, 6G.
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Epangélie des fêtes, XXllI, 227.
Éphèse, XXlll, 358.
Épigraphie chrétienne, XXIV, 90.
Épigraphie grecque. Manuel, XXI, 155.
Épistratèges, XXV, 229.
Épopée (Origines deT), XXI, 393.
Eschine (manuscrits d'), XXVII, 200.
ESCHYLE. Tragédies, éd. Weil, XXI,
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Ethique à Nicomaqiie, d'Aristole, trad.
fr., XXlV, 207.
EURIPIDE, XXI, 391. — Archaïsme,
XXX, 229. — Chœurs, XXX, 240. -
Prologues, XXV, 332. — Vie par
Satyros, XXVII, 343. — t.&.Murvay,
(t. II), XXII, 351 ; (t. III), XXIII, 346.
— Les Bacchantes, éd. Dalmeyda,
XXII, XXVIII ; études, XXII, 210,
XXVII, 343. — Fragments nouveaux,
XXVII, 328. — Trad. en vers de
Ph. Martinon, XXI, 386.
EUSÈBE. — Histoire ecclésiastique.
Éd. Grapin, t. I, XXI, 402.
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niques, XXIV, 293.
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nistique, XXV, 466.
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niques, XXIV, 350. — Le chœur dans
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couunentariis, par -S. Vogt, XXV,
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Gobryas d'après les textes cunéiformes,
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TABLE DES COMPTES RENDUS
grecques chrétiennes (VÉgypte. V.
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Mélanges Louis llavel ,\\\\. ;]59.
MÉNANDHK, XXVI, 80, 94; XXIX, m).
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94. — Banquet, trad. M. Meunier,
XXVIIl, 87. — Phédon, éd. Burnel,
XXV, 238. — Op<-ra, t. Ill, 2, éd.
Burnel, XXVI, 100. — OEuvres, éd.
Moràitis, XXII, 352, 359; XXVIIl, 80.
— Sophiste, XXIII, 471. — Explica-
tion du système de P., XXVII, 352.
— Le devenir chez P., XXVIH, 89.
— Histoire du texte de P., XXX, 207.
— Idées et Nombres de P. d'après
Aristote, XXI, xxviii. — Mathéma-
tiques et philosophie, XXIII, 77. —
Science sociale, XXVII, 358.
Pluriel poétique dans la tragédie, XXV,
473.
PLUTARQUE, Moralia, XXVIIl, 77.
Poètes alexandrins, XXX, 242.
Poètes dramatiques grecs, XXV, 471 .
Poétique d'Aristote, XXVII, 81.
POHLENZ (Max). — Colère divine,
XXIII, 88. — Le devenir chez. Pla-
ton, XXVIIl, 89.
POKORNY (Erich). — Études d'histoire
grecque au iv^ s. av. J.-C, XXVIIl,
94.
POLAND (F.). — Les Associations
grecques, XXIV, 299. — V. BAUM-
GARTEN (F.).
Polis (la) grecque, de H. Francotte,
XXIII, 231.
Polybe, XXII, 196. — Infinitif chez
P., XXII, 196.
POLYGARPE de Smyrne, XXIII, 486.
POMTOW. - Delphica, XXVI, 455.
Pont (Parlers du), XXH, 355.
PORIOTIS (Nicolas). — Rhodope, tra-
gédie en 4 épisodes, XXVII, 356.
POTTIER (E.). — Correspondance,
XXVIL 102.
-Ï-.)
oO
TABL?:S DECENNALES DE LA « REVUE
PHASER ;j.). — Histoire des Mèdes et
Perses, XXIP 72; XXIIP 484.
Praxitèle. - V. COLLIGNON.
Préfets d'Egypte, XXVJII, 62.
PREISIGKE (Fr.l — Recueil de docu-
ments grecs d'Egypte, XXV^Il, '.V6H.
PIIEUSCIIEN iE.). — Lexique du Nou-
veau Testament, XXIV. 3.'j:).
Priène, Inscriptions, XXV, lxix, 405.
PKlTTWrrZ-GAEKON(E. voii). — Los
jtroverbesdans répigrànimc grecfiuc,
xxvii,2n.
Pi'osopof/rap/tia aHica. (louiplétnenis,
XXIV, 229.
Proverbes dans rAnthologif, XXVI 1,
217.
PSICIIARl (J.). — Pôoa 7.aî ar.Aa, IV
et V, XXII, 477. — Grec de la Sep-
tante, XXII, 360.
Pylhagore : littérature pythagori-
cienne, XXX, 216.
RABEL (E.). — Hypothèque et droit
de propriété, XXIII, 357.
RADET (G.). — Ephesiaca, XXII, 358.
RADOS (Constantin N. -. — La bataille
de Salamine, XXIX, 470.
RAMBAUD (Alfred). — Études sur
l'histoire byzantine, XXVII, 217.
RAMSAY (W. M.) et Miss G. L. BELL.
— Les Mille et Une Églises, XXIII, 359.
RAND (E. K.) — L'urbanité dans les
Œuvres et Jours d'Hésiode, XXV, 240.
RANKIN (E. M.). — Cuisiniers grecs,
XXII, 73.
REES (K.). — Les trois acteurs dans
le théâtre grec, XXII, 361.
REGNAUD (P.). — Dictionnaire éty-
mologique du latin et du grec, XXII,
74.
REICH (E.). — Atlas antiquus, XXII,
212. — Histoire générale (I et II),
XXII, 480.
REIK(K.). —Optatif chez Polybe et
Philon, XXII, 196.
REINAGH (S.). — Cultes, mythes et
religions (t. II), XXII, 74. — Réper-
toire de reliefs grecs et romains,
XXIII, 90; XXVII, 218.
REINHARDT (C). — Théologie des
Grecs, XXV, 241.
REITER (S.). — Éd. de la corresp. de
K. 0. Millier et L. Schorn, XXIV, 360.
REITZENSTEIN (R.). - Début du
Lexique de Pholios, XXI, 107.
Reliefs grecs et romains, XXIII, 90 ;
XXVII, 218.
Religion, XXll, 74, 483. — R. grecque
primitive, XXI, 389. — R. des philo-
soi)hes grecs, XXIII, 4SI. — Religions
orientales, XXI, 99.
Renaissance de lu Grèce antique,
XXIV, xxni.
RENSCil (\V.). — L'AIVranchissement
d'après les inscriptions thessa-
liennes, XXII, 174.
Représentations dramatiques, XXI, 162.
Restauration démocratique à Athènes
en 403, XXX, 214.
Rhétorique grecque, XXIX, 464.
Rhétorique grecque et romaine,
XXIV, 85.
RICHARDSON (L. J.). — Glyconiques
grecs et latins, XXX, 241.
Rites de purification. — XXIV, 229.
ROBBLNS ^Franck Egleston). — La
littérature hexaemérale, XXVII, 219.
ROBERT (C). — Nouveau Ménandre,
XXII, 207. — Études sur les Epilre-
pontes de Ménandre, XXVI I, 220. —
GeneLliliacon, mélanges offerts à
R., XXIV, 216.
ROBERT (F.). — Noms des oiseaux en
grec ancien, XXV, 479.
ROBERTSON (A. J.). — Grammaire du
grec du N. T., XXV, 480.
ROBIN (L.). — Théorie platonicienne de
l'amour, XXI, xxx, 394. — Théorie
platonicienne des Idées et des Nom-
bres, XXI, xxviii, 396. — Mémorables
de Xénophon, XXV, 241. — Platon
et la science sociale, XXVII, 359.
RONZEVALLE (Louis). — Emprunts
turcs dans le grec vulgaire de Rou-
mélie, XXVIII, 357. - Correspon-
dance, XXIX, 245.
ROSTAGNI (A.). — Poètes Alexandrins,
XXX, 242.
ROUFFIAC. — Inscriptions de Priène et
le grec du N. T., XXV, lxix.
RUELLE (C. M.). —V. Catalogus codd.
astrol.
TAI5LE DES COMPTES RENDIS
i;H
Uythme indo-européen, X.W'II, 19f).
SACHS (Eva). — Théétète mathéma-
ticien d'Athènes, XXIX, 125.
Saint-Nicolas dans l'Église grecque,
XXVIl, :J28.
SANCTIS (G. de). — Histoire des Uo-
mains, t. I et II, XXI, 229. — Essais
sur la science de l'antiquité, XXII.
481.
SANDYS (J.-E.). — Histoire de la phi-
lologie (II et III, XXII, 21.']. — Éd.
nouvelle de V 'Aôr.vaior^ -oAus-a d'A-
ristote, XXX. 243.
SANTORINÉOS (Nicos). — \\vp-oAoj-
Xojoa, XXVII, 92. — 'laxop's; Toj
neXayoj v.xl tt,; WxpoyiaX'.àç, XXVI I.
92.
SARTIAUX (F.). — Villes mortes d'Asie-
Mineure, XXV, Lxxii. — Les sculp-
tures et la restauration du temple
d'Assos en Troade, XXIX, 127. —
Troie, la guerre de Troie et les ori-
gines préhistoriques de la question
d'Orient, XXIX, 127.
Scène antique, XXVIII, 78.
SCHEIL (V.) — Le Gobryas de la Cyro-
pédie et les textes cunéiformes, XXX,
244.
SCHMIDT (E.). — Importations de
cultes, XXIV, 220.
SCHMIDT (W.). — Anniversaire dans
l'antiquité, XXII, 482.
SCHWAB (M.). — Inscriptions hébraï-
ques d'Espagne, XXII, 77.
SCOPAS. — Voir COLLIGXON.
SCOTT (J.-E.). — Sigmatisme grec,
XXIII, 362.
Sculptures archaïques, XXIX, 336. —
S, grecque, XXIX, 462, — S. romaine,
XXII, 77. — En ronde bosse, XXIX,
75. — Sculptures du musée de Cons-
tantinople, XXVIII, 77.
SEAGER (R. B.). — Exploration de
l'île de Mochlos, XXVI, 101.
Secrétaires athéniens, XXV, lxvu,
SEGALÀ. — Trad. esp. de VIliade,
XXIV, 360. — La Théogonie, XXVll,
329.
Sélinonte, XXIV, xxvii, 361.
Septante, XXII, 360.
SERKIJVS 1).;. — Procédés toniques,
d'IIiinérius, XXII, 362. — Fragments
de Stohée, XXVI, 103, 267.
SEUKE G.). — Antiquité thraces,
XXVIII, 96; XXX, 244.
SIIOOBRIl)GE(L.). — V. WALDSTEIN
(Ch.).
SHOBEY (P. . - Dimètre choriam-
bique, XXII, 362. — «I'ût:;, [xz^éir,.
i::i7Tf,;j.T., XXIV, 228. — Equivalent
grec de ladverbe romain, XXV,
243.
SIGG (H.;. — Le jeu de l'acteur princi-
pal et les personnages secondaires
dans le drame de Sophocle, XXX,
245.
Sigmatisme grec, XXIIl, 362.
SOBOLEVSKI (Sergius). — V. CERE-
TELLI.
Socrate d'après Xénophon, XXV, 241.
SOKOLOF(F.F.).— OEuvres, XXIV, 229,
Solon, XXI, 226.
SOPHOCLE, XXV, 237. — Anliqone.
traduction, XXI, 231. — Electre, éd.
Papaqeorqiou, XXIV, xvii et 225. —
Electre, XXVII, 329. — Fragments
nouveaux, XXVIl, 328.
SPANOS (K.). — Grammaire grecque,
édit. Bnsilikos, XXII, 363.
Speusippe. XXV, 228.
STAEHELIN (Rudolfj. — La manlique
dans le drame ancien, XXVII, 221,
STAIS. — Guide illustré du Musée
national d'Athènes, XXII, xliii.
STARKIE (J. M.). —Éd. des Acharniens,
XXIII, 362.
Statuaire grecque au vi^ s. Type mas-
culin. — Voir DEONNA.
STEARNS, éd. de Fragments de la litt.
judéo-hellénique, XXIV, 350.
STOBÉE, XXVI, 103 ; 267, 269.
Stoïciens, XXI, 382.
Stoïciens et sceptiques, XXVII, 330.
STRONG (Mrs. A.). — Sculpture ro-
maine d'Auguste à Constantin, XXII,
77.
STROP (Em. de}. — Manichéisme,
XXIII, 91.
STUREL (R.), — Amyot, trad. des
Vies parallèles de Plutarque, XXIIl,
XXXI.
rABLKS DECENNALES DE LA
lŒVUE
STUHTEVANT(E. H.). — Terminaisons
labiales, XXV, 481.
SUNDWALL (J.). — Cycle de 19 ans
dans le calendrier, XXI II, 483. —
Compléments à la Prosopographia
atlica, XXIV, 229.
SVORONOS. — Musée national d'Athè-
nes, XX11I,295.
SWINDLER (M. fï.). — Éléments
Cretois dans le culte et le rituel
d'Apollon, XXX, 247.
Synonymes grecs, XXIV, 86.
TACCONE (Angelo). — V. ÏHÉOCKIÏE.
TAFKALÏ (0.). — Thessalonique au
xive siècle, XXVI, l.xvii ; XXVII, 222.
— Topographie de Thessalonique,
XXVI, Lxxii; XXVII, 222.— Mélanges
d'archéologie et d'épigraphie byzan-
tines, XXVII, 360.
TATIEN. — Style, XXIII, 78.
Terminologie scénique, XXIV, 330.
Testament, donation, adoption, XXIII,
228.
Théâtre grec, XXII, 361 .
THÉÉTÈTE, mathématicien d'Athènes,
XXIX, 125.
THÉOCRITE, trad. en vers italiens de
Taccone (Angelo), XXVIII, 96. — T.
dans la littérature anglaise, XXIV,
91.
Théodore 11 Lascaris. XXI, xxxii ;
XXII, 356.
THÉOGNIS. - Éd. Hudson Williams,
XXIV, 362.
Théogonie d'Hésiode, XXVII, 326.
THÉOPHRASTE. — Caractères, éd.
Diels, XXlll, 365.
THÉOPOMPE. — Fragments, XXIII, 92.
THÉROS (Agis). — Chansons popu-
laires, XXHI, 92.
Thessalie (agriculture et agriculteurs),
XXVII, 93.
Thessalonique au xiv» siècle, XXVII,
222. — Topographie, XXVII, 222.
THIBAUT. — Monuments de la nota-
tion ekphonétique et hagiopolite de
l'Église grecque, XXVII, lxxv,
THIEME (G.). — Périclès dans la co-
médie, XXHI, 93.
THOMAS (Emil). —Études sur mis-
Loire des langues latine et grecque,
XXVII, 224.
THOMSON (J. H. K.). -Études sur
rOdyssée, XXVIII, 97.
Thrace. archéologie, XXX, 244.
THUCYDIDE, XXn, 3.^)8. — Livre IV,
éd. T. R. Mills et St. Jones, XXHI, 366.
THUMB (A.). — Manuel des dialectes
grecs, XXVI, 103.
TILLYARD. — V. 'VVACE.
TOURREIL M. de), trad. de Démos-
thène. XXIV, 345.
T0UTAIN(J.). — Cultes païens dans
l'empire romain, t I, XIX, 404.
Tragiques grecs fragments, papyrus
éd. A. H uni, XXVI, 107.
Traité du Sublime, XXVIII, 84.
Traités internationaux, XXI, 159, 387.
Transactions of the third international
Congress for the history of religions.,
XXII, 483.
Troie et Chypre, XXI, 221.
Troie et la question d'Orient, XXIX,
127.
TSOPOTOS(D. K.). —Vr^ xai Teopyol xfi;
BsaaaXiaç xaxà tV Toupxoxpaxiav,
XXVII, 93.
TSOUNTAS. — Fouilles de Dimini et
Spsklo, XXII, xLin.
TUCKER (T. G.). — Athènes ancienne,
XXI, 232.
TURNER (Leslie Morton). — Du con-
flit tragique chez les Grecs et dans
Shakespeare, XXVIII, 99.
TYRRELL. — Essais de littérature
grecque, XXIll, 486.
USENER (Hermann).
XXVni, 101.
Petits écrits,
VALLETTE (P.). — Œnomaos le Cy-
nique, XXIII, XXVII.
Vases de l'Ermitage, XXII, 488.
Vénus de Milo, XXII, 459.
Verbe grec (sa position), XXVII, 79.
VERRAL. — V. Eschyle.
Vie grecque, XXI, 406.
Vin. Emplois rituels, XXIV, 222.
Vocabulaire comparé mexicain-aryen,
XXIII, 74.
VOGT (A). — Basile T, XXII, 487.
TAHLK DES r:O.MPTES HKNDl^S
i:;:^
VOLLGRAKP (W.). - Nicandios et
Ovide„XXIV, 363.
VOLONAKIS (M). — Instruction civi-
que, XXll, 214.
WACK et TlLLVARl) — Inscriptions
.le Sparte, XXI, 171.
WACKERNAGEL (J ), XXVJl, 22:j. —
Sur quelques formes anciennes d'in-
terpellation, XXVII, 225.
WAECHTER (Th.). — Rites de purifi-
cation, XXIV, 229.
WAGNER (Hermann).— V. Geographi-
sches Jahrbuch.
WAGNER (Richard). — V. BAUMGAR-
TEN (Fritz).
WALDHAUER (0.). - Vases de l'Ermi-
tage, XXII, 488.
WAJ.DSTEIN (Ch.) et SHOOBRIDGE
(L.). — Herculanum, XXIII, 95.
WALKER. — Essai d'isométrie, XXIII,
487.
WALTZ (Ad. et Pierre). — Grecs et
Latins, XXVII, 125,
WALTZ (P.). — OEuvres attribuées à
Hésiode, XXI, 405. — Éd. d^ÉSIODE,
Travaux et jours, XXIII, 477.
WEBER (H.). — Études sur Aristo-
phane, XXII, 489.
WEINREICH (0.) — Guérisons miracu-
leuses. XXIII, 367.
WELNHOFER(M.).- Jean Apokoukos,
métropolite de Naupacte en Étolie,
V. 1155-1233, XXVil, 236,
WENGER (L.). — Droit romain dans
renseignement, XXII, 82.
VVHITE (J. W.;. — Trimètre iambique
de Mrnandre, XXIII, 97. — Le vers
de la Comédie grecque, XXVII, 361.
WILHELM(A.). — Documents sur les
représentations dramatiques, XXI,
162. — Nouvelles contributions à l'épi-
graphe grecque, XXVI, 443. — Docu-
ments attiques, XXVI, 443.
WITKOROSKI (J.). —Études sur Aris-
tophane, XXV, 481.
WRIGHT (J.), — Grammaire comparée
de la langue grecque, XXV. 482.
WROTH (W.). — Catalogue des mon-
naies impériales byzantines au Bri-
tish Muséum, XXVI, 107.
XANTHOUDIDIS (É.). — Les Juifs en
Crète sous la domination vénitienne,
XXIV, 230. — Erolocrilos, XXVIII,
LXXXIV.
XÉNOPHON, ^poZo.çte de Socra/e,XXVlI,
329. — Helléniques, XXIII, 484 —
Langue de X., XXV, 470. - X.,XXIX,
469.
ZEHETMAÏR (Aloysius). — Des titres
honorifiques dans les papyrus grecs,
XXVII, 362.
ZIEBARTH (E). — Tableaux de la vie
grecque, XXI, 406.— Écoles en Grèce,
XXII, 490.
ZORELL (Fr. S. J.). — Lexique grec
du Nouveau Testament, XXVII, 94.
TABLE DES MATIERES
PARTIE ADMINISTRATIVE ET ACTES DE L'ASSOCIATION
Pajjes
Acles de V Association i
Assemblée générale du 24 mai 1917 xi
Allocution de M. Mkillet, président xi
Rapport de M. G. Dalmeyda, secrétaire-adjoint sur les travaux et
les concours de Tannée 1916-1917 xvii
Rapport du trésorier-adjoint xxxiv
PARTIE LITTÉRAIRE
RoDiN (L.) Histoire et Riographie : Phanias d'Érèse 117
Cloché (P) Le décret de 401/0 en l'honneur des métèques
revenus de Philè 384
GoLix (G.) Les sept derniers chapitres de T \\6T,vato)v
-rroXixeta 20
Croiset (A.) Les nouveaux fragments d'Antiphon 1
François (L.) Dion Chrysostome, critique d'art : Le Zeus de
Phidias 105
Gernet (L.) Hypothèses sur le contrat primitif en Grèce. . . 249, 363
HoLLEAUx (M.) Études d'histoire hellénistique. Sur la guerre
Cretoise (y.oT,xi/cô<; rôXôixo;;) 88
JououET (P.) Sur les méthodes égyptiennes à la fin du
ne siècle après J.-C., d'après les papyrus
Rylands 294
Omont (IL) Un helléniste du xvi^ siècle : Excellence de l'affi-
nité de la langue grecque avec la française, par
RIasset 158
CHRONIQUE
De RiDUER (A.) Ruiletin archéologique 167
Deon^ïa (W.) Ruiletin archéologique 329
Roussel (P.) et- Nicole (G.). Ruiletin épigraphique 409
BIRLlOGRAPHIE
Ouvrages déposés au Bureau de la Reçue 426
Hou à tirer donné U; 23 mars 1919.
Le rédacteur en chef, Gustave Glotz.
TABLE DES MATIERES
TABLE DES COMPTES IIENDLS BIHLKX.HAPHIQLES
Allk.n (J. t.) Greck aclln;/ iit Ihe fiflft Ccniurij (l>. Méridier,. :J()»i
Alline (H.) Uisloive du Lexle de P/alon (L. Kobini :20-j
Clochk (P.) Art Restauration déinocratique à Athèites en -W^l
av. J.-C. (P. Roussel) 214
Defekraui (R. J.) Lucian's Atliclsm (S. Chabert) 21(i
Delatte (A.) Etudes sur la littérature f'i/t/uiffoiicienne
, L. Robin) 221
Dictionnaire des antiquités grecque et romaine, fasc. 51 (A. P.) 227
Hack (R. K.) The doctrine of literary forms (L. Méridier) 221
Manning (A. G.) A study of archaïsm in Euripides (A, Puech)... 229
Matthieu (G.) Aristote, Constitution d'Athènes iR, Jardillier). 230
MooRE (G. H.) The religions Thought of the Greeks from Hoiner
lo Ihe Iriumph of Chris tianity (A. Puech).... 236
Nicole (G.) Corpus des Céramistes grecs (E. Pottier) 231
Omont (H.) Minoïde Mynas et ses missions en Orient (H. Le-
bègue) 23S
Pallauius Histoire Lausiaque, trad. Lucot (A. Puech) 239
Phoutrides (A. E.). . . The Chorus of Euripides [k. Puecli) 240
RiCHARDSON (L. J,;. . . Greek and Latin Glyconics (A. P.) 241
RosTAGNi (A.) Foeti alessandrini (L. François) 242
Sandys (J. E.) Aristoteles Constitution of Athens (A. Puech)... 244
ScHEiL [\ .) Le Gobryas de la Cyropédie et les textes cunéi-
formes (G. G lotz) 244
Seure (G.) Irchéologie Thrace :L. Méridier) 244
SiGG (H.) Die Aktionsart des Uauptspielers und die Ne-
fjenpersonen in den Sophokleischen Dramen
; L. Méridier) 244
Swinoler (M. H.) Cretan Eléments in the cuits and Rilual of
Apollo (L. Méridier) 246
Tables décennales (pour les années XXI-XXX) 431
Le Puy-en-Velay. — Iinp. l'eyriller, Koucliou et Oamoii, boulevard Carnot, 23.
DF
10
t.30
Revue des études grecques
PLEASE DO NOT REMOVE
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